vendredi 17 avril 2015

1997 : DÉSASTRE ET RENAISSANCE



Amis visiteurs des Nouvelles d'Agorreta, Bonjour !






Les orages annoncés semblent bloqués sur les montagnes de l'intérieur.

Ici, pas de pluie pour le moment.
ma petite betterave s'en trouverait fort bien, pourtant...

Remettons-nous-en au sort !















Cette horde-ci, chevauchant les flancs massifs du Jaizkibel, s'allégera peut-être au dessus de mes rangs en attente, qui sait ?

















Pour le moment, il n'y a rien de plus à faire que d'espérer...

Très vite, les pousses d'oseille sauvage, en la personne de ce maudit rumex, ou "cornes rouges" comme la désignait feu Mizel du Karraro, vont reprendre racine.
Une adventice tenace, capable d'attendre en terre plus de 150 ans, les conditions favorables à repartir en végétation.

Ici, avec ces petites mottes préparées soigneusement, vous pensez bien qu'elles vont s'en donner à cœur joie, très vite !
Mais, je suis là, je veille. Je vous les montrerai, juste avant de les retirer au fur et à mesure de leur apparition.

Côté Bigoudi et Pollita, toujours rien !
Là encore, patience et longueur de temps...






Elles se portent à merveille, toutes les deux.

Semblent même mieux s'accommoder de leur charge.

Nous en sommes à neuf mois et dix jours de gestation.
Encore dans les délais raisonnables.
Mais bon,  je me sentirais mieux si elles s'allégeaient sans difficulté.
Sans compter l'impatience de voir les touts petits gambader dans la prairie, si tout va bien !


Pour rester dans ce chapitre bovin où je suis comme un poisson dans l'eau, je lisais hier un article sur les troupeaux de vaches détectées tuberculeuses à Ainhoa et Saint-Pée.
En fait, une seule vache malade peut entraîner un résultat positif au test de dépistage sur l'ensemble du cheptel, par ailleurs tout à fait sain.
Et cette seule vache pourrie jusqu'à la moelle de tuberculose, ne réagira pas, elle, à ce test.

Je connais le phénomène pour l'avoir malheureusement subi, il y a près de vingt ans, à Agorreta.
A l'époque, nous avions du faire abattre toutes nos vaches, certaines grosses de huit mois avec le veau plein de vie qui donnait de grands coups de tête dans les ventres gonflés comme le sont aujourd'hui ceux de Bigoudi et Pollita.
Des bêtes nées et élevées chez nous, en pleine forme, et menées à l'abattoir au nom de ce fameux principe de précaution si controversable pourtant.
Une seule des vaches était réellement atteinte, les autres furent sacrifiées pour rien.

Notre étable vidée pendant les trois mois de vide sanitaire réglementaire béait comme une plaie ouverte. Ce fut un véritable traumatisme, de charger toutes ces bêtes dans la bétaillère pour les faire tuer.
A notre petite échelle, c'était déjà difficile. Alors j'imagine la poignante révolte silencieuse des éleveurs de ces trois cent vaches condamnées si arbitrairement.
Mais bon, la législation est faite pour être respectée. Et la lutte contre ces maladies endémiques doit être prise au sérieux, même si sa mise en oeuvre est déconcertante.

A Agorreta, nous nous étions pliés aux ordres des services vétérinaires, la mort dans l'âme et le cœur serré.
La vue de notre étable vidée était poignante et très déstabilisante. Agorreta sans vache, c'était une aberration...
Histoire de ne pas sombrer dans le marasme, nous entreprîmes des travaux de rénovation.
C'était l'occasion ! 
A aujourd'hui, cette rénovation ne paraît pas flagrante, je le sais bien :






On se demande ce qui pouvait bien être pire que ce qu'on voit là !
Et bien, moi, je vous l'affirme, nous avons ré-no-vé.
Et oui ! Oui, oui, oui...

N'oubliez pas, vous êtes à Agorreta. Les choses se font dans le respect, et l'humilité. On ne rase pas tout pour repartir de zéro, chez nous. Ce serait sans doute plus efficace, je vous le concède.
Mais il n'empêche, nous sommes trop respectueux du poids de l'histoire, et des marques du temps inhérentes, pour les vandaliser sous couvert d'efficacité.
Nos rénovations sont discrètes, jamais invasives. Et souvent, à peu de frais ! En conséquence, avec peu d'effets...

Dans ces conditions, rénover, à Agorreta, signifie, parer au plus désastreux. Eviter l'effondrement imminent. Assurer le fonctionnement minimal d'une installation en bout de course.
A l'époque douloureuse de cet épisode sans vaches, nous avions ragréé le sol,  aménagé le coquet coffre de rangement pour les aliments, bâti ce placard aujourd'hui empli d'un bazar inextricable. 
Dans la foulée, pour remplir ce temps vide dans cette étable toute aussi tristement vide,  nous avions aménagé une petite salle d'eau, très commode, repris la montée d'escalier menant au grenier, et réservé l'ancien premier box en local semi-technique !! Rien que ce terme associé à cet environnement fait monter le sourire aux lèvres, n'est-ce pas ?
Pour le reste, les râteliers, les abreuvoirs, les mangeoires, le grenier, tout cela est d'époque, authentique et vénérable. 
Tout tient par miracle, nous rafistolons en catastrophe ce qui menace de tomber, ou le ramassons pour le refixer quand la chute est déjà intervenue.
Je sais, je sais, ces méthodes peuvent paraître navrantes. Elles en navrent d'ailleurs beaucoup.
J'admets le bien-fondé de cette réaction. Mais, je vous l'ai dit, Agorreta, c'est une longue histoire. Et son étable en fait foi.

Ces petits aménagements nous prirent tout le temps de la quarantaine vétérinaire.
A l'issu du délai imposé, assez fiers de nos travaux, et, surtout, heureux d'avoir œuvré à la renaissance de notre activité d'élevage après ce coup d'arrêt si traumatisant, nous étions fin prêts pour sélectionner nos nouvelles occupantes.

Je me souviens bien de notre expédition familiale chez le maquignon, ce fameux Marcel, d'Ahètze, dont je vous parlais dans mon article sur Madonna. Ah, vous n'avez pas tout suivi ? Et bien, vous êtes toujours à temps ! Vous trouverez ça plus haut, quelque part, en cherchant un peu.

Ce fut une petite fête. Une victoire sur le sort mauvais qui nous avait mis à genoux.
Nous repartions, à la conquête d'un cheptel nouveau !

Marcel a toujours su répondre à nos attentes. Ce jour là, évidemment, sentant qu'il y avait une bonne motivation acheteuse à Agorreta, il avait donné son plein.
Dans l'immense hangar où transitent les vaches destinées à être revendues, paillées de frais, une vingtaine de bêtes.
Des laitières, toutes, une dizaine de noires et blanches, une "bestiasse" brune impressionnante, autant de Normandes, une paire de jumelles magnifiques, et une ou autre Montbéliardes.
Toutes jeunes, pleines de leur première gestation, autour des trois ans.
Au stade de Bigoudi et Pollita, mais moins près du terme.
Grandes, belles, bien bâties, brossées, peignées, préparées pour l'apparat.

Ah ça, elles en jetaient ! Nous en avions plein les yeux, debout entre elles qui nous tournaient autour.
Marcel les faisait avancer, pinçait les cuisses bien garnies, tâtait les pis renflés.

- Regardez comme elles sont belles, et sages !
- Vas-y Maïluix, m'exhortait-il, tu peux les caresser, elles sont habituées !

Le vrai maquignon dans toute sa splendeur. Il avait fait un joli travail, regroupé une sélection homogène de bêtes splendides.
Je ne me souviens pas de la présence de ma mère, alors. Elle en était au début de sa maladie, pouvait encore se déplacer. Mais je ne suis pas sûre que ce soir là, elle ait été là.
Mon père, mon frère et moi, par contre, nous y étions, et regardions ces vaches offertes à notre convoitise.
Mon frère nous avait accompagné par solidarité. Son intérêt pour le bétail a toujours été modéré.
Mon père et moi, avions encore les entrailles serrées du tragique épilogue des mois précédents.
Nous avions besoin, au delà d'un objectif pointé par la matérialité des travaux dans l'étable de la ferme, de toucher de la vache vivante, de poser de nouveau nos mains sur des flancs chauds et lourds.
Nous avions besoin de voir les croupes alignées sous les poutres mitées, d'entendre les souffles réguliers de bêtes bien soignées.
De revoir notre vieille étable habitée.

Alors, nous fîmes notre choix, heureux comme la plus compulsive des acheteuses urbaines lâchée dans une galerie marchande bien achalandée.
Les deux jumelles, la brune, même si je la trouvais un peu vive. Et une demi-douzaine de bretonnes.
Neuf génisses de trois ans, toutes "pleines", soit l'espérance d'autant de veaux à venir.

Pour avoir du lait, une paire de bêtes de cinq ans, en pleine lactation, une plutôt blanche, et l'autre plus sombre. Deux longues têtes aux cornes coupées, positionnées dans le premier emplacement.
Evidemment, à Agorreta, s'il nous arrivait d'acheter une ou autre bête, c'était toujours à l'unité, grand maximum à la paire.
Pour remplacer une vieille vache réformée, ou une bête réfractaire à l'insémination.

Cet investissement était tout à fait exceptionnel. Et ma mère levait les bras au ciel devant cette dépense énorme ! De ça, je me souviens parfaitement.
Mais le plaisir était trop grand,  le besoin trop pressant. Nous avions été vidés de notre sang quand la bétaillère avait emporté nos bêtes.
Nous fûmes rincés à blanc quand elle revint remplie !

Mais quelle joie ! Quelle satisfaction pleine et ronde ! Jamais nous n'avions vu notre étable aussi bien garnie !
Une grande fierté nous rendait stupides, à contempler ces bêtes, à les montrer à tous ceux qui se présentaient, amateurs ou pas.
Les deux plus vieilles étaient effectivement très dociles. 
La noire, une véritable vieille chatte curieuse, toujours à l'affût. Elle venait flairer tout ce qui lui passait à portée. Impossible de faire une réparation sur un abreuvoir ou de changer un montant de râtelier auprès d'elle. Elle vous poussait, soufflait, inspectait, et ne vous laissait pas en paix travailler.
Au champ, elle faisait le tour des clôtures, cherchant une brèche par où s'échapper.
En contrepartie, elle nous a gratifiés de plusieurs jumeaux, parfaitement élevés, et adoptait tous les veaux qu'on lui présentait pour les allaiter en plus des siens.
Une vache comme on les voudrait toutes, à peine un peu tracassière peut-être...
Sa blanche voisine ne fit jamais trop d'histoire. Sa passion, c'était la pelure d'oignon. Elle était en première place à l'étable, comme notre actuelle Kattalin.
Au moment de la préparation des repas dans la cuisine toute proche, (toujours Agorreta, vous savez, bêtes et gens mélangés), elle tendait le cou par dessus la murette pour happer ces pelures d'oignons dont elle raffolait. Et se faire gratter le museau au passage...
Pour les autres, la grande brune s'avéra trop vive. Elle ne voulut pas se laisser traire, envoyant valdinguer vite et loin le bidon avant même qu'on ait pu approcher de son pis.
Même mes frères s'y essayèrent. Personne n'y parvint.
Nous dûmes la rendre. Marcel la plaça ailleurs, vantant peut-être avec davantage de modération, sa grande "douceur".
Les deux Normandes connurent le mauvais sort, tour à tour. L'une se vida de sang au premier vêlage. La seconde avala un objet qui lui perfora une viscère, et nous dûmes la faire euthanasier, avant que l'abcès ne l'étouffe.
Ainsi va la vie de l'éleveur. De grandes déceptions, des joies vives et saines, la vie et la mort, toujours, toujours, entrelacées.

Je pense à la peine de ces éleveurs d'Ainhoa et de Saint-Pée, au delà du désastre financier. A tout ce travail sur des dizaines d'années, annihilé par une décision administrative difficile à admettre.
Ils savent, ils connaissent déjà la fatalité. Mais là, elle frappe fort et dur.
On ne travaille pas avec des bêtes sans les aimer, un peu. On n'est pas éleveur sans se laisser entamer par une expérience pareille.
Je ne connais pas ces gens.
Mais je partage leur affliction, de loin.
Et leur souhaite de trouver le courage et la possibilité de redémarrer, de repartir.
De continuer dans cette voie choisie au delà de la raison, parfois.

A Agorreta, comme ailleurs, le destin a été favorable, puis, moins, parfois.
Encore maintenant, même si l'enjeu économique est écarté, les passions et les émotions sont cousines de celles d'avant.
Mais, au fil du temps, le souvenir me reste de plus de joies que de peines.
Et je veux continuer à vivre dans cette voie là.






Parce-que c'est la mienne, celle de ceux qui m'on faite, et celle que j'ai choisi de suivre.







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