vendredi 23 janvier 2015

ANTTON LE MECONTENT




Je reviens à nous plus vite que prévu.

Je suis coincée ici par la visite annoncée de notre docteur des familles.
Rien de particulier, rassurez-vous, juste une visite de routine, histoire de confirmer que, pour un mourant certifié, le patriarche local ne va pas si mal.

Je m'installe donc en vigie devant la baie, bien au chaud, face au chemin d'arrivée.






Le côté pratique de l'installation, à Agorreta, c'est que la ferme est stratégiquement retirée au bout d'un chemin moyennement carrossable. Ca aussi, toute une histoire, pour une future veillée encore !

Si j'écris, comme cette après-midi, sur la petite table ronde devant ma baie, je ne peux pas manquer de voir passer le moindre visiteur. Je reste disponible à l'arrivant, et en même temps, je peux paisiblement continuer ma conversation avec vous. Impeccable !

Un collègue de travail d'une grande finesse intellectuelle, j'ai nommé notre estimé Cédric de
 chez Lafitte, me faisait une fort juste remarque. Elle concernait mes photos. Et cette fâcheuse propension dans la plupart d'entre elles, d'y placer en plein milieu un énorme câble électrique, un pylône disgracieux, ou autre incongruité de nature à gâcher l'ensemble.

Je reconnais là sa finesse d'observation. Encore que, le constat peut se faire facilement, même sans être très raffiné, tant la laideur s'installe sans façons aux alentours d'Agorreta, au beau milieu de paysages par ailleurs plutôt avenants.
Je l'ai déjà noté avant, je crois, mais cette vérité est incontestable.
Agorreta, ce sont de très beaux points de vue, mais sans aucun souci d'esthétique recherchée. La laideur est là, elle fait partie du paysage et ne cherche pas à se cacher.
Je vous montre ce qui est, et, comme moi, vous pouvez toujours faire abstraction des incontournables hideurs, pour contempler sereinement le beau qui vous est offert derrière.

Alors donc, je vous disais que ce matin la valeureuse Ttiki-Haundi ne nous avait pas déçus.
Beñat, rentré déjeuner avec nous à midi, partagea notre satisfaction pleinement.

Restait à rendre publique notre réussite.
Mon père ne résistait pas au plaisir de river son clou à Antton. Antton, vous savez, celui de mes frères chargé de la maintenance du parc matériel à Agorreta. Il n'est pas sans travail, le pauvre garçon !

Regardez-le dans sa prime jeunesse :



Antton, c'est le plus jeune de mes frères, celui tout en bas.





A l'époque, c'était un petit garçon lourdaud et maladroit. Il a connu des déboires de santé quand il était petit. Notre mère, tout naturellement, le surprotégeait par rapport aux autres.

Est-ce de là que vient l'hostilité à peine déguisée que lui voue mon père ? Je ne sais pas. Toujours est-il que le maître de la ferme Agorreta ne perd pas une occasion de rabrouer son fils. Et qu'à force, le dit fils se défend, brutalement parfois, maladroitement toujours.
Entre mon père et ce frère, le dialogue a toujours été difficile.
Le garçon n'est pourtant pas de mauvaise volonté. Mais il est écartelé, entre ce besoin de chercher encore et toujours une approbation paternelle qu'il n'aura jamais, et ce légitime réflexe de sauvegarde pour se faire une image favorable qu'on ne veut pas lui tendre.

Antton se montre très maladroit quand il tente de démêler ses tourments intérieurs. Il attaque à torts et à travers, au lieu de s'en prendre à ce qui le blesse vraiment.
Je vous livrerai à la fin de mon article d'aujourd'hui un texte qu'il m'avait inspiré à une époque où ses coups m'avaient sérieusement ébranlée.
Vous me connaissez un peu maintenant, mon sens de la nuance est tout relatif, et mon impartialité complètement annihilée quand l'émotionnel me prend à revers.

Ce midi, comme tous les midis, Antton rentre pour déjeuner à Agorreta. Il n'habite plus la ferme. Mais, pour les repas, il est là...
Ainsi, mon père ne mange jamais seul. C'est mieux pour son moral.
Et très commode pour ces deux frérots affamés. Ils se mettent autour de la table garnie et y vont de grand appétit, les voraces !
Enfin, la paix et l'harmonie familiale étant la priorité, je ne commente pas plus que nécessaire et continue d'approvisionner pour quatre, quand nous sommes deux à Agorreta !
Je m'éloigne du sujet.
Revenons à ce midi.

Mon père, tout excité de la joie du matin à avoir entendu son Ttiki-Haundi en marche, se tourne vers Antton, plongé dans son assiette.
A aujourd'hui, Antton pèse autour des 120 Kgs. Je vous prie de croire que, sur le coup de midi passé, par une journée froide comme celle-ci, il ne faut pas lui en promettre !
Il mange beaucoup, et en très peu de temps. Inutile de lui faire la conversation avant qu'il ne soit un minimum rassasié. Remarquez,  à l'allure où il ingurgite ses bouchées, ça ne prend pas bien longtemps !
Mon père susurrait quelques perfides allusions à une oreille peu attentive.

"Oui, lança-t-il avec détachement, il y a encore des gens qui s'y connaissent un peu, en mécanique"

Pas de réaction.

"Parce-qu'avec le froid de ce matin, un moteur foutu, tu ne risquais pas de le faire démarrer, toi !"

L'estomac d'Antton devait commencer à envisager la satisfaction de la plénitude proche. Son esprit se libérait progressivement de l'obsession nourricière pour permettre à ses oreilles d'émettre quelques messages à l'intention d'un cerveau rendu plus disponible à l'entendement.

Il essuya son assiette d'un revers de pain engouffré dans la seconde, et leva les yeux, enfin.

"Quoi ?"

Ah, la discussion devenait possible. Mon père se rengorgeait.

Je vous ai dit déjà que chez les Legorburu la tendance à l'ironie était atavique ?
Qu'ils adoraient se moquer des autres et le faisaient bien volontiers en toute occasion ?
Dans le même temps, cette même ironie, soit disant pas méchante, ils la supportent très mal quand ils la prennent dans les dents !
Et oui, c'est toujours très drôle, quand ça parle des autres...

"Et oui, le tracteur, qui était foutu, eh bé, ce matin, il a tourné !"

"Ce matin ? Ca m'étonnerait !"

Ces deux là s'emballent assez vite et la moutarde leur monte au nez en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Mieux vaut désamorcer vite fait si l'on ne veut pas assister à la mise à feux des poudres.

J'intervins depuis mon bout de la tablée, confirmant les dires de mon père, et tâchant de tourner les choses plus digestement pour l'amour-propre vite mis à mal du frérot écorché.

"Oui, bon, il a tourné, mais il faudrait s'assurer que la réparation soit correcte, tu regarderas..."

Beñat, le complice du forfait, me lança un regard plein de reconnaissance. Celui-ci a horreur des conflits. A une époque, il les attisait comme un beau diable. Mais ce temps-là, Dieu merci, est révolu.
Maintenant, il oeuvre activement pour la paix des familles. Il joue le rôle de tampon entre notre père et notre frère. Les deux sur la terre, et pas toujours en paix.

"Oui, oui, renchérit-il aussitôt, j'ai changé le réservoir d'arrivée, tu sais, mais il faut que tu regardes, toi".

Mon père le foudroya du regard. Il voulait voir l'Antton à terre. Pas question de lui tendre une main secourable !

"Lui, regarder ? Il n'y connait rien ! Qu'il s'occupe de son Zetor !

Le Zetor, je vous en ai parlé, je vous le montre :







C'est cet engin, Zetor. Une construction d'Europe Centrale, il me semble. Une mécanique puissante, mais assez rudimentaire. Pas de sophistication chez Zetor.
Si vous montez dedans, un jour, ne soyez pas surpris. Peu de cadrans sur le tableau de bord. Pas trop de leviers non plus. C'est bien simple, un jour où j'ai du le déplacer, j'ai cru qu'on lui avait fiché une barre à mines près du siège ! 
En y regardant de plus près, non, non, ce n'était pas ça ! Cet immense pieu de près d'un mètre, c'était un levier de vitesse, et oui !
Ah ça, il fallait tirer et pousser fort pour en changer, de vitesse. L'enclenchement n'était pas subtil et délicat. La finesse à la slave, sans doute...

C'est ce tracteur que mon père déteste. Parce-qu'il appartient à son fils méprisé, Antton. C'est un transfert d'inimitié caractérisé. 
Ce tracteur est trop gros, il ne sert à rien, il prend une place terrible... C'est une véritable litanie à chaque fois.

Enfin, le Zetor et son propriétaire sont toujours là.
A cette heure, Antton et Beñat sont penchés sur le moteur de Ttiki-Haundi.

"Oui, s'il ne prend pas feu au démarrage, tu pourras le faire tourner..."

Voici la sentence toute mesurée du mécanicien maison. Carrément, la vision terrifiante d'un incendie sous le hangar, près des balles de foin.
 Et moi, calcinée au volant dans l'explosion.
Tels les malheureux de Pompéi figés dans la lave bouillonnante.

Il y a de quoi frémir, non ?
Je vous avoue que je garderai en tête ces paroles. Je referai démarrer Ttiki-Haundi. Nous irons ensemble cueillir mon joli navet.

Toutes ces opérations en extérieur, histoire de ne pas trop tenter le sort.

Encore une fois, ça a failli tourner au vinaigre. Puis le soufflé est retombé. Chacun gardant pour soi ses ressentiments, pour préserver l'unité familiale prioritaire.

Que la paix soit sur la terre et à Agorreta !

Pour finir et comme promis, voici le texte évoqué plus haut.


En ce lundi 2 février, je préfère enlever ce texte de ces pages.
Pas sur la demande de l'intéressé. 
Pas non plus après une explication pourtant toujours attendue.

Juste parce-que j'ai purgé dans ce texte et dans le fait de le proposer à la lecture aux concernés à travers ce blog, une hargne dont j'avais besoin de me défaire.
La hargne de ceux qui réagissent sainement à une injustice.

Une hargne mauvaise et méchante, nourrie comme un contre-feu.
Je n'ai pas fermé complètement ce chapitre. Je ne le fermerai probablement jamais.
Mais je suis maintenant assez apaisée pour ne pas chercher à tout prix une vérité dont je vais sûrement devoir me passer. Parce-que parfois le prix est trop cher, c'est tout. Pour le bénéfice qu'on retire de ce qu'on obtient.

Ces propos semblent obscurs, peut-être. Pourtant, pour moi, ils sont limpides. Et de mettre mes ressentiments en mots les assainit.

Ce blog étant le mien, je peux bien l'utiliser à mes fins, non ? Y compris pour y régler mes petits comptes !

Pour les lecteurs étrangers à l'affaire, pardonnez mes écarts sur des chemins mal éclairés.
Je suis trouble parfois. Je ne m'en vante pas. Je n'ai simplement pas trouvé d'autre voie.
Fin de ma rectification. Merci de votre compréhension. (ou non...).



Je pense juste être un peu moins aigrie que dans ce temps là, à l'évocation de ce frère balourd et maladroit.

Les blessures familiales sont les moins faciles à cicatriser...


Je vous laisse ici. Notre temps est terminé pour aujourd'hui.
Le docteur va sûrement bientôt se présenter. Et, de toutes façons, j'ai mes vaches à aller soigner !

Passez une bonne fin de semaine et à bientôt !

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