lundi 30 mars 2015

UN EXEMPLE...PARMI TANT D AUTRES !




Cet article est à usage presque privé. Tiens donc, sur un blog...
Ta, ta, ta, ne venez pas tatillonner avec moi !

Je prends des libertés, et pourquoi pas ?

Je reprends ici un texte déjà évoqué au début de ce blog.
A des fins pratiques, en manière d'illustration de mon article précédent.

A la relecture, je l'ai trouvé suffisamment divertissant pour en remettre une mouture en étalage.

Tenez, voici pour vous, la description d'une petite personnalité croisée il y a plusieurs années, dans le cadre professionnel.
Et dont les remontées m'ont inspirée.



Honneur aux dames et privilège de l’âge, je vais ramener à moi Florence. « Florencina », comme je l’appelais, je ne sais d’ailleurs pas au juste en référence à quoi. Un petit quelque chose d’italien, peut-être. De la gouaille de poissonnière des halles, la gestuelle des latines exubérantes. Ou tout bêtement l’ « italisation » outrée de son prénom.
Une belle pomme mûrie au soleil, à chair ferme et pleine. Une peau veloutée, des cheveux clairs frisotés, un regard azur et de petites dents blanches acérées. Le sourire vite crispé, tôt grimacé et grinçant coincé. Un très joli ton de voix, tonique et gai.
J’ai connu Florence à mon arrivée à Saint-Vincent de Tyrosse. Elle travaillait déjà dans la société depuis plusieurs années. Je l’avais croisée à une ou autre réunion, mais sans jamais lui avoir parlé. Elle est petite, ronde, ambrée comme un petit pain cuit à point. Joli visage, port de tête fier et droit. Elle marche un peu raide à petits pas ouverts, sans balancer les bras. Elle attache souvent ses cheveux en une petite couette dansante et follette.
Florence rit souvent. Elle montre beaucoup ses jolies dents très blanches. Mais juste au dessus, la plupart du temps, son regard reste dur. Je l’ai quand même vue prendre de vrais fous rires souvent, et nous les avons partagés. Elle a les yeux mobiles et regarde volontiers en coin, tête penchée sur une réflexion mal rentrée.
Il y avait de la complicité entre nous, des plaisanteries, des allusions. Je me suis confiée à elle parfois, et l’ai trouvée de bon conseil. De la justesse et une vraie finesse de perception. Une délicatesse que j’appréciais.
Elle se souvenait longtemps après de choses que je lui disais, et qui ne la concernaient pourtant pas spécialement. Des histoires de parcours de vache, de travaux dans la ferme, qu’elle écoutait d’un air distrait et que pourtant elle enregistrait, puisqu’elle me les rappelait après des mois. J’en étais touchée. Je le lui ai dit. C’était étonnant. Je la voyais occupée de sa petite vie, un peu égoïste. Et pourtant, elle avait cette capacité d’écoute. Une ambivalence sympathique.
Elle se racontait aussi très sainement et sans pudeur. Des histoires de femmes ou autres, où elle ne cherchait pas à se mettre forcément en valeur.
A côté de ça, je lui sentais une rigidité de vieille fille. Elle s’accrochait à des principes surannés. Florence est bien plus jeune que moi. Elle paraît ouverte, liante, très à son aise. Et dans le même temps, elle s’enferme dans des carcans étroits et rébarbatifs. Quand elle pince ses lèvres minces sous ses lunettes d’institutrice, il n’y a plus rien à en tirer. Elle se braque comme une mule rétive et rien ne la fait avancer. « C’est comme ça, on a toujours fait comme ça » scande-t-elle alors.
Surprenant et très énervant surtout.
Quand on veut faire bouger et qu’elle résiste de toute sa masse de vierge « encarapaçonnée ». Une vraie catastrophe quand il serait pourtant si simple d’évoluer sans s’accrocher au passé.  Avec elle, on ne glisse pas d’une méthode de travail vers une autre sans histoire. On lui soumet une idée nouvelle, elle flaire, de loin, tout de suite méfiante. Elle ne veut pas passer pour une rétrograde. Elle accepte d’examiner, d’étudier, mais, très vite, elle expose mille arguments contraires à l’idée avancée. « Pourquoi pas, mais quand même… »
Et c’est parti pour des discussions à n’en plus finir, des points de détails rameutés en renfort, des objections, des interrogations, et puis quelques lamentations, plaintes, récriminations.
Pour finir invariablement par un « Et pourquoi on change ? » C’est sûr, à la vue du plat présenté par elle, on se le demande ! Tout était mieux avant. La seule chose, c’est qu’avant ne dure qu’un temps. Mais là, elle bloque, et si possible, elle bloque tout le monde. Une vraie vieille fille. Mariée maintenant et mère de famille, mais dans l’âme, par essence, une vraie vieille fille. Rien n’y fera, jamais, j’en mettrais ma main à couper.
Notre principale pierre d’achoppement venait de l’appréciation que je portais sur son travail. Ou plus précisément sur son absence de travail. Mieux dit, sur sa fainéantise intrinsèque. Nous eûmes de vives discussions. Et chacune resta sur sa position.
Le travail en équipe suppose un partage des tâches. Une organisation bien entendue mobilise tout le monde. Chacun contribue selon ses compétences et capacités. On ne demande pas à tous la même chose. Mais un petit fond commun de bonne volonté est appréciable.
Nous étions quatre, dans ce magasin. Et nous étions censés avoir tous à nous occuper, chacun dans son domaine.
Florence connaissait le métier aussi bien que moi, depuis le temps. Elle savait parfaitement ce qu’il y avait à faire, et comment il fallait le faire. Je ne lui ai jamais contesté cette science. Par contre, j’ai toujours déploré les limites qu’elle invoquait pour expliquer l’impossibilité où elle se trouvait chroniquement de mener sa tâche à bien.
Elle s’occupait des végétaux, et de la décoration.
S’occuper de la décoration signifiait passer deux à trois commandes dans l’année, une paire d’heures d’intense concertation avec un représentant quelconque. Quelques semaines plus tard, nous débarquions deux ou trois palettes. D’un empilement incertain de cartons de toutes tailles, nous extirpions tout un tas de breloques que nous disséminions avec plus ou moins de bonheur dans un coin de magasin. Ce joli matériel s’empoussiérait là jusqu’aux soldes.
A moitié prix, quelques bricoles finissaient par trouver le chemin du comptoir de caisse. Une partie non négligeable filait en douce dans les grands sacs ou sous les jupes d’indélicates, que nous suivions d’yeux suspicieux sans jamais arriver à les décourager, ni surtout les prendre en flagrant délit. C’est un métier, ça aussi. L’inventaire annuel nous laissait dégoûtés.
Cycliquement, nous parlions de liquider ce rayon controversé, mais comme notre Florencina s’y accrochait, on continuait de se faire plumer sans rien y gagner.
Cette corde à son arc ne la mobilisait pas à plein temps. Elle passait entre ses brocantes de temps en temps, nonchalante et rêveuse. Et revenait songeuse comme de retour d’un monde lointain. Ca lui faisait un but de promenade, par les fins de journées désœuvrées.
L’essentiel de l’activité de notre jolie blonde était dehors.
Nous n’avions pas de marché couvert. Les tablettes sur lesquelles nous présentions les barquettes ou pots de plants à repiquer étaient à ciel ouvert, au grand soleil ou sous la pluie. La partie pépinière avec les arbustes en conteneurs était assez réduite. Quand on sortait du magasin pour y aller, les grandes silhouettes des chênes du parc voisin se dressaient majestueusement  en fond. C’était une surface de vente très agréable, de bonne proportion, et très commode à travailler.
J’aimais bien y aller. J’ai le goût de l’extérieur et des plantes. J’y faisais de fréquentes incursions. Et mes observations me portaient à intervenir souvent.
Avant d’arriver sur ce magasin, j’avais un long passé dans l’entretien et la maintenance de plantes à vendre. Et une certaine compétence reconnue sur ce rayon. J’avais en partie été mutée à Tyrosse pour y mettre aussi mon grain de sel.
Je ne m’en privais pas, et, légitimement, Florence, seule maîtresse à bord avant moi, n’appréciait pas. J’admettais sa réaction. Mais j’étais sûre d’avoir raison et je voulais imposer mes méthodes.
Je l’ai dit plus haut, Florence est très sympathique, mais pas spécialement malléable. Sous la pression, elle résiste.
Je lui reprochais en particulier son manque de suivi sur un produit vivant à toujours présenter impeccable. Je demandais des plantes belles, saines, fraîches. Des présentations marchandes, rigoureuses, souvent renouvelées. Les bases du métier.
Florence approuvait chaudement mes recommandations. Elle partageait tout à fait mon point de vue. Mes théories lui parlaient, elle adhérait. Aux théories. Le souci naissait dès qu’il était question de mettre en pratique.
Un bon vendeur de végétaux dans nos magasins ne se contente pas de conseiller le client par les après-midi de beau temps, confortablement appuyé sur le bord d’une tablette bien rangée par un autre.
Il ne se retire pas religieusement dans le bureau chauffé pour passer trois lignes de commande pendant toute une journée, parce-que dehors il fait un peu mauvais.
Non, un bon vendeur de végétaux dans une jardinerie doit aimer toucher la plante. Il doit aimer gratter le terreau, racler la tablette et remuer les pots. Il doit avoir le réflexe de regarder ses produits, et ne pas se contenter de les regarder, non, les arroser, les nettoyer, les retailler si besoin.
Un bon vendeur n’erre pas dans sa pépinière le nez en l’air. Il se penche, il redresse, il désherbe. Le bon vendeur n’ignore pas la triste crevure desséchée dans son pot renversé. Il intervient, tout de suite. Il ne laisse pas croupir dans un fond de jauge des invendus oubliés là par flemme de les porter jusqu’à la benne à déchets.
Le vendeur, même le vendeur moyen, ne présente pas sur ses tablettes des plants fondus de pourriture,  des fleurs fanées au bout de tiges desséchées. Il ne laisse pas le temps aux racines de s’installer dans les nappes feutrées. Il retire l’adventice avant qu’elle n’étouffe son hôte, en principe. Et j’en passe et des meilleures.
Je revenais de chacune de mes tournées dehors assez remontée. J’aurais cent fois préféré faire les choses moi-même. Mais je devais respecter l’organisation en place et tâcher d’y apporter ma contribution sans imposer unilatéralement.
Une vraie fatigue, beaucoup de temps perdu, de nerfs vrillés et de discussions inutiles. Il fallait tenir compte de l’existant, d’accord. Mais là, on m’opposait des arguments qui me laissaient perplexe.
Florence admettait sans peine le bien-fondé de mes observations. Elle reconnaissait ses négligences et me promettait très régulièrement de s’amender. Nous avions des prises de becs de mégères hystériques. Par réaction, elle se mettait à l’ouvrage. Quelques temps. Et puis, l’énergie la quittait, elle reprenait ses usages.
D’un côté, j’aurais eu du mal à le lui reprocher. Elle me démontrait qu’elle ne pouvait pas y arriver, dans le temps demandé.
Florence est de constitution solide. Petite, râblée, on lui attèlerait  une belle charrue à tirer. Des épaules larges, un centre de gravité bas. Une conformation idéale pour du travail physique au sol. Une fabrication en force, à défaut d’être en grâce.
On ne décèle aucune fragilité dans cette belle masse dense. Le tout est lisse, bien rempli, condensé. Pas la souplesse d’un long délié, mais l’agilité suffisante pour se remuer.
Et bien, dans les faits, notre petite Florence est une mécanique à petit rendement. Elle ne supporte que des conditions si particulières qu’on peut difficilement espérer les voir réunies une seule journée.
Par exemple, ce beau fruit à peau doré ne supporte pas la trop longue exposition au soleil. Trop longue s’entendant par une période excédant la paire d’heures en début d’après-midi estivale normale, hors canicule. C’est ennuyeux pour quelqu’un censé travailler dehors. On peut difficilement lui prévoir de l’ombrage à disposition.
A l’autre bout de l’échelle des températures, elle souffre d’engelures chroniques du bout du nez. Le petit matin frais hivernal nous la ramène très vite violette de cette extrémité.
En gros elle peut travailler à son rayon un peu en milieu de matinée, s’il fait entre dix-huit et vingt-trois degrés.
La pluie, même légère, lui est prohibée. Ses cheveux frisottent vite à l’humidité, elle ne peut plus rien en faire après.
La fin d’après-midi, des après-midis tièdes et secs, s’entend, elle pourrait aussi tenter, oui, mais bon, quand la journée a basculé dans sa seconde moitié, le cœur n’y est plus, il vaut mieux laisser tomber.
Tout ça limite assez son spectre d’activité. Et on ne s’en tient là qu’aux restrictions climatiques.
S’il faut aborder les problèmes de santé, c’est encore une autre histoire ! Notre si vigoureuse Florence n’a vraiment pas été par les fées penchées sur son berceau avantagée.
Elle paraît saine et solide. Saine, elle l’est. Du moins je le lui souhaite, en dehors de mes moments mauvais… Mais solide, du tout, du tout !
Florence est jeune encore, je l’ai déjà dit. Elle a une bonne douzaine d’années de moins que moi. Et tout autant de kilos de plus. Sans être grosse, elle est un peu enveloppée. De bons bras, des jambes bien plantées. Et bien cette avantageuse tournure ne la sert pas autant qu’on le penserait.
Dans notre magasin, nous vendions plusieurs tonnes d’aliment par semaine, toutes bêtes à nourrir confondues. Ca supposait quelques sacs à remuer. A charger dans quelques coffres ouverts bien hauts.
Nous étions en parité totale dans la boutique. Deux femmes, deux hommes. Il arrivait que nous soyons toutes les deux pour la journée. Des clients demandeurs de sacs se présentaient forcément. Et bien, notre bonne Florence, à ces moments, n’avait aucun scrupule à venir me chercher pour me demander de servir le client à sa place. Trop lourd, trop dur, pour elle, bien-sûr ! Pour moi, il fallait bien que ça fasse.
Ma foi, sur ce point particulier, je ne récriminais pas. J’empoignais le brout et enfilais l’allée. Je lui en ai touché mot, une ou autre fois. Ca ne l’a pas inquiétée. Entre une sciatique douloureuse, un poignet handicapé et que sais-je encore, on ne pouvait décemment pas lui en demander tant ! Bon, d’accord.
La cerise sur le gâteau pour quelqu’un officiant dans les fleurs, quelqu’un amené tout au long de l’année à tripoter, remuer, renifler, s’imprégner, du végétal, quelqu’un du matin au soir destiné à travailler dans la plante, c’était son allergie. Et oui, une allergie !
Florence développait une allergie à certaines espèces végétales, et pas des raretés qu’on ne croise que de fortune, non, non, des variétés très ordinaires, communément présentes partout. Et comme ailleurs aussi chez nous. Que faire ?
On  ne pouvait pas lui demander de risquer de mourir étouffée par un œdème, par pure conscience professionnelle tout de même !  
Son allergie était bien réelle, je l’ai vérifié à l’occasion d’une Toussaint où elle avait déballé quelques chrysanthèmes. Le lendemain matin, elle avait les yeux bouffis, les mains gonflées. Ca n’était pas un prétexte, elle portait les stigmates de la souffrance bien en apparence. Imparable. Mais là encore, bien embêtant pour les collègues qui devaient assurer sans elle.
A aucun moment, elle n’a remis ses choix professionnels en question, pourtant. Je n’ai jamais compris pourquoi, étant à ce point invalidée, elle s’entêtait dans ce métier. Elle aurait très bien pu faire autre chose, même dans le magasin. Mais non, elle avait toujours fait ça et voulait continuer. Etonnant.
Je ne me privais pas de lui dire ma façon de penser. Et aussi de lui expliquer en quoi j’y étais autorisée, puisque ce qu’elle ne pouvait pas faire, pour les milles bonnes raisons qu’elle savait si bien m’exposer, il fallait bien que quelqu’un d’autre le fasse. Et ce quelqu’un, généralement, c’était moi. J’étais pour le coup en droit de lui demander quelques comptes.
Et bien, c’est là que la belle s’offusquait. En gros, j’aurais du faire à sa place, et m’en cacher, presque m’en excuser.
Puisqu’elle ne pouvait pas supporter de se voir en face, il fallait lui laisser l’illusion intacte de l’employée diligente. Elle devait être persuadée d’être vaillante et courageuse dans le travail. Et d’être suspectée de fainéantise la blessait, sans doute.
Elle tenait ferme à son personnage exemplaire de petite mémère méritante.
Je la bousculais sans jamais réussir à le lui faire lâcher. Il est trop tard maintenant pour que l’occasion m’en soit encore donnée. Mais je pense que j’y aurais gâché mes meilleurs nerfs sans être sûre de jamais y arriver. Un échec, un de plus, à avaler.




N'était-ce pas Montesquieu qui raffolait des portraits ?
C'est un exercice que j'affectionne aussi.

Toujours modeste, dans mes références...

Allez, va, ne m'en veuillez pas !

A une autre fois.

LA FABLE DU FIL RONCE ET DU FILET D EAU




Tiens, je viens vous retrouver.
Les nuées de ce matin ont fini par devenir moins sympathiques, et la bruine me ramène à vous.

J'ai en tête une petite fable.
Une historiette, imaginée.
Des circonstances, fortuites et très réelles, des rencontres, des conversations, sont venues l'alimenter.

Vous savez mon goût pour ces choses. De tous ces fragments, de toutes ces pièces rassemblées au gré des fantaisies du moment, j'ai construit un assemblage, un petit tableau.
J'ai mes périodes, comme les peintres, toutes proportions gardées !
Je décline beaucoup en ce moment autour du temps qui passe, de notre parcours de vie, de  notre capacité d'évolution.
Je reste persuadée que vivre, c'est changer, s'imprégner des choses, se laisser transformer, maturer, comme j'aime à l'imaginer.
On ne traverse pas à mon sens son parcours de vie en s'enfermant dans un périmètre de sécurité verrouillé. 
On peut s'appuyer sur un noyau solide, chercher à le préserver pour ne pas en dilapider la ressource.
Mais ce noyau seul ne suffit pas à nourrir une vie. Du moins, il ne suffit pas à mon épanouissement personnel.

Je me sens solide, et perméable à ce qui m'entoure, "imprégnable", et évolutive.
Et je me réjouis de ces échanges, je me renforce de cette place laissée à ce qui est extérieur à mon noyau dur.
Je n'ai pas l'impression de me perdre quand je me laisse coloniser par le monde et les autres.
Je retrouve au contraire une juste place dans ce re-positionnement salutaire. Et je devine un sens à mon existence, en ce moment et à cette place.
Rien de grandiose. Une imbrication, un ajustement, une indication de mon rôle et de ma justification.
J'ai eu longtemps l'impression d'avoir à me défendre, à lutter pour "gagner" ma place, justement, ou, au moins, la "tenir".
Tous ces termes presque guerriers, je les ai investis et faits miens.
Puis, le temps, la vie, ont fait leur oeuvre. Salutaire, je crois.
 J'ai laissé derrière moi ces notions de lutte et de combat. J'en ai gardé le goût de la ténacité, les valeurs de persévérance et de courage.
Mais j'ai abandonné, je le crois, je l'espère, ce regard hostile et méfiant. Cette armure censée me protéger, et qui à la longue m'aurait enfermée.
Il y a eu le temps de la construction, de l'édification, avec ses heurts et ses échecs, évidemment. 
Mais j'ai eu la chance de ne pas m'aigrir, de garder suffisamment de confiance pour absorber la sagesse de se laisser être, et voir, sans craindre de se diluer dans le regard et l'appréciation des autres.
J'y ai gagné en humilité. 
Savoir admettre ses limites, publier son impuissance parfois, n'est pas une faiblesse. C'est une sagesse.
La force n'est pas toujours là où elle paraît. Elle paraît même assez souvent pour masquer une faille inavouée. Et d'autant plus destructrice.

La force véritable, légitime, n'est pas démonstrative. Elle se suffit en elle-même et n'a pas besoin de manifestation.
Je me sens forte. Et je me sais faible, aussi. Et la connaissance de cette faiblesse, cette acceptation, nourrit ma force.

Regardez ces clichés. Et retirez-en vos propres sensations.
Je vous livre les miennes :





L'éphémère face à l'intemporel.

La force de vie de ces fragiles champignons si faciles à écraser, et pourtant toujours entêtés à surgir hors de terre.

Ma mère Rhune, vue ici d'un autre angle, arrondie sous les assauts des siècles, masse lourde et ancienne.

La roche dure et résistante, pourtant érodée à l'échelle d'un autre temps que le nôtre.





La ténacité de ce vieil arbre plié sous les attaques cinglantes du vent hurleur.
La difficulté à nourrir une vie végétale sur cet amas de pierres dures.

Le défi aux éléments, la sagesse de cette courbure infligée et acceptée.

Un chemin de vie difficile, et pourtant, admis.

La victoire d'exister là, tout simplement.







La force et la puissance presque monstrueuse de ce long tronc tendu vers le ciel, un défi, là encore. Nourri par les rameaux fragiles des bourgeons terminaux, promesses des feuilles délicates et indispensables à faire vivre cet édifice imposant.
L'intemporel porteur d'un élan vers la lumière. Puisant loin en terre ses ressources, mais tributaire des jeunes feuilles annuelles pour continuer à exister, vivant.

Nous sommes humains. Nous vivons des émotions. Nous avons cette chance.
Même le minéral est sensible, à son échelle.
L'émotion refoulée, tue, empoisonne celui qui l'enferme.
Les masques trop longtemps portés étouffent.

Je me rends compte que mes propos semblent confus. C'est que cette réalité là est intangible, elle ne s'appréhende pas comme on prend une pelote à la main pour la serrer.
Elle est fluide et fugace, ne se cerne pas, se laisse percevoir, au mieux.
Je n'ai pas la prétention d'avoir la clé de ces mystères là.
Juste celle d'être disponible, intéressée,  et attentive, à leur chant.

Allez, je vous livre ma fable, avec ce dernier cliché :






Un fil ronce vivait en paix.
Sûr de sa solidité, il défendait.
Quoi, et contre quoi, il ne le savait pas.
Son destin de fil ronce ne lui en demandait pas tant !

Un filet d'eau survint.
Clair, ténu et têtu,
Il se laissa tomber sur le barbelé hérissé.
Son parcours de filet d'eau l'avait mené là.

Le fil ronce, rigide et métallique,
ne voulut pas laisser passer le filet d'eau.
Il gardait, il devait empêcher de passer.
Il résista, sûr de son bon droit.

Le filet d'eau se heurta à cet obstacle.
Il se fragmenta, se divisa, et faillit se perdre.
Heurté de plein fouet par cet élément hostile,
Il en perdit, son fil...

Tout de même, son innocence et sa fluidité,
La souplesse de son filet clair et limpide,
menèrent notre filet d'eau vers le chemin de la lumière,
à travers le métal froid et dur.

Il laissa dans ce passage étroit sa consistance de filet,
et devint gouttelettes rondes et pures.
Il se transforma, mua, et continua,
son chemin d'eau vers la terre promise.

Arrivé au sol, notre filet d'eau devenu gouttelettes
s'écrasa, encore une autre fois.
Mais là, la terre amicale l'absorba, 
et, la saison venue, une violette poussa là.

Le fil ronce, lui, ne bougea pas.
Pendant un long temps.
Puis, vint le jour où la rouille le mina,
Tant et si bien qu'il cassa, net.

A trop vouloir défendre et museler,
on finit  par nourrir en soi le poison
dont on croyait si bien se garder.








Amis suiveurs de ce blog, la route n'est pas toujours droite et ombragée.
Mais votre sincérité doit vous aider à libérer ces peurs et ces ombres qui vous cachent la voie vers la belle lumière.
Fiez-vous à elle, et ignorez le reste.

Comme tout cela paraît emphatique !
Bah ! j'aime bien, de temps en temps, libérer les petits chevaux qui trottent dans ma tête.
Les courses sont désordonnées, mais le galop libéré est toujours un soulagement.

Je suis un filet d'eau un peu tumultueux. Les bouillons noient la vision du lit de galet dans le fond. Mais je sais qu'il est là, et je ne le perds pas de vue, ne vous en faites pas !

Je termine ici avec une pensée toute spéciale et amicale pour ceux-là qui heurtent l'obstacle, et le trouve rude. Il l'est, sans doute. 
Mais souvent, il se surmonte, et vous montre de vous cette facette cachée qui est votre richesse.


En cette approche de Pâques,
 ainsi soit-il,
 et paix sur la terre à tous les hommes de bonne volonté.




L HIRONDELLE EST REVENUE !



Bonjour à vous tous !

Enfin, je peux vous l'annoncer officiellement, notre première hirondelle a fait son apparition à Agorreta !





Ce matin, l'aube était déjà amicale. Des bouffées de vent tiède s'amusaient à bousculer les nuées joufflues, rosées et presque sympathiques.

Je revenais toute satisfaite de ma cueillette de navets. Je remisais ma récolte dans l'étable.
Ces navets sont plus ou moins montés en fleurs, à cette saison. Leur tête va se durcir et finir par se vider.
Je fais profit des derniers jours où mes vaches les mangeront encore avec plaisir. Ensuite, l'herbe grasse du pâturage les détournera de ce fourrage trop rustique.





Tiens, voyez celui-ci, démarré à contre-temps.
Rattrapé par la suite inexorable des événements, il prend le train en marche, précipitamment, limite en panique.
La hampe florale se forme entre les feuilles, quand à son pied le bulbe n'a pas eu le temps de se former.

Bah, ça a un petit côté expérimental assez émouvant, au final...



A la faveur de ce début de journée printanier, j'ai lâché mes demoiselles, et elles pâturent en ce moment dehors. Le sol est encore très détrempé, le temps de toute façon pas encore bien sûr.
Je les rentrerai en milieu de journée, elles feront leur sieste bien au sec.

Je balayai vigoureusement l'étable vidée, quand je perçus au dessus de ma tête un vol inhabituel.
La ferme abrite des nuées de moineaux guillerets. Ma petite Bullou passe le plus clair de ses journées à essayer de les attraper. Souvenez-vous, cet hiver, déjà.






Ce matin, le mouvement aérien était différent. Plus rapide, plus saccadé.
Je levai les yeux.
Vous connaissez mon étable maintenant. Entre les poutres vétustes, vous avez peut-être remarqué, entre les toiles d'araignées et les amas poussiéreux, des nids. Des nids d'hirondelles.



Tenez, en voici un, ici.
Bien calés contre les bois mités, il y a près d'une dizaine de ces nids dans l'étable.
Pour certains, gentiment appuyés sur des boîtes de dérivations électriques datant des années soixante...
C'est une vraie petite bombe en puissance, la ferme Agorreta !

On y compte beaucoup sur la chance pour nous préserver des accidents de toutes sortes.
Le danger est dans chaque recoin, nous l'acceptons avec fatalité...



Un de ces jours derniers déjà, il m'avait semblé apercevoir une petite hirondelle, du coin de l’œil.
Je m'étais trompée.
Mais là, aujourd'hui, non, non, non ! pas d'erreur !
Ma petite hirondelle est bien là, la première, et elle est venue tout droit vers ce nid.

J'aime accueillir cette première hirondelle. Elle annonce les beaux jours, elle est vive, gaie, elle présage des prochains gazouillis des oisillons amassés becs grands ouverts au bord des nids habités.
Un signal aimable, optimiste.

Il y a quelques années, j'avais accidentellement écrasé cette première hirondelle, en tirant la porte coulissante sur son rail où l'oiselle dormait.
J'en ai été navrée.
Je suis un peu superstitieuse, et cette première hirondelle déchiquetée me tourmenta quelques jours.

Celle-ci, celle d'aujourd'hui, semble en grande forme. Elle traverse l'espace comme une fusée, vole vite,  vire sec.
Evidemment, je n'ai pas pu la prendre en image.

"Erran diotek, etorria dela " dit mon père.
Dis-leur qu'elle est arrivée.





Vous le savez, je suis une bonne fille. Alors voilà, je vous le dit : elle est arrivée, la première hirondelle d'Agorreta de cette année.


Réjouisssons-nous ensemble !

Et à bientôt...

mercredi 25 mars 2015

HAPPER LE SOLEIL



Bonjour à vous !

je viens entre deux vous faire profiter du soleil furtif de ce matin :







Petit matin plein de promesse. Un lever de soleil, enfin, même teinté de nuées grises, ça fait du bien !










Soleil pas trop conquérant sur la baie, bien pâle, même...














Une bonne averse de grêle plus tard, c'est déjà plus franc du collier, tout ça !













Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais, ces rayons de soleil printaniers, j'en ai besoin.

La lumière solaire irradie le bien-être, ravive l'humeur et balaie les tristesses grises.
J'ai envie d'avoir chaud, d'être au sec, de sentir sur ma vieille peau le soleil réveiller les pores.

J'ai beau lutter contre la morosité, appliquer toutes les tactiques éprouvées pour secouer les torpeurs, j'ai quand même du mal à ne pas me laisser imprégner par la grisaille humide et froide des jours précédents.

Ménage de printemps (enfin, succinct, nous sommes toujours à Agorreta, n'est-ce pas ?), triage de papiers (je conserve très peu d'archives, à des fins statistiques, comme dirait notre Nathalie de la jardinerie, aussi, c'est assez vite fait, là encore), tournée d'inspection générale d'avant-saison, j'ai tout fait.

C'était encore imparfait. 

J'ai mis en branle la deuxième tranche de méthodes de lutte "anti morosité" : régime alimentaire revu, et corrigé (!), petite coupe de cheveux maison, bah, un résultat moyen, mais pas plus mauvais qu'en d'autres occasions.

Séances de lectures, histoire d'aérer le cervelet, de sortir de mes nouvelles d'Agorreta, de prendre un minimum de large, quoi !

C'était un peu mieux, c'est vrai.

Mais bon, tout ça ne remplacera pas un bon ensoleillement, la chaleur et la lumière franche.

Allez, allez, je ne désespère pas ! Vous non plus ? Bien !
Alors, tenons nous fort les coudes, et sourions, au moins, à tous ceux que nous croisons.

Un bon sourire, venu du fond, pour offrir l'espérance et nourrir les forces d'attendre, encore un peu.

Commencez par vous en donner un, dans la glace, alors ? Ca marche, non ? Mais oui, vous voyez bien !

Vous le savez, nous avons toutes les ressources entre nos mains. Et celles du ciel presque à portée, à condition de ne pas les laisser passer.

A bientôt, et merci pour ce sourire que vous savez me tendre, quand je passe près de vous.
C'est du soleil, aussi, et de la belle lumière... Profitez-en tous !

dimanche 22 mars 2015

AUTANT EN EMPORTE LE TEMPS




En ce dimanche matin, je fais comme vous, sans doute : je regarde tomber la pluie.
Lancinante, têtue, indifférente à notre impatience de voir briller le grand soleil de printemps.

Le temps qui prend son temps, nous nargue, et ignore nos envies pour satisfaire pleinement à son besoin de prépondérance.
Le temps ne se décide pas. Le temps s'accepte, s'admet, et se respecte.

Agorreta n'est pas hors du temps, heureusement !
Le mouvement des choses y est moins fébrile qu'ailleurs, peut-être. L'éloignement tout relatif du cœur de ville suffit quand même à nous préserver de ce cloisonnement insidieux qui fait oublier à ceux qui vivent "hors sol", loin de la nature-mère, que le temps n'est pas seulement une donnée chiffrée sur un cadran d'horloge.






D'ailleurs, à Agorreta, les horloges n'ont pas d'aiguilles !
Le temps n'aurait pas de prise ici ? Pourtant, si, tout de même !


Le temps s'inscrit dans des cycles. Les recommencements, les saisons, les temps de maturation incompressible, marquent un infini porteur de sérénité.
J'essaie de ne pas me débattre pour "gagner du temps", de ne pas m'agiter inutilement.
Je voudrais savourer chaque moment, en retirer l'essentiel sans me laisser polluer par les scories inutiles.
Je n'y arrive pas toujours. Mais cette seule recherche m'épanouit suffisamment pour que j'y sente une justification en soi.

J'aime observer les signes du temps qui passe. J'aime en conserver des traces. Ce "bloc", c'est un peu aussi ma manière de donner corps au temps sans véritable matière. Tout ce temps où rien de particulier ne vient le fixer dans la mémoire. Ces journées fluides et blanches où pas grand chose ne se passe. Et qui pourtant marquent en nous des signes qui nous transforment sans qu'on le sache toujours.

Les moments importants, ne sont pas toujours décisifs. Ils ne sont pas non plus denses ou remarquables.
Les moments importants, pour moi, sont ceux où j'ai l'impression d'avoir avancé vers cette sérénité à laquelle je tends.
J'ai eu ce sentiment, parfois, sans rien pour l'expliquer, raisonnablement.
La sensation de m'être délestée d'un poids encombrant, inutile. L'idée d'avoir aperçu un chemin ignoré jusque là, et amical.
La plénitude de vivre un moment banal et pourtant rempli de sens, d'un sens limpide mais impossible à organiser en mots.

C'est confus à expliquer, mais tellement clair à vivre !
Je m'attache aux choses simples, à la nature, aux saisons, à mes bêtes.
Et dans ce microcosme étroit, je trouve une matière riche et profonde. Je m'en nourris, je m'en repais. Je ne manque de rien quand je ne possède pas grand chose.

La chance nous est offerte de suivre la marche du temps sans nous y heurter. En en respectant le rythme et les nécessités.
Les maturations sont incontournables.

Mon plant de navet surgi au bout du balcon va l'apprendre à ses dépens. 






On démarre à contretemps. On se croit bien parti, et, vlan, on se ramasse, on s'en prend plein les dents...


Mon navet croit former une tête quand il est temps de monter en fleur et graines.













La prochaine chaleur, elle surviendra bien un de ces jours !, va lui démontrer son erreur.

Il se videra avant même d'être plein de chair, et se flétrira lamentablement en essayant de nourrir une hampe sans avoir eu l'occasion de construire sa ressource.

Petit navet follet, ton expérience malheureuse ne servira pourtant pas à d'autres. Il s'en trouvera toujours pour démarrer avant l'heure, s'impatienter et tenter le saut, au lieu de s'en remettre au bon sens.

Bah ! ainsi vont nos civilisations, qui ignorent la raison quand elles se sentent trois forces.
Ca aussi, ce doit être inscrit dans le temps. Ce manque de sagesse.
Et de ne pas en comprendre la finalité ne nous préservera pas de retomber encore et toujours dans le piège !

Un jour viendra, peut-être, ou l'acceptation se fera sans dommages.
Où nous, vivants, hommes, bêtes et navets, sauront prendre le courant de la vie au bon moment, et ne pas nous laisser berner par des signes trompeurs et séduisants.

En attendant, tâchons juste d'occuper sainement notre temps d'attente.
Moi, je vais vaquer à la jardinerie. Vous, ce sera peut-être une sieste réparatrice et une petite promenade sous parapluie ?

Profitez bien de votre dimanche, c'est celui là qui vous est donné...

A un de ces jours, meilleurs ou pas !

vendredi 20 mars 2015

LES AMOURS VACHES



En ce matin fantasmagorique d'éclipse solaire, j'ai voulu garder trace de ce moment peu courant.







Evidemment, ce n'est peut-être pas très parlant, comme ça...

Pourtant, l'ambiance était magique. La pénombre subite, la fraîcheur brutale, et le silence des oiseaux. 10 heures du matin.




Une demi-heure avant, les vaches sentaient une curiosité vers l'est, déjà.

Elles tournaient une tête étonnée, oreilles en avant, vers cette lumière subitement atténuée.

Pollita doit être moins sensible aux événements cosmiques.

Elle mange, laissant les autres s'intriguer.









Les premières violettes, bien ouvertes une heure plus tôt, se sont chiffonnées, à la lueur retombée.

Près d'elle, les primevères n'en ont cure, elles.

La primevère, en fleur, ça doit correspondre à des centaines de Pollita, en vaches.






Ces considérations posées, revenons à notre période vaches.

Je vous ai conté les trois cadettes de la troupe : Oswitx, Fauvette et Kattalin.































Ce matin, je vous raconte Pintta-Mona :












Ici à gauche, la blanche mouchetée de gris.
Un mélange Holstein-Bleue-Blanc-Belge.

Elle vient d'avoir deux ans. C'est l'aînée des cadettes.






C'est aussi la plus curieuse de la troupe. 
Toujours en éveil, toujours prête à manger ce qu'on pourrait lui tendre ou lui lancer.

C'est la première à se lever le matin, la première à tourner la tête quand elle entend quelqu'un arriver.






C'est la croqueuse de ma citrouille phénoménale de l'été dernier :





Pintta-Mona est la fille adoptive de ma Louloutte accidentée. 
Elle n'a jamais fait d'histoire. Elle a adopté le pis sans hésiter, quand d'autres doivent être aidés, a accepté le biberon quand ce pis ne lui a malheureusement plus été offert.
Jamais Pintta-Mona n'a crée la moindre difficulté.
Elle croit et embellit de jour en jour, vit sa vie, sans s'occuper du reste.
Elle est docile, calme, intéressée par son environnement, mais rarement inquiète.

Les seuls jours où elle se dévergonde un peu, sont les jours où elle est amoureuse...
Là, comme ses sœurs,  elle devient nerveuse, s'agite, hume l'air et cherche à assouvir les élans naturels qui perturbent l'eau calme de son tempérament ordinaire.
L'affaire d'une journée, puis, elle redevient la douce et malicieuse Pintta-Mona sans soucis.

Je vous déroule maintenant la vie amoureuse d'une vache, depuis son enfance de petite vêle, en passant par l'adolescente jeune génisse, jusqu'à sa maturité de vache gestante, et bientôt allaitante.

Vêle désigne un petit veau femelle. On dit : un veau, une vêle.
La petite vêle naît de sa mère vache. Si tout va bien, elle se présente les pattes avant devant, le museau posé sur ses genoux noueux.





Elle vient au jour quand son destin l'y appelle, plus ou moins facilement, comme le commun des mortels.
Ici, une technique éprouvée d'assistance de naissance : la corde nouée en lacets autour des pattes antérieures, au dessus du coup de pied renflé.
On tire doucement l'animal, en respectant les temps de pause de la mère. Quand comme ici la tête est passée, il faut là extirper le petit rapidement, pour ne pas le laisser coincé au niveau du bassin. Sinon, il risque d'y rester, et d'y condamner sa mère avec lui.
On oriente l'extraction vers les bas, toujours, pour faciliter le mouvement.
Sitôt venu au jour, il faut débarrasser les lambeaux de la poche de gestation, nettoyer la gorge, pour permettre une bonne respiration de la vêle nouvelle.
Quelques mouvements des pattes aident à la mise en route du système dans son nouvel environnement. 
Un coup d’œil sur le cordon ombilical, un petit nœud s'il est trop long, et un bon paillage où laisser reposer le nouveau-né. 
Les soins à la mère, eau sucrée à volonté, vérification de la remise sur pattes, et petite traite partielle pour nourrir le nouvel arrivé.
Parfois, le vêlage intervient en l'absence de l'éleveur. La vache se débrouille seule quand tout va bien.
 Le tout petit cherche à se mettre debout au bout de quelques heures seulement, pour happer le trayon de sa mère gorgé de bon lait.
Elle le lèche et l'essuie, le pousse du mufle et grogne de contentement.
Quand c'est une vache maternelle d'instinct. La majorité, heureusement.
Il arrive, j'en ai eu, que des vaches ne se sentent pas l'âme nourricière. Elles n'aiment pas être tétées, et le font savoir brutalement à l'impudent qui s'y risque.
Il faut alors essayer de les raisonner, et, le plus souvent, à quelques coups de sabots près, on y arrive !

La petite vêle connaît ensuite les joies de la petite enfance. Elle découvre le monde, entre deux tétées et plusieurs longues siestes quotidiennes.
Si elle a la chance de naître à la ferme Agorreta, elle connaîtra les joies de la sortie aux champs à la belle saison. Elle y  gambadera, toute follette, s'épuisant jusqu'à en écumer, en des courses effrénées.
La petite vêle est souvent joyeuse, joueuse, intrépide et aventurière. Elle n'obéit pas toujours à sa mère qui voudrait la garder auprès d'elle. Il faut aller la chercher chez le voisin où elle a été prospecter, passant sous le fil de clôture, toute petite qu'elle est.
Pendant au moins quatre mois, elle se nourrira du bon lait de sa mère. Si elle est jolie, de bon caractère, suffisamment attachante pour que je veuille l'élever en future vache, elle grandira sans être privée, jusqu'à ce que sa mère la rabroue, faute de lait, parce-qu'elle sera de nouveau pleine, ou qu'elle en aura tout simplement assez de sa grande fille accrochée trop longtemps à ses jupes.
Je suis d'avis de laisser faire, la plupart du temps, et tout le monde s'en trouve bien.

Quand cette demoiselle renonce à ce lait tant aimé, on l'intronise génisse.
En gros, la vêle, passés les cinq ou six premiers mois, devient demoiselle génisse.
Elle le restera tant qu'elle n'aura pas eu son premier veau. Là, elle franchira encore une étape, et sera, vache !

La vêle est tôt intéressée par les affaires amoureuses.
Certaines manifestent leurs premières chaleurs dès les six mois.

A Agorreta, nous respectons le temps et en admettons le rythme. Pas de précipitation...
La jeune vêle doit grandir, son squelette forcir. 
Certains éleveurs, pressés de rentabiliser leurs génisses, les font saillir ou inséminer au plus tôt, dès leur quinze mois parfois.
Comme si on faisait enfanter nos jeunettes à douze ans !

Chez moi, pas de ça !
La génisse meugle ses envies, s'agite et tend la croupe, mais non,  il lui faut attendre.
Nous n'avons jamais eu de taureau à Agorreta. Avec si peu de vaches, il s’ennuierait, le pauvre !
Nous faisons inséminer nos vaches. Le professionnel, dûment mandé le matin, arrive dans la journée et ensemence la vache, suivant le profil paternel demandé, ou à peu près.
J'ai eu commandé un petit limousin pour une magnifique croisée limousine (ma vénérable Monumento évoquée plus haut.)
Et nous avons eu la surprise, neuf mois plus tard, d'extirper un petit Piluket, gris et blanc, quand il n'aurait pas du être autrement que roux !
Bah, tout ne se décide pas mathématiquement... Et notre petit Piluket, baptisé ainsi à cause de la douceur de son pelage-peluche, fit une jolie carrière de taurillon, quelque part en Italie.

La génisse tombe en amour toutes les trois semaines. Son comportement change ce jour là.
La plus calme devient fébrile, elle se sent des pulsions qui la dépassent.
Il faut se méfier alors, des sauts intempestifs et des brusqueries exacerbées.

A Agorreta, nous attendons les deux ans de la génisse pour la faire inséminer.
Ainsi, cet été, mes trois jeunes auront leur première expérience. Je sais, l'inséminateur ne doit pas être une rencontre bien romantique, mais bon, faute de mieux, ça doit faire !
(Pour Oswitx, compte-tenu de son passé mouvementé, j'attendrai encore. Qu'elle grandisse comme il le faut, d'abord.)

Ensuite, je surveille au bout de trois semaines, un éventuel retour de chaleur, signe de l'échec de la première tentative. 
Tout ne marche pas à la première fois, là non plus !
Bigoudi, par exemple, a du être inséminée trois fois avant d'être pleine.
Pollita, elle, la première fois fût la bonne.

Ensuite, il faut attendre, neuf mois, comme chez les femmes. Les ventres s'alourdissent, les pis se gonflent de lait.
Bigoudi et Pollita en sont à leurs dernières semaines.




Je suis impatiente. Un peu inquiète, aussi. les choses tournent mal, parfois.
Mais j'en accepte l'augure, par force...

Tiens, ces deux là, je ne vous les avais pas racontées.

Pour Bigoudi, elle vient comme Oswitx du parc animalier de Bidart, cuvée 2012.
Elle a trois ans maintenant. Elle était mieux traitée que sa remplaçante, et je l'ai reçue, elle aussi, en hiver. 
Elle séjournait dehors, et son poil était long et dru. Tellement long sur son front qu'on aurait pu y rouler des frisettes, autour de bigoudis. D'où son nom.
Sa race est un peu incertaine. Sur les papiers, elle serait issue de Bleue-Blanc-Belge. Hum ! A la regarder, on ne peut pas trop dire.
Elle est petite, pas très charpentée, mais douce et paisible.
Nous verrons quel genre de mère elle nous fait.

Pollita est née à la ferme. J'avais achetée sa mère, une magnifique normande, à la foire d'Hélette, où j'étais allée un jour de Novembre me perdre avec Hélène et Yvette.
La bête était bien belle. Mais elle était aussi bien sauvage. Je ne connaissais pas ses antécédents.
Je ne pus pas me l'assagir. Elle resta fantasque, imprévisible, impossible à approcher sans se méfier.
De mes vaches, je supporte quelques foucades. En revanche, je ne veux pas m'en occuper en risquant tous les jours de me prendre un coup de cornes ou de sabots, sans jamais pouvoir le prévoir, et encore moins comprendre pourquoi.

La normande était belle. Mais je décidai de ne pas la garder. Elle m'offrit Pollita, elle l'éleva parfaitement, et me la laissa. Et Pollita, elle, est aussi tranquille que sa mère était crispée. Les mystères de la génétique !
Je suis reconnaissante à ma grande normande de sa descendance, même s'il est toujours décevant de devoir envoyer une jeune et belle bête en boucherie.

Ainsi va la vie de l'éleveur. Tout n'est pas réussite, loin de là.
Mais toutes ces vaches ont marqué leur temps à Agorreta, plus ou moins.

Et j'en garde le souvenir comme de petits cailloux essaimés sur mon chemin de fermière.

Le prochain événement à la ferme sera sans doute la survenue de ces naissances.
Je vous partagerai tout ça, bien-sûr !

Si le temps se radoucit, nous tenterons aussi le semis de la betterave et la plantation des pommes-de-terre.
Il faut attendre, là encore.

Je vous ai fait le tour de mon petit troupeau. 
J'espère ne pas vous avoir ennuyés. Je sais que ma passion n'est pas très commune...

Bah, à vous d'attendre, là aussi, d'autres chapitres plus à votre goût.
Nous nous retrouverons bientôt, sûrement.

Pour les petites et grandes nouvelles d'Agorreta !