lundi 27 avril 2015

ET D'INCONGRU A CONGRUENCE



Cantonnée en intérieur par le mauvais temps, me revoici ici.


Mon père monte la garde dans l'étable, derrière Pollita. Je ne sais pas si c'est cette surveillance pesante qui la dérange, ou alors si vraiment son comportement trahit l'inconfort du début de travail.
Nous finirons bien par être fixés, un jour...

En repartant de cet "incongru" de ce matin, si fiable opposé du "congru", j'en viens à "congruence".

Vous le savez maintenant, j'aime les mots. J'aime leur musique et leur cadence, leur danse dans les phrases ou chacun trouve sa juste place en un ballet harmonieux.
Je ne suis pas érudite. Et trop fainéante pour me donner la peine de chercher leur juste sens à ces mots moins courants. Du moins, à ceux là que moi, j'utilise moins souvent.

Ce n'est d'ailleurs pas uniquement de la fainéantise. Non, non, non...
La recherche, maintenant, avec ce bon vieux Gegel, c'est de la gnognotte ! Fini le temps où il fallait extraire le gros dictionnaire du fin fond de l'étagère poussiéreuse où il était remisé, et presque oublié.
Trois touches sollicitées et hop ! la vérité vous saute au visage. Quelle facilité, presque trop ! la connaissance galvaudée, comme de la pâtée pour animaux, distribuée sans mesure.

Il n'y a à plus à chercher, juste à tapoter. Du coup, moi, je ne le fais pas ! Une logique assez obscure, je vous l'accorde. 
Qu'ai-je besoin d'éprouver de la difficulté à m'approprier une connaissance pour la savourer ?
Ne puis-je pas tout bonnement prendre ce qui m'est donné ?

Et bien, sans pouvoir vous éclaircir la chose, c'est ainsi. La trop grande facilité ne me séduit pas. Elle me serait presque, suspecte !
Une vieille méfiance atavique, un ressort du mérite jamais en repos, sans doute.

Tout ça pour vous expliquer que, quand le sens d'un mot ne m'est pas complètement connu, je ne me précipite pas pour le connaître, précisément.
Si le mot me plaît, par sa sonorité, les courbes de ses syllabes ou le dessin de ses lettres, j'aime l'apprivoiser.
J'ai toujours aimé lire. J'ai du vocabulaire. Ces mots mal connus, j'ai souvent une idée, même imparfaite, de leur sens. Une approximation de leur champ d'action, de leur domaine.

Remarquez, il arrive que je prête une signification complètement erronée à un mot. Là, je n'ai pas d'exemple à vous donner. 

Mais, dans la même mode opératoire, je situe souvent un pays un peu exotique aux antipodes de sa véritable localisation. 
La géographie, c'est pour moi tout un poème. Les îles tout particulièrement. Les Seychelles et autres Antilles, je vous les place ici ou là, sur un globe imaginé. Et suis toute désappointée et presque déçue quand on me les situe correctement.

- Tiens donc, dis-je souvent, c'est là que ça se tient, ça !

La vérité précise me paraît manquer de fantaisie. Je préfère garder le mystère de ces contrées lointaines, le flou de leur emplacement sur une planète vaste et inconnue. De moi, vieille sédentaire indécrottable.
Le monde et ses continents  me restent à découvrir. Et cette découverte à faire me plaît en elle même. Je ne voyage pas. Je n'en ai ni le goût, ni l'envie. Le monde  restera pour moi en grande partie imaginaire. Et cet imaginaire ne s'engonce pas dans une réalité plate de mappemonde.

Cet aparté géographique était sensé vous faire toucher du doigt mon attachement à un voile léger posé sur la signification des mots un peu exotiques.
Je ne suis pas sûre d'avoir été bien claire.
Je suis même persuadée d'avoir embrouillé les choses. Ca m'arrive souvent.

Un concept immatériel frémit dans ma tête, un mouvement s'anime. J'ai l'impression de pouvoir l'appréhender. Je tente de le mettre en mots.  Et, d'une phrase à l'autre, je me retrouve en terre inconnue...


L'idée s'agite à la lisière de ma compréhension, comme une ombre furtive au détour d'un buisson. Je l'ai perçue, elle est là, et derrière l'ombre, il y a bien la proie.
Mais cette proie taquine glisse derrière la futaie et m'échappe, ne me laissant que l'ombre de son ombre, et la sensation un peu frustrante qu'il y avait là quelque chose, aperçu mais perdu déjà.
Je ne m'acharne pas à courir derrière elle. Je n'ai pas le goût de la traque.
Cette fainéantise dont je vous parlais, elle serait là. Dans ce respect pour la proie qui ne veut pas se laisser trop facilement attraper. Se montre et s'éclipse. Attise une convoitise et ne la nourrit pas.

J'aime cette faim non assouvie, cet appétit maintenu, cette curiosité affûtée. Le chemin pour le chemin et pas pour sa fin.
J'accepte, et même, j'aime, l'idée de ne pas tenir, d'avoir été initiée à un secret qui ne se laissera pas dévoiler.

La part d'irraisonnable, l'opportunité d'imaginer, ce qui ne peut pas se savoir.

J'en reviens à mes incongrus congru-congruence.
Je m'en étais un peu éloignée, n'est-ce pas ?
Une ombre encore m'avait attirée hors du chemin clair et droit, vers des bosquets plus sombres et moins visités.
Congru, je n'en connais pas l'exacte définition, mais je vois un genre de : qui se doit, juste, équitable.
Par le fait, incongru : inattendu, mal-venu, par extension étrange,  bizarre.
Quelque chose dans ces eaux là.
Voyez, je pourrais très facilement demander à Gegel. mais je n'en ai pas envie. Je préfère rester dans mon petit monde, quitte à m'éloigner d'une réalité dont je n'ai pas forcément l'utilité.

Le "congruence" tiré par la main comme un enfant boudeur par les deux premiers titille ma curiosité. Cette ombre me paraît séduisante, et j'écarte volontiers les deux adultes congru-incongru, pour m’agenouiller devant cette enfant plus secrète.
Ce "congruence" s'habille de sa tante "congrue", mais aussi de convergence. Il dessine un faisceau irisé pointé dans une direction élevée.

Tenez, regardez cette photo de l'automne dernier :




Vous distinguez à droite ce rideau de rais lumineux ? 
C'est un peu l'idée que je me fais de cette "congruence".
Une base large de plusieurs éléments associés, fondus dans un même mouvement, un élan en totale synergie, vers un but commun.
Une empathie, une visée, un tracé sans heurts ni écueils vers une aspiration admise et recherchée.
Un ensemble de choses différentes réunies, réunifiées, rassemblées, pour atteindre un objectif élevé.

Je ne me souviens pas bien des circonstances dans lesquelles j'ai entendu ce mot. Mais j'ai adhéré totalement à ce que j'en ai deviné, imaginé, et retenu.
L'ombre de cette proie là m'a parue extrêmement avenante.
Et la tentation de mettre mes pas dans ce sillage là m'a depuis longtemps guidée.

J'ai cette envie de vivre en paix, avec moi-même et les autres, en accord, sans soumission mais sans révolte.
Garder cette place où je me sens bien, la partager, et la fleurir comme on embellit son jardin.

Le mystère entretenu autour de ce mot me convient. Ma sensation n'est pas du domaine du tangible, du seul réel matériel et palpable.
Il s'enrichit de cette part diffuse, de cette silhouette entraperçue, de cette part d'ombre voulue.

Je ne veux pas d'une connaissance pointue et ciselée. Elle habille d'un costume trop étroit une perception diaphane et évanescente. 
En voilà deux autres, tiens, "diaphane" et "évanescente". Qui parlent d'un flou difficile à contenir dans un cadre rigide. Je les aime bien, aussi.

J'ai longtemps cherché le nom d'une plante herbacée fleurissant la cour de la ferme. Une vivace haute, fragile, dont les cosses de graines explosent à la moindre pression en une multitude de minuscules perles noires.
Je ne résiste pas à ce petit plaisir, à la saison. Je frôle ces cosses renflées. Elles se rétractent en un mouvement fugitif, et libèrent les graines qui bondissent de tous côtés, tels de petits diables lancés à la conquête du monde.
Ma collègue de la jardinerie, Martine, m'a dévoilé dernièrement son nom : la balsamine.
Je crois, que c'est son nom, tellement je suis restée attachée à l'idée de ne pas le connaître. De côtoyer cette fleur et son mystère, qui n'en est plus un quand on la nomme.

Et bien, ce nom, pas vilain au demeurant, m'a paru bien commun pour une petite légende locale. L'ombre était plus inspirante que la proie...
Ma "balsamine", n'inspirait pas comme la "salamandre", ou la "mandragore". Celles-ci aussi, si on me les montre, je vais les trouver communes. Mais l'aura de leur légende les rend autrement plus envoûtantes, non ?

Je ne suis pas sûre de m'être bien faite comprendre. Je suis même sûre de ne pas avoir voulu le faire, de ne pas être capable de le faire, puisque je ne comprends pas tout moi-même.
Et que cette part non comprise m'est indispensable.


Ma "congruence" mène à ma maîtresse "sérénité", lumière parfaite et inaccessible.
Point d'appel et objectif en visée de ma trajectoire irisée.




La lumière n'est pas toujours aussi limpide au bout d'un chemin droit et ombragé.


Les sentiers parallèles ne manquent pas de charme, eux on plus.

Et les errances doivent se concevoir sans peur quand on garde la lueur en mire.













A une prochaine fois, mes amis. Portez-vous bien et pardonnez mes errances...

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