jeudi 7 janvier 2016

CHEMIN DES CRÊTES : Mme et Mr de C.




Bonsoir à tous les suiveurs des nouvelles d'Agorreta !

Ca y est ! La saine pluie d'hiver nous est arrivée ! On s'en lasse vite n'est-ce pas ?
Elle est pourtant bienfaisante.

Laissons le temps faire son oeuvre dehors, et allons faire notre saut du moment dans le passé, Chemin des Crêtes, été 2003.




Au tour aujourd'hui de Mme et Mr de C. de se présenter à nous.







Mme et Mr de C. sont les voisins immédiats de notre parcelle, à la montagne, comme nous disons, Chemin des Crêtes.
Pour être précis, ils sont en face de l'entrée du champ.
Ils sont par le fait ceux qui ont été les plus dérangés quand le trafic est devenu dense. Les camions se croisaient devant leur portail.

J'ai rencontré Mme et Mr C. pour la première fois, ce fameux 26 Août 2003. Jour de notre grande rencontre avec tous les voisins du site.
Ma première tentative d'approche au début du mois de mai, avait avorté. Mme et Mr de C. avaient bien répondu à mon courrier, me disant qu'ils étaient pour le moment tellement occupés par le mariage de leur précieuse fille, qu'ils remettaient à plus tard l'étude d'une éventuelle conciliation entre nous. Bien...

Ce plus tard n'est jamais arrivé. Entre Mai et Août, aucun signe de vie de ces gens, pourtant bien présents, et Dieu merci, vivants. Enfin, Dieu merci, pour eux. Nous, nous les aurions volontiers jetés aux orties, mari et femme réunis.

Par cette belle soirée d'Août, je fis connaissance du couple. Je ne les avais que furtivement entraperçus jusque là, au détour de leur maison. Ils ne recherchaient vraiment pas le contact, et s'éclipsaient dès qu'ils nous entendaient approcher.
La réunion organisée par les services municipaux, à la demande des voisins, fût une grande occasion pour nous, de les voir tous ensemble réunis, dans ce panorama grandiose et solennel, presque.

Mr de C. marche voûté. Il n'est pas bossu, mais ses épaules s'arrondissent beaucoup sous sa nuque ployée. Ses yeux bleus rêveurs papillonnent, sans jamais trop fixer leur regard. Mr de C. vous parle, en s'adressant au flanc de rocher derrière vous, ou au moutonnement léger sur la mer au loin. Jamais vraiment il ne vous laisse entrer dans ses yeux.
Il a cette particularité désagréable de beaucoup saliver. Son élocution en est floue, et bousculée. De petites bulles frisottent à la commissure de ses lèvres. C'est un peu dérangeant. mais bon.

Ma remarque pourrait paraître peu charitable. En réalité, moi-même, je souffre d'un excès de salivation. Je le déplore, mais n'y peut rien. Je déglutis précipitamment quand je sens l'eau envahir ma bouche. Particulièrement dans une discussion animée, je me sens trahie par cette humidité baveuse. Je postillonne mon dépit. Cela nuit gravement à la portée de mon discours, devenu source de désagrément, au lieu de porter des arguments percutants. 
Ah là, là, quand la forme superficielle nuit gravement au fond, aussi intéressant soit-il, quel ennui...
C'est par solidarité que je me permets de relever ce détail chez ce Mr de C.. Parce-qu'étant moi même affligée du même syndrome, je suis à même de compatir à mes compagnons d'infortune.


L'attitude de Mr de C. est brouillonne, un peu maladroite, presque touchante.
Il se montrait à l'époque très inquiet de ce que nous comptions faire chez nous, en face de chez lui. N'avions-nous pas en tête d'aménager ce terrain en vue de le faire lotir ? Quelle horreur ce serait pour lui, de partager cet espace qu'il s'était approprié comme sien !

Notre deuxième rencontre se matérialisa le dernier dimanche d'Octobre, jour du changement d'heure.
Elle fût organisée par Mr D. le directeur de branche des magasins où je travaillais alors, souvenez-vous.
C'était une magnifique matinée automnale, pure et radieuse.
Mr D. habitait la région de Pau. Il possédait à Saint-Jean-de-Luz, je crois, la classique résidence secondaire sur la côte de tous ces privilégiés des terres intérieures.
Il avait pris sur son temps de grasse matinée dominicale, l'augure d'aller parlementer avec son ami Mr de C. auprès de la paysanne rebelle que je caractérisais.

Je me présentai à notre lieu de rendez-vous programmé, l'entrée du parc Florénia, alors, (encore ces Lafittes qui me tendaient déjà un peu les bras), au volant de ma petite Clio rouge empoussiérée. Je n'avais pas emmené mes chiens. 
Mr D. allongea la silhouette sombre et rutilante d'une longue voiture en bordure de notre Chemin des Crêtes.
Je montai à ses côtés, frappant ostensiblement mes bottines d'étable contre le bitume, pour en faire tomber quelques résidus organiques. Pour les fétus de foin accrochés à mon vieux tricot déformé, je les gardai sur moi.
Quelques effluves animaliers n'eurent pas le temps d'investir l'habitacle somptueux. Nous fûmes vite rendus devant la villa des De C., au niveau de l'entrée de notre champ.

Mr D. avait considéré mon accoutrement avec un demi-sourire. Nous nous connaissions peu. 
Ce jour là, il ne parla pas beaucoup. Mr De C. nourrit la conversation, s'enquérant distraitement du prix de cette parcelle agricole, et de notre éventuelle intention de la vendre.
Je l'assurai de notre seule intention de continuer de la cultiver, pour nourrir mes quelques bêtes.
Je tâchai de lui faire sentir ma passion pour ce mode de vie rural, mon plaisir à vivre entourée de vaches et de chiens. Quitte à cumuler deux journées de travail en une.

Mr D. m'écoutait. Nous déambulions le long du chemin, paisiblement.
Je crus sentir chez mon directeur, un élan de sympathie suscité par mes propos et mon attitude.
Peut-être nourrissait-il une vague nostalgie de cette façon de vivre, simple et authentique ?
Derrière ces pupilles bleues acier, un frémissement me le rendait amical, cet homme.

Nous nous quittâmes sans avoir davantage avancé. Je maintenais notre projet de remblaiement. Mr de C. Persistait dans son intention d'en empêcher la mise en oeuvre. L'impasse, toujours.

Mr D. ne prit pas davantage parti.
Il me gratifia d'un regard appuyé, chaleureux serait beaucoup dire, mais bon, disons, à la limite du dégel.

Plusieurs années après, pour son départ à la retraite, il me fit parvenir un carton d'invitation à la petite fête qu'il donnait pour l'occasion.
Je déclinai. Pourtant, je conserve le souvenir de ce moment de complicité, du moins, perçu comme tel par moi, comme une fleur séchée entre les pages d'un livre. Quelque chose qui aurait pu être et ne serait pas, mais avait failli s'incarner et gardait, comme figé, l'éclat d'une certaine utopie devenue possible. Je me comprends, à défaut de me faire comprendre...

Mme de C., elle, n'a jamais caché sa hargne. Elle a maintenu une opposition constante et affûtée. Son attitude s'est figée sur sa silhouette resserrée derrière ses bras étroitement croisés.
Pas de faux-semblants chez elle. Elle couvait son noyau dur et sec comme une pierre précieuse.
Ses propos sont restés fidèlement vindicatifs et acariâtres.

Un jour, je me demandai comment se prénommait Mme de C.. Mon frère aîné me suggéra spontanément un "charogne", ma foi, pas si mal adapté...

Mr de C. trottine maintenant autour de sa villa rendue au calme, comme un vieil épagneul aux poils blanchis. Pendant que Madame finit de de dessécher en un minéral dur et gris.

Un gentil couple, pas très désireux de nouer des relations amicales avec nous, et moins, selon manque d'affinités...

A bientôt, pour les derniers !


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