vendredi 28 juillet 2017

DOMINGO OLACIREGUI



Bonjour !

Je reviens à mon histoire.

Ce matin, nous allons avancer, dans le temps et dans le drame.




Voici ici Domingo Olaciregui, le frère de ma mère.
Aux débuts de ce "bloc", je présentais deux portraits de Domingo, dont celui-ci.
L'autre, quand c'était le même, plus jeune, je pensais que c'était ce fameux Iñazio, d'après moi, José, en fait, le quatrième frère, deuxième par ordre de naissance.
Un sacré méli-mélo, une histoire entendue par bribes, au détour de phrases lâchées ici ou là.
Je vous l'ai dit, ma mère parlait peu de sa jeunesse, avec moi.
Je me souviens l'avoir interrogée, pourtant, étonnée par le fait qu'elle soit restée à la ferme, quand tous les autres en étaient partis.
De son silence, j'ai déduit un malaise, quand il n'y était peut-être pas.
Pourtant, je persiste dans mon impression.
L'explication toute simple pourrait être le mariage de mes parents, la venue de mes frères.
Cela commençait à faire beaucoup de monde à nourrir !
Les fils Olaciregui, Nicolas et Domingo, célibataires restés à la ferme, devaient faire place, partir.

Cette version est plausible, mais elle n'habite pas suffisamment mon phantasme.
J'ai besoin de mélodrame, sans doute.
Avec ces garçons fauchés en pleine jeunesse, je suis servie.

José a été assassiné à 21 ans.
Domingo n'en avait pas trente, quand on l'a déclaré mort, aux Etats-Unis.
Né en 1929, il s'est exilé en 1953, à 24 ans.
Son grand frère Nicolas l'a suivi en 1954. Celui-ci avait alors 32 ans.
Ils sont restés à Agorreta jusque là, cohabitant avec leurs parents et le jeune couple marié en 1951, mes parents.
Cela faisait effectivement beaucoup de monde.
Tout le monde travaillait, dur, mais les enfants commençaient à pleuvoir drus comme une averse de plein été, et il fallait libérer de l'espace !
Mon frère aîné est né en 1952. Le deuxième, mort à deux mois, Iñazio, (de celui-ci je suis sûre...) en 1953.

Est-ce ce nourrisson mort ? La mort encore quand elle avait déjà trop frappé ?
La ferme Agorreta était l'asile de la famille Olaciregui.
1943, l'assassinat de José Olaciregui à Biriatou, se voilait du temps de guerre, ce temps où, sous couvert de la violence légitimée, les règlements de compte privés se maquillent en faits divers noyés dans l'époque. Là encore, j'imagine, je ne sais pas...
Le malheur réactivé devait engluer la famille entière dans sa gangue mauvaise.
L'air  était sans doute devenu irrespirable, à Agorreta, alourdi d'une joie toujours éteinte, sitôt rallumée.

Ce sont des suppositions, mes imaginations. Ma mère maintenant morte ne m'en dira pas plus que de son vivant. Mon père est comme tous les paysans : les sentiments l'embarrassent.
Je fais comme je le sens, avec ce dont je dispose.

Domingo s'expatrie en 1953. Comme beaucoup de basques avant lui, il garde les troupeaux dans les montagnes du Nevada.
Son frère Nicolas le rejoindra l'année suivante.
Il était attaché à la terre de son pays basque natal, Nicolas. Il aurait voulu y revenir, même.
Avant de partir, pour ne pas quitter tout à fait, il avait acheté de la terre d'ici.
En 1972, il voulait  revenir s'établir à la ferme Errandonea, maintenant le fief de mes cousins, alors en vente.

Ca ne s'est pas fait, Nicolas est mort là-bas, de l'autre côté d'un vaste océan.

Pour Domingo, on l'aurait trouvé mort, dans la montagne, en 1957. Il avait 28 ans...



Une histoire comme un conte, tragique, toujours, des évènements dont le flou a du écorcher plus profond encore Manuela et Iñazio Olaciregui.

Il y a des familles, comme ça, où la tragédie s'invite trop souvent.
L'impression d'une spirale mauvaise où le sort ne vous laisse échapper un instant que pour vous rattraper plus fort, ensuite.
Une douleur jamais apaisée et persistante qui hurle sans laisser de répit.
Pourtant, Manuela et Iñazio trouvaient encore la force de continuer de vivre.
Ils oubliaient dans le travail et sa fatigue leur peine et ses morsures vives.
Manuela savait même rire, avait le goût des farces et l'ironie tranquille de ceux sur qui la méchanceté glisse sans accrocher.

Ma mère était de cette trempe, elle aussi, même si ses rires à elle étaient plus rares.
Elle s'était arrangée de l'histoire, la laissant là où elle était, ne voulant pas trop y fouailler.
J'étais persuadée jusqu'à aujourd'hui, où j'ai mis à plat quelques documents officiels datés, que ma fratrie était sur le même modèle que la sienne.
Elle répétait qu'elle était la dernière, après cinq frères, dont l'un était mort à la naissance. Comme nous, moi venant après cinq garçons aussi, dont le deuxième mort à deux mois.

En réalité, ma mère était la cinquième de la couvée, pas la sixième, comme je le suis.
José-Marie, l'aîné, fils naturel est né autour de 1917.
José, le deuxième, en 1921.
Nicolas, le troisième, en 1922.
Le quatrième est mort-né,en 1923
Carmen, ma mère est la cinquième en 1924.
Domingo ferme la marche en 1929.

Là aussi, les enfants pleuvaient drus, tant que la mère était en âge d'en porter un par an. Une vitalité exigeante, subie, sûrement, par ces femmes sans cesse grosses ou en couches.
J'y reviendrai plus tard, en faisant un rapprochement avec ces femmes cathares, qui refusaient la maternité.

Ma mère se représentait donc autrement que cela n'était. J'ai pu mal comprendre, pourtant, mon père garde lui aussi le souvenir de cette version fabulée.
Cette distorsion me laisse perplexe.
Ma mère est restée la dernière de la fratrie pendant cinq années. Est-ce de là qu'elle tenait cette impression d'être la dernière, pour toujours ?
Nos premières années marquent-elles à ce point nos esprits que nous ne concevons pas d'autre réalité que celle-là ?

Toutes ces questions restent ouvertes, et dans cette brèche j'aime aller voir.
Pas d'une recherche frénétique et acharnée, non.
En une quête respectueuse et émerveillée, plutôt, comme on pose le pied en terre inconnue.

Le Graal est moins important que sa quête. Le chemin riche d'enseignement, quand le but est finitude.

Assez pour aujourd'hui.
Tous ces petits cailloux clairs et moins clairs tracent une trajectoire discrète et sinueuse.
Je suis un petit point de cette trajectoire.
Je veux la laisser moins broussailleuse, si je le peux.
Sans être sûre d'y arriver !

A plus tard !








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