vendredi 26 décembre 2014

au milieu de la nuit




Je remonte maintenant. J'étais avec mon père. Au plus profond de la nuit et de mon sommeil, des coups sourds ont ébranlé le vieux mur de séparation entre sa chambre et mon petit appartement.

Je me suis aménagé un petit nid douillet et privatif à une extrémité de la vieille ferme. Dans un angle du grenier où j'aimais depuis toujours venir me nicher entre les ballots de foin pour lire.

Je suis ainsi à portée de voix (et de main), mais un peu à l'écart tout de même.

Mon père est équipé de ce petit système d'alarme si pratique pendu autour de son cou en permanence. En cas de besoin, il lui suffit d'appuyer sur le bouton rouge. Son appel est relayé par une centrale téléphonique. Et retransmis par ladite centrale jusqu'à moi par l'intermédiaire de mon portable. Une trouvaille bien commode. Je reste à l'affût de la sonnerie du téléphone de façon un peu trop tendue, mais bon, j'ai l'assurance que mon père peut demander mon aide en toutes occasions. Ca me rassure.

Lui, s'est servi de ce dispositif et l'a trouvé satisfaisant. Oui, oui, vraiment, c'est très bien, ce truc là, opine-t-il, l'air tout à fait convaincu. Mais il préfère les méthodes plus locales...

Du temps où ma mère malade avait elle aussi besoin de moi dans la nuit, j'avais installé un interphone dans la ferme. On me hélait de la chambre en bas, le second boîtier grésillait et tintait chez moi. "Palouz" tonnait mon père, "ator". Palouz, viens.

Palouz est le diminutif de mon prénom. Marie-Louise,  condensé en Ma-Lous, et par déformation Palouz. C'est assez laid ce "Palouz", quand Mailuix, ou Mailuixa en basque, est beaucoup plus agréable à entendre.  Depuis le temps, je m'y suis faite.

Ce "Palouz" solennel et un peu théâtral me réveillait en sursaut et me faisait dévaler les escaliers en quatrième vitesse. A demie endormie, je déboulais dans la chambre parentale, pour y faire ce qu'il y avait à faire. Puis, je remontais reprendre le cours de ma nuit.

Maintenant, mon père m'appelle pour lui. Comme son premier sommeil est agité, il arrivait au début de sa maladie qu'il appuie sur l'interphone par mégarde, presque sans se réveiller.

Moi, vrillée par la sonnerie alarmante, je bondissais. Traversais le grenier comme un éclair, (enfin un éclair encore engourdi de la nuit) et atterrissais tel la navette Canaveral en catastrophe dans la chambrette du malade. Paisiblement plongé dans un bon et profond sommeil ! Je considérai en ravalant ma rage contenue son vieux visage rosi de bien-être, la bouche entrouverte sur un ronflement sifflant.

L'envie me prenait de le secouer aux épaules pour lui demander ce qu'il lui avait pris de ruiner ma nuit pour rien. Mais je me ravisais immédiatement... Inutile de le sortir de sa béatitude. J'en serais encore pour mes frais. Un peu contrariée tout de même, je remontais me coucher, navrée d'avoir interrompu mon repos, mais soulagée cependant de l'avoir vu si tranquille. 

J'avais donc débranché l'interphone. Il gît inoffensif au fond d'un placard.

Nonobstant, je ne pouvais pas abandonner mon père souffrant dans son isolement nocturne. Je lui laissais donc son pendentif-alarme à disposition sur la table de nuit. Parce-que quand je le lui laissais autour du cou, évidemment, dans ses mouvements désordonnés de premier sommeil, il arrivait qu'il appuie dessus par mégarde. Et là encore, " dévalage",  atterrissage, et consternation !

Mon père est un homme subtil. Il a vite compris que la technique moderne, c'est bien joli, mais ça a ses limites. Le temps que son appel soit transféré jusqu'à moi lui paraissait un peu long. Et puis, cette voix étrangère qui troue le silence nocturne de la ferme ne lui plaît pas.

Moi, les premiers secours délivrés et la situation revenue à la normale, j'aimais bien rappuyer sur le bouton et bavarder un peu avec la "voix" du bout de la nuit. Nous échangions quelques considérations météorologiques, nous souhaitions mutuellement une bonne fin de nuit (pour ce qu'il en restait). 

Mon père, lui, n'appréciait pas cet intrus dans notre forteresse.

Alors, il a changé de système. Pour m'appeler, il donne de grands coups de poing dans la cloison de séparation. Tout simplement. Le son se répercute parfaitement entre les vieilles pierres et je l'entends sans problème.

Les murs porteurs sont épais de près d'un mètre à la ferme. L'endroit où il cogne, lui, est une petite élévation de briquettes d'à peine trois centimètres d'épaisseur. L'onde de choc se propage mieux, peut-être, mais je tremble autant que ces briquettes de voir un jour la cloison par terre. C'est ce qui arriva d'ailleurs quand nous avons réalisé les travaux d'aménagement à la sortie d'hôpital du malade. Mais ceci est encore une autre histoire, pour plus tard.

Je reviens à cette nuit venteuse de fin d'année. La dernière nuit de vendredi de 2014, d'ailleurs.

Il y a plus d'une heure maintenant, je dormais comme une marmotte, au chaud dans mon lit, les chiens sur le tapis roulés en boule. (les chiens, pas le tapis).

Grand calme à la ferme Agorreta.

Quand un tunk tunk tunk rapide a ébranlé les murs et fait voler toute cette sérénité en éclats. Je dors bien. Mais ce signal me tire immédiatement du plus profond des sommeils. 

Très inquiète comme à chaque fois, je me précipite hors du lit en enfilant ma robe de chambre. Au passage, je manque écraser la queue de Lola qui dans un sursaut mort Pittibull couchée près d'elle.

Nous traversons tous la ferme par le grenier. Dieu merci, nous n'avons pas à sortir. Avec ce vent et la pluie que j'entends, ce serait le bouquet !

Un coup d’œil à l'étable tirée de la nuit par la faible ampoule. Les vaches assoupies tournent à peine la tête. Ce n'est pas l'heure, pour elles.

Je ne perds pas de temps, j'entre dans la cuisine, puis dans la chambre de mon père. 

Tout est allumé, chevet, plafonnier, salle de bains. Lui, assis sur son lit, soupire de soulagement quand il me voit arriver.

- Zer duzu ? Qu'as-tu ?

- Hatxa, ez diet hatxa ongi artzen.  Le souffle, je ne trouve pas mon souffle.

En effet, il respire mal. Sa poitrine se soulève par saccades pénibles.

Je ne m'alarme pas plus que ça. Je l'ai déjà trouvé comme ça plusieurs fois, et bien pire souvent.

- Egon pitta bat. Lasaitu. Pasako da.  Attends un peu, détends-toi, ça va passer.

Je redresse le lit, lui rentre les jambes sous les couvertures. Tout va bien, il n'y a pas de dégâts pour cette fois. Appuyé contre l'oreiller, le buste redressé, il me regarde en soufflant la bouche ouverte. Je fais un peu d'ordre dans la chambre, en attendant que sa respiration se calme.

- Kapesne pitta bat artuko dugu. Nous allons prendre un café au lait.

Je continue de lui parler à travers la porte ouverte de la cuisine. Pittibull saute sur le lit près de son vieux maître. Elle lui lèche la main. Lola s'assoie par terre, attentive elle aussi. Txief reste sur le  fauteuil dans la cuisine, prêt à se rendormir, s'il y a moyen.

Revenue dans la chambre, je pose un bol de café au lait sur la table de chevet, près de la sonnette d'alarme inutile.  Je me suis préparée un thé. Je m'assois sur la chaise percée, très confortable au demeurant.

- Aize haundia ari dik ez da ala ? Il vente fort, non ?

- Bai. Oui.


Le temps s'égrène lentement à la petite pendule. Le vent s'échine en effet dehors. Mon père retrouve un souffle régulier et facile. L'ambiance est douce.

Il lape son café au lait. Je sirote mon thé. Peu de mots, quelques caresses aux chiens contents de cette diversion finalement.

- Ah ! orain bai, ongi nion ! Maintenant, oui, je suis bien !

Je récupère son bol, reborde le lit et éteint toutes les lumières en partant.

- Gero arte. A tout-à-l'heure.

- Bai neska, bai, egin zan lo. Oui ma fille, oui, dors bien.

Je remonte, apaisée moi aussi. Et moi aussi, je me sens bien mieux, maintenant.

L'alerte est passée. Je n'avais pas tellement sommeil. J'ai eu envie d'écrire.

J'aime ces moments de nuit. Le calme et le silence de la ferme. je me sens bien, à l'abri, sereine.

Bon, il est trop tard maintenant pour se rendormir. Je ferai une meilleure sieste et voilà tout !

Je vous retrouve comme prévu lundi. Ou un de ces prochains jours. Nos rendez-vous doivent rester informels.

Je vous souhaite une bonne fin de nuit et une agréable fin de semaine !






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