mercredi 4 janvier 2017

LES CATASTROPHES EVITEES



Bonjour !

Dans ma série, je cultive les motifs de joie, de satisfactions, je vous en raconte une.

J'étais hier à la jardinerie.
En cette période de début d'année, l'activité jardinière est assez molle.
Les clients se remettent de leurs agapes, reprennent le collier d'un quotidien écarté sur ces quelques jours de fin d'année.
Peu se lancent à corps perdu dans la réfection de leur jardin ou de leur terrasse.
Nous arrivons aisément à canaliser et satisfaire ces quelques aspirations décalées, mais fort bienvenues pour nous !

Les températures froides contribuent évidemment à ralentir cette activité extérieure.
Le petit matin givré, vous et moi, nous avons plus envie de nous pelotonner dans la tiédeur de nos intérieurs douillets, que de nous jeter dehors.
Quelques sorties vivifiantes font du bien, certes. 
Toute une journée, encombré de couches de vêtements superposés, dans une atmosphère à peine trouée par le soleil tout juste aperçu l'espace d'une heure à travers un brouillard épais, c'est une autre histoire.

Que voulez-vous, chaque métier a son lot de misères, et celui de pépiniériste n'y échappe pas !

Pour dévier mon esprit de ces constatations chagrines, j'avais devant moi une entreprise nouvelle : les serres.
Oui, nous avons décidé cet automne, à la jardinerie, de commercialiser des serres. Pas des petites serres de gnognotte comme nous en avions déjà, non, des serres, des vrais, des belles.
Olivier m'avait aiguillée sur le choix d'un fournisseur.
ACD, en Belgique. Si par cas vous êtes intéressé par l'acquisition d'une serre de qualité, n'hésitez pas, allez vous promener sur le Veb, vous verrez de quoi je parle.
Si vous persistez par chance dans votre projet, sachez que la jardinerie est toute prête à vous vendre cette merveille.

Cette petite parenthèse mercantile refermée, je reviens  à mon histoire.

Hier matin, je décidai donc de m'atteler à cette tâche inédite.
Nous avions réceptionné la marchandise jeudi dernier.
J'avais en commande trois serres.
Je m'attendais à recevoir trois ensembles de pièces détachées, à assembler.
Je reçus quatre palettes, et dix-huit colis. Ah...
Les serres de ce type sont construites sur un bâti aluminium plus ou moins grand et sophistiqué selon les modèles.  Des verres viennent fermer ce bâti.
La marchandise était parfaitement emballée, particulièrement les verres, posés debout l'un contre l'autre sur des palettes caparaçonnées de bois. Le poids en était méticuleusement réparti, de façon à éviter tout basculement.
C'était rassurant.

J'avais précautionneusement déchargé cette livraison délicate.
J'avais soigneusement contrôlé l'état des verres, le nombre de colis indiqué.
Tout allait bien, tout collait, impeccable !

Je ne disposais pas sur la fin de semaine de main d'oeuvre adaptée pour réaliser le montage de ces serres.
Les uns en congés, d'autres en weekend prolongé, tous la tête aux fêtes et moi pas plus pressée que ça.
Hier mardi, nous avions planifié l'opération.

Pour m'aider, Jean-Marc, habituellement en serre chaude, et Vincent, lui, préposé au magasin, en intérieur, m'offraient courageusement leurs services.
La serre chaude, comme son nom l'indique est chauffée. Jean-Marc s'y occupe des plantes d'intérieur, tropicales et autres. Des conditions de température bien agréables lui maintiennent le teint frais et le visage poupin.
Remarquez, au plein été, à près de quarante degrés sous les verres traversés par les rayons ardents du soleil estival, il y est aussi, un peu rosi et suffocant.
Je vous le dis, chaque métier ses misères...
Vincent, lui, s'occupe du magasin, chauffé toujours.

Ces deux collègues se sont hier matin équipés grand froid, arborant casquettes steppes aux oreilles d'épagneul, gants épais et vestes molletonnées.
Par solidarité, ils ont abandonné derrière eux des conditions de travail agréables, pour venir me prêter main forte.
Comme ils étaient bienvenus !
Tous ces colis satellites, indépendants et codifiés mystérieusement, me faisaient une conversation bien confuse.
Je ne m'y retrouvais pas, entre les références difficiles à rapprocher d'un document à l'autre, des lettres ici, des chiffres là, une logique sans doute lumineuse pour les belges, mais difficile à saisir pour nous.
Mon désarroi faisait peine à voir, et mes collègues pleins de sollicitude avaient le bon goût et la délicatesse de partager ma perplexité.
A force de persévérance, de recherches et de recoupements savants, nous finîmes par séparer trois lots, correspondant à nos trois serres.
Le sort malin évidemment s'en mêla, nous faisant constater au bout de deux heures de recherche, qu'il nous manquait en fait un colis important. Deux cartons sensément assemblés en un seul lot avaient été séparés. Le nombre total correspondait bien, mais ce subterfuge sournois masquait un manquement évidemment générateur de trouble.
Plusieurs échanges téléphoniques avec la Belgique voisine levèrent le mystère.
Des correspondants fort agréable, à l'accent si amusant, se mirent à leur tour en recherches, et identifièrent le problème.
Au moins, j'étais soulagée, retrouvant un peu de la confiance qui m'avait complètement abandonnée, quand je me voyais si empêtrée et inefficace devant une tâche à priori assez simple : je devais reconstituer trois serres, pas une centrale hydraulique !

La journée s'avançait. Mes collègues avaient entamé le montage de la serre moyenne.
Jean-Marc étudiait la notice, Vincent essayait de comprendre par-dessus son épaule.
Quand je m'approchais, je fus également surprise de la méthodologie de repérage des différentes pièces. Là encore, sur le document de colisage figuraient des numéros. Et sur la notice de montage, des lettres. Pour faire coïncider les deux, le dessin de la pièce... on aurait pu faire plus simple, non ?
Rien ne ressemble plus à un profilé laqué qu'un autre profilé laqué. Les longueurs nous guidaient. Les rainures, fentes, emplacements d'écrous et autres indices dispensaient le début du commencement d'un éclairage.
A première vue pourtant, les cartons s'ouvraient sur un petit plan bien précis.
Dès la première page ouverte, on était quand même un tant soit peu déstabilisé par la numérotation des étapes de montage, disséminée en désordre, le 1 en milieu du bas de page, et le 4 en haut à gauche, par exemple.
Non, vraiment, c'était surprenant...  Mais bon, petit à petit, nous avancions.
Le froid n'aidait pas à la manœuvre. Saisir avec des gants les petits écrous à faire glisser dans les rainures minces, maintenir la douille fuyante en bout de la tige non aimantée, tout cela s'avérait minutieux, et contraignant.

Pour le milieu d'après-midi, nous avions érigé un bâti ma foi honorable.
Nous travaillions sur le parking, puisque les serres doivent être visibles depuis la route.
Le soleil était hors de portée, et un petit courant d'air bien vif nous mordillait la peau partout où elle n'était pas couverte.
L'activité ne nous réchauffait pas trop, avec cet aluminium glacé et ces assemblages méticuleux.

Nous en étions à la pose des verres.
Encouragés par notre avancée, nous étions bien plus confiants qu'au petit matin.
Les belges nous avaient dotés d'un petit kit de montage. Deux poignées à ventouses devaient faciliter le maniement des verres. Aucune poignée ni prise sur ces verres, juste de grandes surfaces planes et lisses.
J'étudiais un peu ces poignées : elles me rappelaient les poignées vendues en pharmacie, pour aider les personnes handicapées à se mouvoir dans leur salle de bain. Plaquées à la faïence par les ventouses, elles sont sensées supporter de lourdes tractions, sans se décoller, évidemment !
Le dispositif simple de la ventouse par lui-même m'a toujours paru mystérieux, et je ne m'y fie pas trop.
Pour mon père, quand il a eu besoin de ces accessoires pour l'aider, j'ai préféré les bonnes vieilles poignées solidement arrimées au moyen de bonnes longues vis et de chevilles franches.
Nonobstant, je ne suis pas obtuse, et j'ai voulu croire que les professionnels belges connaissaient leur affaire. Les verres étaient pour certains hauts et larges, je pouvais difficilement les saisir autrement.
Un peu oppressée par une appréhension soutenue, je plaquai mes ventouses, les testai prudemment, et, constatant la facilité de la chose ainsi conduite,  me laissai rassurer.
Tout allait bien, le travail avançait rondement. J'approchai les verres un par un, les présentai dans leur logement, et mes acolytes fixaient le gros joint en caoutchouc dans la rainure appropriée pour les maintenir plaqués au bâti.
Nous avions placé tous les panneaux de toiture, en verre dépoli semblable à celui des paravents de douche.

Nous en étions au premier côté.
Les verres étaient ici hauts et étroits.
Sûre de ma technique éprouvée, je continuai d'apposer mes ventouses, et d'approcher le verre ainsi tenu.
Je ne sais pas ce qui s'est passé. Le froid est-il en cause, un positionnement défectueux ou quoi, toujours est-il que le panneau de verre que je maintenais à bouts de ventouses lâcha soudainement, me laissant inerte et stupide, mes deux ventouses vides aux mains.
Je m'attendais au fracas du verre brisé en mille morceaux, et crispai mes nerfs dans cette perspective, la tête déjà rentrée dans les épaules.
La tranche du verre tomba sur le bout de mon pied chaussé d'une coque de sécurité, heureusement.
Le panneau bascula en avant, rattrapé juste à temps par Jean-Marc tout aussi ahuri que moi, mais moins tétanisé.

Mes deux ventouses vides à la main, me vint l'idée de ces défibrillateurs appliqués sur la poitrine de ceux dont le cœur s'est arrêté. Je me les plaquais sur le torse,  en criant : chargez ! comme il me semblait l'avoir entendu crier dans les films.

Nous nous regardions tous les trois, éberlués de cette chance de circonstances, et ravis d'avoir évité le petit traumatisme d'un grand panneau de verre volant en éclats juste devant nous.
Quelques bons rires libérateurs après, nous reprîmes le cours de notre montage, attrapant les verres à trois, pour les mettre en place.
C'était plus long, mais plus rassurant.
Les deux ventouses défaillantes gisaient au sol, près du mur, tournées vers le ciel qui les avait abandonnées.

Ces petites catastrophes évitées, et les grandes, à fortiori, nous parlent d'un sort ami, capable de se montrer bon enfant.
Toutes ces choses qui auraient pu mal tourner, nous n'en percevons parfois même pas le souffle mauvais.
Et perdons de cette ignorance la sensation de chance qu'elles nous laissent quand nous les reconnaissons.

Ma foi, ces petits vertiges là, donnent bien l'ivresse et l'émoi, en même temps qu'un frisson désagréable.

Pour cette fois encore, tout est bien qui finit bien.
Et notre serre se dresse aujourd'hui fièrement !

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