lundi 16 février 2015

MINUIT A AGORRETA




Quelle chose inédite !
Moi, éveillée encore à près de minuit... Ou du moins, réveillée, plutôt.

Nous nous couchons tôt, mon père et moi-même. Lui, dort déjà comme un bébé dès les vingt heures. Régime maison de retraite !

Et moi, ma foi, quand je suis à la maison, je ne tarde guère au delà des vingt-et-une heures.

A moins d'une sortie en extérieur ou d'un dîner ici, chose rare, voire exceptionnelle, je dors souvent de bonne heure.

Cette rareté, ce soir, cette nouveauté, a un petit goût charmant.

Je dormais profondément. Mon père a du frapper assez fortement notre mur de liaison.
Toujours est-il que j'ai été tirée de mon sommeil.

Je jette toujours un œil sur l'heure au réveil dans ces cas là. Histoire de voir où j'en suis de mon temps de repos, et ce que je peux espérer en sauver.

Là, je vois, même pas onze heures du soir.

Alertée par cette heure inhabituelle dans nos rites de nuit, je me précipite, inquiète.
Même les chiens marquent un temps d'étonnement avant de me suivre.

Dans la chambrette, seule la veilleuse éclaire doucement.

Je m'approche, sans faire de bruit. 
Mon père, les yeux ouverts, un peu fixes, me regarde, sans paraître me voir.
Je remonte le drap sur lui, et lui demande tout bas si ça va.

- Lo nioken, ametxetan, illa nintzela. Boh, gozozuken...

Et il s'endort, dans la presque seconde. 

En traduction : je dormais, je rêvais, que j'étais mort. Boh ! c'était agréable...

La première contrariété du "je dormais" (moi aussi !) passée,  rassurée par ce souffle si paisible, je souris.
Attendrie de cette douceur dans un temps de vie où on pense à la mort comme à une amie.

Mon père se souvient rarement de ses réveils de nuit, si son "rendormissement" est rapide.
Au matin, il dit souvent avoir parfaitement bien dormi. Le bougre !

Je remonte ici. 
Le vent souffle fort sur les toits. Dans mon oreille siffle les trompettes.
Je ne me rendormirai pas facilement.

Une petit infusion du soir, et quelques mots suavement confiés au clavier,  me berceront sans doute.

Je perçois ce temps de vieillesse égrené dans la sérénité comme un cadeau.
Une grâce. 
La vie se laissant détacher doigt après doigt, sans brusquerie, comme on enlève un jouet des mains d'un enfant endormi.
Doucement. En paix et sans souffrance.

La mort comme on l'espère tous, à la fin d'une longue et plutôt bonne vie. Une vie bien faite et bien finie.

Ca arrive. Pourquoi pas à nous, ici ?

Mon père a été un homme fort et vigoureux. 
Je reprends cette photo où il tirait à la vie justement un petit veau, guidé par mon grand-père Inazio.







Le don de vie si près de la mort en son début comme à sa fin.
Ce moment ou tout se joue, chaque geste compte.
Ce petit veau trop gros qu'il a fallu aller chercher aux portes du presque néant déjà, pour le tirer doucement vers la bonne rive.
La présence attentive d'un vieil homme, sa connaissance, et la force du jeune, son complément.

Deux générations unies dans le même effort, le même élan.

Et, ce petit veau que j'ai imaginé être cette vache magnifique, plus tard :





Oui, je sais, je vous reprends ce montage hétéroclite. 

Mais bon, à cette heure, je ne vais pas me mettre à trier les vieux clichés !



La vache en devenir de la première scène, vous l'aurez compris, c'est celle-ci.

Pas le chien, ni la meule de foin !

Réincarnations d'autres mondes sans doute, aussi, mais tout de même...




Une continuité diffuse, un lien intemporel, un infini séduisant, infiniment.

Vous voyez, moi aussi, le sommeil me revient, amicalement, maintenant.
Le cours des choses reprend ses droits, et le temps, sa route.

Et, parfois, tout ça se fait en grande fluidité et sans secousses, en douceur, presque.

Bien, je vais me recoucher.
Ce moment inopiné m'a profondément apaisée.

Bonne nuit à vous tous. 
Aux couchés tard dont je ne suis pas. Et à tous les autres, qui dorment déjà.

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