dimanche 27 décembre 2015

CHEMIN DES CRÊTES : LA PLAIE ET SES TOURMENTS



Bonsoir tout le monde !

En ces derniers jours de l'année, l'ambiance est aux fêtes, aux retrouvailles en famille ou entre amis.
Je reviens souvent à mon clavier. Les journées sont dolentes, les soirées longues. J'aime ces temps en intérieur. Comme j'aime ceux en extérieur, à la saison venue. Chaque moment vécu comme bon et bienfaisant.

Continuons sur notre lancée, en flairant de plus près notre redoutable et fantasque Oronos du Chemin des Crêtes, entre 2003 et 2004.




Mes échanges avec ce garçon furent nombreux, divers et variés. Très contrastés.
Nous nous retrouvions aux champs, par ces rendez-vous informels que l'homme décidait seul. Il ne venait m'y retrouver que quand il le voulait. Il me surveillait depuis la maison de sa tante, en face. Et, quand l'envie lui prenait de tailler une bavette en ma compagnie, il arrivait, au volant d'une vieille voiture défoncée, ou à pieds, selon.

Il œuvrait aussi par beau temps sur cette fameuse parcelle en bord de route, qu'il prétendait sienne. En fait, ce terrain, personne ne savait trop à qui l'attribuer. Un certain Ostiz, peut-être, mais pas de certitude, et moins encore que cet Ostiz là était un membre de la famille de notre intrépide Oronos. Un grand flou, quoi, que les services cadastraux ou fiscaux n'ont jamais éclairé.
Oronos aimait les travaux de plein air. Il faisait volontiers des plantations, sur ce lopin de terre ouvert sur le large. Evidemment, ses plants, il n'allait pas les acheter dans une jardinerie, chez Lafitte, par exemple. Non, non, ses plants, lui, il allait les cueillir sur pied, il les glanait, par ci par là. Les jardins des voisins, le Parc Floral Florénia, tout proches, lui faisaient office de magasins.
Il posait des clôtures, avait besoin de piquets. Qu'à cela ne tienne, il en avait à foison, juste à côté, chez nous !
Voulant rétablir la vérité géographique selon son idéal, il fermait un accès ici, ouvrait une voie là. Forcément, dans les accès à fermer, il y avait celui qu'empruntaient les camions pour venir décharger la terre chez nous. Evidemment...







Finalement, les lubies de ce grand gaillard faisaient plutôt bien l'affaire de nos chers voisins. De là à penser que tout ce petit monde entretenait sciemment les utopies de notre grand fantasque, il n'y avait qu'un pas, et vite franchi !
Oronos avait été vu en conversations avec Mme de C, et avec Mr R.
Durant l'une de nos rencontres, il me dit même un jour que "ces gens là payaient bien"...

Sans plus d'éléments, je ne pouvais évidemment pas accuser les voisins de se servir d'Oronos, pour faire cesser notre activité, puisqu'ils n'y parvenaient pas par les voies légales et autorisées.
Mais je pouvais assez sérieusement le penser.
J'imaginais bien la sèche petite Mme de C, s'enflammer pour ce beau jeune homme, un restant de progestérone l'étourdissant suffisamment pour lui faire sortir quelques billets.

Oronos d'ailleurs ne faisait pas mystère de son besoin d'argent. Il ne travaillait pas, d'où tout ce temps libre qu'il mettait à notre disposition. Une petite allocation quelconque ne devait pas suffire à servir ses grands projets. En attendant de devenir millionnaire, quand il aurait vendu ces fameux terrains, le jour où ils seraient, un, à lui, et deux, constructibles, il lui fallait bien quelques subsides.
Il m'annonça au détour d'une autre de nos conversations, son tarif : "quinze euros par camion, et je les laisse passer". 
Tiens donc ! Il m'expliqua qu'en décharge officielle, le prix à payer étant de plus de vingt euros par tonne, soient près de deux-cent euros par camion, il me faisait un vrai prix d'ami, par sympathie... 

Comme dit mon frère aîné, "ces fous, jamais tu ne les vois bêcher dans la montagne, toujours, ils veulent se faire de l'argent sans travailler !!" 
Ce n'est peut-être pas faux, encore que, dans le cas présent, Oronos saisissait volontiers le manche, pelle, pioche ou bêche. Il fallait lui reconnaître ce mérite.

Oronos avait plusieurs registres, dans ces échanges au grand air avec moi.

Par une magnifique matinée,  limpide et ciselée, il s'approcha de moi, venue là voir où en étaient les travaux. Perturbés par les entraves multiples qu'il nous occasionnait.
Il avait un grand chien, mitigé berger et loup. Une jolie bête, puissante en finesse, un peu comme lui.
Ce matin là, Oronos était d'humeur mauvaise.
Il attaqua immédiatement par des menaces, m'interdisant de stationner là.
Il m'abreuva d'insultes bien senties que mes chastes oreilles réceptionnèrent. Il me promit quelques sévices, sexuels et autres, de toutes natures, mais tous assez douloureux.
Pour conclure, posant une grosse pierre sur un piquet de bois devant lui, arraché quelques jours plus tôt de notre clôture, il intima à son chien l'ordre de me mordre.
L'animal n'était pas méchant, et, heureusement pour moi, visiblement pas dressé à l'attaque.
Je m'agenouillai, l'animal vint vers moi, et se laissa voluptueusement caresser l'échine.
Son maître, contrarié, me promit de venir me tuer de ses propres mains.

  - Bah ! lui répondis-je, il faut bien mourir un jour, non ? Alors pourquoi pas ici, et de vos mains...

J'étais dans un état étrange, distanciée de moi-même et de la scène. Très calme, quand j'aurais du être un peu inquiète, tout de même. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. 
Oronos perçut ce détachement, et me lança, jetant son gros caillou à terre :

  - Mais, vous êtes encore plus folle que moi, vous ! Je vous aurai, un jour !

Ma foi, ça repoussait le terme fatal à une autre fois.

Oronos était en fait un individu violent. Il lançait des pierres sur les pares-brises des camions, au risque de blesser le chauffeur. Il avait frappé sa grand-mère, bousculé sa tante. Une vraie famille à tempérament ! La tante dont je fis connaissance plus tard, était aussi agile qu'une jeune fille, quand elle approchait les quatre-vingt printemps. Incroyable !

Durant le printemps et l'été 2004, encore, il dégradait les clôtures, écrasait le foin en roulant dessus avec sa voiture. 





























Il était suffisamment mauvais pour s'en prendre à des arbres, les écorçant sur tout leur périmètre pour empêcher la sève de circuler, et faire ainsi périr les chênes.

































Oronos fut notre plaie, ces deux années là.
Oronos plantait des piquets dans le bitume, au travers de l'entrée de notre champ.
Oronos empêchait un camion de béton contrôlé de livrer sa marchandise, finalement bonne à jeter d'avoir trop attendu dans la toupie.
Oronos caillassait les camions.
Oronos faisait déposer des troncs d'arbres sur le chemin.
Oronos, Oronos, Oronos...

Cet été 2003, il a fait chaud, très chaud. Souvenez-vous, la canicule, fatale à je ne sais combien de pauvres vieux isolés.
Oronos, perçait de sa barre à mine le goudron, son polo roulé en turban autour de sa tête, au plus chaud de la journée.
Les policiers appelés le sommaient de s'arrêter. Il continuait. Puis, relevant le front, s'interrompait : "Ah oui", disait-il.
Puis, venaient les discours, les négociations : "Je suis sur un terrain privé, vous n'avez pas le droit d'intervenir". Les policiers reculaient, dépités. Et nous, donc !
Oronos nous apprit ainsi deux trois choses, dont ma foi je fis profit, à une ou autre occasion. Je vous raconterai, si je ne l'ai pas déjà fait, me semble-t-il. Je me perds un peu moi-même dans ce "bloc" touffu, maintenant...

Pas une semaine ne se passait sans que nous ne nous rendions au commissariat, porter plainte pour une énième exaction. "Ne vous découragez pas" nous disait-on. Il faut multiplier les plaintes. Ca finira par aboutir. Hum...
Nous rencontrâmes à ces occasions des gens charmants, un Major Huet adorable, un Groundt, je ne suis pas sûre de l'orthographe, là encore, complètement va-t-en-guerre.
Un immense soldat en uniforme se déploya devant nos yeux ébahis, un torride dimanche après-midi, dans la salle d'attente où nous patientions pour la ixième fois.
Un vrai travail à plein temps, où je ne me faisais pas relayer aussi souvent que je l'aurais voulu par mes frères. Ils faisaient ce qu'ils pouvaient, pourtant.
Il faut dire que l’énergumène sortait du lot. Et la situation nous laissait démunis.

Curieusement, les voisins, présents, n'entendaient ni ne voyaient rien. Une tronçonneuse vrombissant à plein régime au beau milieu de la nuit, ne les réveillait pas.
Oronos arrachant des piquets, jetant des pierres à de braves chauffeurs ahuris et effrayés, rien de tout cela ne les faisait réagir. Fallait-il que ces gens soient sélectifs dans l'appréciation des nuisances qui les dérangeaient... Enfin !

Avec un tel phénomène, nous ne savions plus à quels saints nous vouer.
En désespoir de cause, j'invoquai carrément le Bon Dieu, en la personne du futur président Nicolas Sarkozy, (futur d'alors, pour maintenant, c'est un peu tôt pour le dire...) ministre de l'intérieur de l'époque :





























Perdus, nous étions perdus et désemparés.
Ce garçon nous rendait tous aussi fous que lui.
Je faillis l'écraser un jour, au volant d'une grosse machine que je ne maîtrisais pas, toute à ma furie.
Cela me valut une convocation au commissariat pour tentative de meurtre, rien que ça !

Je ne vous raconte pas tous les débats que nous eûmes, tous les plans que nous échafaudâmes, dans le seul but de nous débarrasser de notre ennemi public numéro un local.

Finalement, nous nous retrouvâmes tous devant les tribunaux.
Evidemment, le garçon n'étant pas solvable, nous ne verrions jamais l'ombre des dédommagements qui lui furent réclamés.
Il fut  emprisonné, quand, après avoir fracassé la machine à café du commissariat, ce qui fit bouger les choses bien plus que toutes nos clôtures, foins et arbres arrachées, écrasés, et saignés, il s'en prit physiquement à un ou autre agent de la police nationale.

Au moins, grâce à Oronos, nous fîmes l'expérience des cours de justice, et de leur théâtralisation.
Le tribunal de Pau, particulièrement, me parût être une scène avantageuse, une tribune propre à exprimer mes talents de comédienne-née. Cela me plût beaucoup. Même si j'aurais préféré ne pas avoir eu à me débattre au milieu de tant de tracasseries, pendant deux ans,  pour en arriver là.

Finalement, Oronos disparût enfin de notre paysage. Paix à son âme.
Et aux nôtres...

A une prochaine fois !







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