dimanche 12 avril 2020

06 avril




Lundi 6 avril 2020 7h30





Tiens, il va falloir que je pense à nettoyer mon appareil...



C'est le meilleur moment dans une étable, celui-ci et juste avant, quand les bêtes finissent de manger, puis, rassasiées, se couchent dans le paillage frais.

Comme ces jours-ci je reste à Agorreta, confinement oblige, je profite largement de ces moments privilégiés.
Tout le monde a double ration de caresses, de soins.
Les génisses sont étrillées, à leur rentrée du pré.
Neska Motz est la seule à avoir un pelage rutilant.
Les trois autres sont plus ternes.
Buru haundi tachetée peut être assez jolie, aussi, et la grise pommelée Graziosita serait bien, si un beige sale ne se glissait pas sur son cou et ses flancs.
La Katto pelato, au grand soleil, s'allume de reflets auburn. Mais pour elle, il faut vraiment un éclairage favorable.

Bah, toutes communes de pelage qu'elles soient, mes Neskaks sont bien mignonnes, pour moi.
Les contempler ainsi, si tranquilles,  m'emplit de bien-être pour la journée.
Je les lâcherai tout à l'heure.
Elles prennent gentiment les usages de la saison. Un peu brutales encore au moment où je délie les liens, elles ne se précipitent plus dehors. Elles flânent, sûres de leur liberté.
En fin d'après-midi, elles s'approchent de la ferme, au gré d'une pâture dolente.
Je dois simplement venir les chercher au pied de la rampe.

Pour le moment, elles ne sont pas organisées en troupeau discipliné.
Il n'y a pas de meneuse : chacune y va de sa fantaisie.
Elles reconnaissent quand-même leurs places : Buru Haundi et Graziosita ayant migré en tête après la mort de ma si regrettée Bigoudi, le mouvement de retour à l'étable en a été tout perturbé.
Maintenant seulement, elles se parquent sans trop de désordre. Les bons jours.
Il faudra encore du temps pour que ce groupe là intègre les notions de la vie communautaire, et de la vie à Agorreta.
Et bien, nous le prendrons, ce temps.
Covid 19 nous le propose, d'ailleurs.


Dimanche 12 avril 2020 10h50

Mon père dans la cuisine regarde la télévision.
Faute de messe de Pâques, il se rabat sur une retransmission d'un concours de coupeurs de billons à la hache. En ce temps-là, les Mindeguia, Arrostegui, Larretchea et Gorostegui se disputaient les titres. Ca remonte à trente ans.
Comme j'ai aménagé mon bureau dans la chambre du fond, mon lieu de vie du moment, je ne suis pas gênée par les clameurs d'une foule de parieurs.
Le déambulateur me fait une assise juste à la bonne hauteur, devant le "bureau", à savoir un meuble d'aquarium chiné chez Lafitte.
Il bruine gentiment, dehors, et les rondeurs vert tendre et plus profond des bosquets feuillés s'adoucissent au ciel gris pâle.

Mes belles sont au pré.
Ces jours-ci, elles me font des caprices, à la rentrée du soir.
Quand l'heure arrive, enfin, notre heure, autour des 17h30-18h, nous venons avec Antton les héler.
Jusqu'à tout dernièrement, elles levaient la tête à leurs noms, et s'avançaient, en ordre pas trop dispersé.
Le changement d'heure fin mars me les a déréglées.
Une ou autre chaleur n'ont pas arrangé les choses.
Puis, pour couronner le tout, Katto Pelato s'est aperçue qu'elle était issue de blonde : fouettée par l'appel de sa race, elle en tient pour se rapprocher des deux troupeaux voisins, ces blondasses sans saveur des cousinous réunis.
Quand l'heure de la rentrée arrive, notre heure, toujours, nous nous avançons bien sur la rampe. Tournés vers la ligne d'horizon lointaine, sur la mer, nous admirons dans le soleil encore haut les courbes généreuses de nos quatre génisses.
Nous les appelons : Tto, tto tto, pour Antton. raccourci du Zato, zato, zato, ou viens, viens, viens. C'est une prière, comme chanté par Marie Laforêt.
Elles y restent assez sourdes.
J'essaie leurs petits noms, modulé sur tous les tons, du plus affectueux au plus impératif.
Elles lèvent bien la tête, nous considèrent, d'entre les herbes hautes.
Elles se mettent en route, sans trop d'enthousiasme, mais bon.
Nous nous apprêtons à rentrer dans l'étable, confiants.
Dans le champ, Katto Pelato hume le vent, et tourne les talons, la bougresse !
D'un petit trot un peu lourd, la queue dressée bien haut, elle dévale la pente, vers la clôture où ses cousines la regardent arriver.





Graziosita, chamboulée par pas grand chose, lève elle aussi la tête, et s'élance à la suite de Katto Pelato, comme ça, pour le fun. Elle gambille, toute joyeuse, fait de petits bonds en arquant le dos et donnant des cornes. 





Les deux noires, pour ne pas être en reste, se lancent à leur tour, plus lourdes, mais tout aussi décidées à faire les folles.





Le champ n'est pas bien grand. Il l'est bien assez, quand il s'agit de ramener ce troupeau anarchique à la raison. Quelques allers retours poussifs d'un angle à l'autre du pré, quelques malédictions puissantes contre ses "sssaloperies de vaches" "sic Antton, "qui vont finir très vite à l'abattoir", (quelle horreur, je mets ça sur le compte de la fatigue musculaire), et nous parvenons tant bien que mal à canaliser les élans fougueux de nos génisses turbulentes.

Aahh ! On les trouvait molles, elles ne courraient jamais, ou très peu. Et bien là, elles montrent qu'elles ont du jus, les petites, lancées en pleine course et martelant le pré de leurs sabots ailés.
Fatigués, tous, nous finissons par regagner l'étable.
La tentation serait grande de leur faire tâter du bâton.
Ce serait une erreur tactique grossière : elles refuseraient catégoriquement de s'y laisser reprendre, le lendemain.
Et puis, elles restent câlines, jamais mauvaises, même quand dans le champ je leur fais tourner le mufle d'un cinglant coup de noisetier.
Enfin rangées à leurs places, elles se laissent grattouiller, écumantes encore de leur course.
Elles sont si belles...

Quand je vois les deux troupeaux voisins avancer au pas, lourdement mais en bon ordre, je rage un peu.
Et oui, n'est pas grand éleveur qui le veut !




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