lundi 22 décembre 2014

Le côté sombre




Je relis le dernier article, de tout à l'heure. Je suis la lectrice la plus assidue de mon propre blog...  Et très bon public, je dois dire. J'ai autant de plaisir à me relire qu'à écrire ! En gros, je peux tourner en toute autonomie, en circuit fermé pour ainsi dire. Je produis et je consomme ce que je produis. 

Pas très enrichissant, je reconnais ! Mais, ma foi, bien commode. 

Si par extraordinaire ils se trouvaient d'autres amateurs de ma prose,  j'en serais ravie, bien sûr. Et le seul mot de "publier" employé ici est un petit baume pour les écrivaillons en mal de paraître comme moi. Evidemment, on n'engage que soi, mais tout de même, c'est déjà quelque chose, non ?

Je m'éloigne de ce que je voulais dire, il me semble. C'est tout moi, ça, je commence gentiment, je prends de l'élan, et je finis par m'emballer tant et si bien que je ne sais plus du tout où je voulais en venir. Ni même par où je voulais y arriver.

Enfin, je reviens à moi. Ca y est.

Je disais que je venais de relire ce que j'avais écrit en fin d'après-midi. 

La joie de vivre à Agorreta. Indéniable. Réelle et tangible.

Mais Agorreta n'est pas seulement une bâtisse enchantée nichée dans des paysages magiques. Pas seulement, non. 

Agorreta, c'est aussi beaucoup ce qui s'y passe et les gens qui y vivent. Et, ici comme ailleurs, la peine et les souffrances ont planté leur semence.

Je vous ai raconté les drames de la famille Olaciregui, mes grands-parents maternels. Deux magnifiques jeunes garçons fauchés dans la fleur de l'âge.

Plus tard encore, la maladie et la mort ont frappé sans compter. 

A Agorreta, comme dans les familles traditionnelles jusqu'à il y a peu, on s'occupait des vieux et des malades à la maison. Jusqu'à leur dernier souffle. Quel que soit leur état. Naître et mourir dans ses murs était naturel.

C'est un fardeau mais aussi une chance.  Je ne suis pas adepte des faux-semblants. La maladie et la mort doivent faire partie des vivants.

 Evidemment, on ne peut pas construire une vie réussie en ne pensant qu'à la fatalité de la mort ou à la misère de la maladie.

Mais on ne vit pas non plus en bon équilibre si on se voile obstinément la face. Reléguer les malades et les vieux hors de l'environnement familial, en dehors d'une nécessité thérapeutique incontournable, bien-sûr, est malsain.

Je ne fais aucun procès d'intention. Je sais parfaitement que les conditions de la vie moderne ne permettent pas toujours la cohabitation entre gens actifs et malades ou mourants.

Mais je dis quand-même que ce cloisonnement est destructeur.

Pour apprécier pleinement sa vie, pour mesurer à sa juste valeur la chance d'être en bonne santé, il faut avoir côtoyé la souffrance et la fin.

C'est une épreuve, mais elle vous grandit. Elle vous pacifie, quand la lutte est terminée. Elle vous renforce, et vous aide à mieux vivre,  justement.

J'en suis persuadée. J'en ai fait pour moi l'expérience. De façon concluante. 

J'ai partagé le quotidien de ma mère tout le temps de sa maladie. Elle est morte dans mes bras, un matin où je n'ai pas su apaiser la énième crise d'angoisse qui lui a figé le cœur pour toujours.  

Elle a décliné pendant des années et des années, pour finir petit fétu de même pas trente kilos, elle qui était une matrone massive et puissante.

Regardez-les sur la vieille photo, ces deux femmes, mère et fille. Manuella, la mère de deux garçons morts en pleine jeunesse,  et pourtant encore fière et droite. Et ma mère, Carmen, indétrônable, au centre de tout.







Imaginez le cheminement long et douloureux qui l'a menée à la fin. 

Et bien, ce cheminement,  je suis contente de l'avoir fait à ses côtés. Pour avoir eu l'apaisement de la sentir elle-même apaisée à la dernière seconde. Et parce-que pour pouvoir retirer cet apaisement de cet instant, il fallait avoir fait le chemin avant.

J'ai eu de la peine quand ma mère est morte, bien-sûr. Mais cette peine était juste et comprise.  Et l'absence admise.

Depuis deux ans maintenant, je veille aussi sur mon père. Il a été malade, très malade, puis, incroyablement, il s'est remis.

Il est vieux pourtant. Et souvent, la nuit, il se réveille en sursaut paniqué de son premier sommeil. Ce sommeil dont il a failli ne pas se réveiller et dont le souvenir le hante quand sa conscience s'assoupit.

Il m'appelle alors, affolé. Et quand je le rejoins près de son lit malmené, l'effroi agrandit encore son regard.. 

Je lui amène un bol de café-au-lait. Je me fais un thé. Je m'assois près de lui, et je le regarde boire en tremblant un peu, ce vieil homme affaissé qui a été mon père dans toute la gloire de sa force et de sa vigueur.

Je vous montrerai des photos, vous jugerez par vous-même. 

Avant qu'il ne se rendorme, nous remettons ensemble la chambre en ordre. Les petites misères de la vieillesse n'ont plus de secrets pour moi maintenant. Nous sommes devenus très efficaces et notre chorégraphie est parfaitement au point.

Nous nous amusons parfois de nos maladresses.

Mon père se recouche, je remonte le drap sous son menton. Il s'endort presque aussitôt. 

Au matin, je reviens le réveiller. Nous ne parlons pas de la nuit.

C'est un temps à part. J'aime ces moments. Ma nuit dévastée ne me pèse presque pas.

J'ai l'impression d'apprivoiser la peur de la mort. Et l'espoir de prendre assez de force pour l'affronter au mieux. Quand je ne la verrai plus par reflet. Quand elle viendra me planter ses dents en face.

Pour le coup, me voilà moins en joie. Et pourtant, sereine. sans la garantie que cette belle sérénité perdurera bien-sûr, et encore moins qu'elle sera là quand j'en aurai bien besoin.

Bah, nous verrons le moment venu.

Et d'ici là, je peux toujours m'accrocher les idées noires aux branches saccadées de mon acacia tourmenté.








Allez, sur ce, je vais me coucher.

Je vous souhaite de passer une nuit reposante et une journée de mardi agréable.

A mercredi, sans doute. Nous reprendrons alors les aventures des Legorburu d'Agorreta...

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