vendredi 14 octobre 2016

A NOTRE PÈRE ET MÈRE REGRETTES



Bonjour à tous !















La pluie si rare depuis ce printemps-été nous est enfin arrivée.
De bonnes averses, généreuses sans être mauvaises.
Trop tard pour abreuver les cultures... les récoltes seront maigres, cette année.
Pas de regain ou presque, un maïs léger, la betterave moyenne, et les citrouilles petites.
Ne parlons même pas de mon rutabaga séché par la virose, et du navet-rave momifié par manque d'eau.
Une année de misère pour le paysan.

Que faire de mieux que garder en tête l'augure de meilleurs lendemains ?
S'appuyer sur les souvenirs riants d'abondances et de matins radieux....
Voyez, moi, ce matin, je regarde Mère-Rhune noyée dans les nuages gris, et je préfère me souvenir de la même, sous la lumière cristalline d'un matin limpide.







Ca a été, aussi, ça, et ça peut le redevenir. Alors... pourquoi se priver de ces images précieusement engrangées, de ces espoirs précautionneusement emballés ?



Nous entrons dans cette période de Toussaint.
Vous l'ai-je dit déjà ? Mon moment préféré de l'année...
Depuis toujours.
Le temps des châtaignes lisses et des dernières pommes à cuire :




Ce moment des maturations abouties,  des lumières profondes et riches.
Ce moment des paysages roux et dorés, des cieux où le regard se perd en contemplation ravie.

Je me sens correspondre maintenant à cette étape dans ma vie.
J'en suis à cette charnière entre l'analyse de ce qui a été réalisé, et la décision de la perspective de ce qui reste à venir.
Un moment important, évidemment. 
Je me sens prête pour la suite, aboutie comme les récoltes bien maturées,  pas du tout nostalgique d'une jeunesse passée.
J'ai l'appétit de vivre bien les années qu'il me sera donné de vivre. Je sens la gratitude profonde de ce que j'ai déjà vécu, de ce que la vie m'a déjà permis, et donné.
En un mot comme en cent, je me sens bien, quoi...


Cette période de Toussaint cristallise ces sensations agréables.
J'ai le souvenir de belles journées. Même par un temps de chien, Novembre me paraît joli mois. 
Je dis Novembre et nous sommes en Octobre. Ne vous en faites pas, je n'ai pas perdu la notion du temps et du calendrier, toute fantaisie que je sois !
Moi, j'aime tellement ce novembre, que je me l'étale de septembre à la fin de l'année. Comme une confiture parfumée sur la tartine. Et pourquoi pas ?

Je me souviens de ces vacances de Toussaint.
Mes promenades dans la campagne avec les chiens, déjà.
Cette semaine enluminée, des travaux de récoltes sous des cieux flamboyants.
Le maïs, ramassé à la main, avec mon oncle Charlot et la tante Pantzika.






N'ont-ils pas fière allure, ces deux là ?
Je les ai connus quelques années plus tard, bien-sûr.
Deux personnages, ma tante Pantzika encore bien de ce monde, et l'oncle Charlot, à la mâchoire forte et aux bras tatoués, disparu, lui, il y a longtemps déjà. Paix à son âme.

Les rires, les histoires, autour des corbeilles hissées sur l'épaule d'un mouvement de reins.
L'après-midi était courte, le soleil descendait vite.
Les séances d'épluchage dans le grenier, les tas de feuilles sèches avec les chevelus crépus qui s'accrochaient dans les cheveux et aux vêtements, quand je m'amusais comme une follette à faire des cabrioles dans ces coussins géants.
Nous faisions griller des châtaignes, nous buvions du cidre, même nous, les enfants.
C'était l'occasion de se raconter des histoires, scandées par les têtes de maïs tombant dans les panières.
Des moments tout à fait à mon goût...

Plus tard, je me souviens des visites à la tante Mayi, la femme du frère aîné de ma mère, tout en bas à gauche :











Ici, le jour de leur mariage, devant l'église d'Urrugne.

Cette photo,  je l'avais par erreur située devant le château d'Orio, aux débuts de ce "bloc"..
L'un des membres de cette famille d'Erreka m'avait rectifiée. Erreka est une ferme voisine d'Agorreta, ancienne métairie du château d'Orio, elle aussi.

Mon Aïtatxi Inazio entretenait des rapports amicaux avec ceux d'Erreka. Il allait même paraît-il y jouer aux cartes, lui, l'homme laborieux toujours au travail. Ce devait être la seule distraction qu'il s'autorisait, avec ce Pantxoa d'Erreka, lui aussi réputé travailleur acharné.
D'ailleurs, au moment où la maladie le faisait déraisonner, il se levait juste après minuit, s'habillait sans faire de bruit dans sa chambre, et sortait, dans l'idée de se rendre à Erreka.
Ma mère le retenait, le persuadant en douceur de revenir se coucher.

J'ai souvent repensé à cette scène, quand mon propre père, à un moment, se levait, lui, pour aller à Biantenia, une autre ferme des environs !
Dieu seul sait ce que ces deux là cherchaient à retrouver, dans la demi inconscience de leur maladie...
Ce réveil d'après le premier sommeil, où tant de choses affleurent depuis des limbes remontées à la presque surface. J'ai grande foi dans les idées qui me viennent  à ce moment là de la nuit. Quand l'instinct ne se se laisse pas museler par une raison encore endormie.
Cette tante Mayi, fille d'Erreka, vivait ses vieux jours chez sa sœur, Adrienne, à la ferme Pedroenia, à Olhette.





Adrienne figure sur la photo de mariage de mes parents en haut à gauche, entre mon oncle Anton d'Errandonea, et l'un des frères mort en Amérique de ma mère.
Je l'ai toujours trouvée très belle, avec son visage fier et franc, un port de tête altier et un sourire de comédie italienne.

Je lui reconnaissais quelque chose d'aristocratique, à cette femme, née à Erreka,  ferme voisine d'Agorreta.
Sans doute ses tournures de phrases en français m’impressionnaient-elles : elle est l'une des rares, et, dans notre famille, la seule, à chercher ses mots en disant : Comment dirais-je ?
Le "ment" du comment bien roulé en bouche, le "ais" du dirais largement ouvert.
Rien à voir avec le heu... si commun et plat, en comparaison.

Cette tournure me fait immanquablement penser à celle qu'utilisait, paraît-il, ma tante Tottepin, quand elle revint du Maroc, où elle était partie travailler au service d'une famille de là bas :
Zer erran da ? disait-elle, pour dire : nola erraten da ? à savoir : comment dit-on...
Tout ceci rapporté par mon père, puisque cela datait de bien avant ma naissance.
Ma tante était revenue d'Afrique riche de rêves d'évasions et d'images de paysages exotiques, mais oublieuse de sa langue natale, devenue fossile dans sa tête.
Quelle curiosité ! 

Cette tante est la sœur de mon père,  et celle de Pantzika.






Chez Adrienne, à Pedroenia, nous allions faire visite à la tante Mayi, à cette occasion de la Toussaint.
Dans la grande cuisine sombre, mal éclairée par une petite fenêtre ouverte dans un mur épais, une vieille femme très grosse trônait dans un fauteuil.
Placide et massive comme mon Amatxi Manuella, elle écoutait, et parlait peu, mais pour dire juste, et percutant !

Nous faisions avec ma mère cette sortie, déposant au passage un pot de chrysanthèmes sur la tombe de son frère aîné, à Urrugne.
C'était notre seule visite au cimetière.
Je me souviens à peine d'une autre visite au cimetière de Biriatou, où mon oncle maternel reposait, je crois.
J'ai une image d'un renard empaillé sur le manteau haut d'une cheminée d'époque, gueule ouverte en rictus mauvais sur des dents pointues. 
Nous montions en voiture un raidillon étroit, pour arriver à cet endroit, il me semble.
Un souvenir un peu confus, pourtant, je suis sûre du raidillon et du renard.

Nous nous rendions aussi sur le caveau familial à Hendaye. Il fallait repeindre la dalle desquamée, avec une peinture rallongée de trop d'eau pour faire du bon travail.
D'autres familles œuvraient à proximité, au grand soleil d'or de Toussaint, des conversations s'engageaient, de tombes en tombes.
Un moment agréable, là encore, dans ce contexte particulier.


Revenons à l'époque actuelle.
Emportée dans mon élan de travaux de peinture, j'ai décidé de rénover notre plaque funéraire.
Je me rends maintenant très régulièrement au cimetière, quand avant, je n'y mettais les pieds que pour cette fameuse Toussaint.


























Là encore, derrière la réalité du moment, je garde en tête une autre réalité, à superposer pour colorer celle des journées grises.


J'aime ces haltes là, je ne saurais trop vous dire pourquoi.
Un sentiment de plénitude et de paix descend sur moi, l'ambiance particulière des morts au repos m'apaise.




Cette plaque à rénover est vieille, elle a pratiquement mon âge.

Après avoir reblanchi la pierre salie, j'ai entrepris de rafraîchir les écritures.
Pour la première fois, j'ai noté cette étrangeté de tournure : a notre père et mère regrettés...

Je me suis dit, tiens, comment ce singulier, notre, devient-il pluriel, regrettés ?
Nos père et mère, ça n'est pas bon, non. Nos pères et mères, ça ne va évidemment pas non plus ! Nous ne rendons pas l'hommage du souvenir à tous les géniteurs du canton, tout de même !
Il aurait fallu : notre père et notre mère, regrettés...
Pour le coup, un mot de plus, à redessiner méticuleusement à la dorure !
Ouh là, me suis-je dit, c'est aussi bien comme ça. Je ne vais pas me lancer à reciseler la plaque, ça ira très bien comme ça a été jusque là !
Ma foi, je ne suis pas mécontente du résultat :






Ce n'est pas parfait, mais c'est appliqué !
Langue tirée et sourcils froncés, j'y ai mis toute ma concentration... et mon amour.

Cet amour que je dis maintenant sans pudeur. Alléluia !

Dans cette famille Olaciregui où les insultes pleuvaient drues comme la pluie de ce matin, les compliments, les douceurs et les mots d'amour restaient tus.
Chez les Legorburu d'Agorreta, on ne peut pas dire que les effusions soient de mise, non plus.







Il n'y a d'amour et de paix que sur les pierres tombales !
Des regrets, évidemment, pour tous ces moments à jamais perdus.

Je veux maintenant honorer les miens en disant aux vivants, sans retenue ni fausse honte, tout ce qu'on a le tort de retenir jusqu'après leur mort.

Ainsi soit-il !

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