mardi 30 août 2016

A TOUS LES MIENS



Bonjour à tous, et particulièrement à ceux-là d'Agorreta !





J'arrive au terme de la première étape de mon périple intime et personnel.
J'arrive à ce moment où je suis capable de relire mon histoire familiale, dépolluée de toutes les strates confuses d'une mémoire mal programmée.

J'ai essayé de tenir à distance cette fébrilité. De ne pas céder à cette précipitation qui me bouscule souvent comme le font ces fameuses génisses au portail.
Cette image de génisses au portail, me parle, forcément, à moi, modeste éleveuse de quelques vaches colorées. Fille et petite-fille d'éleveurs de vaches colorées, toujours.





















Elle m'a été proposée il y a peu dans un ouvrage traduit de l'anglais : "la couleur du lait".

Ce fameux lait,  produit de nos vaches, à Agorreta, durant plusieurs décennies.
Ce fameux lait, condition de notre subsistance dans ce temps où nous étions enfants. 
Dans ce temps même d'avant nous, quand notre mère n'était pas encore une femme.


Ce fameux lait, que ma pauvre mère n'avait plus pour moi, quand je suis née d'elle.



Il faudrait vraiment ne pas vouloir croire à autre chose, pour attribuer tous ces petits événements au hasard pur.
Je crois, moi, à une trame complexe et diffuse, bien au delà de nos petites personnes. Une trame où les vivants s'animent en un dessin supérieur, un dessein intangible, mais perceptible, pourtant, à qui veut bien entendre.

Pour me confirmer mes déductions issues de ces deux dernières années d'investigations approximatives, je me suis fais aider de professionnels, des gens charmants, au demeurant.
Je les remercie en ces pages de m'avoir apporté leur éclairage, de m'avoir confortée dans mes intuitions, et rassurée dans cette conclusion.

Mon père lui même s'est intéressé aux concepts brumeux de la "ksykologie".

Comme quoi, on peut naître paysan, rester toute sa vie "aux culs des vaches", et pourtant garder l'esprit ouvert, et la curiosité affûtée d'un intellectuel aguerri.
Pour ceux qui en douteraient, et dont je ne suis évidemment pas !

Cet homme de bientôt 88 ans, notre père,  les deux pieds bien sur terre, a su élever son esprit bien au delà de ses bêtes et de sa terre.
Il a su apprendre, de ces bêtes et de cette terre, la sagesse de savoir vivre bien avec les hommes.

Par amour de sa famille, il a essayé de comprendre, de dépasser ces nœuds inextricables qui serrent trop souvent nos pauvres cœurs vulnérables.

Il a retrouvé la liberté  tranquille de vivre des jours paisibles,  parmi les siens.


Il m'a montré cette voie. Je l'ai suivi, entendu, et accompagné, pour mon plus grand bien-être, à présent.

La "ksykologie", c'est comme la mécanique. On a beau avoir tous les outils en main, encore faut-il savoir s'en servir.
Ce "bloc" a été mon établi. J'ai patiemment aligné toutes les pièces, comme elles se présentaient. J'ai laissé pour la fin le travail d'ordonnancement. Je m'y suis fait aider.
Et, je le crois, j'y suis maintenant arrivé.

Je vais aujourd'hui reprendre le cours de notre histoire. Quand on connaît l'avenir, il est évidemment bien plus facile de déjouer les pièges. Ceux là qui s'ouvrent sous nos pieds et où s'engouffrent nos émotions bousculées.


Recommençons par le commencement.
Nous sommes de là d'où nous venons, et notre passé nous fait tels que nous vivons nos jours présents.

Revoyons ce grand-père Iñazio, puisque c'est avec lui que débute notre histoire, connue de moi :





Cet homme au profil de dictateur effroyable.
Et au regard plein de souffrance contenue.

Cette curieuse photo de profil, comme pour les condamnés à la prison.

Je ne connais pas le passé espagnol de mes grands-parents maternels.
Je n'ai pas eu le temps de les questionner. 
J'avais à peine cinq ans quand mon grand-père Iñazio est mort.
Et pas plus de dix, quand Amatxi Manuella est morte à son tour.














Vous les revoyez ici, aux côtés de ma mère, leur fille, le jour du mariage de mes parents, en 1951.
















Au commencement de ce "bloc", en évoquant mon Aïtatxi Iñazio, j'avais intitulé mon article : "Iñazio, le Fur...ieux !"
Cet homme, en effet, était un colérique, vite furieux. "Erria", disons-nous en basque, pour "brûlé". Brûlé de l'intérieur d'une souffrance vive et inapaisable.

Brûlé, il l'était. Par une hargne qui le dévorait.

Mes grands-parents, je vous le disais alors, étaient des réfugiés espagnols, boutés en pleine nuit hors de leur terre, hors de leur vie, construite dans le labeur et la peine.
Ma mère évoquait peu son enfance. "Nous n'avions pas faim" disait-elle laconiquement.
Pour elle, sans doute, un enfant, ce devait être à peine mieux qu'une bête à nourrir. 
C'était sûrement ce qu'on lui avait fait sentir. Et ce qu'elle retenait.

C'est encore vrai pour ces malheureux qui n'ont pas de quoi manger, justement. Pour lesquels la nourriture est le seul idéal, parce-qu'inaccessible. 
Nous avons cette chance de ne pas connaître la faim. Et ce luxe d'avoir des aspirations moins basiques, et pourtant tout aussi essentielles.

De son enfance, ma mère a, jusqu'à sa mort, gardé l'accent espagnol, quand elle en a oublié les mots.
Comme si de son enfance, elle  voulait filtrer ce qu'il y avait à en retenir.

Il faut dire que ses parents, nos grand-parents maternels, donc, n'étaient pas des tendres !
Nous les avons connus à la fin de leur vie. Déjà fatigués, et sûrement assagis par les années.
Même là, au plus "tendre" pourrait-on dire, d'eux mêmes, ils étaient encore sacrément durs, plus que rudes, littéralement, durs.

Inazio était colérique, il était cruel, presque sadique.
Il tuait les chats de sa femme, jaloux sans doute du réconfort que ces pauvres bêtes apportaient à celle qui aimait les caresser.
Il essayait d'ailleurs sur ses dernières années, de la tuer, elle. Il fallait cacher les couteaux, et barricader la pauvre Manuella à l'étage, derrière une porte condamnée par un lourd sommier que mon père installait chaque soir.
La douleur de son gros orteil gangréné le rendait fou, littéralement, fou. Cette douleur activait toute la noirceur accumulée dans ce pauvre homme torturé et humilié par son exil.
Ou par sa propre enfance, que je ne connais pas.

Aïtatxi Iñazio était capable de lancer l'"alkia", le tabouret de traite, à la tête de mon frère aîné, son premier petit fils.
Aïtatxi Iñazio pelait les hérissons vivants pour les manger, quand il y avait à la ferme bien plus de viande qu'il n'en pouvait avaler.

Aïtatxi Iñazio donnait à voir à ses tout jeunes petits-enfants  des scènes de comportement totalement "inadaptées".

Ce même Aïtatxi Iñazio était capable pourtant de ramener de petits jouets déterrés dans le jardin d'Agorreta pour me les mettre dans les mains.
Il était capable de polir longuement des branches de bois pour en faire des manches légers et maniables.

Amatxi Manuella amenait, elle, tout son poids, et Dieu sait qu'il était imposant ! de tendresse et de paix. 
Elle nous cuisinait nos repas, nous demandant à chacun ce que nous voulions pour le dîner...
A eux deux, ils nous ont transmis, le meilleur, et le pire, aussi.

Nos parents, travaillant du matin au soir, veillaient sur nous, à leur manière, sans doute. Mais la vie en communauté floutait les rôles, et parents et grands-parents se confondaient dans une même nébuleuse d'autorité et de référence, pour nous, la fratrie des enfants d'Agorreta.

Nous ne sommes pas devenus des adultes ravagés. Nous faisons  nos vie de manière plutôt raisonnable et équilibrée.
Il ne faut pas s'étonner de ces restants de dureté resurgis de ce passé là. De ces ombres mauvaises qui pointent le bout de leur nez comme de vilains rats sortis de leur terrier, dents en avant.

Mon frère aîné a du essuyer, plus que nous tous, les plâtres, encaisser les assauts furieux de l'Iñazio encore en pleine forme :






Quand, par moments, il savait aussi, cet Iñazio, lui montrer une forme de tendresse, rudimentaire, et pourtant, bien là. Regardez-les tous les deux, en haut, au volant du premier tracteur d'Agorreta !

Nous, les suivants, avons sans doute été protégés, préservés, un peu :




Nous avons tout reçu. Nous avons engrangé ce que nous avons pu.
A nous maintenant d'évacuer les ombres, et d'en garder la lumière.

De ne pas perpétuer la dureté, et de conserver l'élan de vie, la capacité de résister, la ténacité et le courage.
Parce-que tout ça aussi, nous l'avons reçu de ces mêmes parents et grands-parents là.

Libérons-nous des noirceurs. Et apprenons les valeurs de respect et de fraternité. N'ayons pas de pudeur "inadaptée" à montrer nos sentiments positifs.

Parce-que c'est ça, une famille. C'est ça, pour moi, notre famille. C'est un poids, un héritage, une richesse et une chance.

C'est l'occasion ici donnée pour moi de dire : famille, je vous aime !


Et de vous laisser méditer tout ça...




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