vendredi 11 septembre 2015

HORS D'AGORRETA, POINT DE SALUT ?




Amis du jour, bonjour !






Le petit matin rosé se lève sur la campagne fraîche.

Je surveille attentivement mon carré de navet fourrager. A ce stade précis où il forme sa tête, une virose, ou un champignon, une quelconque saleté, quoi, me l'a fait dépérir, parfois.
J'ai essayé de décaler le semis sur le terrain, mais, faute de place, je ne suis pas sûre de m'être éloignée suffisamment de la zone "contaminée".
Nous saurons ça dans les deux semaines à venir...




Les vaches au pré viennent me saluer quand je leur rends visite.

Elles sont bien urbaines, ces braves bêtes !
Admirez le regard  vif et profond de ma belle Pollita.

N'est-elle pas attachante ?
Enfin, moi, j'y suis, attachée...















Les deux petites fraternisent avec les chèvres, parquées à côté.

Question de taille, sans doute.

La noire Galzerdi est un peu patraque, depuis hier.
Peut-être la chaleur, pourtant supportable, de mercredi ?

Elle avait déjà accusé le coup fin Août, souvenez-vous, en me laissant Bigoudi la rebelle à traire.
Je me demande si cette petite vêle est de constitution suffisamment robuste. A devenir ainsi molette au moindre écart de température, elle m'inquiète !

Je ne suis pas certaine de pouvoir garder un animal aussi délicat dans mon étable rustique.
Il va falloir prendre une option dès cet automne. Si elle dépasse les six mois, personne n'en voudra durant deux années de plus.
Les amateurs de viande français apprécient le veau tendre. Pas le "broutard", cet animal plus maturé, entre six mois et deux ans, qu'on consomme en "ternero" en Espagne.
Le bon goût serait-il question de frontières ?

Je serais déçue de devoir me séparer de Galzerdi, et de Rubita par la même occasion, puisque je les destinais à former une paire.
Laissons passer un peu de temps, avant de la déclarer trop sophistiquée, cette petite... et de la condamner pour telle.







 Sauvegardons-lui l'insouciance de pâturer auprès de ces chevrettes malicieuses.










Je reviens donc de mes tournées en extérieur, cette semaine.

Dimanche dernier à Bardos, où je retrouvai d'anciens collègues perdus de vue depuis plusieurs années.
La journée était fort belle, la nourriture goûteuse, l'ambiance agréablement ombrée sous les platanes.
L'assemblée se montrait enjouée, les rires fusaient.
Nous nous quittâmes en promettant de nous retrouver, bientôt.

Pourtant, je rentrai à Agorreta avec une sensation d'insatisfaction diffuse en tête.
J'avais eu l'impression confuse d'une distension dans le fil de nos histoires. Tout ce temps passé les uns loins des autres nous en rendait les rives floues.
Nous évoquions des anecdotes amusantes, certes, et j'ai ri de bon cœur. 
Mais notre réunion ne tenait que par ce passé partagé, et rien dans nos vies respectives ne nous rapprochait maintenant.

Evidemment, mes deux amies, et anciennes collègues elles-aussi, avec lesquelles je suis toujours restée en contact, étaient étrangères à ce malaise.
J'ai toujours du plaisir à les retrouver, et je les quitte sans aucune ombre, bien décidée à renouveler cette rencontre.

Notre Gilou local, toujours taciturne et pertinent, se laissait difficilement tirer de son mutisme.
Il se déverrouillait cependant, par saccades, et sa parole, nourrissait de rareté une justesse percutante.
Tout en Gilles est resserré. Il parle peu, bouge sans bruit, occupe un minimum d'espace. Il est de taille courante, fluet tout de même. Son ombre est étroite, et sa voix basse et peu audible. J'ai d'ailleurs eu bien du mal dimanche à entendre tout ce qu'il disait...

Il me revient une anecdote amusante à son propos :

Lors d'une réunion professionnelle à Lescar,  nous parlions de l'opportunité de changer de place, dans la configuration de nos magasins, le rayon d'alimentation des animaux de compagnie.
J'adorais, et j'adore toujours, ce genre de travaux d'un peu d'ampleur.
Gilles, lui, était un amateur beaucoup plus tiède de ces changements d'envergure.
A l'époque, il était mon supérieur hiérarchique, et avait pouvoir de décision sur mes propositions concernant le magasin.
Opposé à mon idée, il nous fit savoir en hochant vigoureusement la tête en protestation :

   - Pour ça, il faudra me passer sur le corps !

Il avait, comme ça, des blocages. Comme vous vous en doutez, à ces occasions, il m'horripilait, et je l'aurais volontiers jeté aux orties !

Ce jour là, la répartie me vint instantanément, comme il arrive parfois (mais pas toujours, malheureusement) :

   - Bah ! ça ne nous fera pas un grand détour...

L'assemblée éclata de rire, Gilles partagea cette détente, de bon cœur, je le crois, et je ne sais plus ce qu'il advint de mon projet...

Sacré Gilou, que je salue bien amicalement en ces pages, en lui souhaitant bonne route pour la suite.

Ce dernier dimanche, il me fit une remarque sur l'étroitesse de ma vie, autour de mes quelques bêtes, à Agorreta.

Il n'est pas le premier, ni sûrement le dernier, à faire cette observation.
Et je confirme le dépouillement de mon réseau social. 

Pourtant, ce périmètre réduit et peu habité me semble suffisant à mon épanouissement.
Je puise à cette source ténue et discrète toute la substance dont j'ai besoin.

Evidemment, mon travail à la jardinerie m'ouvre une fenêtre sur un autre monde, et je m'abreuve aussi à cette eau-là.
Quand je vais chercher des livres à la bibliothèque, j'en reviens toute guillerette à la perspective gourmande de découvrir les histoires racontées ou commentées par d'autres.

C'est l'une des rares sorties d'Agorreta que j'apprécie. Pour le plaisir qu'elle me promet.

Je vis resserrée sur ma ferme, autour de mes bêtes et de mon père.
Retirée dans ma tour pas d'ivoire.
Par conjoncture, structure, et surtout goût et envie.

Mes pensées divaguent gentiment dans ce milieu restreint.
Vous connaissez sans doute ces lampes où des liquides de densités différentes se tournent autour en bulles colorées, en un mouvement lent et sans sens apparent. 
Je crois bien avoir déjà utilisé ailleurs cette comparaison. Elle n'en a pas perdu son opportunité pour autant.
Mes pensées affleurent de la même façon à ma conscience paresseuse. Elles tournent et virent, sans discipline ni logique.
Rien de transcendant ne m'anime, aucun éclair de génie ne m'a jamais traversée.

Non, je rêvasse paisiblement. Et souvent, stérilement, honte à moi !

Ces pensées sans grand intérêt m'amusent et me distraient. Je les laisse venir à moi, danser et s'effleurer comme les bulles de la lampe.
Les quelques décisions que je dois comme tout un chacun prendre dans ma vie courante ne me mobilisent pas trop.
Je n'ai ni grande responsabilité ni haute ambition.
Et je crois bien que ça me va parfaitement comme ça !

Quand j'écris dans ce "bloc", me sachant lue, un peu, je m'applique tout de même un minimum : je tiens à ma représentation, tout de même, que Diable !

Oui, je sais, vous me direz : et ben, qu'est-ce que ce serait sinon !
Allez, allez, je vous l'ai dit déjà, je veux en ces lignes respecter la spontanéité du cours des idées telles qu'elles me viennent. Je m'astreins juste à canaliser mes vagabondages très "coq à l'âne" sans ça, comme dirait Romain, le fils d'Olivier.
Mes cheminements de pensée sont plus parents des rivières impétueuses des montagnes basques que des fleuves tranquilles des larges plaines...

Sans prétention, mais sans me dénigrer non plus, j'ai juste dans l'idée que je vais avoir plaisir à retrouver ces lignes, un jour, et que, peut-être, ceux qui tombent dessus auront aussi plaisir à les lire.

Pour ceux à qui elles déplaisent, ou qu'elles ennuient, un simple "clic", et je disparais ! Comme c'est commode, n'est-ce pas ?
Je suis ainsi exonérée totalement du déplaisir que je pourrais causer, et ça m'allège le tempérament.

Ma deuxième sortie de la semaine, fût pour Urrugne, ou je me rendis avec mon père et mon frère.
En ce mercredi, le ciel était limpide, le soleil juste un peu chaud, mais pas trop (n'en déplaise à Galzerdi !).

Les croupes puissantes et rondes s'alignaient sur le pourtour du fronton. Les gens déambulaient, les éleveurs présentaient leurs bêtes par catégories d'âge.
J'aime bien cette ambiance de foire, et j'aime regarder de belles vaches, tout simplement.
"Cousinou" se vit récompenser pour ses vaches, celles que je vous montre parfois, autour de Zaldi.
Une légitime fierté de cette reconnaissance des gens du métier redressait sa taille déjà haute. 

La matinée s'avançait.

Mon père se faisait accoster par les uns et les autres, souvent d'anciens paysans, heureux de le revoir en si bonne forme.
Il s'attarda particulièrement avec l'un deux, un vieil homme encore gaillard, à l’œil alerte et au grand sourire insouciant :

   - Erremedioak hartzen ote dituk ala ?
   - Prends-tu des médicaments ? lui demanda mon père, en prenant des nouvelles intéressées de sa santé.

J'ai déjà remarqué chez mon géniteur cette tendance à se comparer à ses contemporains, histoire de voir comment il se place dans le lot.

Son interlocuteur réceptionna la demande en un dandinement prononcé, mains aux poches :

   - Erremediuak ?...  Saskika !!

Et il éclata d'un grand rire tonitruant, au risque de tomber en arrière, mais se rétablit en deux trois pas latéraux. Très mobile, cet homme.

   - Des médicaments ?... Par panier !! était donc sa réponse à la question posée.

Il nous partagea ses éclats de rire, et ce fût un bon moment, un pied-de-nez joyeux à la vieillesse et à la maladie.

Comme ils faisaient plaisir à voir, tous ces vieux paysans à bérets, chenus et malicieux.

Ayant fait le tour des  bêtes présentées, nous montâmes déjeuner à Ibardin.

Là, l'assemblée bruyante des fêtards regroupés dans la salle où résonnaient terriblement leurs éclats de voix  détruisit irrémédiablement ce qui me restait d'acoustique.
Mon déjeuner en fût gâché, et la réelle saveur des mets anéantie, dans l'inconfort du sifflement assourdissant déferlant dans mes pauvres oreilles.

Bah ! d'ici deux à trois semaines, je peux espérer le retour au calme...

Cette incursion brutale dans un temps hors d'Agorreta, dans une ambiance toute différente, ne m'a donc pas trop réussie.
Et, si je fais l'inventaire des différentes sorties en réunions animées, elles ne me laissent pas un souvenir très heureux.

Virerais-je à l'ermite ?

Mon affection auriculaire (entre deux, j'ai relevé cette orthographe correcte, le petit doigt de la main, l'auriculaire, donc, étant le seul assez petit pour rentrer dans l'oreille, d'où sa désignation, ah...),  joue évidemment sa partie dans cette dépréciation. 
Les assemblées trop bruyantes m'assourdissent, littéralement.

Tout de même, si je me souviens bien, bien avant mes premières alarmes acoustiques, je n'aimais déjà pas me retrouver en trop nombreuse société, vite en retrait au milieu de la foule et du bruit.
Je participais mal aux fêtes. Je me retirais vite dans ma coquille...

J'ai été jeune, comme toux ceux là qui vieillissent. Mais jamais attirée par les virées en "bandes", ni les regroupements festifs.
Une jeune calme et tranquille, déjà, avant l'âge.

Je me vois vivre, comme si j'avais déjà l'âge de mon père...
J'apprécie les cadences ralenties, les rythmes paisibles. 
Le temps des vieux me séduit par sa lenteur, par sa parcimonie. Quelle chose étrange...

Parlant de notre tracteur Ttiki-Haundi, condamné sans appel, (lui aussi !) un peu trop vite, puis réparé, (cf un article précédent...), mon père me dit alors :

   - Gure denborakoa badieu honekin.

   - Nous en avons pour notre temps, avec celui-ci.

En clair, le tracteur réparé nous durerait jusqu'à notre fin.
Sous-entendu, commune ? Au même terme ?

Evidemment, nous ne savons, ni lui, ni moi, ni vous, quand il sera, ce terme. Et pour lequel d'abord. D'accord.
Mais j'ai quarante années de moins que mon père.
Même si je meurs avant lui, mon temps et le sien ne sont pas les mêmes. Il en va d'une génération, non ?

Je suis capable de mouvement, d'action, je ne me sens pas décalée dans mon rythme de vie.
Je suis le train, sans courir, mais sans me laisser dépasser non plus. Je n'ai plus vingt ans, je le sais, et j'adapte mon activité à mes capacités.

Je suis la dernière née d'une grande fratrie. Enfant, j'ai vécu avec des plus vieux que moi. Rendue à l'école, je ne me suis pas reconnue dans ces autres enfants de mon âge. J'ai toujours préféré la compagnie des aînés. Je me suis sentie en meilleure empathie avec ceux-là.
Comme si mon individualité de jeune enfant s'était fondue dans l'image que me renvoyait mon environnement.
Ai-je été si peu moi et autant ce qui m'entourait ? Me suis-je perdue dans le personnage qu'on me tendait ?

Je ne saurais pas le dire.
Je me sens maintenant bien dans mon âge, et quelques ennuis de santé mineurs, s'ils me désolent, n'entament pas longtemps le plaisir à vivre ce temps de ma vie.

Je veille tout de même à ne pas me fondre dans ce "notre temps" de mon père. A ne pas vieillir plus vite que la musique !

Un bain de jouvence s'impose.
Comment éloigner cet esprit vieillissant qui s'impatiente déjà derrière la porte encore fermée ?

Je me le demande... Vivre au contact quotidien de bêtes placides et d'un vieil homme fataliste ne m'aide peut-être pas à impulser le rebond nécessaire.
Je n'ai pas envie de changer ce mode de vie.

Que faire alors ?
Une immersion dans le monde infantile, peut-être ?
Il y a tout près à Agorreta de la jeune génération, dans les deux ou trois maisons près de la ferme. Du petit enfant en bas-âge, de la fillette gaie et turbulente.
Leurs jeux et leurs histoires enfantines, elles me les partagent parfois, ces petites.
Mais alors, ces cris perçants, parfois, ces questions incessantes et répétées... Fouffff !

Ce n'est pas une mince affaire de s'occuper d'enfants en pleine santé, et le bénéfice sûrement réel de leur compagnie se paie, là aussi.

Non, non, je préfère les regarder grandir, et peut-être, dans quelques années, aurais-je plaisir à écouter ces adolescents, si, de leur côté, ils ont envie de bavarder avec la vieille, que là, pour le coup, je serai devenue tout à fait.

Je n'y crois pas trop. Le temps des jeunes et celui des vieux sont comme les bulles de la lampe. Ils peuvent s'effleurer, mais ne se mélangent pas facilement.

Les cohabitations forcées à l'ancienne n'ont plus cours. L'isolement des temps de chaque génération nous parque chacun dans le nôtre.

A Agorreta, le temps du moment est au calme et à la vieillesse, installée ou en passe de l'être.
Il y a eu d'autres temps, où Agorreta s'animait davantage.

Il en viendra d'autres encore, des moments différents et des temps autrement.
Où, en lisant ces pages au milieu des cris et des hurlements d'une vie en plein essor, on se prendra à espérer alors le retour d'un peu de calme, celui qui repose, sans enfermer.

A Agorreta comme ailleurs, comme partout et toujours, le temps suivra son cours, et ses habitants s'inscriront dans les cycles toujours recommencés en s'étonnant de la pérennité  d'une simple pierre plate immobile, quand toute l'agitation humaine ne peut rien contre le temps qui passe...

A une prochaine fois, suiveurs de ce "bloc", et portez-vous bien jusque-là !




   









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