vendredi 21 juillet 2017

ADIO MANUEL...



Bonjour,


Nous allons demain porter en terre Mañuel Estomba.
Confier à notre terre-mère sa dépouille de vieil homme malade et fatigué, pour qu'il y trouve un repos bien mérité; et nous reste en mémoire des jolis souvenirs partagés.

Nous sommes allés lui rendre le dernier hommage, avec mon père.
A cette occasion, nous avons  rendu visite à son frère, Juanito, lui aussi vieux et fatigué, mais encore suffisamment alerte pour pousser la chansonnette !
Ils vivent eux aussi tous dans le même quartier d'Antxorlo, comme nous le faisons à Agorreta.
C'était dans la tradition de nos vieilles familles paysannes, de rester groupés autour de la ferme.
La fratrie s'éparpillait à peine, autour de la même cour, souvent. De la main d'œuvre sous le sabot.
Toute une ribambelle de belle-sœurs et beaux-frères s'agglomérait en groupuscule plus ou moins homogène, rendant l'appareil familial parfois grumeleux...

J'étais persuadée que Juanito Estomba et Mailuixio d'Antxorlo étaient frères. Ils se ressemblaient, je trouve. Et non, ils étaient beaux-frères. Ah !
Remarquez, j'ai à un moment aussi fait d'Adrienne et de Mayi d'Erreka deux belles-sœurs, quand elles étaient bel et bien, sœurs ! Sans doute devais-je avoir intégré trop fort leur différence physique, l'une élégante et aristocratique, quand l'autre, belle femme aussi, paraissait plus rustique.

 Bouhhh !! c'est d'un compliqué, ces grandes familles !

Erreka, vous savez, une ancienne ferme voisine, la famille Cigaroa, où mon grand-père Iñazio aimait aller jouer aux cartes avec Pantxoa et les autres, à l'époque. Sans doute la seule distraction qu'il s'autorisait.
Sa destination d'ailleurs, quand, chaque nuit, durant sa maladie,  l'esprit confus et pourtant l'idée pugnace, il se réveillait, s'habillait sans faire de bruit, et se mettait en route.
Ma mère se levait alors à son tour, pour aller le raisonner et le ramener à son lit.

Mailuixio est mort depuis plusieurs années maintenant, mais je m'en souviens bien.
Nous pratiquions avec lui la mise en commun du matériel agricole. Il venait prendre une machine à Agorreta, ou en dételer une, selon. Il s'arrêtait dans la grande cuisine fraîche, pour un rapide salut entre deux travaux.
Il parlait un mauvais français, lui aussi espagnol d'origine.

  - tchauffe, tchauffe, soleil, disait-il souvent, au moment des foins, en partant d'un long rire un peu aigu.

Mailuixio, le masculin de Mailuixa, mon prénom.
En français, je ne lui connais pas de traduction : Marie-Louise, oui, mais Marie-Louis ?

Nous avons aussi beaucoup de Joseph-Marie, José Mari, Joseph-Louis, José-Luix.
Le Joseph-Louis local, d'Amuxenia, est l'un des derniers bergers véritables.
Son père, Gorria, le Rouge, je ne sais si c'était en lien avec ses convictions politiques, ou alors, avec son teint ou Dieu seul sait quoi d'autre, menait ses troupeaux de brebis avec son chien Brrick, à sifflets brefs et stridents.
Mes deux plus jeunes chiens d'Agorreta, Bullou et Txief, viennent d'Amuxenia.
Comme quoi, mine de rien, tout se tient...
Un autre José, encore, le parrain de mon père, José Alzugaray, d'Urepel, dernier charbonnier, lui, et grande figure aussi.
Tous ces prénoms, ces personnages, évoluent dans une même nébuleuse haute en couleurs, et marquent notre histoire comme les héros de légendes locales.

Les confusions et les amalgames ne me dérangent pas.
Je n'ai pas dans l'idée de faire de ce "bloc" une chronique historique véridique.
D'ailleurs, c'est quoi, véridique ?
Les transmissions orales, dans nos familles où l'écrit est rare, agrémentent souvent d'approximations parfois bien signifiantes les dates, les faits et les liens.
Tenez, je vous parlais dernièrement de mon oncle abattu dans la Bidassoa, tout jeune homme, du temps de la seconde guerre mondiale.
J'étais persuadée qu'il se prénommait Iñazio. Je ne sais pas d'où je tenais cette croyance. Il me semblait l'avoir entendu dire par ma mère.
Mon frère Beñat, lui, se demandait s'il ne s'appelait pas Beñat, justement. Un genre de parrain, pour lui ?
Et bien ni Beñat, ni Iñazio !
Mon oncle tragiquement assassiné s'appelait José.
Je l'ai appris de la bouche de la femme de Juanito, lors de cette visite de mercredi.
José Olaciregui  avait 21 ans passés, à peine, le 30 janvier 1943.
Il traversait bien la Bidassoa, selon Juanito, mais aurait été tué plus loin, dans un carré de choux, sur ces terres fertiles de bords d'eau. Une balle dans la tête, d'abord, puis, une autre, dans le dos, quand il essayait de s'enfuir.
Une autre version de la même histoire, plus précise, mieux datée, du moins.
Pourquoi cette photo était-elle précieusement conservée là ?
On peut imaginer beaucoup de choses.

Ces choses qu'on imagine et qui trament une légende à partir d'un drame.
Je rapproche les dates, je m'interroge, j'essaie de comprendre, encore.
Je ne m'acharnerai pas, non.
Cette histoire est celle de ma famille.
Ma famille et les autres familles d'ici sont liées par des liens multiples et ténus.
Et tout ça fait notre trame commune et notre fondement à tous.

Adio Mañuel.
Un pan d'histoire s'en va avec toi, et pourtant, tu nous laisses comme tous les anciens des légendes et des souvenirs de toutes les couleurs.

Adio aussi José.
Toi, ton histoire, on te l'a volée. Pourquoi, comment ?
Je garde précieusement moi aussi cette photo où un beau jeune homme rêveur et mélancolique n'a pas eu le temps de vieillir, lui.




Mais nous laisse quand-même un presque sourire si doux à contempler...

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