vendredi 18 septembre 2015

ÉNIGMES ET DEVINETTES




Entre la fin de mes binages, éclaircissages et autres travaux sur mes cultures, et avant le début de la période des récoltes, j'ai un moment oisif, où je reviens plus souvent ici.

Je sens comme une force m'attirer vers ce clavier, un déluge de mots me traverser.
Une espèce d'urgence à dire, quand, dans le fil des jours passant, je n'en sens aucune.
C'est intrigant, un peu, et, là encore, j'y regarderai de plus près, bientôt...

Une autre perspective en vue, quand je n'ai pas fini d'explorer celles en cours. Quel flot me coule dans la tête, ces temps-ci !

Pour ne pas perdre tout à fait le fil de mes histoires, je me canalise en un semblant de trame.
Du moins, j'essaie...

Mon dernier article relevait l'étrangeté de la persistance de ma mère à Agorreta, de sa persévérance à faire de cette ferme d'accueil son ancrage, quand ses frères, ses aînés, s'en sont éloignés.





Té ! Nous la revoilà, celle-là !

Présentant, au début de ce "bloc", les personnages figurant sur ce cliché, je fis une approximation.
Je présentai le fier homme à la droite de ma mère, bras puissants croisés sur un torse bombé de fierté, comme mon parrain.
En fait, c'était bien Nicolas, le frère de ma mère, mais le mari de ma marraine, Lola.

Il était le second frère survivant des garçons Olaciregui, puisque Iñazio et Domingo disparurent prématurément. Pour ceux qui n'ont pas suivi, il va falloir remonter un peu loin dans l'histoire.
Au moment de cette photo, autour de 1966, je ne sais pas où est passée Lola, d'ailleurs.
L'autre frère de la famille, José-Marie, a lui, "émigré" dans le nord des Landes.

Nicolas est resté à la ferme Agorreta assez tard, puisqu'il n'a émigré, encore ces migrations, aux Etats-Unis, qu'à 40 ans passés.

Il avait avant de partir acheté des terres ici. Pensait-il s'y établir ? Voulait-il rester et faire sa vie au Pays-Basque ?
Ma mère s'est mariée sur le tard, à 27 ans. Et mon père est venu depuis la ferme voisine s'installer "chez elle". Vous vous souvenez, après 60 ans de mariage, son "Zu, ez zare emengoa", "Toi, tu n'es pas d'ici"...

Je m'étonne de cette configuration. Dans les familles basques, traditionnellement, le fils aîné s'installait dans la maison familiale, et y fondait sa famille. Les autres partaient faire leur vie plus loin.

A Agorreta, le fils aîné, s'en va. Le suivant fait de même, sur le tard.
Et la dernière, qui plus est, la fille, reste sur la place.
Je remarque au passage la similitude avec ma fratrie. A cette importante différence près, que mes frères, eux, sont restés sur les terres, pas dans la ferme, mais tout près.

Comment tout cela s'est-il enchaîné ?
Il m'est arrivé, rarement, d'interroger ma mère sur ce point, pour moi intrigant.
Elle a éludé, et je sentais dans ses réponses de l'agacement. 
Ma mère n'était pas très bavarde, avec moi. Nous partagions un quotidien de tâches à la ferme suffisamment dense, pour ne pas perdre de temps en trop longues confidences. Tout de même, nous aurions pu, durant les longues heures courbées sur les plates-bandes de légumes, échanger quelques histoires...
Non, je crois qu'elle n'aimait pas ressasser son passé, tout simplement, d'avant nous.

Autant elle revenait volontiers dans ces vieux jours sur la "grande époque", sur notre "ère expansionniste" comme je l'ai appelée plus haut, autant elle occultait cette période entre l'arrivée à Agorreta et son mariage.

Elle racontait brièvement le passage de la frontière, à ses douze ans, une paire de chaussures à la main pour seul bagage. Quelques mots sur sa vie de jeune fille, son âne :




Peu de récits sur sa vie de famille, avec ses frères.

Je soupçonnais quelques tensions mal enfouies, quelques histoires un peu douloureuses.
Ma mère portait sur sa joue une cicatrice, d'un coup de couteau lancé accidentellement par l'un de ses frères, paraît-il. Ils avaient de drôles de jeux, chez les Olaciregui !
Plus tard, je surpris des bribes de conversations sur des papiers, des pièces d'or ou d'argent, que lui réclamait son frère  Nicolas, depuis les Etats-Unis.
Elle s'animait, outrée que son frère se défie d'elle, ou du moins, ainsi le manifestait-elle.

J'ai dormi dans la chambre de mes parents jusqu'à mes neuf ans, et mes sommeils de petite fille se peuplaient de ces bavardages sur l'oreiller. Le ton montait vite avec "Karrmen", et ses éclats de voix, même retenus, avaient vite fait de vous tirer du sommeil le plus profond !
C'est de là que je tire cette impression de conflits larvés entre les frères et la sœur. Ces ressentiments, justifiés ou non, subtils et fourbes parasites des relations familiales.
Ma mère ne me les commenta pas. Elle relégua loin derrière son passé de fille et sœur, pour se consacrer à son rôle de mère.
Elle ne m'expliqua pas davantage pourquoi ses frères choisirent de quitter Agorreta, la laissant seule avec ses parents, puis son mari et ses enfants. Pas seule du tout, pour le coup !

Nous vivions nombreux à Agorreta, et l'espace était restreint. Mes quatre frères s'entassaient dans une seule chambre.
La mort de mes grands-parents nous donna un peu d'air, pour le dire crûment.
Et les mariages successifs des uns et des autres dépeuplèrent la ferme.
Mes frères, eux, quittèrent la ferme aussi, pour construire leur famille, mais restèrent sur les terres d'Agorreta, comme les moules s'accrochent à leur rocher. Je ne fis pas autre chose, et, après mon premier mariage où je suivis les traces de l'exode local, jusqu'à la grande maison, quarante mètres plus loin, je revins à la ferme, où ma mère vieillissante commençait à avoir besoin d'assistance.

Ce court "exil", d'ailleurs, me renforça dans l'idée que mon pays, c'était la ferme, et nulle part ailleurs.
A mon second mariage, mon amour pour Olivier faillit me faire lâcher prise. J'eus, un court moment, la vision d'une vie loin d'ici.
Mon amour a perduré, mais la vision s'est définitivement très vite diluée.

Mon attachement à Agorreta, celui de ma mère avant moi, ne se fonde pas sur  une dynastie implantée là. Avant 36, personne de notre sang ne vivait là.
Ma souche maternelle n'est pas bien lointaine.
Iñazio et Manuella Olaziregui venaient d'Oyarzun, tout près de la frontière, du côté espagnol.
De leur famille, de leur vie là-bas, je ne sais rien.
A l'occasion d'un enterrement, je fis la connaissance d'un cousin de ma mère. Un homme brun, fort, tenant contre lui un bras plus court que l'autre.
Il me reconnût, soi-disant, plus de trente ans après m'avoir vue. Petite-fille d'à peine trois ans ! Quelle perspicacité, n'est-ce pas ?
Plus largement, j'ai entendu dire que beaucoup de parenté maternelle était frappée d'invalidité. Beaucoup d'aveugles aussi, sans doute ravagés de diabète ignoré.

Quand mon père, aux heures animées, tançait ma mère de sortir d'une famille de "dégénérés", elle lui rétorquait tendrement en revers : "chez toi, ils sont tous fous, alors !"
Ca remettait la balle au centre. En nous laissant à nous, les enfants, la joyeuse projection d'une génétique lourdement chargée.

Je n'ai pas trace de tous ces personnages évoqués. Seules, les ombres de leur souvenir captées fugitivement me restent.
Je ne suis pas retournée à Oyarzun, sur les terres de ma mère.

Je suis aussi ignorante des enchaînements qui ont conduit ma mère à rester à Agorreta. Et de ceux qui ont poussé mes oncles à en partir.

Mais j'ai le sentiment de décisions imposées, de silences obstinés et lourds.
L'histoire de ma famille n'est pas plus ou moins légère ou transparente que celle de beaucoup d'autres.

Elle me laisse juste l'envie de soulever des pans du voile, en élaborant des suppositions sans grand fondement.
Ma tentative dans ce "bloc" est de dénouer certains fils de ce passé.
Mon ambition pour la suite est de ne pas en emmêler davantage...

Sans garantie aucune de parvenir à mes fins, ni pour le passé, et encore moins pour l'avenir.
Mon essai aura été sincère, à défaut d'être couronné de succès !

Vous me connaissez un peu maintenant, vous savez que j'ai le pardon facile pour moi-même.
Je m'absous de mes fautes et me pardonne mes errances. Comme je pardonne les leurs, à tous ceux qui m'auront égarée.

A bientôt, suiveurs de ce "bloc", si mes errements ne vous perdent pas, vous aussi.

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