mercredi 11 mars 2015

LA VACHE D'AGORRETA ET MADONNA !



Bonjour à tous !

Ce matin, la brume estompe les ardeurs solaires.
Un peu de repos n'est pas malvenu pour nos vieilles peaux (enfin, je parle de la mienne, bien-sûr) tirées trop fort de l'hivernage. 







Le voile léger posé sur la baie enveloppe d'un baume diffus les contours et les reliefs.


Le paysage noyé se repose, lui aussi.

Ca n'est pas désagréable, après ces journées radieuses.
A condition qu'elles nous reviennent vite !










A Agorreta, le paysan voisin, en la personne de mon frère aîné, épand à son tour la chaux dans son champ.

Il n'avait pas saisi le seul créneau favorable d'avant les dernières grosses pluies.
Nous sommes plutôt avancés en saison, mais bon...
Derrière lui, le mimosa d'Erreka fleurit en plein.
Et le pousse au flanc, en lui disant, ne tarde pas, fonce !
Et il fonce...





A la ferme, souvenez-vous, la chaux avait été épandue plus tôt :




Et pour ce matin, mes vaches pâturaient la prairie dûment amendée.










Dans l'herbe encore mouillée de brume, Oswitx se repose déjà.

Pendant que les autres broutent.











Plus tard, quand le reste de la troupe rumine en regardant vers l'est si le soleil se montre, ou pas, elle, elle se lève et mange.

C'est une solitaire, cette Oswitx.
Toujours un peu à part, menant sa vie de son côté.

Une personnalité singulière, et un destin, peu banal !

Je vous le disais, et je vous le raconte aujourd'hui.



A Hendaye, en cette année 2015, il  y a moins de fermes qu'il n'y a de doigts dans une main.
Et, autour d'Agorreta, il y a deux autres élevages de vaches.

L'un, c'est celui de mon cousin d'Errondenia, la ferme dont est issu mon père.
Le second, celui de mon frère aîné, qui épand sa chaux ce matin.

Ces deux là élèvent des vaches blondes, ces fameuses blondes d'Aquitaine, bêtes massives et mornes, sans aucune grâce à mes yeux.
J'admets leur forte corpulence et la potentialité de rendement en viande accrochée à ces carcasses d'importance.
Mais je trouve ces bêtes plus lourdes et moins vivantes que mes petites croisées colorées.
A chacun ses idées.





Derrière Kattalin, de l'autre côté de la clôture, vous apercevez avec Zaldi deux génisses d'Errandonea.

Deux très jolies bêtes, selon les critères imposés, mais fades et obtuses, d'après mon regard orienté.

Quand Kattalin chatoie comme un bonbon aromatisé café au lait, ces Chuppa Chupps rondelets coiffés de papier coloré.
Et cette expression, pas très rusée peut-être, mais autrement mieux animée quand-même, non ?








Là, en y regardant bien,  vraiment bien alors, vous distinguez le panache clair de la queue de Lola, d'abord, et, juste à côté du cabanon, deux vaches blondes, celles de mon frère cette fois.
Là encore, une nuance de beige un peu roux, sans plus de fantaisie.

Notre maquignon local en tient pour cette race, pourtant si répandue.
Il se navre à me voir m'entêter avec mes croisées.

- Ca ne vaut rien, ça, me dit-il sans ménagement, le bougre !
 En les nourrissant comme ça, tu tirerais le double de prix avec des blondes...

Et de rajouter, sans laisser le soufflé reposer :
- Tiens, si tu veux, je t'en trouve une paire de jeunes à élever. Tu les auras bien en main, tout comme celles-ci, tu verras !

C'est un métier, maquignon. Enfin, je dis maquignon, mais le terme adéquat, maintenant, c'est : négociant en bestiaux.
Quel vilain assemblage de maux brutaux !
Une pudibonderie absurde, à mon avis. Comme on dit technicienne de surface au lieu de femme de ménage. Non-voyant pour aveugle. Mal-entendant pour sourd.
Que diable ces faux semblants faux fuyants ? Croit-on atténuer la brutalité d'une réalité en l'habillant de mots moins francs ? Nuancer les a priori défavorables attachés à un métier en en changeant la désignation ?
Quelle hypocrisie et quelle superficialité !
Enfin, ceci est un autre débat, pour une autre fois, peut-être...

Pour en revenir à mon maquignon, négociant de bestiaux ou assimilé, l'homme a les épaules de supporter la charge, avec son poids et ses bons côtés.
Nous l'avons toujours connu, à Agorreta. Et avant lui, mon père a commencé à acheter des bêtes à son père.
Nous ne sommes pas du genre infidèles à la ferme. Si l'on ne nous donne pas de raisons de le faire, nous n'allons pas chercher plus loin ce qui nous est donné là.
Nous savons les aléas des négociations dans ce domaine. Nous voyons bien parfois que nous payons le prix fort pour un animal moyen. Et quand nous devons vendre une bête, ce maquignon malin nous trouve toujours un argument de poids pour en diminuer la valeur.

C'est le jeu de telles transactions. Et, bon an mal an, nous nous en remettons en confiance à cet homme de l'art.

Marcel, c'est son petit nom, avance maintenant en âge. Ses fils ont repris son affaire. Mais, pour les rares tractations qu'il y a à faire à Agorreta, c'est toujours Marcel qui vient fixer avec nous les conditions de la vente ou de l'achat.
L'homme est solide encore, jovial et chaleureux. 
Une vraie caricature du métier, avec son tablier noir, ses bottillons et son bâton.

Le métier est un peu rude. Aller dans la nuit à peine levée courir les foires et les marchés, sélectionner des bêtes sur pieds en les projetant accrochées à des esses de boucher. Ou alors, les bousculer pour les charger dans des bétaillères similaires aux wagons des trains en direction des camps d'extermination allemands pour les mener loin de leurs herbages d'origine, apeurées et désorientées.
Par contre,  si on aime discuter, parlementer, argumenter, la transaction de vente devient un plaisir.

Notre maquignon ne se prive pas d'y trouver son compte.
Même avec moi, pourtant peu encline à ses discussions de foire, il joue à fond son rôle.
Marcel est fin psychologue. Il capte parfaitement les objectifs du client, et sait à merveille appuyer les leviers correspondants.
Avec moi, il s'égare rarement à parler de rentabilité. Ou alors, juste pour voir si je n'ai pas évolué vers cette lumière froide.
Non, à la ferme Agorreta, s'il a une bête à caser, il va parler du bonheur que c'est pour mon père de voir son étable bien pleine, de la douceur de la vache qu'il nous destine, de sa robe singulière ou de son destin unique.

Il sait parfaitement utiliser les bons mots. Il parle, et observe. Il joue son rôle comme le bon comédien qu'il est, passant vite du tragique au comique, appuyant ici ou là, cherchant vite et bien le point sensible propre à déverrouiller l'affaire.
Un brio magistral appliqué efficacement à ce domaine si prosaïque.

Mes vaches ne sont pas toutes nées à Agorreta. Certaines nous ont été amenées par Marcel.

Oswitx fait partie de ces arrivantes.








Voici Oswitx, lundi matin.

Ici, elle n'est pas à son avantage.













Là, aux côtés de Pintta-Mona, elle a déjà plus fière allure.

Regardez cet œil vif, ce pelage luisant, la finesse des auréoles dessinées sur ses cuisses.

Oswitx est fine et élégante.
Elle est curieuse aussi, et vite en alerte, sans être inquiète pour autant.
C'est qu'elle a couru le monde, déjà, et le beau monde, même...




Mon Oswitx d'Agorreta, a été remarquée par Madonna. Et oui, Madonna, l'internationale, l'idole planétaire, le phénomène universel !

Comment cela se fait-il, me demanderez-vous, haletants de ce suspense insoutenable ?
Je ne vous laisse pas languir plus longtemps, je vous déroule l’événement :

Oswitx a aujourd'hui deux ans.
Elle est née quelque part en Bretagne, je crois. C'est une bête de race. Une véritable laitière, une Holstein cent pour cent.
Elle a toute les caractéristiques de son sang. Sveltesse, port altier, carcasse élancée et légère. Sa robe est justement équilibrée, blanche et noire, bien tranchée, soyeuse à souhait.

A son arrivée, je vous l'ai dit déjà, Oswitx était famélique, squelettique, même, d'où ce nom qui m'était venu spontanément à l'esprit.
Elle avait été placée avant même d'être sevrée dans le parc animalier de Bidart, près de la route nationale.
Elle n'a pas été correctement nourrie. Sans doute, les visiteurs lui donnaient-ils n'importe quoi à manger, je ne sais pas. Toujours est-il qu'elle était dans un état déplorable. 
Je l'ai accueillie en décembre 2013.
A son arrivée, je n'étais vraiment pas sûre de son avenir immédiat.
On ne voyait d'elle qu'une grosse tête effarée et un ventre énorme. Une réplique de ces malheureux petits enfants affamés, mangés de mouches, aux immenses yeux exorbités.

Le maquignon lui-même osait à peine me l'amener. Mais bon, reprenant vite de son métier la tournure, il me fit un prix, d'ami !
Bref, j'acceptai de m'occuper de cette misérable crevure, et d'essayer de la tirer du bord de ce précipice où elle paraissait déjà trop engagée.

Je lui distribuai la nourriture par petites portions, fréquemment, de façon à ne pas l'engorger d'un coup fatalement.
Ma petite Oswitx (déjà, à ce stade, je l'avais adoptée, la pauvrette), se montra de bonne composition.
Elle accepta de se nourrir correctement, sans jamais donner le moindre signe de défaillance digestive.
Elle se levait à peine pour manger, elle prenait avec application sa portion, et, après avoir longuement bu, elle se recouchait, repue.
Elle n'aimait pas trop les caresses. Et protestait en secouant la tête quand je voulais la toucher.

Petit à petit, là aussi, je l'accoutumai, lui laissant simplement ma main sur le flanc, puis la glissant légèrement le long de son dos.
Elle apprécia beaucoup le gratouillement entre les cornes, derrière les oreilles, en penchant sa grosse tête par côtés, les yeux levés au ciel.
Elle s'apprivoisait.

Pour sa première sortie au champ, l'an dernier au début de Mars, contrairement aux autres là encore, elle préféra rester dans l'étable.
Mettant ça sur le compte de la nouveauté, nous la guidâmes jusque dehors, en la traînant presque.
Le lendemain, elle ne voulait toujours rien savoir. Ca alors, c'était la première fois que j'avais une vache qui préférait rester dans l'étable, au lieu d'aller gambader dehors !
Je tentai une approche plus psychologique. Oswitx avait connu la faim avant de venir chez moi. Elle devait craindre de retrouver de mauvaises conditions ailleurs, et s'accrocher à cet endroit où elle était enfin bien traitée.
Elle semblait s'effrayer à marteler le sol cimenté, ne pas vouloir quitter la litière de fougère.
Je combinai tous ces éléments et tentai de préparer à son intention une combinaison mieux tentante.
J'éparpillai d'abord de la fougère sur le passage bétonné menant dehors. Ici ou là, je déposai quelques belles carottes bien colorées, sur ce chemin tracé spécialement pour elle.
Je la détachai, la caressai, lui proposai du pain dur dont elle a toujours raffolé.
Il fallut quand même une bonne heure pour que la demoiselle daigne parcourir à petits pas circonspects les quelques mètres vers la sortie !
Arrivée à la grande porte coulissante, mâchonnant sensuellement une dernière carotte craquante, elle me gratifia d'un petit bond leste et gai, avant de fouler l'herbe grasse, et de se mettre sans plus de cérémonie à la brouter.
Une vraie petite star, avec caprices et coups de tête à l'avenant ! 
Elle avait voulu un tapis de gala, pour daigner suivre le parcours ordinaire, la cabotine !

Aujourd'hui, elle reste fantasque, solitaire. Elle peut vite et loin envoyer un coup de sabot, s'il lui en prend l'idée.
Mais, elle sait aussi venir vous chercher doucement en vous poussant de la tête, et vous attendrir de ses grands yeux mouillés en vous parlant de sa petite enfance malheureuse.
Je l'aime bien, quoi, vous l'aurez compris.

Et Madonna, dans tout ça ?

Et bien nous y voilà :

Marcel, en m'amenant Oswitx, ne pouvait pas me parler de bon tempérament ou de jolies courbes propres à orner une place d'étable. Non, sérieusement, il ne le pouvait pas !

Alors, il me parla du destin de la petite génisse. 
Marcel me connaît assez pour savoir que je ne suis pas très sensible à la carrière de nos stars, aussi connues soient-elles.
Je ne soupçonne donc pas ici une manœuvre de sa part. Encore que.. Mais non !

Ma petite Oswitx, a transité chez le maquignon à sa sortie du parc animalier où elle se mourrait.
Le maquignon habite Ahetze. Il a pour voisines les sœurs Labèque, pianistes classiques originaires d'Hendaye. Leur carrière est internationale.
Ces sœurs Labèque fréquentent Madonna, l'universelle, l'idole, la star, oui, Madonna elle-même !
Et, entre copines, elles se font des petits séjours sur la côte basque, à deux pas de l'étable de mon maquignon, donc.
Et bien, figurez vous que Madonna, un jour où elle avait un moment creux, vint pour se changer les idées visiter les vaches du voisin. Et, parmi ces vaches, il y avait mon Oswitx.

Je ne connais pas bien Madonna, dans le privé. A part sa carrière un peu sulfureuse, une ou autre chanson bien rythmée gardée en tête, je n'en sais pas grand chose.
Elle et moi, nous n'avons pas eu l'occasion de sympathiser, quoi.

Mais là, puisqu'elle s'est émue comme je l'ai fait de la maigreur de cette petite génisse mal nourrie, puisqu'elle est venue la caresser et a, comme moi, essuyé la rebuffade d'une pauvre bête en manque de tendresse, je pense, je crois, que nous partageons la même sensibilité dans nos relations animales.
Et, à travers Oswitx, nous sommes un peu liées.

Pour le coup, mon Oswitx d'Agorreta, est, elle aussi une vedette, par procuration.
Dans ce "bloc", aux côtés de mon père et de Kattalin, elle a toute sa place de pointure mondiale. :





Je voudrais que Madonna voie sa petite génisse famélique maintenant.
Elle se réjouirait, j'en suis sûre !

Peut-être suit-elle ce "bloc" ? Pas sûr..

Je n'ai pas ses coordonnées pour lui envoyer une photo, un message.
Ramon, mon collègue de la jardinerie, m'annonce un prochain passage de la Madone en Europe, cette année.
Peut-être l'occasion qu'elle pousse jusqu'à Agorreta pour enfin pouvoir à son aise caresser sa protégée ?

A voir...

Ramon m'a fait promettre de l'appeler si ça se présente. 
Tiens, je pourrais vous parler de lui, un de ces jours. La prochaine fois.
Là, je vais sortir les chiens, avant de rentrer... les vaches !


A bientôt, et le bonjour à Madonna, si vous la voyez !

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