mercredi 24 décembre 2014

L'arrivée du Legorburu à Agorreta




C'est aujourd'hui jour de réveillon. 

Il n'y a pas si longtemps, la vieille ferme se remplissait de cousins éloignés et autres convives.  Toutes les chambres revivaient de tant de présences et les vieux planchers craquaient sous les pas à l'étage.

Maintenant, nous sommes deux dans la ferme. Et la plupart des chambres sont vides.



 Je continue d'ouvrir les volets, par acquit de conscience, et aussi pour surveiller une éventuelle invasion de rongeurs toujours à l'affût dans les grosses pierres disjointes des murs. Les bougres ! Ils s'en donnent à cœur joie dès que je tourne le dos...

Vous me direz, ça fait une compagnie !








Ce soir, nous allons quand même marquer Noël.  Olivier, vous vous souvenez, mon mari de l'ombre, (référence à un ancien blog) nous rejoindra. Sans doute un ou deux de mes frères aussi. Les célibataires.

Pour les autres, ils ont une grande famille en propre. Réunir tout le monde est devenu une grande affaire. Près de trente personnes autour de la table, ça commence à faire beaucoup.

Depuis longtemps maintenant, j'ai réduit le nombre des convives. En prenant sans scrupules pour prétexte la maladie de ma mère.

 "Elle est trop fatiguée", miaulais-je dans les oreilles tendues. "Elle ne supporterait plus la trop grande joie de nous voir tous réunis".

En réalité, je voulais juste m'épargner la peine de préparer autant de nourriture ! Honte à moi !
 Je n'ai jamais hésité à me servir de ma vieille mère malade en toute occasion où elle pouvait m'être utile. Après tout, puisque j'en avais les désagréments, je pouvais bien aussi profiter des quelques avantages inhérents, non ?

Allez allez, ne venez pas me tarabuster avec votre "esprit de Noël, amour et paix, et talali et talala. Tout ça, c'est du folklore, joli à voir mais un peu contraignant à suivre.

J'adore ma famille, mais je n'aime pas perpétuer la tradition de la maîtresse de maison au service de tout le monde. Moi, quand je fais quelque chose, c'est que j'ai envie de le faire. Hors les obligations, évidemment.

Et préparer un copieux repas pour une trentaine de bouches qui ne savent pas se servir de leurs bras, très peu pour moi ! 

A Agorreta, ma mère régalait tout le monde en restant debout au coin de la table. Elle se chargeait de tout et s'offensait de l'aide qu'on pouvait lui proposer. Sauf la mienne qu'elle considérait comme naturelle et évidente... (Moi, pas tellement, pourtant !)

Elle vivait bien ce rôle. Moi, non.  Je peux faire, avec plaisir, mais pas pour une troupe de culs assis. 

Dans ces conditions, le plus simple est de gentiment fermer sa porte...


Oui, oui, oui, esprit de Noël et tout ça et tout ça. Je vous en prie, ne vous gênez pas pour moi. Et faites chez vous comme il vous plaira.

A Agorreta donc, ce soir, nous serons quatre ou cinq. La morue dessale, le confit de poivrons mijote, et les escargots finissent de cuire. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Comme une intendance aussi allégée me laisse du temps libre, je reviens à mes petites histoires.

Je me rends compte que pour suivre, il faut remonter à des articles plus anciens. Je vais devoir renvoyer par notes à mes "ouvrages" antérieurs... Ou alors, vous allez devoir prendre ici ou là ce qu'il vous plaît de prendre et vous arranger de ce qui vous manque. Ca peut-être bien aussi, un genre de feuilleton interactif...



Allez, nous retournons dans les dernières années quarante. 

Les Olaciregui ont perdu deux fils. Je ne compte pas les enfants morts en bas-âge. Personne n'en parle. Pourtant, ils ont du aussi laisser une saignée dans les cœurs de leurs parents. Mais c'est comme si on ne pouvait pas pleurer les enfants qui n'ont pas parlé. Presque comme s'ils n'avaient que trop peu  existé pour mériter qu'on s'en souvienne.

Aujourd'hui où l'on s'interroge sur les droits des fœtus,  ça paraît inconcevable. Et pourtant...

Il n'y a pas si longtemps, j'étais alors enfant (tout de même, ça fait un bout de temps, oui !), un jeune couple du voisinage connut l'affliction de perdre un bébé à six ou sept mois de gestation. La mère expulsa le petit dans la nuit. Au petit matin, son mari, en accord avec elle, enterra le presque-né. Dans le tas de fumier !  Authentique...

Un médecin avait quand même suivi la grossesse. Quelle ne fut pas la consternation des parents quand il réclama le corps pour établir un certificat de décès !

D'après eux, ce presque-né n'était pas un vivant. Et on ne pouvait pas le traiter comme un mort. Il avait failli être, mais n'avait pas été.

Les petits Olaciregui morts-nés ou morts précocement retombèrent dans les limbes d'où ils n'étaient jamais tout à fait sortis.

Ma propre mère a perdu son deuxième fils à moins d'un an. Il figure sur le livret de famille, tout de même. Mais je ne l'ai jamais entendue en parler. Il avait trop peu vécu, c'est ça.

Ces femmes taisaient leurs souffrances et ne se laissaient jamais aller à étaler une douleur qui devait pourtant mordre leurs entrailles.

Au lendemain des épreuves, elles reprenaient le travail, gardant par devers elles la peine et la souffrance.



A Agorreta dans les années 48-49, vivent Manuelle et Iñazio, les parents, et leurs deux enfants, Carmen et Nicolas.





L'autre fils, José-Marie, est parti travailler dans les scieries de la Haute-Lande.

Il s'est marié avec une fille du voisinage, Mayi, de la ferme Erreka :







Je l'ai dit à une autre occasion, les gens ne cherchaient pas midi à quatorze heures en ce temps là. Pour se trouver femme, on prospectait au plus près.
 Les paysans d'alors ne manquaient pas de tempérament. Et les longues journées de travail ne fatiguaient pas au point que les époux s'endorment comme des masses...
Les travaux des champs, les journées chaudes à s'échiner sur une terre lourde, rendaient le sang fougueux et les jeunes vite amoureux.
Les familles étaient nombreuses. Les jeunes gens vigoureux et les jeunes filles saines.
Les choses se déterminaient sans trop de complication. Les garçons de telle ferme épousaient les filles de telle autre, et voilà tout !

Nicolas Olaciregui, d'Agorreta,  le second frère survivant, a déjà sûrement en tête de s'expatrier aux Etats-Unis.
Mais, en garçon de devoir qu'il est, il ne veut pas laisser toute la charge du travail de la ferme à ses parents qui prennent de l'âge.

Il attendra le mariage de sa sœur,  ma mère, donc,  pour épouser à son tour Lola, native de Fontarrabie. Toujours dans les parages. Cette Lola avait pour sœur Carmella  (Ils aimaient bien les prénoms en A dans cette famille). Et Carmella s'unit à Leon, le frère de mon père. Je vous dis, tout se passait entre soi, alors.

Regardez Nicolas et Lola, les migrants partis faire leur vie aux "Amériques".




N'ont-ils pas fière allure ?

Enfin libéré de la lourde charge de travail à Agorreta,  Nicolas se détend et construit sa vie loin de l'ombre portée de Manuella, et de ses deux frères tragiquement morts.

A la ferme, il a laissé sa sœur. Etablie,  puisque mariée au jeune voisin.

Ici, entre en scène mon père : Joset Legorburu, de la ferme Errandonea.






Toujours dans les parages immédiats. Un champ seul sépare les deux fermes Agorreta et Errandonea.











A Errandonea, les Legorburu sont installés eux aussi après un exil depuis l'Espagne. La famille a transité dans plusieurs fermes avant de s'établir là. Mon père par exemple est né à Urrugne, lors d'une étape, et mon oncle Léon, lui à Molérès, autre ferme Hendayaise de l'époque.


Les Legorburu d'Errandonea sont une belle tribu.

Cette photo date de l'après-guerre, toujours, entre quarante-sept et cinquante.






Une grande famille, là aussi. Les parents et cinq enfants. Mon père, Joset, est au centre.

A cette époque,  il connaît déjà ma mère, la petite voisine. Les deux jeunes gens en sont aux approches.




Traditionnellement, l'homme doit penser à fonder son foyer au retour de l'armée.

C'est ce qui fût fait.

Ma mère avait quatre ans de plus que mon père. 









Les Legorburu d'Errandonea étaient de moins acharnés travailleurs que les Olaciregui. 
Le père, Gabriel, était plus amateur de cartes et de vin que de fourche et de faux.
Les enfants connurent la misère. La sardine partagée en deux pour repas. Ils étaient pouilleux, affamés.

Les parents Olaciregui ne devaient pas voir d'un bon œil ces oisifs. J'imagine que l'idée de prendre pour gendre ce jeune  descendant de fainéants orgueilleux amateurs de foires et de farnientes ne devait pas leur plaire.

La fainéantise et l'orgueil,  les deux péchés capitaux de la religion Olaciregui !

Mais les bras manquaient à Agorreta. Nicolas était sur le départ. La jeune Carmen n'était plus si jeune que ça. A son mariage, elle avait déjà vingt-huit ans. 

Iñazio et Manuella étaient connus pour ne pas être des tendres. Avec eux, il fallait y aller, travailler et ne jamais se plaindre, surtout. Alors, forcément, ça rafraîchissait les prétendants...

Carmen devait se désoler de rester seule ainsi. Sans doute joua-t-elle des coudes pour arriver à ses fins. Elle était la digne fille de sa mère et la ténacité ne lui était pas étrangère.

D'après ce que j'en ai entendu plus tard, ça devait donner à la ferme Agorreta, entre Carmen et Manuella ! Deux femmes à fort coffre, des voix exceptionnelles, puissantes, portantes. Ah, ça, ça devait tonner dans la cour et dans les champs...

Le jeune Joset, lui, jouait de son air innocent, comme il l'a toujours fait. Il était d'un physique plutôt agréable, et d'un tempérament avenant. Et puis, il en avait assez de crier famine chez lui.  Il avait bien remarqué les bonnes joues des Olaciregui. Là-haut, (Agorreta surplombe Errandonea), la vie paraissait moins misérable.

Il fallait travailler, bon. Mais Joset n'était pas fainéant. Et puis, supporter la suprématie coléreuse de l'Iñazio. Ses humeurs de volcan en éruption, ses crises d'autorité de petit kalife incontesté. Bien. Joset était d'une nature facile. Il pensait pouvoir s'accommoder.

Et il s'accommoda.

 Tant et si bien qu'il finit par trouver le chemin de la lumière vers ces Olaciregui intraitables. Il se montra travailleur, docile et soumis. Il fraternisa avec Nicolas et s'attira même l'affection de Manuella. Iñazio resta sur son quant à soi, un temps. 

Finalement, force fit loi et il obtempéra.

En avril 1951, comme je l'ai dit plus haut, le même jour que les princes de Monaco, (ici, les références que je pourrais vous indiquer mais dont il faudra vous passer parce-que je ne me souviens plus exactement dans quel article c'était), Carmen Olaciregui et Joset Legorburu se marièrent.








Et là, la fameuse photo dont je vous parlais dans ce fameux article, et que je vous montre aujourd'hui. Je vous l'avais dit, que je l'avais par là...



Et, pour couronner le tout, la belle photo de groupe devant Orio, souvenez-vous aussi :








Vous les voyez bien, tous ?  Tout ce petit monde vivant dans un périmètre de deux kilomètres en gros. Les valeureux Olaciregui et les fiers Legorburu réunis.


Ces deux là se marièrent, donc, et eurent beaucoup d'enfants.

Dont votre humble serviteur.

Pour le coup, il est temps d'aller s'occuper du repas de réveillon.

Passez tous un beau et chaleureux Noël. Ici, la morue est à point et le patriarche frais et dispos.

On se retrouve bientôt !

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