samedi 26 décembre 2015

CHEMIN DES CRÊTES : ANGE OU DÉMON ?




Bonjour à tous les suiveurs de ce "bloc", et bienvenus aux visiteurs de passage !






Les journées se succèdent, magnifiques, en cette fin d'année 2015.

Pas de pluie depuis plusieurs semaines. Mon navet commence à prendre triste tournure. les feuilles se dessèchent, se recroquevillent sur leur misère. Elles perdent ainsi moins d'eau. Le bulbe n'a pas besoin de grand chose, en cette saison. Il conserve sagement sa ressource. A la première averse, au retour de l'humidité de saison, il pourra de nouveau espérer restituer un peu de vigueur à ces pauvres feuilles en souffrance pour le moment. Elles redéploieront une végétation généreuse.

La nature est bien faite. 
Elle sait ce qu'elle peut, et ne demande pas plus, dans sa grande sagesse...
Ne devrions-nous pas prendre exemple ? 
Et oui... mais bon, nous sommes humains et imparfaits, n'est-ce pas ?


Revenons à notre Chemin des Crêtes.

Et retrouvons notre personnage du moment, ce brave Jean-Christophe Oronos.
Je n'orthographie peut-être pas toujours correctement son nom. Une fois Oronos, comme "ya" un os, ou alors Oronoz. Je m'excuse auprès de lui de cette approximation. Qu'il ne la prenne surtout pas en mauvaise part.
Dans la même veine, Jean-Dominique Boyé devient parfois Boyer, d'aboyer, peut-être ?
Encore une fois, je suis confuse, mais pas tant que ça...

J'ai fait connaissance de ce charmant jeune homme, en ce  début de mai 2003.
Le premier jour où je l'ai vu, nous avons devisé, dans le soir tranquille.
Je ne pouvais pas m'attarder trop longtemps.

Je me souviens bien de cet échange.
Je vous l'ai raconté, je repartais, au volant de ma petite voiture, après avoir fait demi-tour sur le Chemin des Crêtes, en face de la villa de Mr et Mme de C, à la sortie de notre champ :




Il pluvinait légèrement ce soir là, une de ces pluies légères et feutrées de printemps.

J'avais à peine dépassé cette maison. 
Je pensais déjà aux petits travaux dont je devais m'acquitter en rentrant à la ferme.
Assistance à ma mère, rentrée des vaches, petite préparation de la logistique familiale pour le lendemain.
Mon petit quotidien de l'époque, pas tellement différent de mon petit quotidien d'aujourd'hui.

Ma défunte mère en moins, mon vieux père en plus.

Soudain, je vois surgir à ma droite, une ombre longue, comme sortie de nulle part.
En fait, l'ombre se tenait dissimulée dans la haie de la deuxième villa. L'homme devait m'avoir surveillée, tapi dans la végétation. Il se montrait, avant que je ne reparte.

L'animal adorait ces apparitions surprises. Un vrai gamin ! C'était saisissant, de le voir se matérialiser, subitement, là, où on se croyait seul. 
Les membres de la famille Picabéa, dont j'ai parlé plus haut, et d'autres encore, étaient impressionnés par cette faculté d'apparition soudaine.
Ils ressentaient vraiment le phénomène comme l'incarnation d'un démon, une magie noire et inquiétante.

Oronos s'en amusait, visiblement.
Je fus moi-même surprise. Pas tellement inquiète, puisque, en venant là ce soir là, j'espérais bien rencontrer notre nouvel os du moment, sur la parcelle CA 70, maintenant fameuse.

Je me garais obligeamment à hauteur du jeune homme.
Il portait un ciré, et sa silhouette encapuchonnée participait du spectacle qu'il tenait à m'offrir.

J'ouvris ma portière, il s'approcha.

Oronos était grand, bâti en force. Je le pensais plus jeune. Il avait à l'époque moins de quarante ans. J'ai appris par la suite qu'il était plus jeune que moi de 3 ans. 
Il avait donc en 2003 trente-cinq ans. La pleine force de l'âge.
Ses cheveux encadraient son visage en boucles brunes, drues et désordonnées. Il avait un air très romanesque, à la Chateaubriand.
Son regard était sombre, mais direct. Son sourire un peu désarmant, quand il lui prenait l'envie de l'offrir. Rarement, comme je pus le constater durant l'été.

Je le sentais un peu désappointé de ne pas me voir plus impressionnée par sa vision. En fait, je tâchais de paraître très tranquille, quand je ne l'étais qu'à moitié.

Nous étions seuls sur ce chemin désert. Je ne connaissais l'individu que par ses frasques de l'après-midi, rapportées par mon frère. Se mettre en travers de la route de camions, imposer à des travailleurs de faire demi-tour, sans plus d'éclaircissement sur ses motivations, ne me paraissaient pas être des signes très favorables à nos intérêts. 
Je ne savais pas encore ce qui nous tombait dessus avec cet Oronos. Je pouvais raisonnablement supputer que ce n'était pas la meilleure chose de la terre...

Je ne me trompais malheureusement pas !

Pour cette première entrevue, je choisis de mettre les chances de mon côté. Muselant une agressivité montante, je  me fis bien urbaine :

      - Bonsoir, voudriez-vous me parler ?

N'était-ce pas entrée en matière fort civile ?

Oronos s'appuya du coude sur la portière. Il se pencha vers moi, restée assise au volant.
J'éteignis le moteur.

       - Bonsoir, oui, je crois que j'ai des choses à vous dire.

Bien... Le dialogue était amorcé. Tous les négociateurs de situations de crise vous diront que c'est un préalable encourageant.

       -  Je vous écoute.

       - Vous êtes la propriétaire de ce terrain ?

       - Non, j'en suis l'agricultrice. Le propriétaire, c'est mon frère.

       - Ah... mais je préfère quand même parler avec vous.

Très honorée ! 
J'avais perçu son hésitation. Il ne fallait pas que le bougre me file dans les pattes, maintenant que je l'avais à portée.

       - Je m'occupe des opérations de remblaiement. Si vous avez des choses à dire là-dessus, nous pouvons en parler ensemble.

Il me regardait intensément, me jaugeant aussi attentivement que je l'évaluais.

Il commença alors par me parler de l'arrêté municipal faisant interdiction aux poids-lourds de circuler sur le Chemin des Crêtes. Il avait bien noté, lui, la mauvaise localisation du premier arrêté, celui de 2000. Il semblait très attentif à la géographie des lieux, et très désireux de partager cette science à qui voulait l'entendre, moi, en l’occurrence, ce soir là.
Je le laissai parler. 
J'avais dans la voiture un petit dossier administratif, à disposition des uns et des autres. Quand, par exemple, les forces de police intervenaient, au débotté, je voulais pouvoir leur présenter les éléments sur l'instant.
J'extirpai donc l'arrêté en question d'une liasse d'autres documents.
Je fis remarquer à mon interlocuteur la mention de la dérogation prévue pour les activités agricoles. Assez cohérente, s'agissant d'un chemin "rural".
Oronos se montra vivement intéressé. Il se rapprocha encore, et, pour ne pas risquer de mouiller le feuillet que je lui tendais, il fit de son ciré un petit abri, sous lequel nous étions tous les deux comme deux oisillons au nid.
Il me détailla un point de vocabulaire, m'expliquant : voyez, seuls "dérogent", signifie "ne sont pas concernés".
Au cas où j'aurais des lacunes dans la bonne connaissance de la langue française... Moi !
Je ne relevai pas cette indélicatesse, et me montrai au contraire reconnaissante de cette science dispensée ainsi.

Tout ça commençait à durer, et je voyais le temps passer, sans avancer beaucoup dans la résolution de mon problème, à savoir : que venait faire Oronos dans mon affaire ?

       - Dites-moi, tentai-je, cet arrêté, son application, en quoi vous intéressent-ils ?

Je ne voulais pas lui jeter : qu'est-ce que ça peut bien vous faire, espèce d'empêcheur de tourner en rond ?! mais je n'en pensais pas moins, je vous prie de le croire...

Et le voici parti à m'expliquer qu'il existait sur les anciens plans un chemin, en bordure de notre champ. Ce chemin reliait la propriété de sa tante, en face, à un terrain abandonné, juste à côté de notre parcelle. Ah... Et alors ?
Et alors, si nous remblayions notre parcelle, le chemin, qui avait existé mais n'existait plus, disparaîtrait. Tiens, donc !

     - Ce chemin, n'est pas sur notre parcelle, il la longe, n'est-ce pas ? Nous ne touchons pas l'endroit où il était, et n'est plus...

       -  Oui, mais comme je ne sais pas au juste où il était, je ne veux pas que les traces disparaissent.

           - Quelles traces ? Je vois l'accès à notre champ, et cette descente où nous passons en tracteur pour aller à l'autre, en contrebas.











Oronos scrutait le paysage. Son "chemin", il le voyait sûrement très bien dans ses rêves, mais pas tellement devant ses yeux.

       - C'est ça, c'est ça ! me dit-il. Si je le laisse se perdre, jamais mes deux propriétés ne seront réunies. Avec l'évolution du foncier, ce terrain ici deviendra constructible, il vaudra de l'or ! Vous comprenez, je vais devenir millionnaire !!  Mais pour ça, il me faut ce chemin...

Le garçon s'emballait gravement. Je le voyais partir dans un délire maniaque caractérisé. Je connais un peu ces symptômes, par expérience.
Ses histoires de terrains, de propriétés à réunir, de millions  à recevoir tournaient dans la tête de ce bon Oronos comme mille lucioles survoltées. Ses neurones crépitaient, allumant des étincelles inquiétantes dans ses yeux  dilatés.
D'accord, compris-je alors. Le garçon est un peu désordre dans sa tête. Ses idées s'ordonnent comme ses boucles de cheveux. Aïe, Aïe, Aïe...

Raisonner une telle fantaisie s’avérerait difficile. La police, la mairie, les voisins, ça n'était pas gagné d'avance. Mais là, c'était un sacré raidillon à surmonter, pour le coup.

       - Ces terrains sont à votre tante, pas à vous...

Je lui parlai doucement.  Je marchai sur des œufs. Ce genre d'observation n'allait pas l'amadouer !

Il m'expliqua alors que oui, oui, pour le moment, ils étaient à sa tante. Mais que les partages n'étaient pas finalisés. Ils duraient depuis trente ans. Et il se faisait fort de faire plier la vieille tante. Mon Dieu Seigneur ! Quelle histoire nous tombait dessus, avec une famille d'acharnés de ce genre ! 
Déjà, les Picabéa, fâchés entre eux, puis en procédure avec la mairie depuis des décennies, ça paraissait un joli nœud d'embrouilles.
Ceux-ci n'étaient pas bien mieux ! 

Je vous le dis, ce Chemin des Crêtes, un vrai nid de vipères endiablées. Un petit Beyrouth de la pire époque, avec cratères de bombes et fumées d'incendies  à tous les coins de rues.
Il y a des endroits, comme ça, où toutes les passions mauvaises se retrouvent cristallisées en une masse sombre et explosive.

L'heure s'avançait, je devais rentrer.

    - Ecoutez, lui dis-je, ça m'a fait plaisir de vous rencontrer, et ce que vous me dites m'intéresse beaucoup. Seulement, là, je dois rentrer à la ferme. Voulez-vous que nous nous revoyions un de ces jours ?

    - Bien-sûr, bien-sûr ! Moi aussi, j'aime bien parler avec vous. Quand je vous reverrai par ici, je reviendrai.

Cette manière de rendez-vous ne m'étonna même pas. Je commençai à m'attendre à un peu tout, venant d'un pareil personnage.

J'étais loin du compte...

Je vous raconte, plus tard.

Profitez-bien de cette trêve des confiseurs, en attendant. Et réjouissez-vous de ne pas croiser un Oronos trop souvent !



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