mercredi 25 février 2015

ELLES SONT OU TES PÂQUERETTES ?




Bonne fin de nuit à tous !

Dormez tranquilles, je veille.



Je me demande si ce n'est pas ma propre angoisse qui me jette maintenant hors de mon lit à quatre heures du matin.

Je descends voir mon père. Il est étonné de me sentir là :

-Janeko tenoria dun ?

C'est déjà l'heure ?

Soit-dit en passant, pour lui je ne vois pas trop quelle heure est cette heure, qui serait déjà là.
Celle de ses médicaments du matin sans doute. Ou celle de mourir...

Je ne suis pas sûre d'avoir entendu son "tunk tunk tunk" d'appel.
Juste de m'être réveillée et de m'être dit que ce devait être ça, justement, qui m'avait tirée du sommeil.

Je me demande si je ne suis pas en train de nourrir une tension au delà du nécessaire. Comme ce téléphone que je fais suivre partout, parce-qu'il est censé me relier à mon père via le centre de télé-assistance.
Je dois accepter la fatalité, et je dois accepter de ne pas pouvoir être irréprochable dans une veille de tous les instants.
Quand je suis au travail, j'arrive mieux à me décrocher de cette idée. 
En partie grâce à la présence ici d'une auxiliaire, évidemment. Mais pas seulement. Cette femme n'est pas là toute la journée. 
A certains moments, mon père est seul. C'est là que la sonnette d'alarme qu'il porte au cou est prévue en relais. C'est à ces moments là que je vérifie mon téléphone compulsivement, ne pouvant pas compter sur mes oreilles défaillantes pour détecter la sonnerie s'il y a un peu de bruit autour.
Finalement, quad je suis au travail aussi, j'alimente un état d'urgence infondé. Et difficile à tenir.

Je ne me demande pas, donc, non, je sais. Je vire mal, à vouloir ne pas manquer à mon rôle d'ange-gardien. 
Je dois me résigner à mes limites. Sinon, je risque de ne pas pouvoir être là justement quand il le faudra, d'avoir voulu l'être trop quand je pouvais laisser aller.

Ah là, là, on se prendrait facilement pour Dieu, en ce bas monde...
Enfin, jusque là, comme disait l'autre, ça va. Et pour après, ma foi, on verra !


Revenons-en à nos pâquerettes, histoire d'alléger la sus-dite tension.
Je vous en parlai lundi, je crois.
Toute charmée encore de la vision magique de la veille. 
(Veille, veiller, éveil, décidément, je ne décroche pas !)

Allez, allez, retournons à nos fleurettes :





Toujours aussi parlante, cette image ?
Et bien, imaginez, justement.
par des journées comme celle d'hier, c'est tout ce qu'il reste à faire.

Bien, je ne les ai pas rêvées, ces pâquerettes, elles étaient bien là !

Là, elles sont redescendues sous terre, fouettées par les averses lourdes et violentes.



Mais, sous les pavés la plage, et sous les nuées, la douceur.
Vous le sentez bien, ce fond de l'air radouci, non ?
Vous faites bien la différence, avec ce froid piquant d'avant, vos petites joues pincées par la morsure de la bise cinglante ?

Bah, bah, bah ! Les giboulées de mars s'avancent à février. Le printemps sera là, au détour d'une perturbation qui jette les dernières forces de la mauvaise saison sur le tapis.

Patientez, patientez encore un peu, et vous verrez, tout finit par arriver.

En attendant, gardez votre tas de bois à portée. On ne sait jamais.








Les dernières ruées sont les plus virulentes, c'est bien connu !













Je vous laisse là. Je ne vais pas me rendormir maintenant. Peut-être me faire un petit mot fléché, tiens, avec un bon thé.

Pour rester dans l'ambiance des souffles que j'entends, dehors. Un peu atténués, par rapport à ceux d'hier, quand- même.

Quand on veut à tout prix y croire...




lundi 23 février 2015

L'EVEIL





Bonjour à tous !

En ce lundi pluvieux, j'attaque la saison III des Nouvelles d'Agorreta...
Nous avons eu l'automne, le temps nostalgique des retours sur le passé, l'hiver et ses longs moments de méditation somnolente.

Et nous voici aux portes du printemps.

Je ne me suis pas concertée avec Vivaldi, en son temps. Je ne suis pas sûre de son ordre à lui. Mais bon, à chacun ses fantaisies. J'aime bien démarrer là où d'autres finissent. Pourquoi pas ?
Laissez moi mes petits caprices.  Et merci encore pour votre compréhension...


A Agorreta comme dans toutes les fermes, nous devons respecter les rythmes naturels.
Nous avions, souvenez-vous, profité de l'éclaircie de vendredi pour épandre la chaux :





La verte prairie ainsi "amendée" luttera contre l'acidification des sols. Elle repartira en pousse quand les jours se feront plus chauds, et donnera du fourrage de bonne qualité à pâturer.
Si l'on ne fait rien, les champs se peuplent des seules espèces supportant les terrains de plus en plus acides. 
Rien de bon ! De l'oseille, du pissenlit, de la menthe et du jonc. 
Puis, si on laisse carrément aller, de l'ortie, de la ronce, du genêt sauvage, de la sale broussaille, quoi !
Vous comprenez l'intérêt de conserver nos paysans, nom de nom...


Remarquez, c'est joli aussi, un genêt tout juste fleuri, sur un beau ciel bleu, comme ici.

Mais alors, pour y faire pâturer mes vaches, ah non, merci !

Elles sont mieux habituées, les bougresses.

A la limite, ces saletés, bien séchées et finement broyées, pour le transit, pourquoi pas ?
Ca se faisait dans le temps, pour économiser les fourrages plus nobles, surtout.


Cet hiver d'ailleurs, mes vaches ont adoré, les balles de menthe et joncs coupés et séchés d'un champ misérable à nettoyer. 
Je pensais les utiliser en litière, et, quand j'ai vu comment mes demoiselles et bientôt madames tiraient la langue pour essayer de la manger, je le leur ai distribué dans les râteliers.

Ca embaumait la menthe dans l'étable, elles en avaient l'haleine toute rafraîchie !
Un véritable succès...



Regardez-me les, mes beautés !
Par matinées ensoleillées, elles se haussent du col pour regarder dehors, sentant le temps proche d'y aller.
Mais, aujourd'hui, elles n'ont pas d'autre envie que de vider sagement leurs mangeoires.

Vous voyez ma petite Bullou ?
Elle surveille les petits moineaux, pour essayer de les attraper.
C'est son obsession, la lumière de ses jours.
Elle y dépense une énergie folle.
Sa tactique est très rodée.
Elle aboie et s'agite, le moineau apeuré volette d'un point de chute à un autre.
Pour finir, épuisé, par tomber au sol, où elle peut alors l'attraper. Et le croquer, la cruelle...
Là, les oiseaux se perchent sur le râtelier à foin. 
Bullou n'ose pas s'engager au milieu des vaches. Elle trépigne et rage.
Ma seule crainte est, qu'un jour, elle se lance, et récolte un coup de sabot qui l'enverrait s'aplatir sur le mur de dure pierre. 
Je ne voudrais pas ça, mais ma Bullou est si intrépide...

Hier matin, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais, c'était bien joli à voir :



Ah, zut ! sur la photo, ça n'est pas saisissant.

Mais, regardez mieux, peut-être, avec de bons yeux, et un peu d'imagination, vous allez les distinguer, parsemées sur la prairie. Non ?

Ces petites étoiles blanches éparpillées comme de minuscules constellations sur la voûte étoilée...


Allez, voyons, si, ici, c'est mieux :










Non, pas tellement, je le vois bien.

Alors, vous l'avez deviné, je le sais, et même, vous l'avez sûrement vous aussi remarqué, hier.

C'était la première éclosion de pâquerettes de l'année.
En voilà une, aussi la pâquerette, signe de misère dans une prairie.

Mais là, pour le coup, c'est réellement joli à voir, ce tapis gai et enjoué posé sur le vert uniforme un peu triste de fin d'hiver.

La cousine primevère a déjà investi le talus proche. Elle s'est lancée plus tôt. Et ses fleurs délicates en on payé le prix :



Mais elles ont encore de la ressource. Et le talus refleurira.

A la jardinerie hier, j'ai vu aussi les amandiers en fleurs, les pêchers et les pruniers aux bourgeons gonflés sur une vitalité impatiente. Mon figuier du poulailler verdit en bout de ramilles. Il va développer ses larges feuilles dans les jours prochains, déjà.

L'éveil, partout, la sève qui se remet à circuler, la vie qui repart. Le printemps, quoi.
Pour bientôt :



A Agorreta, le maître s'impatiente lui aussi.

A près de 90 ans, il reste sensible aux saisons, à ce renouveau du printemps proche.

Les vieux n'aiment généralement pas l'hiver. Cette obscurité leur parle trop de la dernière.

Le printemps, c'est la vie qui redémarre, la promesse d'une saison qui en amène d'autres.
La promesse d'un temps encore à vivre, de la lumière et de la chaleur à sentir.

Aujourd'hui, mon père a voulu que je lui coupe les cheveux.

- Ez zare oztuko ?
 Tu n'auras pas froid ?

- Bai to ! sasoin onari emanak gaituk emendik aintzinerat !
Penses-tu ! Nous allons vers la belle saison maintenant !






Là, cet enchevêtrement noirâtre, c'est mon figuier du poulailler.

Et les petites pointes claires au premier plan, les bourgeons des feuilles à venir.

Quoi, elle est bien laide cette photo ! Et alors ? 
Passez au delà de l'image brute. Voyez la promesse derrière, et projetez-vous dedans...










Voyez, ne vous laissez pas impressionner par deux tempêtes ou trois gelées. 
Faites comme ici, puisque la nature vous le dit, croyez-y !



vendredi 20 février 2015

LE PRINTEMPS D' AGORRETA




Amis lecteurs de mes chroniques d'Agorreta, bonjour !

Nous voici rendus à cette mi-saison, sortie d'hiver et pas tout à fait début de printemps.

Le soleil levant a contourné ma Rhune :




Le bel astre resplendit maintenant loin à gauche.

Au fil de la saison, il ira bien plus loin encore.






Quand, en cœur d'hiver, il se collait  à la droite de la Rhune-mère protectrice.



























Le temps suit son cours, à Agorreta comme partout ailleurs.
Les matins ensoleillés, le relent du printemps émoustille les merles et les grives, enivrés de lumière.

Mais, la grisaille ne cède pas si facilement le terrain. Les nuées sont vite là, pour tempérer les élans trop enthousiastes des impertinents.









La brume diffuse pâlit le soleil.

La baie d'huile se fait immobile, attentiste.

Enfin, ici, c'est plus une photo bêtement ratée, qu'une subtile prise de vue d'une atmosphère floutée...












Le grand eucalyptus en bordure de mon champ labouré se dresse en majesté.

Je prends sa silhouette illuminée comme un appel, un signal.

L'heure a sonné de démarrer la saison printanière.










Le maître d'Agorreta rentre de sa promenade, tête baissée pour ne pas offenser la majesté de l'astre solaire.
Cette pleine lumière le ragaillardit au point de me le mettre en transe de début de printemps !

- Qu'est-ce que tu attends ? me dit-il, il faut épandre les amendements !

Seigneur, j'ai cinquante ans, et je dois encore obéir aux commandements de mon "Aïtato", comme au bon vieux temps de mes toutes jeunes années...


Le temps du repos d'hiver est  terminé. 
Finies les séances d'écriture au coin du poêle ronronnant. 


J'aime la plénitude de la maturité automnale. J'apprécie le long hiver propice aux introspections et à la méditation paisible.

Maintenant, ce temps là a passé ! Il faut se remettre en mouvement, reprendre le cours d'un temps jamais figé.

Je sors de l'hiver un peu engourdie. 
Je me demande toujours si je vais retrouver cette énergie d'habiter les longues journées de pleine lumière.
Je reconnais cette hésitation à repartir, quand on était si bien, dans ce temps long et lent d'hiver.

Mais, j'aime aussi cette renaissance, ce recommencement, le renouveau d'une saison à son début.
Les cycles de la nature, je les connais. Je les vis au plus près. Ils m'investissent totalement et je me laisse volontiers imprégner de cette source de vie saine et simple.

C'est la sensation d'éternité, la pérennité de la nature, l'idée d'un temps plus long que le nôtre.
Un message de sérénité. 
Nous sommes vivants, un jour nous ne le serons plus, et pourtant, la vie continuera, hors de nous, et sans nous. 
Avec une petite trace laissée tout de même, par chacun, à sa façon et à sa mesure.

La mienne tiendra en grande partie dans ces mots déposés ici et là.
Dans mes écrits désordonnés. 

Je vais relire ces textes livrés en toute spontanéité.
Je vais corriger les erreurs de frappe, rectifier l'orthographe et supprimer les redites.
Mais je ne retouche jamais l'ordre de mes récits.
Ces phrases ont un cours, elles suivent une logique. Peut-être pas la votre, ni même la mienne.

Ces cahots, ces incohérences, ne me dérangent pas. Ces textes m'ont traversée comme l'eau traverse les terres. J'ai restitué, comme je l'ai pu, ce flot qui parfois me dépasse.

Je termine ici la saison II (quelle fatuité !) de mes Nouvelles d'Agorreta.
Grâce à vous, grâce à cette ombre amicale  perçue à travers ce "bloc", j'ai passé un bien bel hiver.

Je vous en remercie, comme je remercie humblement le sort de m'avoir faite telle que je suis.
En toute modestie...

Nous nous retrouverons épisodiquement à partir de maintenant. 
Et de façon mieux suivie à la prochaine mauvaise saison.





Quand le bel automne aura roussi à l'or riche les feuillages du petit bois derrière chez moi.



D'ici là, le travail n'attend pas !

Et, à Agorreta, puisque le maître en a décidé ainsi :







TOP DÉPART, C'EST PARTI !


Nous inaugurons dès cette après-midi la belle saison en épandant l'amendement calcique, promesse de fertilité sur les terres à cultiver et les champs à faire pâturer.






Vive la belle mécanique et l'homme qui la maîtrise !
Le travail se fait vite et sans peine. Imaginez, si je devais épandre ces tonnes de chaux à la main comme au bon vieux temps !

Voyez, ce temps qui passe, j'en suis convaincue, c'est une bénédiction, aussi.

A plus tard mes amis, et d'ici là, soyez forts comme ces vieux arbres fiers et... tordus ! 
D'avoir autant vécu !




mercredi 18 février 2015

CARNET INTIME...




Aux premiers beaux jours de la semaine dernière, j'en étais à frétiller d'impatience. 
Je me voyais attaquer les travaux de printemps, semailles et autres plantations.

Evidemment, les pluies de la fin de cette même semaine m'ont remise à ma place. 
Puisque je ne peux pas jardiner, je vais continuer d'écrire !

Voyez vous même :






La Rhune se laisse oublier dans son cocon de nuages. La grisaille maintient l'humidité partout. Pas de pleurs, mais loin des rires.








La baie d'huile.

Une situation installée.
L'attente d'autre chose, le rappel de la nécessité de laisser faire le temps, de ne pas vouloir prendre de l'avance sur la saison.














Mes deux grandes, mes deux beautés (!) semblant dire elles aussi : attends, attends ton heure, la nôtre, le moment juste où la chose décantée devient mûre.

Regardez ces deux gros ventres tendus sur l'espérance de deux (ou trois?) petits veaux à naître.
Tout cela mâture, lentement.
Vous vous souvenez, c'est pour le début d'Avril.


Alors, puisqu'il faut attendre, attendons !

Et, en attendant, bien loin de nous morfondre, amusons-nous !



Vous connaissez maintenant mon goût pour les histoires, réelles ou inventées, mon regard sur mon entourage, le plaisir d'observer et de chercher partout matière à s'étonner ou apprendre.

Ce "bloc" me procure la libération et le bienfait d'un carnet intime.
J'y délivre mes tourments et mes joies. Je m'en libère et m'en allège.

J'ai évidemment, vous vous en doutez, longtemps tenu un carnet de ce type.
Depuis la fin de mon enfance, et jusqu'au début de ce "bloc".

C'est ici maintenant que j'écris les mots que je traçais sur ces carnets.
Mon "intimité", je n'ai pas le souci de la préserver de vos regards. 
Au contraire, l'explorer, la pétrir comme une bonne pâte, la regarder et la laisser voir, me la rend familière, amicale.
Et puis, mon intimité ressemble sûrement à la vôtre, tant les passions, pulsions et émotions sont universelles à l'humanité.

Je n'ai pas l'habitude de me regarder sur les photos. 
Quand, par hasard, je tombe sur mon image ainsi fixée sur le papier, je me reconnais mal, je ne m'aime pas trop.
Je me vois dans le miroir, différemment, et là, à l'usage, j'ai appris à mieux m'apprécier.

C'est toute la philosophie de ce "bloc public-intime".
Je m'apprivoise, je me donne à voir, pour me rendre à moi-même, aimable. Et me faire aimer les autres, comme je m'aime moi-même. Alléluia, encore une fois !

Et j'y arrive. 

Je reconnais et admets mes erreurs, mes fautes, et je me les pardonne !
Comme j'essaie de pardonner aux autres les leurs. Sans toujours y arriver... nul n'est parfait !

C'est une saine entreprise de se déverser ainsi. Ce n'est pas un désir de s'exhiber, je ne le crois pas, ni de l'orgueil à se faire voir, ça, j'espère ne pas en être là. Encore que... un petit peu, peut-être ? 
Bah, ce serait bien humain, n'est-ce pas ? Vous le voyez, je me pardonne, là encore !

Le fait de confier ces mots ici, de les proposer à qui veut les lire, est aussi une manière de les préserver. Les préserver d'une convoitise insidieuse, et du risque de les perdre.

Je dis ça, en relation avec un fait divers d'il y a plusieurs années déjà.

Un homme, à l'époque, ne supportait pas mon silence après notre séparation.

A tel point qu'il vint un jour à la ferme, où je n'étais pas à ce moment là, comme le plus minable des petits voleurs.

Pour y chercher quoi, alors ?

Et bien, j'eus du mal à le croire moi-même, mais pourtant c'est ainsi : il vint à la sauvette chez moi, lui, pourtant homme attaché à sa dignité et dans l'ensemble honnête, pour prendre la pile de mes carnets intimes.
Il avait partagé ma vie quelques années, il savait parfaitement où les trouver. 
Même, il ne se privait pas d'aller les consulter, furtivement.

Vous connaissez mon rythme d'écriture. Vous vous doutez bien de la masse de papier noircie sur plusieurs années !

Et bien, cette pile de carnets, sans intérêt particulier pour un autre que moi, je ne l'avais plus...
Cette perte m'affecta beaucoup. 

C'est aussi une des explications de nos conversations.
Je confie au monde entier le soin de sauvegarder mes élucubrations, mes fantaisies, mes méditations, légères ou plus profondes.
Offertes à tous, elles ne se perdront pas, cette fois.

Tenez, à l'époque, j'eu évidemment le réflexe d'écrire ma déception, et d'en faire encore une fois une petite création.

Je me suis déjà servie de certains des textes d'alors, dans mes articles d'avant.

Je vous confie les autres, où, tour à tour, je m'essaie à être moi, en d'autre temps, ou d'autres.

Ainsi, ceux-là aussi, vous me les garderez, au chaud...




















MON NOUVEAU JOURNAL








LEGORBURU MARIE-LOUISE












      Un balourd de basse fosse m’a volé mon passé.
      Je vais m’en arranger un autre, à ma meilleure convenance.
      Tant qu’à faire, je vais aussi dans la même lancée m’inventer un avenir.
      Et après ça, je me ferai mourir.
      Puisqu’il faut bien d’une ou autre façon finir.














Je tenais depuis plus de vingt ans le si classique journal intime des jeunes filles romantiques et réservées. D’un mortel ennui à la lecture pour tout autre que moi, cette conséquente masse de papier a trouvé preneur en un indélicat personnage tout aussi minablement ordinaire. Paix à son âme.
      Libérée de cette lourde gangue collée à mes basques, je vais voguer légèrement dans mes jeunes et moins jeunes années.
      Puisque belle licence m’est ainsi accordée, je vais largement en profiter, quitte à m’oublier dans un personnage totalement étranger.
      Je vais avoir été, être et serai, à ma fantaisie. Plusieurs vies, et toutes choisies.
      Cette variété me consolera de n’être qu’ici et moi. De laisser tant de choses pour n’en vivre qu’une seule.
Telle qu’elle, ma vie me va pourtant plutôt bien. Je ne me plains de rien.
Et d’être si peu me suffira le moment venu, je l’espère, à laisser ce peu pour rien sans m’y accrocher lamentablement.
Je l’espère, mais je sais déjà que face au néant de la mort, la moindre parcelle de vie, même la plus misérable, est terre promise à ne pas lâcher, quitte à se lacérer la peau pour s’y accrocher.
J’essaie de vivre digne, mais je n’y ai pour le moment aucun mérite. Rien n’est venu bousculer le cours tranquille d’une vie sans histoire. Pour la suite, je vais tâcher de faire au mieux. Pour la fin, je ferai ni plus ni moins bien que les autres, sans doute.
Sur ce papier, toujours, je me mettrai à l’épreuve, un peu.
Et si confortablement de ne faire qu’imaginer, sans jamais me mettre en danger.
Evidemment une expérience aussi aseptisée ne musclera nullement ma nature face à la réalité à éprouver. Ce ne sera qu’un exercice gratuit et fortuit. Mais il aura au moins le mérite à ne surtout  pas négliger de m’amuser. Un divertissement comme un autre.
Le plaisir simple de laisser aller mon esprit comme il l’entend, sans rime ni raison la plupart du temps. Et aussi la volupté toute sensuelle d’effleurer les touches doucement incurvées d’un clavier docile et bien apprivoisé. Une sensation différente de la pointe lisse dessinant les lettres sur une feuille immaculée. Je découvre ce goût pour moi exotique de la ligne qui court sur l’écran brillant. C’est joli, aussi, et de meilleure présentation.
Et puis, cette facilité de reprendre proprement, sans ratures ni bavures, ça donne la liberté supplémentaire de se tromper sans dommages, et pour le coup de laisser aller sans scrupules, puisque tout se rattrape sans laisser de traces. Vraiment, c’en est un pur plaisir…
Bien, pour aujourd’hui, je ne serai rien de plus que cette novice qui s’émerveille de la facilité technique de l’écriture informatique.
Il est tard déjà, et je n’ai pas l’habitude d’une lumière aussi vive. Je vais commencer par régler cette intensité, pour ne pas blesser mon vieil organe bientôt si sollicité. Voilà, encore un simple bouton à effleurer, et gentiment, la lumière s’adoucit. C’est mieux, déjà, bien mieux, comme ça.












Allez, aujourd’hui, je suis une femme de quarante-sept ans.
Mariée depuis plus de vingt, mère de trois garçons à peu près établis, même si pour le moment, ils ne volent encore pas trop loin du nid. Où ils reviennent principalement quand ils ont besoin d’argent, ou de faire repasser leurs chemises pour sortir impeccables.
Les chemises, j’adore. Retrouver l’empreinte de leur corps d’homme maintenant, avec le même plaisir que lorsque je pliais leurs petites grenouillères attendrissantes. Pour l’argent, je suis toujours un peu à court moi-même. Alors, on partage nos découverts bancaires…
Toujours étonnée de voir mes gaillards déjà grandis. Fière aussi de ne les avoir pas trop mal réussis. Une fille aurait peut-être été plus tendre, ils me bousculent plus facilement qu’ils ne m’enlacent, mais bon, ce sont de bons garçons.
Là, c’est le soir, le moment d’aller se coucher. Je suis fatiguée de ma journée. Je suis assistante de vie, comme il est dit. C'est-à-dire en gros, je fais le ménage et la cuisine chez une vieille dame affaiblie. Ca se passe plutôt bien. J’en ai connu de bien pires. Celle-ci m’apprécie, je crois, et de mon côté, je ne m’ennuie jamais à l’écouter.
Elle habite la ville voisine, je l’aide à se coucher. Je ne suis jamais rentrée avant les neuf heures du soir. Mon mari a mangé ce que je lui laisse préparé quand je reviens pour la coupure en début d’après-midi. Il rentre bien plus tôt. Quand il n’est pas au lit à regarder la télé ou carrément déjà endormi, nous bavardons un peu, lui dans le couloir et moi dans la salle de bain, le temps que je me douche et me prépare au coucher.
J’aime bien ce moment. Nous discutons calmement, en élevant un peu le ton pour couvrir le bruit de l’eau. Il a un débit de parole très lent, très reposant, je trouve. Il sait me faire rire et je suis toujours très contente de voir le halo de la lumière allumée en bas dans le jardin quand j’arrive dans notre rue.
Ce soir, il est monté. Je vais me dépêcher de le rejoindre. J’ai presque envie de passer ma chemise de nuit sans me laver, tant je me sens fatiguée. Chaque geste me coûte. Nettoyer la vaisselle, balayer la cuisine, regarder dans le frigo pour voir ce qu’il faudra ramener à manger pour demain.
Un temps, nous avions un chien. Je l’aimais bien. Il m’attendait toujours derrière la porte et me faisait une fête terrible à chaque fois. Mais je devais le sortir le soir, lui faire faire le tour du pâté de maisons. Sans compter les poils qu’il me laissait partout. Finalement, nous l’avons donné à mon beau-frère retraité. Il me reconnaît bien sûr, quand nous allons là-bas, et je me sens un peu coupable de m’en être débarrassé comme ça. Mais quand comme aujourd’hui je rentre vannée, je ne le regrette pas.
Décidemment, ce soir, j’aurai bien voulu que mon mari soit là à m’attendre. Je me serais serrée contre lui, comme je le fais parfois, une minute ou deux. Après, il m’éloigne d’une gentille bourrade en me disant : « Dis-moi, aurais-tu quelque chose à te faire pardonner, toi ? » ou une sortie dans la même veine. Comme si un peu de tendresse était suspecte, dans un couple.
De ce côté-là, mon mari n’est pas très câlin, c’est le moins que l’on puisse dire ! C’est un très brave homme, doux et gentil, mais à part nos séances conjugales, il ne lui vient jamais à l’idée de me prendre dans ses bras, ou de m’embrasser dans le cou en me pressant contre lui.
Je chaparde quelques gestes par surprise, mais je sens bien que ça le gêne presque. Je m’y suis faite, depuis le temps. Au début, je pensais qu’il ne m’aimait pas assez, puis, avec les années, je me suis rassurée, et plutôt bien accommodée de cette  nature d’homme. Je n’ai à me plaindre de rien, c’est déjà bien quand j’entends ce qui se passe chez certains.
Il y a deux ou trois ans, nous avons eu un moment de flottement,  pourtant. J’ai pensé qu’il s’était trouvé une autre femme, sûrement plus jeune et plus jolie que moi.
Il arrivait qu’il ne soit carrément pas là à mon retour, et les fins de semaine, il se trouvait souvent des choses à faire en dehors, et toujours sans moi.
Je me souviens comment ça m’avait secouée. Je le suspectais de me tromper, j’essayais de le surveiller, mais sans trop chercher à savoir. Je me disais que tant que ça en restait à des suppositions, je pouvais toujours faire semblant de rien, et tâcher de recoller les morceaux quand il en aurait fini avec cette sale passe.
J’avais surtout peur qu’il me laisse, peur de devoir changer de vie, de me retrouver seule et trop vieille pour redémarrer. Je n’ai jamais osé le questionner.
Mettre des mots, c’était s’obliger à admettre, et devoir en tirer des conséquences. J’ai fait le dos rond. Ca m’a coûté. Je doutais de tout et surtout de moi. Je me trouvais vieille, laide, sans intérêt. Je ne lui en voulais même pas de me préférer quelqu’un d’autre.
Et puis, pendant cette période, il était presque plus gentil qu’avant ou maintenant. Il s’inquiétait plus souvent de savoir comment j’allais, et même parfois, il me passait la main sur la joue, quand il rentrait tard et me trouvait  la mine triste à l’attendre.
J’ai finalement eu raison puisqu’il m’est resté. Pourquoi ne pas fermer les yeux quand ça arrange tout le monde ?
Les deux plus jeunes garçons étaient encore à la maison, alors. Ils étaient trop occupés à se faire leur vie pour s’étonner de ces changements. Eux, tant qu’ils trouvaient de quoi manger dans le frigo et leur linge prêt, tout aurait pu voler en éclats autour.
Je suis contente d’avoir tenu bon, d’être restée tranquille et d’avoir continué à être une bonne épouse et une bonne mère. J’en suis récompensée maintenant.
Si ça devait recommencer, je referais exactement pareil. On connaît bien les hommes et leurs pulsions. Ca n’empêche pas de construire une jolie vie de famille. Je suis certaine que mon mari ne me quittera pas maintenant. Je m’occupe bien de lui, de notre maison et de notre famille. Rien ne fera le poids face à toutes nos années.
Je veux le croire. Même s’il partait quelques temps, il reviendrait. Personne ne l’aimera jamais comme moi je l’aime. Il doit bien le sentir. Et moi, je ne voudrai jamais personne d’autre que lui.
Je n’ai même jamais pensé à un autre homme, même si quelques uns se sont intéressés à moi. J’en ai été flattée, c’est vrai, mais ça s’est arrêté là. Et puis, c’était il y a longtemps. Maintenant, les hommes ne me regardent plus trop. Mais je n’ai pas besoin de ça. J’ai un mari, ça me suffit, et largement.
Par moments, je me prends même à rêver à une vie sans homme. Ne plus s’occuper que de soi, avoir une maison toujours impeccable sans personne pour laisser traîner ses affaires sales dans les coins ou déranger les placards en y cherchant tel polo ou telle chemise.
Si par malheur je devais me retrouver veuve, je suis sûre de ne pas me remarier. J’aime mon mari, je fais mon devoir d’épouse sans renâcler, mais bon, il y a des choses dont je me passerais bien.
Evidemment, il y en a tout un tas d’autres que j’apprécie, au point de faire l’impasse sur la peine des premières. Un homme, un mari, un bon mari, c’est un grand réconfort pour une femme. Une vraie sécurité dans la vie.
De toute façon, et Dieu merci, je n’ai pas à choisir maintenant. Juste à tenir sur la durée. Et ça, je crois que j’ai appris à le faire, depuis le temps…
Bon, je vais quand même passer sous la douche. J’ai trop besoin de me sentir protégée ce soir. Je vais me couler contre son grand corps tout chaud, et quand il me sentira toute propre et fraîche, il me prendra contre lui.
Bien sûr, en contrepartie, je sais bien qu’il voudra aller plus loin, même si moi j’ai plutôt envie que l’on s’endorme juste comme ça, ma tête dans son épaule et nos jambes emmêlées.
J’aime son odeur d’homme endormi. Je fourre mon front dans son cou, et comme ça, je suis tout à fait bien. Après, ça dépend. Soit il est lui aussi un peu fatigué et ça va vite. Soit il se réveille tout à fait et alors là, c’est plus long. Il me fait comprendre son envie de certaines caresses. Comme je l’ai réveillé, je me sens obligée de le contenter, même si je n’apprécie pas beaucoup ça. Surtout qu’après, il me tourne le dos très vite, et s’endort en ronflant bruyamment.
Ca me gâche un peu le moment, mais bon, il y a eu des fois où j’y ai bien trouvé mon compte, aussi. Alors, je ne fais pas d’histoires. Je prends ce qu’il me donne, je donne ce qu’il demande. La routine est tout à fait bien installée maintenant, je trouve ça commode.
Je vais monter. J’éteins les lumières, tout  est en ordre, c’est bien. Je suis une femme très soigneuse. Ca se trouve dans mon métier et tous mes employeurs m’en ont félicitée.
Même monter les marches me semble difficile, ce soir. Je crois que je ferais mieux de le laisser dormir et de dormir moi-même très vite. Mais je sens bien qu’il me faut ses bras, quitte à perdre une heure de repos.
Après, je me sentirai mieux, je le sais. Et peut-être même, s’il sait se montrer tendre, je serai tout près d’être heureuse. Même si je ne saurais pas dire au juste ce que ça veut dire…
Contente, suffira sans doute, à défaut.




                            








Cette femme là n’est pas bien loin de moi.
Contente de son sort, à force de s’en persuader.
Décidée à avancer vaillamment.
Même si le gouffre pressenti d’une solitude infinie
lui a depuis longtemps fait plier les ailes.
















A présent, la jeune adolescente pleine de rêves mais déjà cynique.
J’ai eu quatorze ans hier. J’ai toujours pensé que c’était l’âge où je basculerai dans la vie d’adulte. Je veux dire dans la vie amoureuse d’une adulte.
Evidemment, ça ne va pas me tomber dessus d’un coup aujourd’hui, ça, je m’en doute. Mais je vois bien poindre à l’horizon quelques présages suffisamment clairs…
Depuis le temps que je me prépare !  J’ai toujours été en avance sur mon âge. Quand je discute avec les autres, c’est clair. Nous sommes le plus souvent entre filles. Dès qu’il y a des garçons de toute façon, il n’y a plus moyen de discuter, alors… Chacune minaude plus ou moins, à croire que la seule chose importante dans la vie soit de s’en dégotter un, histoire de se dire que l’on n’est pas célibataire.
Je trouve ça ridicule, mais bon, je ne vais pas refaire le monde à moi toute seule. Comme je le disais, je ne partage pas les centres d’intérêt des filles de mon âge.
Je pense à l’amour moi aussi, bien sûr, mais sûrement pas avec un de ces gamins de treize à seize ans qui rejoignent parfois notre groupe. Je ne me vois vraiment pas en embrasser un, me laisser prendre dans ces bras d’enfants encore mal grandis, et sûrement pas, mais alors là, sûrement pas, tenter le saut avec l’un deux ! Quelle blague ce serait ! Rien que d’y penser, j’éclate de rire…
Non, moi, je veux un homme, un vrai. Et en dessous des vingt-cinq ans, je ne vois que des gamins. Une de mes amies est paraît-il sorti avec un vieux de quarante, comme disent les autres.
Moi, ça ne me choque pas du tout. Je l’envierais, au contraire, si je ne savais pas qu’elle raconte des salades. Elle a du se faire tripoter dans un coin par une nuit sans lune et elle se croit arrivée ! Je les connais, ces midinettes. Provocantes comme c’est pas possible, mais dès que ça prend tournure, plus personne ! Elles se dégonflent et vont pleurer dans les bras des copines parce qu’on a touché à leurs petites dentelles !
Ah ça, elles ne manquent pas d’allure et elles ont le sens de la pose, les petites garces ! Jeans taille super basse, petit hauts  minuscules, la peau veloutée-dorée à souhait, c’est vrai qu’elles sont tentantes. Regards en coin, sourires entendus, de parfaites répliques de la vraie femme fatale !
Elles défilent sur les trottoirs avec l’air de ne voir personne, mais en fait, elles sont à l’affût du moindre regard mâle, reins cambrés et petits seins en avant.
Et elles n’en manquent aucun, tout de suite redressées par le moindre œil sur leur petite personne posé. Avec leurs rires roucoulés,  c’est la totale ! Je supporte à peine ces simagrées quand il nous arrive de nous balader en ville ensemble.
Pour être juste, je dois dire que si j’avais les mêmes atouts que certaines, j’aurais peut-être moi aussi tendance à les mettre en avant. Je ne suis pas jalouse, mais bon, il faut bien regarder les choses en face, pour la plupart d’entre elles, elles n’ont rien dans le cigare, mais elles sont plus jolies que moi.
Je le sais, je n’en fais pas un plat.
      On ne peut pas dire non plus que je sois laide.
Il y a des jours de cafard où je ne me trouve que des défauts, trop grosse, trop petite, pataude, vilaine peau, vilains cheveux, et j’en passe et des meilleures…
D’autre fois, je suis plus indulgente et je me surprends même à me trouver de l’allure. De toute façon, ce n’est pas sur mon physique que je veux miser. Je suis bien obligée de le considérer, et avec les conversations que j’entends, je ne peux pas trop faire autrement, mais bon, j’essaie quand même de ne pas tourner en bourrique pour trois kilos de trop et un bouton sur le menton.
D’ailleurs, je n’essaie jamais de me mettre à mon avantage. Je me cache dans des tenues difformes, longs Tee-shirts sur jeans aux genoux. Là-dessous, bien malin celui qui pourrait dire comment je suis foutue. Je fais toujours bien attention que le Tee-shirt descende suffisamment bas, parce-que je n’aime pas du tout mes fesses, et même sous des pantalons amples, je trouve qu’elles se voient encore trop.
Même quand nous avons cours de sport, je mets des survêtements deux ou trois tailles au dessus de la mienne, tout le long de l’année. Le prof m’en a fait la remarque une ou deux fois, sans insister heureusement.
En voilà un par exemple que je trouve à mon goût. Il figure en bonne place dans la liste des acteurs de mes fantasmes favoris. J’en ai toute une réserve comme ça, que je mobilise à l’occasion. Je mets en scène des histoires où je suis le personnage principal, bien sûr. Et j’y invite un des possibles partenaires pour aboutir à peu près toujours à la même fin, c'est-à-dire moi dans ses bras, ou lui dans les miens.
Mais le plaisir, c’est d’imaginer tout ce qui se passe avant, de vivre des moments intenses, et de les vivre passionnément. Dès que j’ai un bon moment devant moi, je me laisse aller à ces rêveries romanesques. Je suis toujours très brave, très courageuse,  dans mes histoires. Je peux à l’occasion être victime ou sauveur. Ce que j’adore, ce sont les scènes tumultueuses où lui, mon élu du jour, et moi, nous affrontons ensemble le danger, nous surmontons nos peurs.
C’est souvent assez physique, histoire de faciliter les contacts charnels, et j’en ressens des émois si vifs que je reviens à moi toute alanguie. Et intensément satisfaite de la tournure de l’évènement imaginé.
Evidemment, tout aussi intensément frustrée de retomber dans une réalité aussi grise et vide en comparaison.
      Dans ma tête, d’avoir vécu tant de choses, je me sens très aguerrie. J’ai une idée très précise de la façon dont j’aimerais que se passe ma première fois.
Des émotions fortes, un peu de violence ne m’effraient pas. Mais beaucoup de tendresse, de la douceur, de la patience. Je sais presque déjà la chaleur d’une paume masculine au creux de mon dos, la pression d’une main autour de ma nuque.
Dans mes histoires, les gestes s’enchaînent naturellement, les bouches s’effleurent et les regards sombrent l’un dans l’autre. Il y a des feux de bois, de grands lits profonds et des verres en cristal.
Ou alors la sauvagerie d’une mare boueuse où nous avons lutté contre des crocodiles féroces, les morsures de ronciers dans des sous-bois perdus où nous avons du nous cacher de tueurs à nos trousses lancés.
Après des épreuves terribles, il y a toujours la grâce et la paix d’un moment d’amour partagé. Je suis tellement bien quand j’imagine. Et bien souvent, quand le quotidien me paraît décevant, je me promets de me rattraper bien vite dans une histoire encore plus rocambolesque et haletante.
Ca me console très bien, et d’avoir cette réserve me procure la sagesse de la résignation.
Je vis pauvre, mais je rêve riche…
      Pour en revenir à mon prof de gym, je l’utilise à son insu. Dans nos relations réelles, ça ne gêne en rien. Je sais ne pas confondre ! Il ne s’imagine sûrement pas quand il met sa main dans mon dos pour stabiliser mon équilibre en position du poirier, que la veille au soir il me caressait langoureusement alors que j’étais entravée dans une liane en pleine forêt amazonienne ! Je ne me mets pas à rougir ou à trembler. J’ai un grand self-control de ce côté-là, heureusement ! C’est mon petit domaine réservé, je n’en parle à personne. Sans ça, les copines glousseraient comme des dindes. La catastrophe !
      J’ai aussi deux amis de mon père, le patron de mon frère, un homme que je croise le matin en allant prendre mon bus, le prof d’histoire-géo, et le père de ma meilleure amie, aussi. Et  tout un tas d’autres encore.
J’ai mes préférences du moment, ceux qui reviennent en force après une période de presque oubli. Leur seul point commun est de faire partie de ma vie, d’avoir entre trente et quarante-cinq ans, et de grandes mains, si possible sèches. Pour certains, je ne peux pas le savoir, mais ça ne m’empêche pas de l’imaginer comme ça. On ne peut pas dire qu’ils soient d’un type physique précis. Ils sont tous mûrs et forts, calmes et décidés. J’en prends ce qui m’arrange, et j’arrange le reste à ma façon. Je me dis que ça va être coton d’en trouver un aussi bien dans la vraie vie. Mais j’ai confiance. Je sens le destin à ma porte. Et moi, toute prête à lui ouvrir…
      Pour en revenir à nos moutons, je sais que je n’aurai plus longtemps à attendre. Quatorze ans, c’est bien pour une première fois. Enfin, je veux dire, pour une fille mûre comme je le suis.
Evidemment, j’en connais qui ont tout juste lâché leurs poupées. Pour elles, un homme, c’est encore un papa qui protège. Alors que moi, j’en suis déjà presque à vouloir prendre la place d’une vraie femme accomplie, une mère et une amante.
L’idée d’avoir un bébé ne me semble pas du tout inconcevable. Je me vois très bien m’occuper d’un nouveau-né, et puis après accompagner un enfant dans la vie. Même l’homme avec qui j’aurai cet enfant, je l’aiderai, je le soutiendrai. Je me sens une telle force que rien ne me semble impossible.
Je ne suis pas pour autant décidée à en arriver là tout de suite. J’ai un parcours à faire d’abord. Je ne veux surtout pas sacrifier mon potentiel professionnel. Je réussis bien dans les études. J’ai l’intention de continuer assez loin pour m’assurer une jolie carrière, histoire de ne dépendre de personne d’abord, et surtout de montrer de quoi je suis capable.
Dans ces conditions, un enfant serait difficile à caser. Je ne serai pas la mère à mi-temps d’un bébé élevé par mes propres parents. Le moment venu, quand j’aurai un bon métier, je choisirai l’homme, le futur père, et alors seulement je me lancerai dans la maternité.
Je suis sûre que c’est plus une question de bonne organisation que d’autre chose. Pas question de me laisser déborder comme j’en entends certaines, des amies de ma mère par exemple. Elles ont attendu d’être trop vieilles pour faire des bébés, et comme elles manquent d’énergie, les voilà complètement dépassées, coincées dans un quotidien de couches et de biberons. Pour ça, merci bien !
Je suis bien certaine que je saurai m’en tirer bien mieux ! D’abord, les enfants, avant trente ans. Après, le corps fatigue et la tête ne suit plus. Et puis alors, quand les jeunes arrivent à la vingtaine, les vieux prennent leur retraite. Quel décalage !
Non, moi, je veux partager activement la vie de mes enfants. Je pense en avoir au moins deux, et peut-être trois. Deux garçons et une fille, ce serait bien. Mais surtout, je les ferai entre vingt-cinq et trente ans, pour me laisser le temps de finir mes études, mais ne pas me laisser avoir par la limite d’âge !
      Je me vois très bien, efficace, active, entourée de ma jolie famille…
      Bon, pour le moment, c’est vrai, je n’en suis pas là. Je dois d’abord connaître quelques expériences amoureuses, histoire de ne pas me faire avoir par le premier venu, quand ce sera le moment d’y aller.
Pour le coup, je commence à regarder autour de moi de façon plus précise. Jusque là, les hommes étaient les supports de mes rêveries, rien de plus. Là, il va falloir que j’en trouve un pour donner corps et vie à tout ça. J’y travaille.












Une fille amusante, limite pathétique.
L’orgueil protège de tout, sauf de la bêtise.
Je me souviens d’avoir été une adolescente un peu plus humble, je crois.
Et du coup, plus tourmentée, sans doute.
Mais c’est un peu loin,
Pour que je m’en souvienne bien…












    



















La femme vieillissante qui tombe amoureuse d’un opportuniste.
Vous avez passé la quarantaine, mais vous vous trouvez encore séduisante, les bons jours. Vous êtes réaliste, vous ne vous accrochez pas à un idéal perdu. Vous avez vieilli, vous le savez, les regards des hommes glissent maintenant sur vous sans s’y arrêter. C’est désagréable, évidemment, et vous sentez toujours un petit pincement de jalousie quand vous surprenez ces mêmes regards happés par une jeunesse insolente, même pas spécialement jolie, mais juste jeune et appétissante, quand vous êtes défraichie.
Pourtant quand vous vous regardez dans votre salle de bain pas trop éclairée, vous vous sentez belle encore. Ce corps vigoureux, cette peau moins grasse mais pas encore sèche, cette allure fière encore et ce port mieux étudié. Diable, si vous étiez un homme et que vous vous croisiez dans la rue, vous vous intéresseriez !
A condition d’éviter la lumière trop directe sur votre visage fatigué, sur ce menton un peu relâché et ces paupières trop souvent fripées, vous passez encore.
Quand ce grand farfelu vous a fait tous ces compliments, vous avez feint de ne pas y croire, bien-sûr, mais vous l’avez écouté, en rougissant un peu, même.
Il y est revenu, sans finesse mais avec entrain. Vous avez pris goût à ses plaisanteries, vous vous êtes sentie réchauffée à ses flatteries, même grossières. On ne vous la fait pourtant plus à vous. La vie, vous connaissez, et les hommes, aussi. Vous n’êtes plus depuis longtemps une midinette crédule. Vous êtes une femme mûre, fière et sûre d’elle.
Mais seule.
Vous revendiquez haut et fort votre célibat. L’indépendance, la liberté sont votre crédo. Vous n’avez pas besoin d’homme dans votre vie. A titre de distraction, épisodiquement, vous vous accordez une petite aventure, histoire de ne pas vous dessécher avant l’heure.
Quelques relations plus amicales qu’amoureuses, qui virent au simulacre d’une tendresse mal imitée lors de certaines soirées un peu arrosées. On se rend service, en quelque sorte. On se couche ensemble, on se touche et on s’étonne un peu de se retrouver là. Comme on ne veut pas avoir l’air bête, on fait semblant de passer un bon moment, quand on s’ennuie déjà de s’être empêtré là.
Mais bon, la nuit se termine tant bien que mal, et chacun rentre chez soi, même pas satisfait.
Dans votre vie débarque le grand farfelu. Au premier regard, vous voyez bien qu’il n’a ni profondeur ni sincérité. Il veut se faire remarquer, il veut plaire. Comme il n’est plus lui non plus tout jeune, comme il est assez près d’être un raté complet, il tente sa chance avec des esseulées sur le retour dans votre genre.
Il a bien défini sa cible. La femme entre quarante et cinquante, seule, suffisamment bien installée dans la vie. Il sait bien le bougre qu’il n’a pas les atouts suffisants pour faire carrément le gigolo. Il n’est pas trop mal, mais pas assez bien pour tenter celles qui peuvent se payer mieux, plus frais, plus spirituel, mieux dans le rôle.
Alors, il ne vise pas trop haut. Il cherche à se caser, il en a marre de ramer seul de son côté. Il a envie d’une vie tranquille, pépère. Mais surtout, confortable, sans demander la lune, il est raisonnable…
Vous êtes le genre de femme qu’il lui faut. Il vous a repérée sans mal, a fait son approche dans les bonnes règles. Vous n’êtes pas née de la dernière pluie, vous avez flairé le matou qui se cherche un coin chaud pour l’hiver.
Mais vous êtes disponible, un peu en manque de tendresse, quand même. Et puis, il est amusant, ce grand farfelu, il sait vous faire rire. Vous passez des moments agréables avec lui. Dans ses bras, vous vous sentez de nouveau très femme, désirable.
Il est devenu un bon partenaire de loisirs. Vous ne vous souvenez plus de vous être aussi bien amusée depuis longtemps. Les soirs où il n’est pas là, il vous manque presque. Autant avant lui, vous adoriez vous faire un plateau télé et vous coucher de bonne heure après un bain bouillant, autant là, vous vous trouvez bête, à tourner en rond, sans lui.
Il est gentil, prévenant. Il voudrait vous faire des cadeaux plus souvent. Mais bon, sa situation financière n’est pas brillante. Son ex-femme l’a plumé au moment de leur divorce, il est dans une passe un peu critique.
Qu’à cela ne tienne, vous comprenez ces choses là, il ne doit pas se gêner avec vous pour des histoires d’argent. Vous, d’argent, vous n’en manquez pas. Vous ne roulez pas sur l’or, mais bon, vous pouvez dépenser sans toujours compter. Alors, qu’il ne s’en fasse pas pour ça.
Il est fine gueule et connaisseur. Il a dans son portefeuille tout un tas de cartes de plusieurs restaurants du coin. Vous allez y dîner, très régulièrement, vous aimez bien ça. C’est vrai qu’on y mange bien, le cadre est agréable, l’ambiance feutrée à souhait. La note vous fait tiquer, les premières fois. Vous payez, vous ne voulez pas le mettre dans l’embarras. Avant lui, pour ce prix là, vous mangiez pendant une semaine…
Chez vous aussi, vous remplissez le réfrigérateur. Vous vous attardez au supermarché pour choisir ce qu’il aime, vous aimez lui faire plaisir.
Très vite, vous vous sentez si bien avec lui que vous vous prenez à rêver d’une vie à deux. Il vient de plus en plus souvent chez vous, il y reste plusieurs jours d’affilée. Lui, il habite un petit studio sombre et humide au fond d’une impasse triste. Le canapé est dur, il y fait toujours un peu froid.
Vous vous connaissez depuis deux mois à peine que vous lui proposez de venir habiter avec vous. Vous avez hésité à lui en parler, vous ne voulez pas sembler trop empressée.
A ce stade, vous ne le voyez vraiment plus comme un farfelu de vieux chat qui se cherche un bon abri. Plus du tout. A ce stade, il est l’homme de votre vie, vous ne pouvez plus vous passer de lui.
De son côté, on ne sait pas trop. Il accepte votre proposition, naturellement. C’est plus commode pour tout le monde, et puis, votre histoire mérite mieux qu’un canapé trop dur.
Bien-sûr, il a raison.
Et vous replongez à peine étonnée, dans un quotidien de lessives, de cuisine, de ménage, avec plaisir presque.
Dieu sait pourtant combien vous avez fustigé ces femmes qui se mettaient à disposition d’un homme. Vous vous rendez bien compte que vous servez celui là comme la plus dévouée des petites ménagères d’après-guerre.
Vous travaillez, vous ramenez un bon salaire au foyer. Vous vous occupez du bien être de votre farfelu qui est devenu l’homme de votre vie. Il se laisse dorloter comme le gros matou que vous aviez pressenti.
Non seulement, il se laisse passivement dorloter, mais en plus, il se montre exigeant. Il lui faut tel vin, telle viande, il préfère telle marque de bain moussant, seuls les vêtements de qualité lui conviennent, et il ne peut pas se contenter plus longtemps de sa vieille caisse pourrie.
Trop contente de le voir content, vous obtempérez, vous écoutez attentivement ses remarques pour ne plus commettre d’erreurs à l’avenir en faisant les courses.
Au comble du bonheur, vous le remerciez d’accepter en cadeau le dernier 4x4 qu’il ne mènera jamais en dehors des rues goudronnées de la ville.
Vous êtes heureuse, vous l’aimez, maintenant. Et rien n’est trop bien pour lui. Vous, vous êtes passée au second plan, consentante et gratifiée.
Vous vous êtes laissé piéger.
Il ne vous aimera jamais autant que la belle vie qu’il se fait sur votre dos.
Mais tant qu’il aura cette belle vie là, il vous le fera croire assez pour que vous n’écoutiez pas vos amies qui essaient de vous ouvrir les yeux.
Elles sont jalouses, préférez-vous penser.
Et peut-être êtes-vous dans le vrai.
Votre vie avec votre grand farfelu pique-assiette vous satisfait.
Vous êtes finalement la petite bobonne que vous méprisiez, et c’est vous qui faites bouillir la marmite en plus.
Etre aimée se paie, aussi, et alors…
Vous avez appris, de la vie. Vous ne croyez plus aux chimères. Vous êtes juste bien, avec votre matou ronronnant.
Vous avez besoin d’amour, il aime le confort. Il vous donne l’amour, vous lui construisez un bien-être.
Partager, c’est ça, aussi, aimer, non ?
Alors, ça fait longtemps que vous ne faites plus de comptes ou de plans de vie. Vous n’êtes plus la femme indépendante, et lucide.
Vous êtes juste une femme amoureuse.













Quand on veut tenir à tout prix une comptabilité
On ne peut que soustraire ou additionner.
Pour aimer, il suffirait pourtant d’oublier d’aligner des peurs
De faire des promesses légères
D’y croire
Et de se laisser porter.
Pourquoi pas…













J’ai connu de près une vieille femme malade. Son quotidien misérable et sa souffrance impossible à soulager.
J’ai pensé qu’il est bien difficile de voir venir sa mort à petits pas, comme ça.
Pourtant, chaque jour elle ouvrait les yeux, contente d’être toujours là. Elle menait une petite guerre contre le terme inéluctable, et chaque matin la trouvait victorieuse, vivante encore, même si mal.
Ce soir, je vais prendre sa place.
J’ai plus de quatre-vingts ans. Et je suis malade depuis longtemps, maintenant. Je ne marche plus, mon bras gauche est très faible. Je vois mal mais j’entends encore bien.
Mes enfants travaillent. Ils ne peuvent pas prendre soin de leur mère. C’est une femme de la ville voisine qui vient tous les jours s’occuper de moi.
Je préfère ça. Je dépends d’elle pour chacun des gestes de la vie. Je ne voudrais pas de ce genre de relation avec l’un de mes fils. Ca me paraîtrait anormal, d’être lavée, nourrie, couchée, par ceux-là même que j’ai lavés, nourris et couchés il y a si longtemps. Ce ne serait sûrement pas un juste retour des choses. Plutôt l’envers honteux d’un ordre naturel.
La maladie ne m’a pas jetée à terre brutalement. Elle m’a usée et sapée petit à petit. D’attaques en attaques, j’ai été diminuée.
C’est étonnant de sentir à quel point on est capable de résister. Je suis dans les faits un corps mort. Je ne peux plus me déplacer, j’ai besoin d’être lavée, essuyée, habillée. Un vieux nourrisson un peu dégoûtant. J’ai honte, quand on change ma couche souillée, je me sens misérable, écœurante.
Dans ma tête pourtant, je suis encore fière. Je ne me vois pas vieillie et malade. J’ai les mêmes idées qu’autrefois, les mêmes envies. Mais ma peau, mes muscles, toute cette chair molle et triste n’est plus qu’un tas inutile et sans attrait.
Je tombe dans un effroi sans fond quand je me réveille inerte. Mon cerveau fonctionne mais il ne commande plus rien. J’essaie de toutes mes forces de bouger une jambe, de ramener mon bras, et rien ne répond. J’en pleure de rage et d’impuissance. Je me sens prisonnière d’une tombe où on m’aurait jetée vivante.
Je hais ce corps mort, cette chair lourde et presque minérale. J’ai en horreur ces entrailles qui continuent de dégorger leurs insanités immondes. Si au moins tout se figeait. Je supporterais d’être immobile, si je restais propre. Mais non, il faut que la viscère travaille, se nourrisse et transforme.
Je passe mes journées à guetter l’avancée de ma digestion. A suivre le grouillement infect d’une vie souterraine dans cette chair morte. Je ne maîtrise plus rien. Je me dégoûte et j’ai honte.
La femme qui s’occupe de moi est gentille. Elle est très professionnelle et s’acquitte de sa tâche avec des gestes vifs et précis. Elle évite de croiser mon regard dans ces moments où je ne sais plus comment rester digne. Elle se dépêche de me rendre à moi-même.
Il y a toujours un petit flottement entre nous, entre ce rituel de toilette dégradant pour moi et la reprise d’une conversation normale. Un instant où la mort prochaine montre son sale visage et où seul le silence et l’efficacité froide lui répondent.
Quand l’horreur de ma dégradation me rend méchante, je m’en prends à elle, bien-sûr, à qui d’autre ? Je me persuade qu’elle dépend de moi autant que je dépends d’elle. Que je suis son gagne-pain, que c’est moi qui la paie et qu’elle m’est redevable.
Certains jours, je la tance pour quelques minutes de retard. Je lui ai demandé d’installer un réveil à grand cadran sur la commode en face de mon lit, et je reste là, les yeux rivés aux points lumineux de l’écran dans l’obscurité.
Je me torture autant que je la tourmente. Je l’imagine, cette grosse fainéante, vautrée dans son lit dont elle ne sort qu’à contrecœur.
Elle est célibataire mais m’a confié quelques aventures sans joie. Qu’importe, pour moi qu’aucune main ne viendra plus caresser amoureusement, c’est insupportable de la savoir allongée contre le corps d’un homme au petit matin quand je croupis dans ma souillure immonde.
Ces matins là, je l’entends arriver, pousser la porte de la maison qui résiste un peu. Et je la hais, de toutes les tristes forces qui me restent, je la hais.
Elle pose ses affaires et vient vers la chambre. Son pas lourd fait craquer les planches mal jointes du couloir étroit.
Je tremble presque, plus tonique que je ne suis capable de l’être par ma seule volonté, réanimée par la haine pure quand tout autre velléité me laisse amorphe.
Mes nuits sont des séquences de demi-veilles consternées et de mauvais sommeil plein de cauchemars.
L’œil rivé sur le cadran lumineux impavide, je souffre seule dans la nuit indifférente. Je regarde les heures passées, les heures de vie sans vie. Je me demande combien il m’en reste encore à regarder passer.
Je me dis souvent qu’il vaudrait mieux que je ne me réveille plus, que j’en finisse une bonne fois pour toutes.
Quand le sommeil me prend en douceur, quand mon vieux corps me laisse l’oublier comme il a oublié de vivre, sans révolte, j’ai l’envie de me laisser porter vers la mort. Elle me paraît presque accueillante.
A chacun de mes réveils pourtant, à chacun de ces sursauts qui ressemblent au bond en arrière du promeneur distrait qui s’est approché trop près du bord de la falaise et qui recule effrayé de frôler le vide de si près, je m’accroche désespérément à la vie.
Je me débats pour quitter cet entre-deux rives dont la berge noire tente de m’aspirer vers ce gouffre qui me terrorise.
Je n’ai plus envie de vivre, mais j’ai peur de mourir, une peur qui me crispe et me panique. J’en hurlerai d’effroi. Je me tais. Je garde ce qui me reste de force pour ne pas me laisser entraîner.
Je me dis que si je ne bouge pas, si je respire si doucement que personne ne m’entende, alors peut-être la mort ne me verra même pas, peut-être qu’elle passera près de moi sans s’arrêter pour une si misérable proie.
Ma vie est cette peur, mes nuits sont cette lutte.
Quelquefois pourtant, toute cette hargne, tout ce mal, desserrent leur étau. Je respire mieux, mes douleurs s’estompent un peu, une coulée de douceur fait son chemin en moi.
Je m’en sens illuminée à l’intérieur. Le bien-être inespéré me fait venir les larmes aux yeux.
Alors je vois le monde autrement. Je regarde cette femme qui m’aide à vivre avec reconnaissance, presque tendresse.
Je me montre gentille, je m’intéresse à elle et à ses histoires.
Ma vie de presque morte me semble moins terrible.
Je suis vieille, je suis malade, je suis vivante, encore.












      Cette femme a été ma mère.
      Je l’ai vue vivante, forte,
      Et puis malade.
      Je l’ai tenue dans mes bras quand l’heure est venue pour elle de passer le pas.
      Je n’ai pas éloigné l’effroi,
      Ni évité la douleur.
      J’ai juste voulu être là, et chaque fois que j’y repense, j’ai remercié le sort de me l’avoir autorisé.



























      Aujourd’hui, je suis Bernadette.
      La cinquantaine, petite blonde aux grands yeux gris.
      Je suis arabe.
      Ma belle-famille cent pour cent pur-basque ne me l’a jamais pardonné.












      Je me présente, je m’appelle Bernadette, je vais avoir cinquante ans l’année prochaine, et je suis d’origine arabe.
      Ca ne se voit vraiment pas sur moi. Je n’ai vraiment pas le type de mon origine. Alors, pour que ça se sache, je le dis.
      Parce-que j’y tiens. Je justifie tout par ce que je mets volontairement en avant comme un handicap surmonté.
      C’est l’affaire de ma vie, ça, d’avoir surmonté ce handicap. Et de l’avoir fait brillamment.
      Je peux tout à fait à mon aise qualifier, j’aller dire « traiter », mon origine arabe de handicap. On ne va pas accuser une arabe d’être raciste vis-à-vis des autres arabes ! Ce que je ne pourrais pas faire en étant extérieure au groupe des persécutés sans me faire taxer de tous les maux, je peux me le permettre sans vergogne : j’en suis !
      Je revendique haut et fort ma race et mon sang.
      Vu mon apparence physique, mon accent et tous les autres signes extérieurs de typologie raciale complètement absents sur ma modeste personne, je pourrais très facilement passer pour une basque pure race comme l’est mon mari.
      Je vous dis, je m’appelle Bernadette, pas Rachida. J’ai de grands yeux clairs, pas un regard de braise ardente, et mes plats cheveux blonds n’ont rien d’une toison drue et bouclée.
      Mais si je n’avais pas été arabe, si on ne me l’avait pas jeté à la figure comme une insulte, aurais-je été celle que je suis, et dont je suis si légitimement fière ?
      Je suis bien sûre que non.
      Alors je vous le dis, mon origine arabe, c’est la grande       affaire de ma vie, et je veux le faire savoir à tout le monde, y compris à ceux à qui ça ne fait ni chaud ni froid que je sois arabe, malienne ou inuit.
      Ceux là d’ailleurs me privent un peu quand ils ne réagissent pas. Ou alors juste pour s’étonner du décalage entre mon prénom et mon origine.
Ca m’embête qu’on m’est appelée Bernadette. Bernadette, je vous jure, ça à l’air de quoi quand on veut mettre l’accent sur le mérite qu’il y a à réussir quand on est issu d’un peuple dédaigné ?
      Non, mes parents ont sans doute voulu me protéger des brimades raciales justement, mais là, je ne leur tire pas mon chapeau, puisque moi, ma sale race, je veux la porter en fronton…
      Enfin, maintenant le mal est fait, et surmonté le premier agacement, j’explique qu’en plus d’avoir eu à porter le poids de cette origine dénigrée, il m’a fallu endosser la honte de mes parents d’être ce qu’ils étaient.
      Je n’ai pas trouvé la parade tout de suite, tant on est vite emberlifiquoté dans les intrigues familiales, et je restais très évasive au début sur la question.
      Maintenant, mon discours est parfaitement rôdé, et j’embraye immédiatement sans le moindre raté.
      Je suis donc arabe, et j’ai épousé un basque, d’une famille basque raciste qui ne supporte pas les arabes.
      Il me semble bien que c’est à partir de ce moment là que j’ai cristallisé toute mon énergie pour prouver au monde de quoi j’étais capable.
      J’ai voulu que mon mari soit fier de moi, qu’il ne regrette pas d’avoir déplu à sa famille pour m’épouser malgré leurs réticences.
      J’ai galvanisé toutes mes forces dans cet objectif. Et j’ai réussi.
      Aujourd’hui, non seulement mon mari peut-être fier de sa petite femme, mais mon parcours laisse tout le monde admiratif.
      Vous me direz que ce parcours, je pourrais m’en enorgueillir même si j’avais été d’une origine européenne par exemple, au lieu d’être la « sale arabe ».
      C’est vrai, mais dans une moindre mesure tout de même ! Et moi, je ne suis pas la femme des demi-mesures. Je suis plutôt extrémiste, en tout ! Je vais jusqu’au bout, et comme partant de plus loin ça fait un plus long chemin parcouru, je ne veux que l’on me tronque une part de mon trajet !
      Ma route a été longue et difficile, je veux qu’on le sache et qu’on en prenne la mesure.
      Je vis chaque jour comme une revanche sur le passé, et pour la goûter entièrement j’ai besoin de tous les éléments bien apparents.
      Au fur et à mesure que j’avançais en âge, j’ai fait quelques constatations édifiantes.
      J’ai remarqué que notre réaction aux propos des autres révélait très justement les points troubles de notre personnalité.
      Je m’explique. Si par exemple au cours d’une conversation on émet une réserve sur mon intelligence, ou sur ma capacité de travail, je n’en ai cure. Je réagis très calmement parce-que je sais que la remarque qui se voulait blessante est totalement infondé.
      Je ne suis pas touchée parce-que je ne me sens pas du tout concernée.
      Dans un autre degré de réaction, les piques sur mon physique. Là, comme la plupart d’entre nous, je manifeste une petite sensibilité. Mais comme la séduction féminine n’est pas mon credo, le pincement est mineur et la répartie souvent gentillette.
      J’ai passé l’âge de souffrir de mon apparence. Je connais mon allure, j’ai appris à regarder mon visage avec amitié. Ca ne se fait pas du jour au lendemain, ça non plus d’ailleurs. J’ai été comme la plupart une jeune femme soucieuse de plaire et blessée quand elle se rendait compte que sa séduction était défaillante.
      Ensuite le regard de mon mari, ce regard aimant qui réchauffe ma vie depuis trente ans, m’a rendu suffisamment belle à mes propres yeux puisque je l’étais aux siens, pour ne pas me recroqueviller devant le jugement des autres.
      Un grand confort, ce pas franchi, une étape difficile pour beaucoup de femmes, un véritable tourment dont il faut à tout prix se libérer. Le temps vient pour toutes, belles ou moins belles, de devenir vieilles, si le destin n’en décide pas autrement. Et vieille, c’est vieille, ça ne peut plus être jeune et belle !
      Cette petite digression terminée, j’en reviens à mon propos.
      Dans l’échelle ascendante de ce qui me met en colère, de ce qui provoque une réaction vive et difficile à contenir, je détecte maintenant avec précision le point précis commun à des attaques qui semblent pourtant d’ordre très différent.
      Mes beaux-parents me dénigrent, refusent de reconnaître ma valeur, ne veulent pas voir les efforts qu’il m’a fallu faire pour grimper un à un les échelons d’une carrière inespérée pour moi.
      Avant de commencer à travailler, je n’avais fait aucune étude. J’ai quitté l’école juste après le collège pour aller gagner ma vie.
      J’ai commencé par faire le ménage dans un hôpital. Puis j’ai rencontré l’homme de ma vie et j’ai trouvé dans son amour de quoi étayer les forces qui dormaient en moi.
      Comme je l’ai dit plus haut, j’ai voulu mériter son admiration et forcer ses parents à reconnaître qu’il avait choisi une femme valeureuse.
      Eux ne l’on jamais admit. Mais lui, mon mari m’a toujours suivie et encouragée. J’ai trouvé en lui mon meilleur atout pour continuer la lutte. C’est une véritable lutte de vouloir progresser dans le milieu professionnel, en élevant une famille de trois enfants quand on est systématiquement « cassée » par la belle-famille.
      J’y suis arrivée. Je dirige maintenant un hôpital avec trois-cent personnes sous ma responsabilité. Et je le fais bien, je n’ai aucun doute là-dessus.
      Mais tout ça n’a pas suffi à effacer la blessure. Le bilan éclatant de ce parcours professionnel exemplaire, la réussite d’une vie de famille sans une seule ombre au tableau, tout ce que j’ai pu entreprendre et mener à bon port, tout ça n’a pas été suffisant.
      Je suis restée vulnérable au mépris de ma belle-famille.
      Dans un autre registre, je bondis quand j’entends des propos suffisants.
      J’ai croisé dernièrement un vétérinaire en soirée. Il conversait avec un groupe d’éleveurs au soir d’une journée de comice agricole.
      J’ai écouté ce qu’il disait d’une oreille distraite, parce-que rien de particulier alentour ne requérait plus spécialement mon attention.
      Il parlait d’un examen compliqué qu’il avait du réaliser dans la journée. Les termes étaient techniques et alambiqués, sûrement trop pour que son auditoire les connaisse.
      Je n’avais rien à voir dans l’affaire, je ne connaissais ce vétérinaire ni d’Eve ni d’Adam.
      Et bien son discours m’a horripilée. A un tel point que j’ai du m’éloigner pour ne pas succomber à la tentation d’intervenir en le traitant de pédant.
      En d’autres circonstances j’ai assisté à des scènes similaires où un quidam se met avantageusement en scène devant des gens dont il force l’admiration en les écrasant d’un savoir qu’ils n’ont pas.
      A chaque fois j’ai été au moins agacée quand je n’ai pas carrément pris la parole pour ramener l’orateur boursouflé de suffisance au niveau de ceux qui l’écoutaient.
      Autre type de réaction, plus positif celui-là, mais réaction révélatrice par son intensité.
      J’entends dans les propos de quelqu’un une émotion verrouillée, une pudeur, une réserve, quelque chose qui voudrait sortir et que l’on retient. J’y suis extraordinairement réceptive. Tous mes sens en alerte je me tends pour recueillir ce quelque chose fragile qu’on a peur d’exposer. Pour essayer de persuader celui qui a cette peur qu’il n’est pas en danger avec moi, qu’il peut se livrer et s’en trouvera mieux.
      Une oreille de confidente bienveillante, persuadée de soulager la douleur ou le malaise en libérant la parole.
      J’aime écouter parler les gens et leur révéler ce que parfois ils ignorent d’eux-mêmes. Je n’ai pas de vocation à exercer une psychologie de pacotille. Je sais que les choses sont souvent compliquées et que la lumière ne se fait pas d’un simple déclic au détour d’une conversation banale.
      Mais j’aime écouter, et j’ai observé que les gens aiment parler d’eux. Alors, ils parlent et j’écoute. Et j’entends des choses qui ne se disent pas mais transparaissent. Et c’est cette ombre furtive que j’essaie de recueillir, cette fragilité cachée le plus souvent bien plus intéressante que les assertions de façade.
      Les exemples sont nombreux et parfois je ne prends pas la peine d’en faire l’analyse.
      Je sais maintenant le lien entre toutes ces choses qui me bouleversent dans un sens ou dans l’autre. Qui me propulsent en combattante ou m’alanguissent en écoute protectrice. Ces choses qui vont chercher tout au fond de moi une vulnérabilité que je préserve en me défendant trop ou en allant au contraire trop vite en empathie.
      Toutes ces choses ne me blessent pas, moi. Toutes ces choses mettent en danger l’amour de mon mari, cet amour sur lequel j’ai tout bâti et qui me tient debout.
      Mon mari est un homme simple et bon. Et l’admiration qu’il me porte alimente en lui une peur irraisonnée et irraisonnable.
      Il a peur de ne pas me mériter, peur que du haut de ma situation professionnelle je ne l’estime plus, lui resté ouvrier, peur de me montrer cette peur, à moi qu’il trouve si courageuse, parce-que dans son idée, je pourrais le dédaigner de cette faiblesse.
      Et cette peur, je la sens, je la sais, et je ne suis pas capable de l’extirper de sa tête.
Je ne suis pas capable de faire taire l’écho des paroles de mes beaux-parents qui prédisaient à leur fils un mariage raté.
Je ne sais pas montrer à l’homme que j’aime que je l’aime de ce qu’il est, que ce que je peux devenir dans ma hargne à vouloir prouver ma valeur ne changera jamais cet amour pour lui. Que sans son amour je m’effondrerais.
      Je ne sais dire à mon mari que je l’aime d’avoir peur, que je l’aime d’être fragile derrière son air de gros ours imperturbable et que je ne le voudrais pas autrement.
      J’ai bâti ma vie sur le combat, la lutte, des valeurs presque guerrières. Si je ne l’ai jamais su, comment pourrais-je maintenant savoir faire autrement ?
      Je suis persuadée de tout pouvoir, je n’ai pas de craintes, rien ne me fait peur, en dehors de la perte de cet amour.
      Je me suis trop battue, trop défendue, j’ai peur d’avoir oublié la douceur.
      Je ne sais plus rassurer, je ne sais que protéger.
      J’ai tant appris, je veux apprendre encore. Il doit être toujours temps. Je veux le croire.













      Des Bernadettes, il y en a à tous les coins de rue.
      Des femmes courageuses et vaillantes
      Qui ont tout gagné de haute lutte
      Et qui se demandent si ça en valait bien la peine.
      Le retour sur soi d’un mitan de vie
      Un tournant, à prendre ou à laisser…













    Allez, assez pour aujourd'hui !
A une prochaine fois... à la ferme Agorreta.