mercredi 21 janvier 2015

COMPLOT A AGORRETA !




En ce mercredi de fin janvier, il se trame quelque choses à Agorreta.
Dans le plus grand des secrets, le maître des lieux et son assistant des grandes occasions, à savoir son fils Beñat, travaillent à une résurrection. Oui, oui, vous avez bien lu, une résurrection...

Mon père,  Joseph Legorburu, en chair et en os, sain de corps et d'esprit (ou du moins autant qu'on peut l'être quand on survit à deux semaines de réanimation et qu'on approche des neuf décennies d'existence bien remplie, et n'allez surtout pas lui répéter ces propos sceptiques à l'oreille, ou alors, moi, je vous arrache un œil), bref, mon père, donc, est aux quatre cents coups ! 

Et je vous prie de croire que l'effervescence lui réussit. Lui, toussant comme un dératé il y a quelques jours encore, lui, essoufflé et peinant au moindre effort, le revoilà au mieux de sa forme, à la seule perspective de réussir son coup.

Ne vous impatientez pas, je vous raconte tout ça, je suis là pour ça. Il pleut des cordes dehors, j'ai tout mon temps.

Ce matin, je pensais être éblouie par la lueur d'albâtre de la Rhune enneigée. Un petit vent de noroît glacial augurait de températures propices au dépôt du blanc manteau sur ma petite hauteur favorite.

Je me précipitai, toute à la joie de prendre un joli cliché, mille fois pris et repris, mais jamais par moi. Ah !






Et bien, rien ! Ma Rhune placide et bleutée me conseillait juste d'aller me rhabiller, puisque je ne supportais pas des températures tout à fait positives. Bon...


Je fis tourner l’œil, puisque j'étais là.








Le Jaizkibel s'ensoleillait même, comme pour appuyer les dires de sa sœur de l'est.














Côté mer,  le ciel ne rigolait pas !

On ne s'en rend peut-être pas bien compte ici, mais, croyez-moi, la nuance était au gris lourd et menaçant.

Même Luna, que vous devinez en bas, s'inquiète.
(Luna, c'est le cheval blanc dans le fond du champ).






Un temps à rester dedans.

A Agorreta, les journées se suivent et se ressemblent, côté logistique.
Le matin,  soins aux bêtes et aux gens. Mon père, après le lever et le petit déjeuner, participe activement à la préparation des rations alimentaires de nos six vaches.

Je vous ai parlé dans un article précédent de la dernière (et phénoménale) citrouille à entamer.
Je lui ai laissé la prérogative, évidemment :










Tiens, mon objectif semble avoir pris l'eau.
N'importe, vous voyez quand même la beauté de cette citrouille.










Là, mon père vous montre une betterave.

Vous savez, je vous ai parlé de mes cultures fourragères.
Celle-ci, c'est de la jaune. En fait, elle est orange.
Sucrée et fraîche au palais.
mes vaches adorent...












Et là, ce sont les six petites gamelles prêtes pour ce soir. Des rations étudiées avec le plus grand soin, évidemment. N'oubliez pas que vous avez affaire à des éleveurs de père en fille.

Un quart de luzerne déshydratée, un quart de citrouille (tant qu'il y en a, après, nous passerons à la patate germée), un quart de betterave, et pour terminer en beauté, un peu de pain sec.
Le tout tranché en  morceaux savamment calibrés, que mes vaches goulues n'aillent pas s'étrangler à vouloir avaler une trop grosse bouchée !

Je préparerai la même chose pour demain matin, quand j'aurai distribué tout ça ce soir.
Tout le long de la journée, mes demoiselles ont à disposition du foin à volonté. Et bien-sûr, de l'eau fraîche juste devant le mufle.

Voyez, elles ne demandent pas tant de nourriture, finalement, en comparaison de leur poids. Une vache pèse environ huit-cent kilos. Enfin, l'une des miennes, une race croisée bovin viande et lait. Et consomme donc, en plus du foin, quelque chose comme cinq kilos d'aliment.
Environ 0.5 pour cent de sa masse. Voyez, nous, pour quelqu'un de 50kg, ça ferait 250 grammes de nourriture. Ca mange peu, tout bien calculé, une vache, non ?

Enfin, bref, mes vaches se portent à merveille avec ces rations, et je veille à faire des transitions progressives entre les saisons pour ne pas perturber leur équilibre digestif extrêmement délicat !



Sans qu'il n'y paraisse, c'est de l'horlogerie fine, une vache ! Voyez Pintta Mona, Vous percevez la délicatesse de cette mécanique ? Ce beau ventre bien tendu, un rien peut nous y mettre la révolution ! Alors, avec mon père, nous veillons, attention !


Avec tout ça, je m'éloigne de notre complot à Agorreta.

Revenons à nos moutons. (Puisque nous en avons fini avec les vaches !)

Je vous racontais en fin d'année, la défaillance de notre pourtant si vaillante TTiki-Haundi, saisie par le premier froid.






Elle veillait fidèlement au fond de l'étable.
Et tous les matins, je la mettais en marche pour aller évacuer la bennette de litière usagée.









 Après son impossibilité à démarrer par un triste matin de fin d'année, je dus me résoudre à la remiser dans le hangar.


Mon père s'en émut. Ttiki Haundi, je vous l'ai dit, c'est son alter-ego, sa continuation mécanique, la prunelle de ses yeux.

Je le réconfortai en lui disant qu'on la remettrait en route quand le temps serait plus chaud...






En attendant, et parce-qu'on ne peut pas s'apitoyer longuement sur un tracteur, aussi attachant soit-il, s'il ne démarre pas et qu'on en a besoin tous les jours, je mis à la place de Ttiki Haundi, Karraro, le redoutable !

Je vous raconterai l'histoire de Karraro plus tard. Nous avons tant de choses à nous dire, encore...


Mon père abdiqua en homme raisonnable, mais je le sentais bien chiffonné.
A la ferme, nos machines sont toutes vieilles. Souvent en panne, forcément.
Mais, à la ferme toujours, mes frères sont mécaniciens.




Vous les voyez tous là ? 
Férus de réparation et de vieilleries.
Comme ça tombe bien, à Agorreta !







En bas, ça n'a rien à voir. Mais c'est juste que les deux photos ont été numérisées ensemble.


Vous me connaissez, je ne m'embarrasse pas trop des détails !




Alors, je mis le cas de Ttiki Haundi entre ces mains expertes.
Pour la énième fois, puisqu' en cinquante ans, des pannes, Ttiki Haundi en a déjà eu quelques unes ! Mais bon, jusque là, quelques heures de travail et quelques pièces d'occasion glanées ici et là l'avaient toujours tirée d'affaire.

Antton, le plus jeune de mes frères, et celui qui a perduré dans la mécanique, condamna sans appel Ttiki-Haundi : "Il est foutu !" Bon pour la casse...

Mon pauvre père en resta sans voix. Les autres frères ont, d'abord, beaucoup vieilli depuis le temps de cette photo, et ensuite, laissé à leur cadet la charge des réparations mécaniques.
Je les interrogeai quand-même, histoire d'avoir plusieurs avis.
"Il faudrait rechemiser, déculasser... " avança dubitativement l'aîné.
Je ne suis pas très sûre des termes, c'était assez technique. Mais enfin,  ça paraissait sérieux, comme affaire. Pas le genre de chose qui se règle en deux coups de cuillères à pot !
"Il est foutu" s'entêtait Antton. "Le mieux à faire, c'est de faire reprendre celui-ci et le Karraro, pour en acheter un plus récent"
Tiens donc,  en voilà une idée ! Bazarder tout le matériel, en état de marche ou pas !
Antton adore le négoce en machines agricoles. Il se régale des petites annonces, va volontiers examiner les tracteurs à vendre, sa sortie favorite, ça n'est pas compliqué, c'est la Motoculture Basco-Béarnaise à Saint Palais !

Je flairais sa compulsion en alerte. 
Et je sentais surtout mon pauvre père tout paniqué. Imaginez, son Ttiki-Haundi à la casse, le Karraro qu'il sentait pouvoir adopter, itou ! Ca faisait beaucoup pour le pauvre homme...


J'apaisais ce début de conflit en arguant que tant que Karraro marchait, on l'utiliserait. Qu'on aviserait au printemps de l'état de Ttiki-Haundi. La chaleur lui irait peut-être mieux aux bielles...
Je pensais en être quitte avec ces atermoiements.
C'était faire peu de cas de l'entêtement paternel !

Avant-hier, par hasard, je surpris une conversation entre mon père et Beñat, mon frère.












Beñat, c'est ce doux regard rêveur à droite.

Il n'a d'ailleurs pas toujours été très doux, ce regard. Ceci encore pour une autre fois. Décidément... 
Depuis la maladie de mon père,  Beñat passe beaucoup de temps avec lui.
Ils se promènent souvent ensemble en voiture. Il vient partager un café avec nous à la ferme.
De tous mes frères, c'est celui qui est de loin le plus présent auprès de mon père.
Une grande complicité les unit maintenant.




J'arrivai donc au moment où les deux larrons étaient en plein complot...
Je sentis que j'interrompais quelque chose. Et, avec mes grands sabots, je ne pris pas de détours pour leur demander quoi. 
Ils ne se firent pas longtemps prier pour me mettre dans la confidence.
"J'ai beaucoup pensé au tracteur ces derniers temps" m'avoua Beñat. "Et je me demande, si, en lui changeant le réservoir d'arrivée du gasoil, pour un plus grand, il ne redémarrerait pas"
Mon père buvait ses paroles, lèvres entrouvertes.
Je ne suis pas experte en mécanique. Mais, ce petit réservoir, en l’occurrence, je connais. Il est à  la vue et  à portée de main sur le côté du moteur.
La réparation à tenter paraissait enfantine. Bien loin des pistons, chemises, et autres organes lointains et vitaux évoqués antérieurement !
Je m'étonnai un peu. Ca paraissait trop facile !
Les deux hommes jubilaient, tout excités et en quête d'une approbation extérieure. Même si la mienne en la matière ne valait pas grand chose !
"Mais tu ne dis rien à Antton avant qu'on soit sûrs" me fit promettre Beñat.
"Il n'a jamais pu supporter ce tracteur" appuya mon père.
Tiens, l'inimitié envers une personne, je connais. Contre un animal, pourquoi pas ? Mais contre un tracteur ? Vraiment, mon père personnalisait complètement TTiki Haundi. Et il en perdait un peu sa rationalité. Mais bon, le pauvre homme avait été secoué, il fallait lui pardonner ses errances...
Solennellement, je prêtai serment.
Nous étions tous les trois unis par un pacte quasi sacré : ressusciter Ttiki-Haundi.

Aujourd'hui, c'est le grand jour. Le sus-dit réservoir a été changé. Dans la foulée, la batterie a été remplacée. Au diable l'avarice, les plus fols espoirs ne doivent pas être entachés par un souci d'économie malvenu et mesquin à ce stade de notre entreprise secrète.

Au moment où je vous parle, nous sommes béats. Heureux. Fiers.
Il y a une heure, mon père à la clef de contact, Beñat à l'écoute moteur, et moi, en guetteur, nous avons, en croisant fort les doigts, tenté le tout pour le tout.

Respiration bloquée, à l'unisson, nous avons prié. Et avons été exaucés. Alléluia !


TTIKI HAUNDI A DEMARRE !!


Oui, oui mes frères, je vous le dis, le ciel nous a écoutés. Et le moteur, sans même peiner, dans un retentissement claironnant et victorieux, s'est remis à tourner. Ttiki- Haundi démarre, Ttiki-Haundi marche, Ttiki-Haundi est réssuscitée !

Nous sommes aux anges. 
Le goût du complot nous a paru tellement délicieux !
Pas question d'ébruiter l'affaire trop vite. Nous voulons savourer en juifs notre victoire. Et nous assurer surtout de pouvoir réitérer l'exploit à la demande. Sans vouloir offenser Beñat, je reste un peu sceptique. Mais je ne le montre pas. Ce serait gâcher ce moment.
Et, un jour où tout le monde sera là, un dimanche à l'heure de l'apéritif peut-être, nous ferons démarrer Ttiki-Haundi.
Et tout le monde restera bouche bée. S'extasiera. Applaudira (Hum). En criant au miracle (Quand même pas).
"Et ce gros con, il n'aura qu'à envoyer son Zetor à la casse !"
Ceci étant une dernière pique de mon père à l'attention d'Antton. Le Zetor, le tracteur d'Antton, n'a jamais trouvé grâce aux yeux de mon père.
Là aussi, un petit amalgame machine-homme, je pense.
Bref, ce jour est un jour de gloire.
Nous allons fêter ça dignement avec une demi-douzaine de madeleines trempées dans un bon café au lait bien chaud.

Ne vous l'avais-je pas dit, qu'à Agorreta, il ne se passe rien et pourtant tout y est ?
L'affliction, les frictions, les ressentiments, les espoirs et les victoires.

A très vite, pour d'autres aventures à Agorreta ...









1 commentaire:

  1. nor debru zira ?
    gaztainetaz balitake ainiz errateko ...eta ere GL etaz ere bainan zendako ez amestu biharko gaztenaren izaitea EUSKAL HERRIAN BEHAR BADA TEKNIKA ALDETIK INDAR BAT EGINEZ ....ADIXKIDANTZAZ Gabriel

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