vendredi 19 décembre 2014

Les Olaciregui





Bonjour à vous, bientôt fidèles d'Agorreta, ou occasionnels visiteurs !

Soyez les bienvenus.


Nous en étions aux années trente et quarante. Les Olaciregui, réfugiés politiques, s'installaient à la ferme Agorreta. Ils devenaient métayers du comte et  de la comtesse Von d'Oberndorff.

Très vite, Manuella et Iñazio Olaciregui,  leurs cinq enfants âgés de 12 à 20 ans et leur petit cheptel ovin, (surtout ce dernier d'ailleurs, puisque les premiers-cités commençant à prendre de l'âge, il n'y avait plus grande opportunité de développement démographique de la première génération), gagnèrent en nombre.

Les parents Olaciregui étaient travailleurs, oui, mais aussi ambitieux. Si le père Iñazio se servait avec acharnement de ses bras, la mère, Manuella, était en plus une femme de tête.

Je n'ai pas de représentation du couple seul. Je vous les remontre en famille, elle matrone sereine au casque tout blanc, et lui, sec et vibrant d'énergie sur le capot de leur premier tracteur. Cette photo date de 1966 ou 1967.  A l'époque dont je vous parle, ils avaient trente ans de moins. Imaginez leur force vitale du moment :





Iñazio dominait par posture, mais Manuella était la base et le fondement de toutes leurs prises de décision. Depuis toujours, et encore alors...



Manuella, sentant le nouvel essor en marche, se mit en quête de terres promises. A l'égal des découvreurs de l'épopée du Far-West, elle se mit en route !

Manuella était économe de ses forces. Sa corpulence imposante demandait une certaine dépense d'énergie dans le mouvement. Aussi, essayait-elle d'optimiser les choses et d'améliorer les performances de ses entreprises.

Elle n'alla donc pas bien loin en prospection

Côté nord, le domaine d'Orio était investi dans les limites autorisées par les d'Oberndorff. Une poignée d'hectares à peine.

Côté sud, les terrains communaux d'Agorreta se perdaient sous des friches et sous-bois sauvages. Ils étaient à l'abandon. Attenants à la ferme.

Le sang de Manuella ne fit qu'un tour : elle entreprit de s'approprier ces terres vierges. Elle voyait déjà ses brebis pâturant de vertes prairies et les agneaux à profusion gambadant par les pentes et talus environnants.

Ni une ni deux, promettant à son infatigable mari de la belle ouvrage en perspective, elle fit les démarches nécessaires. Manuella ne parlait que le basque. Elle ne savait ni lire ni écrire. Mais imaginer, échafauder, préparer et mener à bien, tout ça était parfaitement dans ses cordes.

Elle savait pouvoir compter sur la vaillance de sa tribu. Elle n'hésita pas, elle se lança.

Ici, un document d'époque, auquel je tiens comme à la prunelle de mes yeux. La première quittance de loyer acquittée par les Olaciregui à la mairie d'Hendaye, pour l'occupation des terrains communaux d'Agorreta.





Cette quittance était soigneusement rangée dans un tiroir, bien classée avec les suivantes. Ma grand-mère ne savait pas lire mais elle conservait religieusement les documents importants.

Ma mère, elle, y était moins attentive. Pour le coup, cette liasse de quittances a failli faire le bonheur d'une famille de rats ! Elle avait été reléguée dans une boîte en carton jetée telle quelle sur le plancher du grenier, derrière de vieux meubles inutilisés. Des centaines de générations de rongeurs ont niché dans les parages !

Dieu merci, ma petite liasse est demeurée intacte...






Oui, bon, dans le sens horizontal, ça aurait été aussi bien, je sais. Mais Jean-Michel ne m'a pas encore livré tous ses enseignements en la matière. Patientez-donc comme je le fais moi-même. Merci d'avance.


En pleine période expansive, les Olaciregui achetèrent quelques têtes de vaches. Et se mirent à assurer une livraison quotidienne de lait frais en ville. Pour assurer la livraison, ils disposaient de deux ânes solides et placides.
 Ma mère les conduisait tous les matins par les petites rues d'Hendaye, bâtés de quatre bidons de lait encore tiède de la traite. Nous avons longtemps perpétué la tradition, en modernisant tout de même la locomotion.

Remarquez, c'est commode aussi, un bel âne docile, comme celui-ci, mené par ma mère, Carmen Olaciregui, à l'époque.
Je ne sais pas qui est la jeune fille à côté. Qu'elle se manifeste, si elle se reconnaît. (Et vit encore).








A l'époque, il y avait une trentaine de fermes sur la commune, et la production de lait vendu en direct faisait vivre autant de familles.

A la ferme Agorreta dans les années quarante, les Olaciregui travaillaient dur, et commençaient à récolter les fruits de leur labeur. 

La guerre frappa à leur porte.
 Iñazio n'était guère patriote. Et pas très courageux non plus. Il aurait abjuré sa foi pour ne plus être fugitif. Comme il n'en avait pas trop, ça ne lui coûtait guère.

Parmi ses fils pourtant, germa une graine de résistance. Du moins c'est comme ça que la légende familiale s'arrangea des choses. 

En fait, je crois plutôt que le jeune et beau Domingo faisait de la contrebande à tour de bras et longueurs de nuits,  avec son frère Nicolas.

Regardez cet ange le jour de sa communion. 








Il ressemblait beaucoup à son frère Iñazio. Oui, les parents ne cherchaient pas trop loin pour les prénoms à l'époque. Iñazio n'était pas l'aîné, mais il avait hérité du prénom de son père, je ne sais pourquoi.

Ces deux frères là connurent des destins tragiques et ne firent pas de vieux jours. 

Domingo fut abattu à bout portant par des soldats allemands alors qu'il traversait la Bidassoa à gués par une nuit de pleine lune. On a dit qu'il faisait de la résistance à l'occupant. Mais on a dit aussi que cette nuit là, il revenait d'avoir livré de la marchandise en Espagne...

Lui n'a plus rien dit. Un magnifique jeune homme de dix-huit ans, fort et droit, tombé dans l'eau rougie sous lui comme un sanglier en battue.

Iñazio ne vécut guère plus vieux. Tout aussi beau et aventurier, il s'embarqua vers les Etats-Unis pour y être berger. On ne sut jamais ce qui arriva. Toujours est-il qu'on le retrouva mort dans la montagne, tout seul. Il avait à peine vingt-cinq ans.

Le destin tragique de leur deux fils dut anéantir Manuella et Iñazio. Ces deux garçons ressemblaient beaucoup à leur mère, blonds aux visages larges et aux regards francs. Elle les perdit à peu d'années de distance.

Le couple dilua cette vertigineuse peine dans le travail. 
Toute la famille redoubla d'ardeur. Le troisième frère, Nicolas, choisit de s'expatrier lui aussi aux Etats-Unis. On y faisait de l'argent. La filière était parfaitement organisée. Il avait amassé un petit pécule, lui aussi travaillant autant "de nuit" que de jour. En dehors de la ferme où il fournissait une grosse part du travail, il louait ses bras à une entreprise de maçonnerie. Sa seule motivation était la réussite. Peut-être espérait-il adoucir la peine de sa mère en se montrant digne de sa fierté ?

Je ne sais pas. On ne devait pas beaucoup parler de ses sentiments alors.

Sur la prochaine photo, j'ai réuni les deux frères migrants.







En haut Iñazio, retrouvé mort dans sa montagne. En bàs Nicolas,  le visage fermé et acéré de son père. La photo a gauche fût envoyée des Etats-Unis. Il semble y avoir retrouvé l'espérance et un peu de soulagement peut-être de ne plus partager le quotidien étouffant de sa famille endeuillée.


Avant son départ, Nicolas, José-Marie le frère aîné, et Carmen, ma mère, posèrent ensemble. Ils étaient les survivants.




A son tour, José-Marie choisit de quitter la ferme pour aller gagner mieux sa vie ailleurs. Il resta sur le continent, et atterrit en Gironde. Du Pays-Basque, il emporta quand même une épouse. L'une des filles de la ferme voisine Erreka,  propriété aussi du domaine d'Orio, lui plût assez pour qu'il en fasse sa femme et la mère de ses enfants.

Ma mère entre-temps détourna mon père, fils lui de l'autre ferme toujours voisine, Errandonea. 

Meetic n'existait pas en ce temps là. On ne cherchait pas trop loin sa bonne fortune.

Mais elle resta à la ferme Agorreta avec ses parents.

Le foyer Legorburu vit le jour, dans l'ombre de Manuella Olaciregui et d'Iñazio.




Et ici commence l'épopée de mes parents. Les trois générations cohabitant dans la vieille ferme.  
Je garde ça pour une prochaine fois. Je ne voudrais pas vous lasser déjà.

La fin de semaine est là. Je serai à la Jardinerie.  J'aime à travailler quand la majorité se repose. J'ai l'impression d'être plus méritante ainsi. Sans l'être pourtant !

 A plus tard...

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