mercredi 10 août 2016

LE POULAILLER D'AGORRETA : CHAPON NAPOLEON



Bonjour, amis des nouvelles d'Agorreta.

Ce début d'Août est un enchantement, avec ces journées pures et légères de la brise venue du soleil levant.
Un peu sec, évidemment, mais ne sommes-nous pas en Août, Agorrilla en basque, de la même racine qu'Agorreta : aridité et sécheresse...

Voyons du côté de notre poulailler, le premier personnage de la fable.
Par ordre de préférence, peut-être, ou par rang d'aînesse, je ne sais...




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Notre chapon Napoléon. N'est-il pas fier et avantageux, en sa posture assurée ?
Oui, fier, assurément, il l'est.

Chapon Napoléon est le premier arrivé d'une nombreuse couvée au poulailler.



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Toutes ces jolies volailles maintenant mâtures ont été d'innocents poussins à peine sortis de l’œuf fraîchement couvé.
De petits poussins dorés et dodus, nés les uns après les autres, et élevés en grande fraternité dans notre poulailler.

Chapon Napoléon a ceci de particulier : durant les premiers temps de sa prime jeunesse, il a connu le sentiment grisant d'être le seul, l'unique, le vrai de la couvée.
Premier-né des poussins à venir, il a eu cette vision d'un monde à lui dédié, d'un destin suprême et exclusif.
Le deuxième œuf,  sans doute clairet, avorta d'un pauvre poussinet vite retourné dans les limbes d'où il venait à peine de sortir.

Chapon Napoléon, alors tout jeune poulet à peine plumé, avait juste eu le temps de percevoir l'attention, jusque là à lui toute entière dédiée par sa mère poule, détournée.

Ce léger retrait leva en lui une angoisse bien ancrée.  Cette sournoise battit en retraite quand le danger fût écarté, mais se tint tapie dans un recoin reculé de la cervelle de notre poulet en herbe.
Mère-poule légitimement éplorée de la perte de son deuxième-né rameuta tout son capital affectif sur son aîné survivant.
Celui-ci s'emplumait richement, et la poule se remit à le couver attentivement. Sans doute pensait-elle avoir manqué de vigilance avec son poussinet défunt, et voulût-elle se racheter de cette faute imaginée en redoublant d'adoration pour le premier.
Le futur chapon recueillit cette attention comme un dû, et prospéra dans la douce chaleur dispensée pour lui seul.

Quelques temps passèrent.
Mère-poule couva d'autres œufs encore, quand sa blessure se laissa apaiser.
D'autres poussins advinrent dans le poulailler.
Le premier poulet vit arriver tout ce petit monde d'un œil partagé. Les petites volailles allaient de nouveau lui prendre l'amour de sa mère. Son angoisse tapie redressait la tête. 
Tout de même, ces petits poussins vulnérables lui constituaient une sorte de cour dans la basse-cour. Notre chapon appréciait ces allégeances, et sa suprématie trouvait là bonne terre de culture.

D'autres temps encore passèrent.
Je ne sais pas à quel moment on décida de castrer chapon Napoléon. Lui-même ne s'en rendit pas compte. Mais le résultat est bien là.

Chapon Napoléon est une volaille au poitrail fort gonflé. Sa crête est épaisse et cramoisie. 
Chapon Napoléon ne comprend pas tout ce qui s'est passé. Il sent juste un manque, une faim, de ce grain qu'il lui a fallu partager quand d'autres sont arrivés.

Son appétit est maintenant insatiable. Dans ses vieux jours, ces démons de sa petite enfance sont remontés à la surface. Ils l'ont submergé.
Chapon Napoléon ne sait comment calmer sa peur. Cette peur de voir lui échapper le grain qui nourrit, ce grain-là qui rassasie. Lui, rassasié, il ne l'est jamais. Il vit sa peur en amassant du grain qu'il cache et veille jalousement.
Il plastronne du jabot et hérisse sa crête. Le petit plumet de son postérieur vulnérable pleure cette hampe généreuse dont il se sent orphelin.
Chapon Napoléon se rêve empereur et quémande son empire imaginaire comme on rêve d'un idéal envoûtant.


Notre chapon visionnaire assiste à la distribution du matin en gobant vite vite sa ration, quitte à s'en étouffer. Sitôt son grain empilé dans son gésier déjà plein à craquer, il essaie d'en chaparder d'autre aux poulets. 

Il est loin le temps où chapon Napoléon s'amusait de ces jeunes volailles distrayantes. Pour lui maintenant, elles matérialisent une menace. Ces grains qu'elles becquettent, il en sent le besoin oppressant pour lui.

Chapon Napoléon est devenu une enzyme glouton à plumes.

Pourtant, Chapon Napoléon n'est pas seulement ce vorace insatiable. Il n'est pas seulement ce fou furieux qui compte et recompte ses grains et ceux des autres. 
"J'en ai eu tant. Celui-ci, on lui en donne tant, et cet autre là, deux de plus. Ils doivent m'en rendre !". 
Il additionne, multiplie, divise. Ses calculs l'obnubilent. Les chiffres dansent sous sa crête une sarabande endiablée. Il cherche, se perd, recommence.

Il nourrit ses peurs et cultive la rancœur.

Quand il savait si bien rire et faire rire. 
Quand tous les poulets autour de lui seraient tout prêts à apaiser ses craintes et recommencer leurs jeux de volailles insouciantes...

Allez, allez, ne désespérons pas de Chapon Napoléon. 
Il a survécu à la castration. Gageons qu'il surmonte aussi ses vieux démons...

Les volailles sont ainsi : elles s'alarment et caquètent  vite. Elles montent sur leurs ergots, quand elles en ont.
Mais, au final,  elles n'ont pas mauvais fond, quand elles savent revenir à la juste raison.

Souhaitons à Chapon Napoléon de retrouver le goût du rire et la sagesse de mieux apprécier ce grain dont il ne manquera pas...

Parce-que  bon grain bien partagé nourrit la satisfaction du juste autant que l'envie du tourmenté.










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