vendredi 20 mars 2015

LES AMOURS VACHES



En ce matin fantasmagorique d'éclipse solaire, j'ai voulu garder trace de ce moment peu courant.







Evidemment, ce n'est peut-être pas très parlant, comme ça...

Pourtant, l'ambiance était magique. La pénombre subite, la fraîcheur brutale, et le silence des oiseaux. 10 heures du matin.




Une demi-heure avant, les vaches sentaient une curiosité vers l'est, déjà.

Elles tournaient une tête étonnée, oreilles en avant, vers cette lumière subitement atténuée.

Pollita doit être moins sensible aux événements cosmiques.

Elle mange, laissant les autres s'intriguer.









Les premières violettes, bien ouvertes une heure plus tôt, se sont chiffonnées, à la lueur retombée.

Près d'elle, les primevères n'en ont cure, elles.

La primevère, en fleur, ça doit correspondre à des centaines de Pollita, en vaches.






Ces considérations posées, revenons à notre période vaches.

Je vous ai conté les trois cadettes de la troupe : Oswitx, Fauvette et Kattalin.































Ce matin, je vous raconte Pintta-Mona :












Ici à gauche, la blanche mouchetée de gris.
Un mélange Holstein-Bleue-Blanc-Belge.

Elle vient d'avoir deux ans. C'est l'aînée des cadettes.






C'est aussi la plus curieuse de la troupe. 
Toujours en éveil, toujours prête à manger ce qu'on pourrait lui tendre ou lui lancer.

C'est la première à se lever le matin, la première à tourner la tête quand elle entend quelqu'un arriver.






C'est la croqueuse de ma citrouille phénoménale de l'été dernier :





Pintta-Mona est la fille adoptive de ma Louloutte accidentée. 
Elle n'a jamais fait d'histoire. Elle a adopté le pis sans hésiter, quand d'autres doivent être aidés, a accepté le biberon quand ce pis ne lui a malheureusement plus été offert.
Jamais Pintta-Mona n'a crée la moindre difficulté.
Elle croit et embellit de jour en jour, vit sa vie, sans s'occuper du reste.
Elle est docile, calme, intéressée par son environnement, mais rarement inquiète.

Les seuls jours où elle se dévergonde un peu, sont les jours où elle est amoureuse...
Là, comme ses sœurs,  elle devient nerveuse, s'agite, hume l'air et cherche à assouvir les élans naturels qui perturbent l'eau calme de son tempérament ordinaire.
L'affaire d'une journée, puis, elle redevient la douce et malicieuse Pintta-Mona sans soucis.

Je vous déroule maintenant la vie amoureuse d'une vache, depuis son enfance de petite vêle, en passant par l'adolescente jeune génisse, jusqu'à sa maturité de vache gestante, et bientôt allaitante.

Vêle désigne un petit veau femelle. On dit : un veau, une vêle.
La petite vêle naît de sa mère vache. Si tout va bien, elle se présente les pattes avant devant, le museau posé sur ses genoux noueux.





Elle vient au jour quand son destin l'y appelle, plus ou moins facilement, comme le commun des mortels.
Ici, une technique éprouvée d'assistance de naissance : la corde nouée en lacets autour des pattes antérieures, au dessus du coup de pied renflé.
On tire doucement l'animal, en respectant les temps de pause de la mère. Quand comme ici la tête est passée, il faut là extirper le petit rapidement, pour ne pas le laisser coincé au niveau du bassin. Sinon, il risque d'y rester, et d'y condamner sa mère avec lui.
On oriente l'extraction vers les bas, toujours, pour faciliter le mouvement.
Sitôt venu au jour, il faut débarrasser les lambeaux de la poche de gestation, nettoyer la gorge, pour permettre une bonne respiration de la vêle nouvelle.
Quelques mouvements des pattes aident à la mise en route du système dans son nouvel environnement. 
Un coup d’œil sur le cordon ombilical, un petit nœud s'il est trop long, et un bon paillage où laisser reposer le nouveau-né. 
Les soins à la mère, eau sucrée à volonté, vérification de la remise sur pattes, et petite traite partielle pour nourrir le nouvel arrivé.
Parfois, le vêlage intervient en l'absence de l'éleveur. La vache se débrouille seule quand tout va bien.
 Le tout petit cherche à se mettre debout au bout de quelques heures seulement, pour happer le trayon de sa mère gorgé de bon lait.
Elle le lèche et l'essuie, le pousse du mufle et grogne de contentement.
Quand c'est une vache maternelle d'instinct. La majorité, heureusement.
Il arrive, j'en ai eu, que des vaches ne se sentent pas l'âme nourricière. Elles n'aiment pas être tétées, et le font savoir brutalement à l'impudent qui s'y risque.
Il faut alors essayer de les raisonner, et, le plus souvent, à quelques coups de sabots près, on y arrive !

La petite vêle connaît ensuite les joies de la petite enfance. Elle découvre le monde, entre deux tétées et plusieurs longues siestes quotidiennes.
Si elle a la chance de naître à la ferme Agorreta, elle connaîtra les joies de la sortie aux champs à la belle saison. Elle y  gambadera, toute follette, s'épuisant jusqu'à en écumer, en des courses effrénées.
La petite vêle est souvent joyeuse, joueuse, intrépide et aventurière. Elle n'obéit pas toujours à sa mère qui voudrait la garder auprès d'elle. Il faut aller la chercher chez le voisin où elle a été prospecter, passant sous le fil de clôture, toute petite qu'elle est.
Pendant au moins quatre mois, elle se nourrira du bon lait de sa mère. Si elle est jolie, de bon caractère, suffisamment attachante pour que je veuille l'élever en future vache, elle grandira sans être privée, jusqu'à ce que sa mère la rabroue, faute de lait, parce-qu'elle sera de nouveau pleine, ou qu'elle en aura tout simplement assez de sa grande fille accrochée trop longtemps à ses jupes.
Je suis d'avis de laisser faire, la plupart du temps, et tout le monde s'en trouve bien.

Quand cette demoiselle renonce à ce lait tant aimé, on l'intronise génisse.
En gros, la vêle, passés les cinq ou six premiers mois, devient demoiselle génisse.
Elle le restera tant qu'elle n'aura pas eu son premier veau. Là, elle franchira encore une étape, et sera, vache !

La vêle est tôt intéressée par les affaires amoureuses.
Certaines manifestent leurs premières chaleurs dès les six mois.

A Agorreta, nous respectons le temps et en admettons le rythme. Pas de précipitation...
La jeune vêle doit grandir, son squelette forcir. 
Certains éleveurs, pressés de rentabiliser leurs génisses, les font saillir ou inséminer au plus tôt, dès leur quinze mois parfois.
Comme si on faisait enfanter nos jeunettes à douze ans !

Chez moi, pas de ça !
La génisse meugle ses envies, s'agite et tend la croupe, mais non,  il lui faut attendre.
Nous n'avons jamais eu de taureau à Agorreta. Avec si peu de vaches, il s’ennuierait, le pauvre !
Nous faisons inséminer nos vaches. Le professionnel, dûment mandé le matin, arrive dans la journée et ensemence la vache, suivant le profil paternel demandé, ou à peu près.
J'ai eu commandé un petit limousin pour une magnifique croisée limousine (ma vénérable Monumento évoquée plus haut.)
Et nous avons eu la surprise, neuf mois plus tard, d'extirper un petit Piluket, gris et blanc, quand il n'aurait pas du être autrement que roux !
Bah, tout ne se décide pas mathématiquement... Et notre petit Piluket, baptisé ainsi à cause de la douceur de son pelage-peluche, fit une jolie carrière de taurillon, quelque part en Italie.

La génisse tombe en amour toutes les trois semaines. Son comportement change ce jour là.
La plus calme devient fébrile, elle se sent des pulsions qui la dépassent.
Il faut se méfier alors, des sauts intempestifs et des brusqueries exacerbées.

A Agorreta, nous attendons les deux ans de la génisse pour la faire inséminer.
Ainsi, cet été, mes trois jeunes auront leur première expérience. Je sais, l'inséminateur ne doit pas être une rencontre bien romantique, mais bon, faute de mieux, ça doit faire !
(Pour Oswitx, compte-tenu de son passé mouvementé, j'attendrai encore. Qu'elle grandisse comme il le faut, d'abord.)

Ensuite, je surveille au bout de trois semaines, un éventuel retour de chaleur, signe de l'échec de la première tentative. 
Tout ne marche pas à la première fois, là non plus !
Bigoudi, par exemple, a du être inséminée trois fois avant d'être pleine.
Pollita, elle, la première fois fût la bonne.

Ensuite, il faut attendre, neuf mois, comme chez les femmes. Les ventres s'alourdissent, les pis se gonflent de lait.
Bigoudi et Pollita en sont à leurs dernières semaines.




Je suis impatiente. Un peu inquiète, aussi. les choses tournent mal, parfois.
Mais j'en accepte l'augure, par force...

Tiens, ces deux là, je ne vous les avais pas racontées.

Pour Bigoudi, elle vient comme Oswitx du parc animalier de Bidart, cuvée 2012.
Elle a trois ans maintenant. Elle était mieux traitée que sa remplaçante, et je l'ai reçue, elle aussi, en hiver. 
Elle séjournait dehors, et son poil était long et dru. Tellement long sur son front qu'on aurait pu y rouler des frisettes, autour de bigoudis. D'où son nom.
Sa race est un peu incertaine. Sur les papiers, elle serait issue de Bleue-Blanc-Belge. Hum ! A la regarder, on ne peut pas trop dire.
Elle est petite, pas très charpentée, mais douce et paisible.
Nous verrons quel genre de mère elle nous fait.

Pollita est née à la ferme. J'avais achetée sa mère, une magnifique normande, à la foire d'Hélette, où j'étais allée un jour de Novembre me perdre avec Hélène et Yvette.
La bête était bien belle. Mais elle était aussi bien sauvage. Je ne connaissais pas ses antécédents.
Je ne pus pas me l'assagir. Elle resta fantasque, imprévisible, impossible à approcher sans se méfier.
De mes vaches, je supporte quelques foucades. En revanche, je ne veux pas m'en occuper en risquant tous les jours de me prendre un coup de cornes ou de sabots, sans jamais pouvoir le prévoir, et encore moins comprendre pourquoi.

La normande était belle. Mais je décidai de ne pas la garder. Elle m'offrit Pollita, elle l'éleva parfaitement, et me la laissa. Et Pollita, elle, est aussi tranquille que sa mère était crispée. Les mystères de la génétique !
Je suis reconnaissante à ma grande normande de sa descendance, même s'il est toujours décevant de devoir envoyer une jeune et belle bête en boucherie.

Ainsi va la vie de l'éleveur. Tout n'est pas réussite, loin de là.
Mais toutes ces vaches ont marqué leur temps à Agorreta, plus ou moins.

Et j'en garde le souvenir comme de petits cailloux essaimés sur mon chemin de fermière.

Le prochain événement à la ferme sera sans doute la survenue de ces naissances.
Je vous partagerai tout ça, bien-sûr !

Si le temps se radoucit, nous tenterons aussi le semis de la betterave et la plantation des pommes-de-terre.
Il faut attendre, là encore.

Je vous ai fait le tour de mon petit troupeau. 
J'espère ne pas vous avoir ennuyés. Je sais que ma passion n'est pas très commune...

Bah, à vous d'attendre, là aussi, d'autres chapitres plus à votre goût.
Nous nous retrouverons bientôt, sûrement.

Pour les petites et grandes nouvelles d'Agorreta !







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