lundi 14 septembre 2015

LA CLEF DES SONGES..




Le temps est assez inconstant en ce lundi, entre averses drues et éclaircies déconcertantes.

Je prends le temps d'écrire, de lire.
Je vais chercher mes livres à la bibliothèque, et mon choix est assez fortuit, la plupart du temps.
Par le fait du hasard, mes dernières lectures tournent autour de la recherche dans son passé d'éléments ignorés ou enfouis.
Cette recherche est la conséquence d'un sentiment irraisonné, d'un manque diffus.

Plusieurs des écrivains que je viens de lire remontent à des histoires personnelles imbriquées dans la grande Histoire. 
A la période de la dernière guerre mondiale, avec les blessures encore purulentes de l'extermination juive. Des histoires humaines aux passions exacerbées par les circonstances. Des situations extrêmes où la souffrance mêlée de honte empoisonne la transmission de la vérité entre générations.
Des histoires de réfugiés espagnols, au moment où il est tant question de réfugiés de guerre. De ces exils forcés vécus là encore dans la souffrance et la peur, la honte.
Mes grands-parents je vous l'ai dit étaient réfugiés d'Espagne.

Je n'ai pas ressenti dans notre histoire familiale d'autre ombre que celle de la peur du manque, de la peur d'être poussés hors d'une terre qu'on a mis tant d'ardeur à travailler.
Je n'ai pas eu la curiosité, enfant, d'interroger mes grands-parents sur ce pan de leur vie.
Mes parents, eux, n'en parlaient pas beaucoup non plus.

Ces témoignages sont maintenant perdus.

Ma génération a eu cette chance d'être préservée. Notre temps s'inscrit dans une période historique plus sereine.
Les conflits agitent le monde. Mais semblent loin. Nous nous émouvons de ces images, mais elles ne nous marquent pas dans nos chairs.

Les malaises et mal-être ne s'en sont pas complètement dissipés pour autant.
Nos vies ne sont pas sans ombre, alors que  nous n'avons pour la plupart pas de raison de nous plaindre.
On comprend bien la souffrance de ceux qui ont vécu, au moins par parents interposés, ces scènes terribles. Et leur besoin de se colleter à ces réalités pour les affronter, et les admettre réelles.

Les écrivains que je viens de lire romancent un peu leurs histoires, c'est leur métier...
A la fin de leurs livres, les situations se déverrouillent comme par magie,  le poids qui pesait sur leurs épaules s'allège, et ils se tournent le front haut et clair vers l'avenir.

Ca ressemble à une enquête policière, avec un dénouement libérateur à la fin.

Nos vies, aux uns et aux autres, sont peut-être plus plates, moins rocambolesques ou mystérieuses.
Nos mécanismes humains en restent tout de même complexes et intrigants.

J'aime les traités de psychologie, s'ils ne sont pas trop compliqués, où les explications découlent d'introspections savamment décryptées.
J'ai peur de n'en retenir qu'une simplification grossière.

Comme la plupart de nos démarches, cette curiosité vise évidemment à m'éclairer sur ma propre insignifiante mais néanmoins considérée petite personne. Vous savez, le "parlez-moi de moi"...
Je veux bien me pencher sur des cas présentés, mais uniquement dans le but de vérifier des théories, afin de me les appliquer mieux avérées.

Mon histoire personnelle est on ne peut plus creuse. Rien de particulier ne vient perturber ni infléchir un parcours sans surprise.
Pour autant, j'ai mes zones d'ombre, moi aussi, et je ne comprends pas tout de moi-même, loin de là !
Il m'arrive de me mettre en tension sans raison, de m'exaspérer au delà du fait ou de la situation, ou de m'émouvoir sans mesure.

A temps perdu, je m'interroge. J'essaie de dénicher un fil caché, une empreinte ténue, un indice révélateur. Je me mets sur la piste de moi-même...

En lectrice non avertie de Freud, j'ai entendu parler de la théorie d'interprétation des rêves.
Et j'en ai fait une jolie bouillie, impropre à toute consommation.

Répertoriant les songes récurrents aux différentes époques de ma vie, j'en ai fait un inventaire d'après moi propre à divulguer une information capitale.
Que je n'ai pas encore...

D'après les livres que j'ai lus, le temps de l'enquête est lui-même un élément de son enseignement final.
Je ne peux pas espérer découvrir d'un coup, comme ça, une vérité enfouie depuis des années.
Non, non, non. Je le sais et m'apprête  à sonder longtemps avant de dégager le moindre filon.

Cette après-midi, puisque j'ai un créneau libre devant moi, je vais commencer par répertorier mes songes, au fur et à mesure des époques.
Seuls parlent, paraît-il, le songes récurrents, ceux qui vous reviennent, et vous remettent dans la même situation, jusqu'au jour où la solution vous est donnée.
Il suffit de noter et d'attendre, donc.

Je commence par noter, et attendre, je le ferai.

Quand j'étais petite fille, avant mes dix ans, je rêvais très souvent que mes frères et mon père allongeaient ma mère au milieu de la cour de la ferme, entassaient sur elle des cartons et des planches, et la brûlaient.
Ma mère ne se débattait pas, elle gardait les yeux au ciel, et se consumait sans un cri.
C'était horrible évidemment. Je me réveillais en pleurs, affolée et terrorisée.
Un dimanche soir, alors qu'elle venait de déposer près de la tête de mon petit lit d'enfant une part du gâteau dominical dans un bol de faïence côtelé, je la regardai s'éloigner dans le couloir obscur.
Je ne me souviens pas de la raison de ce rituel. Sans doute devais-je manger cette part de gâteau dans la nuit, je ne sais plus.
Mon père entra dans la chambre où nous dormions tous les trois, et s'apprêtait au coucher.

J'étais encore paniquée par la vision effroyable du rêve que je venais de faire dans mon premier sommeil.

  - Ez duzue Amatto ilko ez da ala ?

   -Vous n'allez pas tuer Maman, n'est-ce pas ?

Mon père dut être surpris par la demande.  Je n'ai retenu que sa réponse, qui ne me rassura qu'à moitié :

   - Bai to ! Sobera pastiza ona egiten din, to !

   - Mais non ! Son gâteau est bien trop bon !

Je continuai longtemps de souffrir de ce rêve, sans pouvoir déterminer ce qui m'en libéra.

Plus tard, et pendant bien plus longtemps, je rêvai d'un autre scénario.
Un danger menaçait ma famille. J'étais la seule à être au courant. J'avertissais mes proches, mais on ne me prenait pas au sérieux.
Quand le danger se manifestait, mal préparés, nous devions nous terrer, essayer de fuir, ou mourir.
Les scènes avaient toujours lieu à Agorreta, ma famille représentait toujours le camp des victimes pourchassées, seul le danger prenait des formes diverses. Un monstre, une bête sauvage, une horde d'assassins, c'était selon.
Le moment le plus pénible était celui où je ne parvenais pas à convaincre les miens. Quand il s'agissait de fuir, je ne m'occupais plus que de moi, en un sauve qui peut totalement égoïste.
Puisqu'ils ne m'avaient pas crue, les autres n'avaient qu'à s'en prendre à eux-mêmes ! Belle mentalité, déjà, non ?
Ce rêve-ci trouva son dénouement, et je m'en souviens, pas très précisément, malheureusement.
Un jour, faisant ce même rêve, au lieu de prendre la fuite sans me retourner, je reviens sur mes pas. Et là, tout le monde est sauf. Mon terrible danger s'est éloigné, sans faire de victimes.
J'en suis soulagée, après toutes ces années de fuite, de peur, je me rends compte que je me trompais, que ce qui m'effrayait tant n'existait pas.
Ce rêve là ne revint plus tourmenter mes nuits à partir de là.

Plus récemment, je rêve souvent de ma mère défunte.
Je me suis absentée, quelques jours, et, quand je reviens, je la retrouve, misérable et abandonnée dans sa souillure. Elle est déjà très malade, amoindrie, petite chose ramassée sur elle-même et sans défense.
Il n'y a personne d'autre dans la ferme abandonnée.

Je prends ma mère dans mes bras, je la soulève, je la lave, et je la réchauffe. Mes gestes sont doux, son petit corps d'enfant reprend vie entre mes mains.
Rassurée, confortablement installée, elle me sourit.

Ma mère est morte il y a cinq ans, maintenant. Son dernier soupir, elle l'a poussé dans mes bras. Je n'ai pas réussi cette fois là à éloigner l'effroi qui a figé son cœur.
Je n'ai pas toujours été d'une douceur exemplaire quand je me suis occupée d'elle. Je m'en suis voulue parfois de manquer de patience, de m'agacer.
Est-ce cette double culpabilité qui revient maintenant me tourmenter ? Ma mère souriante du rêve après mes bons soins, est-ce celle que je me reproche de ne pas avoir suffisamment réconfortée ?
Je démêle mal. Mais ce rêve m'englue dans un malaise que je secoue à mon réveil, sans parvenir à l'éloigner tout à fait.

Ce catalogue sûrement incomplet de mes rêves les plus récurrents ne me donne pas la clef.
La clef des songes, miraculeuse et prometteuse.


Mes investigations personnelles sont respectueuses. Et patientes. Les choses se dénoueront en leur temps.
Et ce qui paraît trouble aujourd'hui s'éclaircira.

Que viennent faire ces élucubrations dans les nouvelles d'Agorreta ? vous demandez vous.
Je me le demande aussi.
Elles me sont venues, comme ça. Et je m'en suis déchargée ici.

Vous le savez, ce "bloc", c'est mon repos. Il reçoit mes divagations, et en bonne bête de trait, accepte ce bât sans rechigner.

Pour vous, ne vous y obligez pas. Et sautez, sans scrupules, sautez donc ce pas là...


A une autre fois, pour d'autres vagabondages encore !

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