jeudi 27 octobre 2016

PORQUE NO TE HAN HECHO A TI DE UN METRO OXENTA ?



Bonjour !





En ce matin brouillasseux de jeudi, faisant route vers la jardinerie, m'est revenue cette apostrophe.

Il s'agissait d'une dispute, encore une, à Agorreta.
Nous avons toujours eu le sang chaud, par chez nous.
Comme si ça ne nous suffisait pas d'être entre nous de petits volcans jamais tout à fait au repos, nous accueillions pour locataires des tempéraments tout aussi éruptifs, si ce n'est plus !

Parmi eux, un certain Jésus, petit homme volcanique s'il en est.
De petit gabarit, nerveux et sec, Jésus ne tenait pas en place. Il ne savait pas vous parler sans s'agiter nerveusement, compulsivement. Quelques pas, en avant, en arrière, sur les côtés, à vous en donner le tournis. Comme si nous avions besoin de ces stimulations là dans la famille pour avoir des vertiges...
Des hochements de tête saccadés, des envolées de mains irrépressibles...
C'est bien simple, Jésus vous fatiguait, rien qu'à le regarder.
Il vous faisait l'impression de ce bouillonnement de nuages émulsionnés. Du mouvement, de la confusion, et une lumière par là au milieu...





A l'occasion de l'un des nombreux esclandres émaillant le quotidien d'Agorreta, à toutes les époques, nous nous étions retrouvés, par une belle fin de soirée estivale, au milieu de la cour de la grande maison, à plusieurs intervenants.
Il était question je crois de places de stationnement, de non-respect, de je ne sais plus quoi ou qu'est-ce.
En tant que représentante mandatée de la haute autorité, j'avais été vivement prise à parti, pour ramener un ordre idéal au milieu de cette anarchie tumultueuse.

Ça vociférait dans tous les sens, ça criait à tous les étages, ça s'agitait et hurlait à qui mieux-mieux, sans que le débat n'avance vers une quelconque conclusion constructive.
Vous savez comment c'est, à ces moments là, tout le monde donne de la voix, s'enivre de ses propres éclats, et plus personne n'écoute personne.
Celui qui parle le plus fort semble avoir l'avantage, puisque d'arguments et d'objections, rejetées ou pas, il n'en est plus question !

Je suis, je vous l'ai dit, par là quelque part, handicapée par des cordes vocales vites irritées.
Une trop longue séance de criailleries induit inévitablement chez moi une inflammation douloureuse de mes ganglions salivaires, entraînant des suites périphériques ravageuses.

Je ne peut pas trop crier, dans une famille où l'on ne sait pas parler bas... quel dommage !

Durant l'épisode sus-cité, je perdais du terrain, noyée au milieu des décibels aigus et tapageurs.
Mon frère aîné, dans un mouvement fraternel spontané, vint à la rescousse.
Il se mêlait rarement de nos affaires de basse-cour, mais, ce soir là, Dieu sait pourquoi, il infléchit sa trajectoire habituelle pour venir prendre part à la mêlée.

Jésus, ravi d'avoir un autre belligérant à affronter, heureux de pouvoir ainsi élargir le cercle de ses danses frénétiques, vint sautiller autour du frérot nouvel arrivé.
Ce dernier, puisqu'il s'était déplacé pour ça, tâchait de calmer les choses, essayant d'introduire un peu d'apaisement dans les échanges. 
Il tenta quelques raisonnements pacifistes et sensés.

Peine perdue ! 
Jésus, sentait son sang bouillir, fouetté par cet auditoire élargi et inespéré. Il s'en donnait à cœur joie,  allant de l'un à l'autre, gesticulant, vociférant, un vrai diable sorti de sa boîte, et impossible à canaliser.

Je ne saurais pas vous dire quelles furent les tenants et aboutissants de l'affaire. Si tant est qu'il n'y en ait eu, finalement...
Cette seule répartie, énoncée en titre, m'est restée :

 - Porque no te han hecho, tù, de un metro ochenta ?
 - Pourquoi ne t'a-t-on pas fait, toi, de un mètre quatre-vingt ?

En racontant cette histoire, jusque là, je disais :

 - Porque no haces, tù, un metro oxenta ?
 - Pourquoi ne mesures-tu pas, toi, un mètre-quatre-vingt ?

Dernièrement, mon père a rectifié mon souvenir erroné.
C'est bien la première version, l'exacte.
Et la nuance entre les deux est importante.

Pourquoi ne t'a-t-ton pas fait ?
C'est vrai, ça, pourquoi ne t'a-t-on pas fait...
Tu n'es pour rien dans cette injustice flagrante. Tu en subis les conséquences, sans avoir eu jamais la possibilité d'être acteur de ton destin. Tu subis, humanité sacrifiée et soumise à un arbitraire tout puissant et despote.

Mon frère aîné n'avait pas sur le coup compris cette répartie.
Il m'avait interrogé là dessus, quand, essoufflés, nous étions tous plus ou moins rentrés dans nos repaires respectifs. Sans avoir rien réglé, bien-sûr, mais assagis quand-même d'avoir tant et si bien crié.

Il y avait même eu dans le tas une paire de lunettes fracassées, suite à un uppercut bien placé d'Ange, un autre locataire, toujours dans nos murs celui-ci, Dieu merci, le bien-nommé, asséné sur le menton agressif de Jésus survolté.

J'avais traduit la remarque de notre diablotin en expliquant que Jésus mettait beaucoup de choses sur le dos de la fatalité, cette fatalité qui nous fait les uns grands et beaux, et beaucoup d'autres, dont nous, petits et, allez, pas laids, mais bon, communs, dirons-nous dans un but de ménager les susceptibilités.
Mon frérot l'aîné avait renvoyé la remarque sibylline dans ses limbes, en une moue dubitative et perplexe, dont il a le secret.

En y repensant, je suis frappée de la justesse et de la précision de cette répartie restée malheureusement lettre morte pour nous, épais réceptionnaires d'une telle subtilité.

Parce-que, c'est bien vrai, et tout aussi regrettable, pourquoi ne m'a-t-on pas fait, moi non plus, de un mètre-quatre-vingt ?

J'ai  aujourd'hui encore, et pour le restant de mes jours sans doute, le vif regret de ces vingt centimètres qui me manqueraient pour une silhouette plus fluide.
Vous savez, comme ce nez de Cléopâtre, qui aurait changé la face du monde, à être à peine un petit peu plus court...

Dans le même registre des lamentations stériles et pourtant légitimes, le manque cuisant d'une dentition parfaite et étincelante à exhiber dans des sourires ravageurs, m'aigrit un tant soit peu l'existence. Je serais tellement plus souriante, si j'avais été mieux dotée !

La désolation de n'avoir que des prunelles vert caca d'oie, quand un regard profond et envoûtant m'aurait bien mieux servie a incontestablement terni ma vie.

Oui, toute ces choses que je n'ai pas eues, je les aurais bien voulues...

Quand je parlais dernièrement d'une vie choisie, je restreignais par force cette liberté de choisir à un périmètre pré-défini, ce périmètre aux limites duquel nous nous colletons, comme le papillon se cogne au verre de la lampe dont la lumière l'affole.

Ce dont je voulais parler, ce à quoi je suis décidée à m'accrocher, c'est toute la latitude à l'intérieur de ce périmètre.
Qui peut paraître petit si l'on persiste à désirer au delà, et bien vaste si l'on a la sagesse de savourer chaque centimètre carré offert.
La lumière de la lampe est douce si l'on s'y éclaire sans s'obstiner à essayer de franchir le verre de l'ampoule...

Je sais déployer mes un mètre-soixante au mieux, sourire gracieusement quand-même, et accrocher de mon regard ordinaire l'attention, quand je m'en donne la peine.

Mes comparaisons sont souvent réductrices et simplistes.
Ces constatations n'en sont pas moins pertinentes, non ?
Mais si, mais si ! Laissez-le moi croire, au moins. Je ne serai jamais Einstein, mais bon, je prends plaisir à m'essayer le neurone. Alors...

Allez, trêve de "philosophades" bon marché, et remerciez le seigneur pour les un metro...y pico dont vous êtes les heureux bénéficiaires... 









Très bonne fin de semaine à tous !
Je m'en vais ranger ma betterave prosaïque et nécessaire :









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