mercredi 28 janvier 2015

Mes recettes cochonailles



Amis suiveurs ou découvreurs de ma chronique, bonjour à tous !


A la demande générale, soient trois personnes, je vais aujourd'hui vous livrer mes recettes les plus secrètes.

L'univers d'Agorreta est rural et traditionnel, vous le savez maintenant. Ou vous le découvrirez très vite...





La ferme est vieille. Le mode de vie, pratiquement, ancestral...



A Agorreta, pendant longtemps, nous avons élevé nos cochons. Je sais, porc, est plus correct, mais moi, j'aime mieux, cochon. Ici, c'est moi qui écris, c'est moi qui choisis !

Jusqu'à l'an dernier, il y avait sur le côté sud de la bâtisse un enclos habité par une bête à groin.




C'était ici, côté soleil levant, là ou vous apercevez maintenant à gauche du Karraro un tas de bois.

Il y a là quatre emplacements d'une douzaine de mètres carré chacun, où nous élevions autant de cochons.

Nous les achetions petits, en début d'année, nous les nourrissions jusqu'à l'hiver, et, ensuite... (attention aux âmes sensibles et délicates),  nous les mangions !





Souvenez-vous, nous étions nombreux à Agorreta, et il fallait prévoir de la nourriture en conséquence.
Aujourd'hui, la densité humaine a drastiquement diminué. Nous sommes deux résidents, et quatre autour de la table, puisque deux de mes frères, les célibataires, nous font l'honneur de partager notre maigre pitance.

Ainsi, j'ai, au fur et à mesure des années, diminué l'importance de mon élevage porcin.
J'élevais un moment deux bêtes pour les destiner à la vente, histoire de diversifier les sources de revenus à la ferme.

Vous commencez à me connaître un peu maintenant. Vous vous doutez bien que je ne faisais pas les choses à moitié !

Mon père et un ou autre de mes frères, allaient au mois de janvier quérir trois petits cochonnets dans un élevage des alentours de Saint-Pée sur Nivelle.
Ca leur faisait une promenade, ils aimaient bien ça.
En principe, ils y allaient le lendemain du jour où l'on avait occis le dernier cochon à la ferme.
Nous disposions, nous l'avons d'ailleurs toujours, d'une charmante cage grillagée. Nous la chargions sur une remorque attelée à la voiture et hop ! l'équipée partait en goguette à la recherche de viande fraîche pour l'année à venir.

Le temps que ces hommes choisissent les bêtes les plus prometteuses offertes à leur expertise, je préparais les logements des nouveaux arrivants.
Paillage frais et bouffant, auges nettoyées à fond, portes vérifiées. Les occupants de l'année précédente n'avaient pas toujours été des invités soigneux. Ils mettaient parfois à mal l'installation, particulièrement, les panneaux des portes en bois. 
De temps à autre, à l'occasion de ces changements d'occupants, quelques rénovations rudimentaires s'avéraient indispensables,  si je ne voulais pas voir mes cochonnets enfuis sitôt arrivés.

C'est que c'est bigrement malin, un cochon. Il faut les voir faire !
Déjà, au déchargement, tout énervés par le trajet, les arrivants sont très agités. 
Comme ils sont jeunes, petits, lestes et légers, il faut bien s'assurer de pouvoir les canaliser avant d'ouvrir la cage où ils sont enfermés.
Depuis le temps, nous étions bien aguerris à la manœuvre, chacun à son poste.
J'ouvrais le vantail de la porcherie (nous disons volontiers "le cochonnier", par traduction du basque "Zerri tokia" l'endroit du cochon).
Mon frère reculait au maximum la remorque. Un autre s'apprêtait à ouvrir la grille de la cage. Et mon père, armé d'une fourche, assurait le blocage de toute éventuelle tentative de fuite.

Je ne sais pas si vous avez souvent eu l'occasion d'essayer d'attraper un cochon. Particulièrement, un jeune cochonnet vigoureux et énervé.
Le cochon a bien une tête avec deux oreilles, assez grandes même, quatre pattes, et même une queue si elle n'a pas été coupée par l'éleveur.
On pourrait penser qu'avec tous ces appendices, il ne manque pas de prises possibles.
On pourrait le penser, oui, jusqu'à temps d'avoir essayé ! Parce-qu'alors là, ça n'est pas une mince affaire...

Un cochonnet, déjà, c'est une ogive. Long, oblong et rond. Lisse, vif et tonique !
Il fend l'air comme un missile et se propulse sans hésitation vers l'inconnu. Ah ça, il n'a pas les tergiversations d'un jeune veau ou d'une vache débarquée de la bétaillère. Lui, il ne se pose pas mille questions, il ne cherche pas à humer l'air pour apprécier la nouvelle ambiance, lui, il fonce !
Le petit cochonnet fraîchement arrivé, n'est pas du tout engourdi par l'immobilité du temps de trajet. On pourrait l'espérer, mais, je vous l'assure, pour l'avoir bien souvent expérimenté, le cochonnet fraîchement arrivé a une détente, étonnante.
Dès qu'il sent autour de lui un peu d'espace, dès qu'il flaire une possibilité d'évasion, notre cochonnet ne fait ni une ni deux, et le temps que vous vous étonniez de cette fulgurance, il est déjà loin !

Il nous est arrivé d'en laisser échapper. Et bien, il a fallu mobiliser du monde, et s'armer de patience, pour réussir à remettre la main sur le fugitif. Des courses, des sauts, des cris, des chutes, j'en passe et des meilleures.
Le cochonnet vous glisse dans les mains comme une anguille, il feinte et esquive comme le plus agile des boxeurs poids-plume. Vous croyez le tenir, il vous bouscule et vous file entre les jambes, avant que vous n’ayez eu le temps de comprendre comment vous vous retrouvez les quatre fers en l'air, au milieu de la cour de la ferme.

Je vous dis et vous le redis, méfiez-vous du cochonnet qui dort. Il se transforme en bombe en un quart de seconde...


Bref, à Agorreta, l'arrivée des nouveaux porcelets était un petit événement.
Les animaux enfermés dans leurs bauges, nous pouvions mieux les examiner.
La pré-sélection faite chez l'éleveur ne donnait pas toujours entière satisfaction. 
Je voulais des cochons longs, larges d'épaules et de hanches. Des gabarits potentiellement prometteurs, quoi.
Je préférais avoir des petites femelles châtrées. Elles s'avéraient plus calmes. Moins sales aussi que les mâles qui parfois avaient la dégoûtante habitude d'uriner dans l'auge où ils mangeaient.
L'auge est longue, et eux, quand ils arrivaient, courts. Ils pouvaient du coup s'installer dedans et s'y soulager sans se soucier de souiller leur nourriture. Les malotrus !

Les dernières années, l'éleveur n'avait plus de femelles stérilisées. Nous prenions faute de mieux des femelles sensées devenir truies. Elles n'en avaient ni le temps, ni l'occasion, bien-sûr. Nous les mangions avant qu'elles ne puissent devenir mères.

Nonobstant, elles en avaient les émotions et les pulsions. C'est-à-dire que toutes les trois semaines, mes "porcelettes" devenaient invivables pendant deux jours. Un véritable tempérament de feu, ces petites ! Elles s'agitaient, ne voulaient plus manger, malmenaient et ruinaient la litière propre dans l'heure où je l'avais changée. Une véritable plaie !

Mais bon, l'alternative, c'était de prendre des mâles. Ceux-là étaient bien castrés. Mais alors, "caractère de cochon", je peux vous confirmer que c'est une rudement juste expression.
Le cochon mâle est grognon. Ronchon, bougon. Il se détend rarement. Même rassasié, dans un habitat fraîchement nettoyé, il reste malcommode et vite agressif.
Alors, dès qu'il a un peu faim, dès qu'une contrariété l'agace, il devient impossible. Vous l'approchez, il vous bouscule, vous voulez lui gratter le dos pour lui adoucir les cervicales, il chercherait presque à vous mordre !
Non, non, le cochon mâle, peut-être suite à la frustration de sa castration, je ne sais pas, est un animal très désobligeant.

J'élevais mes cochonnes pendant toute l'année. Nourriture saine, légumes verts à volonté, restes de table, pain trempé dans du lait, rien ne leur manquait.
Je les tenais toutes proprettes, changeant leur couche de fougère tous les matins.
Pour la fin de l'année, elles étaient devenues de longues et lourdes bêtes. Dolentes de ce poids difficile à remuer, elles grognassaient gentiment, et appréciaient les vigoureuses frictions de dos qui les faisaient couiner de plaisir.

Le cochon est un animal extrêmement attentif, et d'une ouïe incroyable.
Mes cochonnes percevaient le bruit du moteur de ma voiture, bien avant mon arrivée à la ferme. Elles me sentaient venir de loin.
Même si je connaissais leur destin, je ne pouvais m'empêcher de m'y attacher, à mes "Kutzutzu" comme je les appelais.
Nous n'échangions pas beaucoup, il est vrai, mais bon, j'ai eu passé de jolis moments avec elles.

Quand arrivait décembre ou janvier, il fallait se résoudre à mettre fin à cette existence. Certes, pas très épanouissante, puisque mes bêtes ne sortaient jamais de leurs bauges, mais bon, tout de même.

Comme celles que je destinais à la vente se valorisaient au kilo, j'avais tout intérêt à ce qu'elles pèsent le plus lourd possible, évidemment.
Et elles pesaient, les bougresses ! Nourries deux fois pas jour, elles absorbaient une quantité phénoménale de nourriture.
A tel point qu'en moins d'un an, elles passaient de quarante à plus de trois-cent kilos !
Beñat, notre boucher de Biriatou m'en est témoin.
C'est lui qui se chargeait de la tuerie et du découpage.
Nous entrions tous les deux dans le "cochonnier", pour pouvoir entraver les pattes de la bête avant qu'elle ne sorte.
C'est un moment un peu délicat. L'animal, habitué à moi, sent aussitôt, avec la présence d'un tiers, un danger possible. Il s'alarme vite et peut devenir dangereux.
Je prenais garde de lui distribuer sa nourriture favorite et de le distraire autant que je le pouvais, pendant que le boucher liait les quatre pattes.

Mes frères attendaient dehors pour prendre le relais en se saisissant des quatre cordes de façon à empêcher la bête de fuir.
Entre son arrivée et ce jour fatidique, la malheureuse s'était tellement alourdie qu'elle était beaucoup moins agile.
Je n'aimais pas ce moment. Dès que l'animal était sorti, on le suspendait pour l'égorger.
C'était fait au plus vite, et je ne pouvais pas espérer mieux pour cette brave cochonne...

Ensuite, ma bête nourrie et soignée tous les jours devenait un tas de viande à conditionner.
Nous faisions la pesée. C'était la sentence de mon travail.

Evidemment, pour celui qui achète un cochon de plus de trois cent kilos, le budget n'est plus le même que s'il en faisait cent-cinquante de moins !
Et, quand un cochon pèse trois-cent kilos, c'est qu'il y a au moins une bonne vingtaine de kilos de graisse dont on ne fera rien. En gros, payés pour être distribués aux petits oiseaux en hiver.
Certes, la prise de conscience de l'importance de l'écologie pour la planète est en progrès. De là à consacrer sept pour cent de son panier repas aux petits moineaux, il y a un sacré pas...

Mes acheteurs reconnaissaient la qualité incomparable d'une telle viande, sa saveur inégalée, mais bon, par les temps qui courent, les portefeuilles en fin d'années, eux, ne pèsent pas lourd.
Alors, comme je ne voulais pas produire du cochon de moindre valeur, j'ai arrêté tout net mon petit commerce.

Mon père ne mange plus de viande. Moi même, je n'en suis pas friande. Mes deux frères célibataires se lassaient de "toujours manger du cochon". Bon.
Maintenant, à Agorreta, je continue de préparer la "cochonaille" pour mes frères mariés.
Eux l'achètent tout élevé, moins lourd, moins cher, mieux, quoi. 
Moi, je ne commente pas plus que nécessaire. C'est-à-dire que je ne manque pas une occasion de dire que ce cochon, venu d'on ne sait où, est petit, maigre, sec, filandreux, en gros,  il n'a rien à voir avec la merveille que je produisais, moi !

Que voulez-vous on se défend comme on peut !

Tout de même, en bonne fille, je continue d'assurer les préparations des pâtés, boudins et autres saucisses, pour ces ingrats indélicats.

Je crains d'avoir été un peu longue dans mon préambule.
Je devais vous livrer mes recettes.

Pardonnez mes errances. Je tiendrai ce que j'ai promis. La prochaine fois.

Je vous montre juste le matériel et les fournitures nécessaires, sommairement.
Je vous donnerai le détail de chaque opération. Vous pourrez ainsi réaliser vous aussi vos charcuteries maison.


Il vous faut d'abord, bien sûr, un cochon. Ou un demi, ou un morceau. Tout se vend dans n'importe quelle charcuterie.

Moi, je ne peux pas vous montrer de matière première, puisque, je vous l'ai dit, le dernier cochon d'Agorreta a expiré l'hiver dernier.






Il vous faut un petit équipement de base.
Bassines, marmites, réchauds et autres hachoirs et tutti-quantti.

Un emplacement, spacieux, propre et fonctionnel.

Ici, vous le voyez, un fond d'étable, par exemple.
Evidemment, le jour J, nous enlevons le plus gros de la poussière et des toiles d'araignées.

Un minimum d'hygiène s'impose !









Des légumes.

Là, je vous fais un petit échantillonnage des  variétés nécessitées.


Pour les quantités, ce sera en fonction du volume à réaliser.

Pas de panique, je vous livre tout par le menu dans ma prochaine chronique.











Des condiments, divers mais tout à fait courants.

Du sel, gros, demi-gros et fin, des poivres, gris, blancs ou noirs,

du piment, important pour les préparations à la basquaise,

et puis, muscade, girofle, et autres épices exotiques si l'on veut explorer de nouvelles saveurs.






Vous notez toujours, évidemment, un environnement propre à la réalisation de plats à consommer. Vous êtes à la ferme Agorreta, ici.
Chez vous, vous ferez comme vous le voudrez. (Encore heureux !)



En main d'oeuvre, ne vous chargez pas trop. Deux volontaires suffisent amplement. Plus, c'est juste pour faire la fête. C'est bien aussi, remarquez.
Ici, on ne s'en prive pas. "Zerri iltzea", la tuerie du cochon, c'est une occasion de se réunir, de rire et de manger...


Mes spectatrices s'étonnent de cette activité dans l'étable d'ordinaire plus calme. Mais bon, elles participent, à leur façon !








Kattalin a horreur des visites impromptues.

Elle reste sur ses gardes tant qu'elle voit passer du monde qu'elle ne connait pas.

Ca la fatigue d'ailleurs, et elle met trois jours à s'en remettre.

Sa voisine, Fauvette, elle, elle vit sa vie sans façons.










A côté, Oswitx et Pintta-Mona, sont curieuses, aussi.

Pintta-Mona la gourmande, surtout, souvenez-vous.

Elle surveille en se demandant s'il n'y a rien à happer au passage.













Et mes deux grandes.
Bigoudi la blanche et Pollita la beige.

Leur statut de futures mères les rend plus intérieures.

Elles s'intéressent, oui, mais rien ne saurait les détourner du futur veau qu'elles portent en elle.

C'est pour ce printemps, vous vous souvenez ?







Et voilà, j'ai dépensé sans compter mon capital temps.
Et mes demoiselles en bas, doivent commencer à le trouver long, ce temps d'attente avant la distribution des rations du soir.

Mais, entre nous, rien ne nous tient ni ne nous oblige, n'est-ce pas ?
Notre programme est libre et le sommaire diffus.
Je vous raconte, je me fais plaisir.

J'espère seulement vous faire partager ce plaisir.
A bientôt, je n'oublie pas mes engagements. Je vous respecte trop pour ne pas honorer mes promesses.

Portez-vous bien.

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