mercredi 1 avril 2020

02 avril




Jeudi 2 avril 2020 7h30


Le retour des infirmiers au petit matin signe l'arrêt des grasses matinées.
Cet état de temps suspendu ne durera pas éternellement : je préfère me remettre en train doucement. L'arrêt a été brutal. dans ce sens là, les cadences se prennent facilement. Si le redémarrage l'est aussi, il vaut mieux s'y préparer, progressivement. Reprendre le collier en resserrant les crans un peu chaque jour.
J'imagine mal d'ailleurs comment ça se passera, cette reprise. Nous verrons bien, le moment venu !

Le paternel souffle en cadence. Il dort bien, au petit matin, quand le jour bientôt levé écarte les obscurités, dehors et en dedans.
Nous sommes maintenant passés au fauteuil roulant. La position debout est encore à peu près assurée, contre un appui, ou avec le déambulateur. La marche avant est plus risquée, avec une jambe qui traîne la patte, justement. La marche arrière, il n'y en a pas besoin : toujours de l'avant, maintenant. Quel qu'en soit le but, et parce-qu'on ne choisit pas...

Je note avec curiosité ces tournures de phrases, dont je me souviens aussi du temps de ma mère malade : le corps en souffrance devient "il", quand l'esprit sain (saint ?) reste "je".

- piz egiten ari dun
- il est en train de pisser.

Comme illustration prosaïque.

- Gose nion
- j'ai faim.

La faim comme signe de bonne santé, de désir de se nourrir pour continuer de vivre.

Une désolidarisation, une mise à distance de ce qui fait mal, ou peur.
Un réflexe de survie, encore un, pour garder la tête hors de l'eau, du moins hors de la souffrance, essayer ainsi de l'écarter, de l'oublier, au moins le temps de la mise en mots.

L'élan pour se sortir du "marécage vaseux", selon l'expression de Beñat pour tout ce qui est glauque, lourd, confus et mauvais pour le bien-être et le bien-penser, prend source aussi dans cette dissociation.

J'essaie de mon côté de me dissocier de cette misère du grand âge et de la maladie.
De rester proche, mais suffisamment à distance pour ne pas sombrer dans ce désespoir implacable.
J'aurai vraisemblablement, et malheureusement, l'occasion d'en souffrir, moi aussi, quand le moment sera venu.
Inutile de le faire par anticipation, et procuration.
Je peux assurer les meilleures conditions de confort à mon père. Je ne peux pas le sauver de l'inexorable.
Je reste sur le navire, tant qu'il tangue mais ne sombre pas. 
Je l'abandonnerai, si possible avant que les flots ne m'engloutissent aussi. Si je ne plonge pas tête baissée, avant ! Là encore, on ne choisit pas son moment...

Sur ces considérations légères, je vais m'occuper du lever du roi.
Préparer la mise en train d'une journée ordinaire, émaillée d'une gaieté  encore bien présente par ici.
Nous faisons des simulations de postures et de mouvements, pour conquérir une fluidité pas encore gagnée.
Quelques chocs et secousses inévitables heurtent un ou autre genou ou pied hors gabarit.

- Holà, tonne l'homme malmené , kasu emanzan ba !
- Holà, fais-donc attention !

Notons au passage cette finesse de la langue basque. Elle dissocie l'interpellation suivant le sexe de celui ou celle à qui elle s'adresse :
le "n" est féminin, le "k" masculin :

- kasu eman zan, s'adresse à une femme, ou plutôt à une fille, que l'on tutoie.
- kasu eman zak, ira au garçon familier;

L'un et l'autre plus jeune que celui qui parle.

Pour une personne plus âgée, où en français le vouvoiement serait protocolaire, ce sera :

- kasu eman zazu,
- faites attention

à différencier du :

- kasu eman zazue
- faites attention, toujours, mais adressé à plusieurs, quand en français, à l'écoute, on ne peut pas dire s'il n'y en a qu'un, de maladroit, ou alors, si c'en est une légion.

Ceci pour preuve des distinctions subtiles d'une langue abrupte à l'oreille, pourtant finement ciselée, à y regarder de plus près.

Le petit chapitre explication linguistique se referme ici.
Comme une goulée d'air inspirée à pleins poumons, avant de retourner dans le "marécage vaseux". Histoire de ne pas se laisser enliser en glissant sur les berges bien pentues !






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