mercredi 30 septembre 2015

BONNE CONSCIENCE



Bonjour et bienvenus dans ce "bloc" !







Matin pur, rincé d'une averse de nuit.



La baie s'offre au soleil, les roux s'enflamment en or. L'automne resplendissant régale de ses couleurs chaudes et profondes.












A Agorreta, après deux nuits fracassées par les meuglements assourdissants de Pollita, tout est rentré dans l'ordre.

Hier soir, j'ai pris le temps d'un entretien avec ma belle, les yeux dans les yeux.

Au retour de la jardinerie, je rentre les vaches. Elles se rangent à leur place, et rien ne les distrait de leurs mangeoires garnies pendant dix minutes. Je fais alors le tour des pis, une rapide inspection générale de l'état sanitaire global.
Vient ensuite le moment où je passe ma main sur leurs flancs, où je parcours leurs échines ondoyantes.
Quelques vigoureuses frictions du poitrail et des joues sont aussi bien appréciées.

Ce petit rituel bouclé, je vais voir mon père à cette heure couché, et je m'occupe ensuite de la logistique domestique.
Un enchaînement assez immuable, efficace et ronronnant.

Hier soir, après les deux nuits précédentes où Pollita avait rugi à des heures indues, j'avais à lui parler.
Je me suis postée à son côté, et, lui parcourant le mufle en va-et vient réguliers, je lui ai dit :

- Ecoute ma belle. J'ai l'impression que tu t'inquiètes pour ta Rubita de fille. Tu sens une nouvelle vie dans ton ventre, et celle-ci est toujours accrochée à ton pis. Tu as peur sans doute, de devoir la délaisser, pour t'occuper du prochain à venir.


Je vous ai expliqué la relation fusionnelle de Pollita avec sa fille Rubita.

Je vous ai dit aussi que l'éclipse lunaire, même sûrement très "influante" sur l'instinct animal, ne me paraissait pas suffisante pour susciter à elle seule ce tourment.
La seule raison plausible à mes yeux, était  le premier mouvement perceptible par la mère, de ce petit lové en son ventre.
Et son inquiétude concernant son aînée, qu'elle avait peur de devoir abandonner.

Tout ceci étant mon interprétation du phénomène. Je le sais avant de vous l'entendre dire, c'est bien fantaisiste, et pourtant...

J'ai mis mon hypothèse en mots, à l'intention de la "plaignante" trop bruyante. 
Et j'ai tâché d'apaiser ses maternelles craintes :

- Tu sais, Rubita est maintenant grande. Elle peut se passer de ton lait. Je prends le relais, ne t'inquiète donc pas. Souviens-toi comment je t'ai nourrie, toi aussi, à son âge. Regarde la belle vache épanouie que tu es devenue. Ce sera la même chose pour elle. Tu la verras grandir et embellir non loin de toi. Bientôt, elle aura elle-même des petits, comme toi. Et vous élèverez tout ces petits veaux côte à côte. Ne t'en fais donc pas.

Pollita a écouté ma voix, en profitant de mes caresses.

Cette nuit, paix sur la ferme, silence et repos pour tous.




Le maître des lieux a pu dormir tranquille.
Frais et dispos, il revient de promenade dans le soleil levant.












Oui, oui, oui... je sais, tout ça n'est pas très étayé, ni raisonnable. Et alors ?

Tout ça me donne bonne conscience, à moi. J'ai l'impression de faire comme il faut. Et le semblant de résultat me conforte, envers et contre toute logique.

Les choses rentrent dans l'ordre. Mon intervention n'y est peut-être pour rien. Mais il me plaît, à moi, de croire le contraire. Laissez m'en l'augure, je vous prie...

Je suis comme vous. J'ai besoin d'avoir bonne conscience. Et pas toujours de raison valable pour y parvenir. Quand ce ne sont carrément pas les meilleures raisons du monde de la perdre, justement, cette bonne conscience !
J'aime pouvoir me dire que j'ai fait ce qu'il fallait faire. Que je me suis acquittée de mon devoir.
Evidemment, j'ai failli, parfois, à ce devoir. J'ai été en dessous de mon rôle. Je me suis déçue, désapprouvée. 
Je ne suis ni parfaite, ni irréprochable. Tiens donc !
Le costume trop raide et la posture intenable dans le temps, je les ai moi aussi abandonnés. J'ai évalué mesquinement le bénéfice à retirer d'une peine à me donner. Et laissé tomber, quand j'aurais pu davantage essayer.

Je suis restée dans une une moyenne raisonnable, raisonnablement convenue avec moi-même.
Le tête à tête d'hier soir avec Pollita, je l'ai eu avec moi-même bien des fois.
Et la même fantaisie a souvent déterminé mes choix. Je me suis soumise à un arbitraire admis, et reconnu.
J'ai bonne opinion de moi, sans grande raison pour ça. Je suis une spectatrice acquise à moi-même, sympathiquement dédiée à ma cause.
Je me pardonne mes fautes. Je les reconnais, oui, mais je me les pardonne.
Je m'étonne d'ailleurs que les autres ne me pardonnent pas toujours, eux.... Je constate ce ressentiment, cette rancune, et je m'en désole. 
Pour me consoler, je reprends les théories de cette fameuse Lise canadienne dont je vous ai déjà parlé. Et oui, ce "bloc" commence à être un tantinet touffu, maintenant, et mes références un peu perdues de vue, peut-être, qu'importe !
Là encore, je me pardonne quand vous pourriez très justement m'en vouloir.

Lise explique qu'il faut reconnaître les blessures des autres derrière celles qu'ils vous infligent, les leur pardonner, pour pouvoir se pardonner à soi-même de les infliger à d'autres encore, ou à ceux-là mêmes qui vous les ont infligées.
Personnellement, j'ai le sentiment d'inverser les deux dernières étapes. Je me pardonne avant de pardonner aux autres. Il me semble...
Une boucle à refermer pour sortir du cercle où l'on se tient prisonnier. Un petit tournis à détricoter, mais j'ai adoré !

Quand je rencontre la désapprobation autour de moi, et ça m'arrive, forcément, quelquefois, je reprends l’ellipse Lise, et je m'en tire comme une fleur. Épatant !
Il y a comme ça des rencontres dans une vie, qui vous apportent la lumière, n'est-ce pas ?

Je me souviens aussi d'un certain Binst. Connu durant une formation professionnelle. Celui-ci a révélé chez moi le chemin vers l'essentiel. J'y avais des prédispositions certaines, mais il me l'a tellement bien débroussaillé, ce chemin, que c'en est devenu mon fil conducteur. Mon essentiel...
D'aucuns vous diront, au détriment du reste ! Et ils auront raison, je les salue ici au passage, bien amicalement.

Pour pouvoir se pardonner, s'absoudre, il faut bien qu'il y ait matière à le faire, faute, mauvaise conscience.
De là à penser que sans faute, il n'y a point de salut, il n'y a qu'un pas, une pirouette. Et moi, j'aime bien les mouvements ronds et lestes...

Je vous laisse ici pour aujourd'hui, face à vos consciences partagées.

Une bête fantastique est venue explorer mon potager :









Une "taupinus monstera" ?

Il y en a eu une, dans le temps, dans la contrée.
Là quand-même, je m'interroge.






Ma taupe géante a l'air drôlement bien outillée :





Elle frôle mon carré de navets, le longe, sans Dieu merci me l’abîmer.
















Elle s'approche quand même bien près, je trouve, l'insolente bête...

Et mon petit choux de rosée perlé pourrait s'offenser de cette ombre portée.










Bah ! le coupable n'est pas bien loin, je le sens bien. Je crois même que je le connais, le bougre !

Ceci nous mènera à mes récits projetés pour l'hiver. Ces fameux remblais, et celui de notre non moins fameux Chemin des Crêtes, en particulier.
Là encore, les bonnes consciences s'affrontaient, comme des coqs hérissés.

L'historiette me démange, déjà. Elle me viendra sous les doigts, en son temps.
Parce-qu'en plus d'être trop centrée sur l'essentiel, il m'arrive d'être un peu impatiente, aussi.

Honte à moi ! Mais, faute avouée, n'est-elle pas à moitié pardonnée ?

A bientôt, mes amis, et ne me tenez pas rigueur de ces travers. Ils sont mon essence et ma chair.

lundi 28 septembre 2015

MEUGLER A LA LUNE ?



Bonjour à tous !

Bref signe de la main ce matin.

Histoire de nous souvenir dans longtemps de l'éclipse lunaire...





Saisissants, non, ces clichés ? Mémorables ? Non !

Je n'ai pas su faire mieux...

Remarquez, des images de l'éclipse de lune, vous en trouverez partout.
Personne n'attend après moi pour ça.
C'est une chance !


A voir, c'était pas mal. Je n'ai pas eu le moment le plus beau.

Ces trois instants, à imaginer faute de pouvoir admirer, à se remémorer, n'étaient pas les meilleurs, je crois.

Hier soir, juste avant minuit. Ce matin après cinq heures, puis, à sept heures.
Trop tôt, et trop tard...

En fait, je n'avais pas spécialement l'intention de me lever pour observer le phénomène. Je me suis dit que je verrais ça ce matin, à l'aube. Je l'ai fait, mais la lune à ce moment là était juste un disque brillant, pas particulièrement remarquable, ni par sa taille, ni par sa couleur.
Des couchers de lune, j'en ai vu de bien plus jolis.

Hier soir, un peu avant minuit, quand, douillettement installée dans mon meilleur sommeil,  je dormais paisiblement, quelque chose m'a tirée de cette agréable contrée. J'étais en plein rêve, et un rêve plutôt amical, pour ce qu'il m'en reste.

Réveillée aussi injustement, je me demandai, ce qui était venu me chercher là.
Je n'ai plus entendu le "tunk-tunk-tunk" d'appel de mon père depuis des lustres. Serait-ce ça ? me suis-je dit en sortant à regret de mon lit.
Je me chaussai, contrariée mais résignée à reprendre ce rite des levers nocturnes intempestifs.

Un mugissement venu de l'étable troua le silence tranquille. Tiens, Pollita, à cette heure là ?



Elle, la placide, la reine sereine ?

Si je ne descends pas suffisamment tôt, Pollita meugle, le matin.
Quand son pis rempli de lait devient lourd, elle appelle.
Je défais les chaînes de Rubita et de Galzerdi pour les libérer.
Elles ne se font pas prier pour aller voir leurs mères, et se mettre à téter les mamelles gonflées.


Là, ce n'était pas du tout son heure. Quand Pollita meugle ainsi, hors usage, c'est que quelque chose ne va pas. Elle n'est pas capricieuse. Son alerte doit être prise au sérieux.
Il arrive que Rubita s'éloigne dans le champ, passe sous le fil de clôture, et aille voir plus loin, si l'herbe y est meilleure.
Sa mère, plus respectueuse des limites autorisées, se campe en bordure, et meugle, sa détresse, de voir sa fille s'en aller loin d'elle, dans des parages interdits.

Pollita ne m'a jamais dérangée inutilement.
Cette nuit, je suis descendue voir ce qui se passait là, en bas.

J'ai allumé, la pathétique ampoule de 40 watts a éclairé mes bêtes couchées. A part ma Pollita, debout, tête dressée par dessus la murette. Rubita, sagement allongée à sa place, ne manifestait aucune anomalie.
Je me suis approchée, j'ai causé à ma vache. Rien n'expliquait ses meuglements.
Entre-temps, tout le monde s'était levé. 
Mes vaches ne sont pas tourmentées. Quand elles me voient, elles se disent, tiens, ce doit être l'heure de manger, et s'apprêtent au repas.

J'ai distribué quelques quignons de pain, lâché les petites qui tiraient sur leurs chaînes.
Nous avons fait une aube à minuit.
Les vêles contentées, puis rattachées,  les mères apaisées, je suis remontée.

Qu'est-ce qui a tracassé ma Pollita cette nuit ?
L'éclipse lunaire ?  Je ne pense pas.

Peut-être le petit qu'elle porte en elle. Pollita est pleine de quatre mois maintenant. Le pré-animal dans son ventre doit s'animer, à ce stade. Et j'imagine que c'est cette sensation qui a réveillé ma grande et belle vache.

Et tous les habitants nocturnes de la ferme, par ricochet.

Que Pollita soit pardonnée, elle ne savait pas au juste ce qu'elle avait. Et je ne le sais pas beaucoup mieux.

J'imagine, comme j'imagine la beauté de la lune à quatre heures ce matin, faute de savoir et d'avoir vu.

C'est notre chance d'humains, de pouvoir aller au delà des choses par l'esprit.
Et notre tourment...

A une autre fois, et portez-vous bien.


En différé de quatre jours :

Le croirez-vous ?
Notre bien-aimé directeur de la jardinerie, Jean-Michel, a anticipé ma défaillance.
Dimanche dernier, il s'est hissé au sommet du Pic du Midi de Bigorre.
Et, ces clichés de l'éclipse lunaire que j'ai lamentablement manqués, il les a, lui, parfaitement réussis.
Je vous les montre ici,  jugez par vous-mêmes :


















A cette altitude, cet homme n'est plus un supérieur hiérarchique, c'est un véritable ange-gardien, presque monté aux cieux, a défaut d'en descendre ailé.
Nulle part ailleurs en entreprise, je n'ai entendu parler d'un patron aussi presque saint, capable de prévoir ainsi et de pallier majestueusement les manquements de ses employés... 
Que le Très-haut nous le conserve longtemps en sa sainte garde, les pieds bien sur terre ici-bas, pour notre plus grande joie !







dimanche 27 septembre 2015

SEVRAGES




Bonjour aspaldikoak ! 
Approximativement : ceux d'il y a longtemps...

Une semaine sans passer par ici, ça m'a paru bien long ! A vous, non ? Ah bon...


J'ai quand même pensé à nous vendredi, en faisant mon petit reportage photos.

Ce matin, dans le calme et le silence de la ferme, je reprends nos conversations interrompues.
Oui, enfin, pour moi, ce sont des conversations. J'imagine très clairement vos interventions, et elles me satisfont pleinement, puisque je les conçois moi-même. Ainsi, pas de risque de déconvenue !





Vendredi, donc, l'atmosphère était moins humide que ce dimanche matin.

La transition entre saisons se fond en un enchaînement fluide, de nuances apaisées.
Les couleurs ne se heurtent plus. Elles abdiquent et se diluent en laitances diffuses, se confondent en pastels mélancoliques.
Une légère lassitude les affadit en langueurs dolentes.

Les glissades synchronisées des hirondelles maintenant parties, cèdent l'espace aux vols saccadés et désordonnés des chauves-souris à la tombée de la nuit. 

Les bêtes sentent ce ralentissement de rythme, cet apaisement :






Zaldi et les championnes prennent le soleil pas encore chaud.

















Les miennes, les "sans race", attendent aussi la levée de rosée pour se mettre à pâturer.








Les deux petites se rapprochent de la cabane des biquettes.

Galzerdi la brune et Rubita la roussette ont maintenant cinq mois.
Il est grand temps d'entreprendre le sevrage de ces demoiselles.
Elles broutent déjà l'herbe et le foin, depuis longtemps,  je leur distribue un peu de luzerne déshydratée, et quelques morceaux de citrouille, deux fois par jour, comme aux grandes.
Elles continuent de téter leur mère quatre à cinq fois dans la journée. La nuit, elles sont attachées à leur place, et n'ont pas accès aux pis.
Je vais hiverner mes vaches autour de la Toussaint, suivant le temps. A ce moment là, les petites téteront deux fois seulement chaque jour, puis une seule. Progressivement, j'espacerai ces repas laitiers, pour sevrer les vêles, et tarir les mères.

Ma méthode est un peu ancienne. 
Les éleveurs modernes sont plus rapides : ils privent les veaux très jeunes, et les vaches, en une journée au foin sec et sans eau, avec deux trois piqûres d'antibiotiques par là derrière, cessent la production de lait, quand l'éleveur l'a décidé.
Quelle brutalité, n'est-ce pas ? 
Pas à Agorreta, ça ! Jamais !

Là encore, la transition se fondra sans heurt, et ça prendra le temps qu'il y faudra.





La fougère est prête à être rentrée.
Elle constituera une excellente litière, bien sèche et filtrante à souhait.
Quelques refus de foin tombé des râteliers assureront un meilleur confort, en mélange.
Loin encore une fois des grilles dures et froides des étables modernes.






Les fougeraies sont maintenant mises à nue. Propres et rousses.
Les colchiques et les centaurées apparaissent au jour.







Je vous montre ici le petit bois derrière chez moi, où je promène souvent ma mini-meute.

J'aime son ambiance un peu magique. Une journée à la ferme sans un détour par ce petit bois me semble incomplète.
C'est là que nous avons ramassé les châtaignes, il y a deux semaines. 
C'est cette atmosphère que j'essayais de vous décrire. Le soleil en moins, c'était ça. Ca rendait autrement. Il fallait y être, quoi !

J'ai comme ça des habitudes, des rituels. La promenade dans le petit bois en fait partie.
Une journée sans une séance de caresses aux chiens, sans ma main arrondie sur leurs têtes, mes doigts grattouillant leur oreilles, est une journée un peu manquée.
Une journée sans vigoureux bouchonnages de mes vaches me laissera un petit vide.

Une semaine sans écrire ici, maintenant, imaginez...
Je suis "addicte" à ce "bloc". Et j'aime bien ça.

Je me déverse sans queue ni tête, et ça me fait un bien fou.
Pour vous évidemment, qui supportez un flot de bêtises ennuyeuses, dans le seul espoir de tomber par ci par là sur quelque chose d'amusant, vous vous passeriez de mes logorrhées verbales.
Je m'en veux de vous imposer ça, un peu, pas assez pour arrêter.

Après tout, il m'arrive aussi de commencer à lire quelque chose, de ne pas accrocher aux trente premières pages, de continuer en espérant trouver mieux à mon goût plus loin. Et de refermer, deux cent pages après, insatisfaite et vexée de m'être ainsi laissée gruger. Avec la bonne conscience tout de même de ne pas avoir abandonné en route, au risque de manquer quelque chose.

Nous sommes tous un peu pareils, sans doute. Accrochés à nos rites, ficelés par les obligations que nous nous imposons tout seuls, bien à l'étroit, tel le rôti prêt à aller au four...


Moi, dans mon solide carcan autour d'Agorreta, je me sens rassurée, pas du tout entravée ni limitée.
J'ai assez d'espace, là. Je connais les voies d'accès au monde en dehors. Ce "bloc" est ma passerelle, d'une certaine manière.
Je l'emprunte comme le petit chemin du bois derrière chez moi, en flânant.

Tiens, je vais d'ailleurs y retourner, là. 

Bientôt, les récoltes à engranger m'occuperont dehors.
Je vais devoir moi aussi me sevrer de ces pages, un peu.

Je le ferai doucement, en transition lente, sans rien heurter.

Je vous partagerai tout ça, au fur et à mesure, vous pensez-bien.

Passez un beau dimanche, un dimanche d'automne idéal et serein.


lundi 21 septembre 2015

AUTOMNE ROUX




Bonjour à tous, et bienvenus ici !





Un ciel sans faute ce matin. Du pur et limpide sans ombres ni doutes.
Les verdeurs insolentes ont laissé place aux roux profonds et graves. Les sèves gorgées de chaleur et de lumière solaire en restituent l'or, sobrement.
Bientôt, viendront les flamboiements magnifiques d'avant l'hiver, les éclats rouges et feux des cieux  et des feuillages.
Une splendeur riche de maturité, un jeté des dernières ardeurs pour laisser un souvenir suffisant jusqu'à la prochaine belle saison.

Nous entrons dans ce temps, celui que je préfère, depuis toujours.

Le temps des pommes cuites et des châtaignes, le temps des têtes de maïs blanchies, des courges orangées.























Le temps d'engranger les récoltes, de rentrer le bois, de vérifier les réserves pour l'hiver.

Le temps de faner la haute fougère rousse, pour la coucher en litière aux pieds des bêtes.

Le temps de se préparer à vivre plus en intérieur, davantage en soi.

Le temps pour ce "bloc" de faire le tour complet d'une année, dans une paire de mois.



Les couleurs de cette saison parlent de force rentrée et de lumière intérieure.
Quand la nature a donné ce qu'elle pouvait, et se retire, au repos. 

Je me souviens d'une phrase d'un cours de littérature :

   "J'entrai avec ravissement dans la saison des frimas"

 Était-ce Lamartine, ou Chateaubriand, plutôt ?

Je ne sais plus, au moins, est-ce l'un de ces deux là...
L'autre de Victor Hugo, celle là, je suis certaine de sa parenté :

   "Demain, à l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, je partirai".

Pas sûr qu'il évoquait, l'automne, d'ailleurs, Victor. Pas le meilleur moment pour se mettre en route...
Moi, je pense aux rosées perlées des aubes, à partir de maintenant.






Quand les vaches attendent que le soleil monte pour se mettre à paître l'herbe plus dure et mouillée de la nuit.

Le début du jour parle déjà de la saison à venir.
Le soleil haut fait reculer ces images, dardant encore fort sa chaleur.





Ma culture ressemble à une sacré mélasse. Un magmas épais de coulées mélangées, d'où ressortent quelques éclats disparates.
Je connais ce que tout le monde connait, plus ou moins : La Joconde de Vinci, Beethoven et la 5ème symphonie, (sans être sûre de savoir l'identifier), et quelques bricoles comme ça, sans savoir les réintégrer dans l'histoire.
J'ai suivi un parcours scolaire ordinaire. Mon milieu familial et social ne m'a pas baignée dans la culture. Enfin, dans l'art, parce-que les cultures, pour ça, oui...
La curiosité ne m'a pas titillée plus que ça. Honte à moi !

En géographie, particulièrement, je suis capable de vous délocaliser une région d'un continent à l'autre. Pour ce qui est des îles, je placerais volontiers les Seychelles près de l'Irlande, par exemple, où alors Tahiti sur la côte africaine. Non, celle-ci, pas quand-même !

Ma nièce me fit présent d'un globe, pensant pallier cette crasse ignorance.
Mais les cartes sont petites, chez moi, la lumière chiche, et ma vue, basse. Je m'y retrouve assez mal...

Pour l'Histoire, ce n'est guère mieux.
Nous en sommes, je ne sais comment, avec un de mes collègues à la jardinerie samedi, venus à parler de Catherine de Médicis.
Nous avions tous les deux en tête une vague histoire de catholiques et protestants, avec la Saint-Barthélémy et ses massacres.
Nous avons fini par nous convaincre que Catherine était catholique, italienne, qu'elle s'était unie à Henry IV, protestant gascon.
De là, nous est sorti des limbes l'édit de Nantes, et la séparation des églises et de l'Etat. 
Tout ceci, assez confus. Nous aurions pu vérifier sur Ternet. Mais non. Notre seule avancée dans la voie de la connaissance a consisté à interroger une troisième collègue, elle-même assez perplexe.
Consolés de ne pas nous savoir seuls dans nos incertitudes et approximations historiques, nous avons laissé tomber l'affaire, lâchement.
Une vague évocation d'un traité de Corinthe a fini de me faire lâcher prise, irrémédiablement. Moi, de Corinthe, je ne connais que les raisins...

De là, décidément nous étions en veine culturelle, ce samedi tout plein de soleil, nous avons atterri, ne me demandez pas comment, aux épineuses questions du monde arabe.
Moi, le monde arabe, j'aurais pensé que c'était le pays d'Arabie. Mais bon, je sais quand-même, n'exagérons pas mon étroitesse de savoir, que du nord de l'Afrique à ce fameux Moyen-orient où je me perds très vite, on parle du monde arabe. Bien.
Partant de là, nous avons glissé sur le thème des religions. Ouille, ouille, ouille...
Ma mélasse est devenue vase fétide et glauque. Les musulmans, juifs, arabes. Mais arabe, ce n'est pas une religion, non ? Pas une nationalité non plus... Une culture, peut-être ? Quoi, au juste ? Aucune mention péjorative dans nos propos, juste des interrogations.
Comme chrétiens, protestants et catholiques. Les deux derniers sont des divisions dans le premier ? Avec une histoire de pape et pas pape, non ?

Voyez-vous, je vous livre sans pudeur mon inculture. Je n'en suis pas fière, pas honteuse non plus. Ces questions, si elles m'avaient vraiment intéressée, j'aurais pu m'y pencher.
Je ne le fais pas. Toutes ces mouvances, ces agitations, me paraissent bien compliquées. Les idéaux religieux se mêlent de territoires et de pouvoirs. La lecture de cette histoire se fausse de manipulations souterraines.
Je n'y comprends rien.

Il est agréable sans doute de connaître et de comprendre le monde. Nous y vivons, nous devrions nous y attacher.
Je trouve que c'est difficile, et je ne prends pas la peine de bien essayer.

J'avoue ma méconnaissance. 
Je préfère le dire, simplement, plutôt que de patauger dans des données qui m'échappent. Comme le font beaucoup, sous couvert de paraître mieux informés...
Suivant l'auditoire en présence, une telle attitude peut vite vous desservir son homme !

J'ai encore en mémoire la déconvenue de l'un de mes anciens collègues de travail, Patrick.
Patrick est sourd, et appareillé. Je me souviens combien je le houspillais, quand il arrivait au magasin sans son dispositif auditif. Nous étions ces jours là privés de son "entendement", et je lui en faisais grief.
Aujourd'hui, c'est moi qui suis sourde. Et je compatis tardivement à l'inconfort de mon ancien collègue. 
Bref, Patrick vendait un réchaud à gaz, ce jour là.
Voulant entrer dans la technique, il expliquait à l'acheteur potentiel, que le rapport entre la puissance du détendeur et celle du réchaud  était "exponentiel". Ah. Ce furent ses termes.
Pour ma part, un lointain souvenir de cours scolaire ne m'éclairait pas très nettement sur ce que Patrick entendait par là. Exponentiel, oui, oui, oui, exponentiel, peut-être...

L'acheteur, versé sans doute dans les fonctions physiques ou mathématiques, releva immédiatement :

    - Mais, d'après ce que vous me dites, c'est exactement le contraire, Monsieur !

Mince ! Nous avions un interlocuteur avisé et non impressionnable par une science qu'il possédait bien mieux que nous.
Patrick ravala son argument de pointe, et marmonna je ne sais quelle formule de retrait.

Voulant paraître plus érudit qu'il ne l'était, il s'était fait piéger, quand sans doute, ce même petit discours faisait son effet en beaucoup d'autres occasions.

Nous avons tous cette tendance à vouloir nous montrer moins bêtes que nous le sommes. c'est bien humain !
Mais notre paresse à nous cultiver nous rattrape parfois... de façon cinglante.

Nous devrions afficher sans honte une ignorance sympathique. Même coupable...

Dans ce "bloc", je monologue sans me confronter. C'est un peu réducteur, sans doute.
Je soliloque sans trop me soucier de paraître  bien cultivée ou judicieusement avisée. Personne ne me coupe la parole en me jetant mes inepties à la face.

Je revendique ma paresse. Je la reconnais chez beaucoup. Elle me prive sûrement de la faculté de bien juger des choses. Et bien, je jugerai mal, et voilà tout ! Vous le savez bien, maintenant, qu'il ne faut pas trop se fier à mes prétendus enseignements. Alors...

Allez, je vous laisse souffler cette semaine. Je serai à la jardinerie tous les jours.
Je vous retrouve sans doute lundi prochain, si aucune actualité brûlante ne me mobilise  jusque là.

Bonne semaine à tous !








dimanche 20 septembre 2015

DERNIER DIMANCHE...




Bonjour  à vous tous, bienheureux habitants de la planète terre en ce radieux dimanche.






Un coquet bibi blanc coiffe mère-Rhune ce matin.
Le ciel se débarrasse partout bien vite des quelques stries claires résistantes de la nuit, pour tendre une toile uniforme sur le monde.














Bien vite, Bel astre se laissera cueillir de ce même point de vue.

Sa course le ramène derrière le poirier, déjà.









Ce dimanche est une splendeur, une beauté à vivre et contempler en gratitude.


Le titre de cet article ne doit pas vous impressionner.
Je joue un peu perversement avec ces idées-là, ces temps-ci, c'est vrai.
Perversement ne rend d'ailleurs pas la vérité de mes intentions. Malicieusement paraît un peu enjoué, quand il est question de flirter avec l'idée de la mort.
Disons que, en ce moment, et d'ailleurs souvent, depuis longtemps, pas du tout spécialement en ce moment, donc, j'ai en tête la perspective de fin.
J'aime la chose finie, bouclée, classée.
Je suis une femme ordonnée, rangée, méthodique.

Je n'aime pas laisser les affaires courantes en suspens. Je n'apprécie rien tant que de ponctuer d'un point final net et décidé une phrase, une histoire. 
J'ai bien compris que la plupart des choses ne se limitent pas à leur début et à leur fin. Que la durée n'est qu'une donnée, l'épilogue un instant dans le temps.
La mort pourtant est un terme définitif, et ce définitif, dans sa matérialité, nous ramène à la nécessité de prévoir une forme d'arrêt d'une continuité fluide et floue. Une ponctuation, rassurante, presque.
La mort ne doit pas être une surprise, n'est-ce pas ? Elle est même l'unique certitude de nos vies.

La maladie, possible avant-garde, et le néant, impossible à habiller de certitudes, en sont des compagnons moins sympathiques, évidemment. 
Mais que faire ? 
On ne peut les effacer de nos destins d'humains.

Je me conforme à une hygiène de vie raisonnable, je cultive la pensée positive. J'essaie de garder l'humeur légère et la circulation des fluides constante.
Je ne peux pas faire mieux, et ce seul constat me suffit, pour le moment.

Ce "bloc" a démarré en hommage à mon père.
Avec l'idée sous-tendue de sa disparition prochaine, puisque la maladie, première ligne de bataille de l'estocade finale, s'était installée en lui comme maîtresse des lieux.

Au fil du temps, incroyablement, la chienne a desserré les crocs. Mon père se porte aujourd'hui comme un charme, et rien à sa vue n'évoque la mort.
Le côté, romanesque, pourrait-on dire, de mon entreprise, virait au ridicule !
Je ne lui en veux pas, allez, et je saurais m'arranger de cette volte-face là...

L'impression de marquer ce temps blanc et sans grand relief, de tracer un parcours, m'aide à vivre et avancer, sans occulter la réalité de la mort. 
Ma vie n'est peut-être pas importante au regard de la marche du monde. Elle l'est à mes yeux.

Je ne suis pas spécialement morbide.
Je vis même assez gaie, la plupart du temps.
J'habille mes jours de petits projets colorés. Les récoltes à venir, quelques travaux d'amélioration pour mon modeste élevage. Pour ce "bloc" aussi, je me régale par anticipation de l'histoire du Chemin des Crêtes,  que j'ai l'intention de vous conter cet hiver.

Je ne vis pas qu'en envisageant ma mort, seulement. Non, j'ai la présomption de penser rester vivante, aussi, de longues années encore.

La vie paraît chose si fragile, parfois... Et pourtant, si tenace, aussi :




Imaginez la minuscule graine, tombée un jour sur ce piton enroché.
Vous n'auriez pas parié dessus, n'est-il pas ?

Voyez maintenant cet arbre tordu, résistant à la poussée furieuse du vent hurleur.
Ne le croirait-on pas taillé pour affronter l'éternité ?

La graine s'est implantée, et l'arbre cassera, un jour.

En attendant, il lutte, et vit.

Moi, je garde les affaires en ordre, pour le cas où...
Un slogan entendu dernièrement a très justement résonné en moi : pensez-y maintenant, pour ne plus y penser, après. Ca parlait de je ne sais quel placement financier.
Cette logique me va parfaitement. Je me libère du poids des choses, au fur et à mesure, dans la limite des possibles.
Cette façon de faire contribue largement à mon bien-être. C'est une manière d'hygiène de vie, aussi, comme l'alimentation saine ou la pratique d'activités de plein air.

Je ne réglerai évidemment pas tout, je le sais.
Mais ce que j'aurai fait, ne restera pas à faire, n'est-ce pas ?
Et ce qui doit être sans cesse recommencé, ce qui reste hermétique à toute tentative de circonscription, le restera, après moi, comme il l'a été, avant.
Et nous ferons tous avec, et sans.


Je vous parle de mon dernier dimanche... de repos !

La jardinerie rouvre ces portes dimanche prochain, après une période de fermeture dominicale en été. 

C'était donc notre dernier dimanche ensemble, pour cette année.
D'autres jours nous restent, pour nous retrouver.

Et ce plaisir que j'y ai, c'est, là aussi, un merveilleux gage de bien-vivre.

A bientôt, et ne m'en veuillez pas de vous taquiner comme ça.


vendredi 18 septembre 2015

ÉNIGMES ET DEVINETTES




Entre la fin de mes binages, éclaircissages et autres travaux sur mes cultures, et avant le début de la période des récoltes, j'ai un moment oisif, où je reviens plus souvent ici.

Je sens comme une force m'attirer vers ce clavier, un déluge de mots me traverser.
Une espèce d'urgence à dire, quand, dans le fil des jours passant, je n'en sens aucune.
C'est intrigant, un peu, et, là encore, j'y regarderai de plus près, bientôt...

Une autre perspective en vue, quand je n'ai pas fini d'explorer celles en cours. Quel flot me coule dans la tête, ces temps-ci !

Pour ne pas perdre tout à fait le fil de mes histoires, je me canalise en un semblant de trame.
Du moins, j'essaie...

Mon dernier article relevait l'étrangeté de la persistance de ma mère à Agorreta, de sa persévérance à faire de cette ferme d'accueil son ancrage, quand ses frères, ses aînés, s'en sont éloignés.





Té ! Nous la revoilà, celle-là !

Présentant, au début de ce "bloc", les personnages figurant sur ce cliché, je fis une approximation.
Je présentai le fier homme à la droite de ma mère, bras puissants croisés sur un torse bombé de fierté, comme mon parrain.
En fait, c'était bien Nicolas, le frère de ma mère, mais le mari de ma marraine, Lola.

Il était le second frère survivant des garçons Olaciregui, puisque Iñazio et Domingo disparurent prématurément. Pour ceux qui n'ont pas suivi, il va falloir remonter un peu loin dans l'histoire.
Au moment de cette photo, autour de 1966, je ne sais pas où est passée Lola, d'ailleurs.
L'autre frère de la famille, José-Marie, a lui, "émigré" dans le nord des Landes.

Nicolas est resté à la ferme Agorreta assez tard, puisqu'il n'a émigré, encore ces migrations, aux Etats-Unis, qu'à 40 ans passés.

Il avait avant de partir acheté des terres ici. Pensait-il s'y établir ? Voulait-il rester et faire sa vie au Pays-Basque ?
Ma mère s'est mariée sur le tard, à 27 ans. Et mon père est venu depuis la ferme voisine s'installer "chez elle". Vous vous souvenez, après 60 ans de mariage, son "Zu, ez zare emengoa", "Toi, tu n'es pas d'ici"...

Je m'étonne de cette configuration. Dans les familles basques, traditionnellement, le fils aîné s'installait dans la maison familiale, et y fondait sa famille. Les autres partaient faire leur vie plus loin.

A Agorreta, le fils aîné, s'en va. Le suivant fait de même, sur le tard.
Et la dernière, qui plus est, la fille, reste sur la place.
Je remarque au passage la similitude avec ma fratrie. A cette importante différence près, que mes frères, eux, sont restés sur les terres, pas dans la ferme, mais tout près.

Comment tout cela s'est-il enchaîné ?
Il m'est arrivé, rarement, d'interroger ma mère sur ce point, pour moi intrigant.
Elle a éludé, et je sentais dans ses réponses de l'agacement. 
Ma mère n'était pas très bavarde, avec moi. Nous partagions un quotidien de tâches à la ferme suffisamment dense, pour ne pas perdre de temps en trop longues confidences. Tout de même, nous aurions pu, durant les longues heures courbées sur les plates-bandes de légumes, échanger quelques histoires...
Non, je crois qu'elle n'aimait pas ressasser son passé, tout simplement, d'avant nous.

Autant elle revenait volontiers dans ces vieux jours sur la "grande époque", sur notre "ère expansionniste" comme je l'ai appelée plus haut, autant elle occultait cette période entre l'arrivée à Agorreta et son mariage.

Elle racontait brièvement le passage de la frontière, à ses douze ans, une paire de chaussures à la main pour seul bagage. Quelques mots sur sa vie de jeune fille, son âne :




Peu de récits sur sa vie de famille, avec ses frères.

Je soupçonnais quelques tensions mal enfouies, quelques histoires un peu douloureuses.
Ma mère portait sur sa joue une cicatrice, d'un coup de couteau lancé accidentellement par l'un de ses frères, paraît-il. Ils avaient de drôles de jeux, chez les Olaciregui !
Plus tard, je surpris des bribes de conversations sur des papiers, des pièces d'or ou d'argent, que lui réclamait son frère  Nicolas, depuis les Etats-Unis.
Elle s'animait, outrée que son frère se défie d'elle, ou du moins, ainsi le manifestait-elle.

J'ai dormi dans la chambre de mes parents jusqu'à mes neuf ans, et mes sommeils de petite fille se peuplaient de ces bavardages sur l'oreiller. Le ton montait vite avec "Karrmen", et ses éclats de voix, même retenus, avaient vite fait de vous tirer du sommeil le plus profond !
C'est de là que je tire cette impression de conflits larvés entre les frères et la sœur. Ces ressentiments, justifiés ou non, subtils et fourbes parasites des relations familiales.
Ma mère ne me les commenta pas. Elle relégua loin derrière son passé de fille et sœur, pour se consacrer à son rôle de mère.
Elle ne m'expliqua pas davantage pourquoi ses frères choisirent de quitter Agorreta, la laissant seule avec ses parents, puis son mari et ses enfants. Pas seule du tout, pour le coup !

Nous vivions nombreux à Agorreta, et l'espace était restreint. Mes quatre frères s'entassaient dans une seule chambre.
La mort de mes grands-parents nous donna un peu d'air, pour le dire crûment.
Et les mariages successifs des uns et des autres dépeuplèrent la ferme.
Mes frères, eux, quittèrent la ferme aussi, pour construire leur famille, mais restèrent sur les terres d'Agorreta, comme les moules s'accrochent à leur rocher. Je ne fis pas autre chose, et, après mon premier mariage où je suivis les traces de l'exode local, jusqu'à la grande maison, quarante mètres plus loin, je revins à la ferme, où ma mère vieillissante commençait à avoir besoin d'assistance.

Ce court "exil", d'ailleurs, me renforça dans l'idée que mon pays, c'était la ferme, et nulle part ailleurs.
A mon second mariage, mon amour pour Olivier faillit me faire lâcher prise. J'eus, un court moment, la vision d'une vie loin d'ici.
Mon amour a perduré, mais la vision s'est définitivement très vite diluée.

Mon attachement à Agorreta, celui de ma mère avant moi, ne se fonde pas sur  une dynastie implantée là. Avant 36, personne de notre sang ne vivait là.
Ma souche maternelle n'est pas bien lointaine.
Iñazio et Manuella Olaziregui venaient d'Oyarzun, tout près de la frontière, du côté espagnol.
De leur famille, de leur vie là-bas, je ne sais rien.
A l'occasion d'un enterrement, je fis la connaissance d'un cousin de ma mère. Un homme brun, fort, tenant contre lui un bras plus court que l'autre.
Il me reconnût, soi-disant, plus de trente ans après m'avoir vue. Petite-fille d'à peine trois ans ! Quelle perspicacité, n'est-ce pas ?
Plus largement, j'ai entendu dire que beaucoup de parenté maternelle était frappée d'invalidité. Beaucoup d'aveugles aussi, sans doute ravagés de diabète ignoré.

Quand mon père, aux heures animées, tançait ma mère de sortir d'une famille de "dégénérés", elle lui rétorquait tendrement en revers : "chez toi, ils sont tous fous, alors !"
Ca remettait la balle au centre. En nous laissant à nous, les enfants, la joyeuse projection d'une génétique lourdement chargée.

Je n'ai pas trace de tous ces personnages évoqués. Seules, les ombres de leur souvenir captées fugitivement me restent.
Je ne suis pas retournée à Oyarzun, sur les terres de ma mère.

Je suis aussi ignorante des enchaînements qui ont conduit ma mère à rester à Agorreta. Et de ceux qui ont poussé mes oncles à en partir.

Mais j'ai le sentiment de décisions imposées, de silences obstinés et lourds.
L'histoire de ma famille n'est pas plus ou moins légère ou transparente que celle de beaucoup d'autres.

Elle me laisse juste l'envie de soulever des pans du voile, en élaborant des suppositions sans grand fondement.
Ma tentative dans ce "bloc" est de dénouer certains fils de ce passé.
Mon ambition pour la suite est de ne pas en emmêler davantage...

Sans garantie aucune de parvenir à mes fins, ni pour le passé, et encore moins pour l'avenir.
Mon essai aura été sincère, à défaut d'être couronné de succès !

Vous me connaissez un peu maintenant, vous savez que j'ai le pardon facile pour moi-même.
Je m'absous de mes fautes et me pardonne mes errances. Comme je pardonne les leurs, à tous ceux qui m'auront égarée.

A bientôt, suiveurs de ce "bloc", si mes errements ne vous perdent pas, vous aussi.