mercredi 8 avril 2020

8 avril




Mercredi  8 avril 2020 15h50

Beñat promène notre père au grand soleil, dans la cour autour de la grande maison.
Il le "gare" souvent devant son atelier, et tous les deux retrouvent cette connivence : l'un et l'autre tour à tour penchés sur un tas de ferraille hermétique, ou alors une pièce obscure,  cherchent et imaginent des utilisations inédites et créatives.
De grands éclats de rire fusent jusqu'ici, dans ce garage où j'ai installé mes quartiers résidentiels, le temps que Tito redonne un coup de frais à la ferme.
Oui, j'ai commencé encore une fois mes peinturlurages, puis, à la première cervicale grippée, je me suis résignée à admettre que ce n'était plus pour moi. Sans insister davantage, puisque maintenant, mon statut a rétrogradé suffisamment pour que je ne m'échine plus à tenir une posture trop ardue.
C'est confortable. Un peu coûteux, évidemment, et là, douloureux, forcément, mais bon, on ne peut pas tout avoir ! J'ai fait mon choix.

J'ai ce petit créneau, entre les exercices d'après sieste, et le goûter.
Aujourd'hui est un jour faste. Dès le lever, mon père se sentait en jambes. Le soleil voilé de nuages hauts le hélait. Il n'a pas résisté, et chevauché son destrier.
Depuis la chambre et dans la cuisine, nous avons osé la marche. Un petit pas hésitant, la jambe droite en avant. Quand il s'est agi de la gauche, j'ai resserré ma garde au plus près, le fauteuil en position repli rapproché.
Ca allait. Ca tanguait, oui, les jointures des mains blanchissaient sous la pression autour des manches. Mais ça tenait !
Il y a eu trois pas. J'ai préféré nous en tenir là, pour un premier essai.
Nous nous sommes entendus sur un pas supplémentaire par jour, comme programme raisonné.

Le petit déjeuner pris, le paralytique miraculé en redemandait.
Avec Beñat, collégialement, nous avons opté pour des exercices en extérieur. Toujours pareil, il fallait déterminer le bon endroit : abrité, plan, du moins le plus plan possible suivant la configuration pentue du terrain.
Un premier tour de repérage, et nous avons choisi la partie légèrement inclinée devant l'ancienne porcherie. Une petite déclivité suffisante à amorcer une marche aisée, un revêtement assez homogène pour ne pas basculer catastrophiquement dans un nid de poule.
Et nous nous sommes lancés :
Convoi en scarabée avec moi devant le déambulateur, le tractant et guidant sa course. Mon père accroché au-dit déambulateur, mâchoires un peu serrées, tâchant de respirer en cadence. Beñat en tenaille, avec le fauteuil roulant, suivant le mouvement au plus près, de façon à "recueillir le bébé", si jamais une défaillance nous le faisait chuter.

Nous étions au mieux, confiants, dans les meilleures conditions, et suffisamment vigilants pour garantir une sécurité optimale.
Top départ :
Relevé en un han d'effort.
Stabilisation de la position debout.
Arrimage sur les poignées.
La jambe droite en avant.
Balancement du poids du corps sur cette jambe, et... la gauche en avant.
Ca flottait un peu.
Mais ça avançait !

La déclivité du terrain aidant, l'enthousiasme galvanisant les troupes, ce furent pas trois, quatre ou cinq pas. Non, ce furent une douzaine de pas, presque fluides. Jusqu'au moment où la jambe gauche refusa de rester bien parallèle à la droite, où la droite se mit elle aussi à divaguer.
Il y en avait assez.

Assez aussi pour remettre un espoir lumineux dans ce vieux corps encore vaillant.
Assez pour nous laisser sidérés, encore, de le voir aussi fort.

Nous ne savons pas jusqu'où il remontera.
Tito le voyant le dit :

- es duro ese, hé ?

Il est "dur", c'est sûr.



Et encore assez joyeux pour en rire !

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