dimanche 25 décembre 2016

AGATTE : L’ÉCHAPPÉE BELLE



Bonjour !








Ce jour de Noël baigne dans la douceur d'une ambiance grise et immobile.
Un vrai jour de repos, lent et tranquille.

Ce moment de l'année date le redémarrage des jours vers davantage de lumière.
Imperceptiblement, même si le calendrier nous indique l'entrée dans la saison hivernale morte, la nature elle, repart et nous parle de renouveau.
Je ne sais pas qui a segmenté ainsi nos saisons et notre temps, mais il n'a pas du observer finement la nature, et s'est décalé de...oh... pas grand chose, quatre bons mois, quoi !

En parallèle, nos religieux, eux, davantage tournés vers une spiritualité détachée de la science matérialiste, ont parfaitement détecté ce moment du renouveau, et en ont fait le jour de naissance de leur figure emblématique. 
Je me demande s'il ne serait pas temps de relier ces deux mouvances là...
Laissons ça pour une autre fois !

Je viens aujourd'hui vous reparler de mon Agatte :






Agatte, la velle, pas ma collègue, Agathe :




Celle-ci se porte très bien, et fête Noël dans la capitale.
Non, aujourd'hui, je vous parle d'Agatte,  celle de mon étable, la fille de Bigoudi :






Ce matin, elle aussi va très bien, merci de vous en inquiéter.
Quand vendredi, j'ai manqué la perdre !
Je vous raconte :

Vendredi, je vaquais paisiblement à quelques préparations charcutières, en vue entre autres des prochaines agapes.
Quand j'ai eu terminé, en milieu d'après-midi, j'ai été comme d'habitude quand je ne travaille pas, faire ma promenade dans les champs, avec les chiens.
Vendredi, le temps était gris, déjà. Par moments, l'humidité de l'air devenait bruine légère.
Après le petit bois, un crachin têtu me fit envisager d'écourter ma ronde.
Lola, lancée sur la piste d'une odeur quelconque dans la broussaille, m'en dissuada. Pour laisser mes chiens s'amuser à leur nature de chasseurs, je poursuivis ma promenade, et décidai de faire le grand tour.

J'y mets près de trois-quart d'heure, marchant d'un bon pas, mais sans précipitation. Je me promène, quoi.
Au retour, le jour était bien bas, déjà.
Dans l'étable, j'allumai la lumière faible.
Je remarquai tout de suite qu'Agatte n'était pas à sa place, dans le fond. Elle était auprès de sa mère, Bigoudi.
Tiens, me suis-je dit, elle a du passer la tête hors de la boucle de sa chaîne. Je l'attache assez large, pour pouvoir la détacher sans mal le matin, au moment de la tétée.
Bon, elle aura pris une ration supplémentaire, la bougresse ! me suis-je pensé.
C'était l'heure de la distribution des rations du soir.
J'ai vidé mes bols, les uns après les autres. Je vais l'attacher quand elle viendra manger, à sa place, calculai-je.
Vidant le dernier bol à la dernière place, celle d'Agatte, donc, je m'étonnai de ne pas voir sa chaîne.
Ces chaînes à vaches sont glissées dans un trou maçonné de la mangeoire, et se fixent au moyen d'une barrette de près de vingt centimètres de long, qui se met en travers de ce trou.






Pour enlever la chaîne, il faut tirer la barrette en arrière, dans la mangeoire, la présenter droite, et la faire passer ainsi dans le trou.
Agatte, détachée tous les matins, tire vigoureusement sur sa chaîne. La barrette est bien coincée dans son logement. 
Il arrive qu'un maillon usé de la chaîne cède, à cet endroit où le métal frotte contre le béton. La chaîne se rompt alors.
Je cherchai à tâtons la barrette dans la mangeoire, pensant qu'Agatte avait profité de l'usure de la chaîne rompue pour se libérer. Elle devait avoir gardé les deux brins enroulés autour de son cou, avec le troisième en suspens, orphelin de sa barrette.
Pas de barrette...
Je revins vers Agatte et Bigoudi. Agatte gardait la tête baissée, contre la jambe de sa mère, en une position étrangement prostrée.
Je m'approchai, regardai mieux.
En effet, Agatte avait bien sa chaîne encore autour de son cou.
Plus surprenant, la barrette pendait en bout du troisième brin. La chaîne ne s'était pas rompue.
La barrette avait reculé dans la mangeoire, s'était présentée dans le bon angle pour glisser en dehors en travers du trou.
Certaines de mes mangeoires ont des trous élargis. Pas celle d'Agatte. En son temps, la grande Pollita y a été placée, et jamais, elle n'a pu extirper la barrette de son logement.
Ça alors, c'était étonnant ! Mais bon, comme disait Bigard, admettons...

La posture bizarre de ma velle m'alertait. Que se passait-il ici ?
M'approchant encore davantage, je compris :
Agatte maintenait sa tête contre la jambe de sa mère, non pas par fantaisie, mais bien parce-qu'elle y était contrainte. La chaîne toujours attachée autour de son cou encerclait maintenant aussi la patte arrière gauche de Bigoudi, juste au dessus de son genou !
Pendant que je faisais mes observations, Agatte tenta de se dégager, et son mouvement déclencha aussitôt une ruade vigoureuse de Bigoudi, blessée par la chaîne serrée qui remontait sur sa cuisse. 
Je m'écartai pour éviter un mauvais coup. Le tableau se présentait assez mal.
Agatte suffoquait, étranglée par la chaîne de plus en plus serrée. A chaque secousse pour se libérer, elle provoquait une strangulation plus forte, la chaîne remontant le long de la cuisse évasée de Bigoudi.
Vous ne connaissez peut-être pas le système de ces chaînes à vaches. Je vous explique :
les deux brins entourant le cou de la bête se referment au moyen d'un V à engager dans une boucle en O.  





Pour attacher, vous présentez une branche du V dans le O de la boucle, l'autre suit, et le V se retrouve de l'autre côté du O coincé dans cette position par les tractions de tirage infligées par la vache. 
Pour décrocher, il faut retirer le V en avant, et représenter en sens inverse une branche, puis l'autre. Vous voyez ? Bien.
Pour ouvrir la chaîne, il faut un minimum de course, puisque le V coincé contre le O ne peut pas en sortir par sa pointe.





Là, de course, je n'en avais pas trop. Le V et le O étaient quelque part à l'intérieur de la cuisse de Bigoudi, contre son pis. La tête d'Agatte, son dos large, plaqués à cette cuisse, ne facilitaient pas l'approche. 
Bigoudi s'était reculée le long de sa mangeoire. Elle occupait toute la largeur de son box, je ne pouvais pas la contourner.
Je devais agir du côté où Agatte se tenait, collée à sa mère.
En me penchant par dessus la velle, je touchai le dispositif de déverrouillage.
Je tentai d'apaiser mes bêtes, pour éviter d'autres soubresauts et l'étranglement inexorable ainsi induit. 

Nous avons dans l'étable une pince coupe-boulons. Je n'étais pas sûre d'avoir suffisamment de force pour arriver à couper la chaîne épaisse. En plus, le temps des recherches dans le coffre à outils désordonné, les bruits métalliques, auraient affolé les vaches déjà bien alarmées sans ça.
Il n'y avait personne à ce moment dans la ferme. Mon père et mon frère étaient partis en promenade, et pas encore revenus.

Je me couchai sur le dos d'Agatte, espérant qu'elle ne bouge pas. Je fis descendre doucement la chaîne le long de la cuisse de Bigoudi, priant là encore que celle-ci non plus ne m'envoie pas la ruade que je lui avais vue envoyer un moment plus tôt.
L'instant était critique. Il me parût long, et solennel. Un peu magique, avec ces deux bêtes essoufflées, la respiration rauque de mon Agatte étranglée, et pourtant, pas un seul mouvement brusque, tout le temps que je mis à faire descendre tout doucement la chaîne, jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment détendue pour que je puisse repasser le V renversé dans le O, mes mains comprimées entre la cuisse et le pis chaud de Bigoudi.

J'y arrivai, enfin. Le brin de chaîne tendue glissa au sol en un tintement clair. Cling.
Agatte aurait pu bondir à ce moment, et m'envoyer valser dans la litière. Bigoudi libérée de cette étreinte douloureuse aurait pu m'écraser un coup de sabot sur le front.
Je ne restai évidemment pas dans l'attente de ces événements pas heureux du tout ! Non, aussi vite que je le pus, je retrouvai l'appui de mes pieds, et m'écartai de mes bêtes encore prostrées.
Agatte gardai sa position, hébétée.
Je la frictionnai vigoureusement entre ses petites cornes, comme elle aime. Je massai sa gorge épaisse, lui parlai, l'exhortant à se remettre de ses émotions trop fortes. 
Bigoudi ne bougeait pas, elle léchait sa fille, et semblait me demander ce qui se passait.

Au bout d'un moment, mon Agatte traumatisée retrouva son oxygène, et ses esprits. Elle releva la tête, se laissa encore frictionner et masser.
Je l'encourageai toujours de la voix et du geste à bouger.
Elle me regarda, ses yeux étaient un peu exorbités. Son souffle redevenait normal.
Un moment encore après, elle se mit en marche, et retourna à sa place.
Je réinstallai la chaîne ramassée dans la litière dans son logement, et nouai les deux brins autour du cou de mon Agatte.
Elle grappilla à peine sa ration, et se coucha, épuisée, sans doute.

Bigoudi à son tour reprit le cours de sa vie, tirant le foin du râtelier.
Tout rentrait dans l'ordre, quand tout avait failli basculer.
Il arrive que des bêtes s'étranglent ainsi.
Tout de même, une chaîne sortie toute seule de son emplacement, entière, une patte de vache passée juste dans le cercle des deux brins accrochés autour d'un cou de velle, ça paraît peu probable, n'est-ce pas ? Et pourtant, c'est arrivé...

Mon père arrivé au moment où Agatte était retourné à sa place remarqua l'agitation de Bigoudi. Je lui expliquai. Il ne voulait pas y croire, le pauvre homme !

Enfin, tout est bien qui finit bien, dans ce monde un peu magique d'Agorreta.
Celui que je vous présentai il y a plus de deux ans maintenant.
Celui-là même où le temps coule sans paraître laisser de traces, et pourtant...





Je veux y voir les traces ténues, oui, mais bien palpables, tangibles et fluides d'une évolution positive.
Je veux y voir la confirmation d'un sens amical,  profond et authentique.

Le plaisir d'y vivre, et l'envie de cultiver ce plaisir.

Joyeux Noël à tous !





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