vendredi 30 janvier 2015

CHOSE PROMISE, CHOSE DUE




Je revendique volontiers haut et fort, mon respect à la parole donnée.
La nécessité pour moi de tenir mes engagements.

Je ne me dédirai pas encore cette fois-ci !
Je vous ai annoncé des recettes charcutailles, vous aurez des recettes charcutailles.
Les miennes.
Celles d'Agorreta, transmises de mères en filles et adaptées par chaque génération.






Le temps se prête en cette fin de semaine aux préparations culinaires.
La température fraîche garantit les conditions sanitaires convenables.

A Agorreta comme ailleurs, du jeune temps de ma vieille mère, la "cochonaille" était l'affaire d'une bonne petite semaine.
Il y avait encore dans les années cinquante, une troupe de deux ou trois femmes, dédiée à l'opération.
Elles intervenaient de fermes en fermes, convoitées et adulées comme des prêtresses. Elles cultivaient le secret de leur science, et œuvraient en maîtresses incontestées d'un art presque magique.
On les recevait comme des reines et elles profitaient pleinement de leur statut prestigieux.
C'était bien simple, dans les fermes, on ouvrait avec déférence sa porte au curé, au médecin, et à ces cuisinières. 
A la limite, un notaire, ou un érudit, un représentant quelconque d'une institution officielle, pouvaient se respecter de la même façon, mais alors, une note de défiance gâchait la dévotion entière et totale due aux premiers. Ces gens plus ou moins garants des lois n'amenaient souvent rien de bon avec eux...

Maintenant, seul, le "tueur de cochon" garde une prérogative incontestée.
C'est un homme de l'art. Il fait chaque année sa tournée et abat les bêtes avant de les découper en morceaux à cuisiner.
Il va lui aussi de fermes en fermes, et colporte racontars et historiettes diverses et variées.
Ses informations de première main sont tout à fait appréciées. Presque davantage que son travail...

Chez nous, le "tueur", c'est Beñat de Biriatou. Il est jeune encore, et remplace son prédécesseur, Jean.

Je vous l'ai dit, la tuerie du cochon est une petite fête. A cette occasion, la famille se regroupe. Pas tant par nécessité de main d'oeuvre. Plus pour le plaisir de rire ensemble, et écouter les nouvelles glanées par cet informateur irremplaçable.

Depuis longtemps, il n'y a plus de cuisinières volantes. Chaque maison se débrouille avec ses locales. A Agorreta, ma mère et la sienne dirigeaient la manœuvre en distribuant les tâches aux uns et aux autres.
Pendant plusieurs jours,  c'était l'effervescence à la ferme.
Le premier jour, celui où on sacrifiait la bête, on répartissait les morceaux suivant leur destination. On découpait l'oignon et on le hachait pour le mettre à égoutter jusqu'au lendemain dans un chaudron retourné.
Ainsi, il perdait son eau, et, si on arrivait à renverser le chaudron en plaquant bien le couvercle de façon à ne pas répandre la moitié de l'oignon par terre, on avait une bonne masse essorée.
Si, par malheur, la manœuvre avait été mal conduite, on récupérait l'oignon répandu à terre, en enlevant au mieux les corps étrangers. 
Souvenez-vous, tout ça se passait dans l'étable, certes un peu dépoussiérée, mais bon, un peu approximative en tant que laboratoire de cuisine...
Comme la conversation avec le "tueur" et les visiteurs venus pour l'occasion était prenante et intéressante,  on ne faisait pas grand chose de plus ce premier jour.
Goûter, repas, histoires et éclats de rire, c'était le gros du programme de travail...
Ah, non, c'est vrai, on passait aussi les boyaux à l'eau pour les détendre !

Le lendemain, on attaquait la préparation du boudin. Et de nouveau, avec les aidants et participants à degrés divers et variés, conversations, discussions, collations.
Le surlendemain, on se retrouvait en plus petit comité. On s'occupait alors des pâtés.

Pour le restant des viandes, il fallait laisser reposer. A température ambiante, juste à l'abri des chiens. Quelques chats ou rats se faufilaient dans la remise mal fermée, mais bon, il y en avait suffisamment pour tout le monde, alors...

A J+3, on se mettait à la saucisse. Là, il y fallait la journée, puisqu'on hachait la viande, on assaisonnait à vue de nez, on mélangeait, et on faisait frire un petit échantillon pour goûter.
C'était bien agréable, on passait la journée à manger de la chair à saucisses frite, sur des morceaux de pain. 
Tout le monde était consulté, et chacun donnait son avis, souvent différent de celui du voisin.
A la fin des fins, on se décidait pour dire que ça allait. Et on enfilait tout ça dans les boyaux.
Arrivait vite le soir où on mettait les chapelets de saucisses à sécher au grenier.
Là encore, quelques bêtes de passage se remplissaient la panse à peu de frais...

Ca n'était pas terminé ! Il fallait encore le jour d'après faire fondre la graisse et passer ce liquide ambré et épais dans les pots en grès. Elle servirait pour les confits.

Les dits confits se faisaient eux sur une autre journée encore. 
Je vous dis, le temps de ranger le dernier bocal dans l'armoire du grenier, de remiser les bassines et marmites récurées au fin fond de la grange pour l'année suivante, nous étions rendus à la semaine d'après.

Ca, c'était du temps de ma mère, il y a plus de trente ans.

Depuis, la cuisinière, c'est moi.

Je ne renie pas le plaisir de faire un peu de fête autour d'une occasion comme d'une autre.
Pour ce qui est du travail, je n'aime pas lambiner.
Mes collègues de chez Lafitte vous le confirmeront, je serais, limite, expéditive.

A Agorreta, dernièrement, le cochon, c'était l'affaire de quelques heures.
Beaucoup regrettent cette rapidité et l'étroite latitude qu'elle laisse aux relations publiques.
Le boucher, Beñat, lui, non.
 Ce garçon travaille à l'extérieur, il a une vie de famille, et il élève en plus quelques têtes de bétail. Alors, pour lui comme pour moi, les journées sont suffisamment remplies. Il apprécie les retrouvailles avec mes frères et l'ambiance festive. Il joue son rôle de glaneur et transmetteur d'informations. Il y met même sa touche personnelle, en fines et subtiles allusions.
Mais bon, il arrive sur le coup des treize heures trente, et, au plus tard, deux heures après, il est reparti. Un ou deux cafés, quelques bavardages bien condensés, mais le travail à faire vite plié.

De mon côté, je ne suis pas en reste.
Je m'entoure de deux de mes nièces, et à toutes les trois, nous nous activons gaiement,  entre la cour où le pauvre cochon tué palpite encore et l'étable où les marmites bouillonnent déjà.

Pour le soir, le gros du travail est fait. Nous laissons quelques tâches pour le lendemain matin, histoire de prendre le petit déjeuner ensemble après un dîner un peu tardif le jour même.

La tuerie, c'est le samedi en début d'après-midi. Pour le dimanche en milieu de matinée, le dernier chaudron est rangé. 
A l'heure de l'apéritif hebdomadaire en famille, nous goûtons le pâté cuit au four, les boudins, et les saucisses.

Evidemment, ça écourte la semaine de fête. L'ambiance est moins marquante. 
Mais que voulez-vous, la vie moderne est ainsi. Plus rapide. Pas forcément mieux.

Personnellement, avec ce tempérament un peu vif, vous vous doutez bien que, pour rien au monde,  je ne reviendrais en arrière. Plus d'une semaine à jongler entre les bassines grasses et les réchauds brûlants, merci bien, très peu pour moi !

Avec tout ça, vous vous dites, ça y est, c'est reparti, elle va encore nous laisser en plan, en se perdant dans ses histoires, madame efficacité !

Que nenni !
 Je tiens mon programme, et vous trouverez ici-même et dans le détail, l'ensemble de mes 


recettes héritées (un peu adaptées mais pas trop) des femmes d'Agorreta !



Petit rappel des fournitures et du matériel :






Bassines, réchauds, stérilisateur
en haut





Légumes et aromates à droite



Epices et condiments en bas






















1/ LE PÂTÉ DE FOIE

Pour un foie de un kilo, prévoyez deux kilos de viande grasse. Hachez le tout, avec deux gousses d'ail et une branche de persil. Rajoutez une pincée de muscade en poudre, un demi-verre de porto et quatre œufs.
Assaisonnez à raison de 12 grammes de sel par kilo de pâté, 3 grammes de poivre et 2 grammes de piment fort.
Gardez en tête ces grammages d'assaisonnement. Je les applique à toutes les préparations charcutières.
 Et je m'en félicite, quand les autres ne le font pas suffisamment à mon goût.
Quand tout est bien mélangé, remplissez les terrines, et mettez les à stériliser deux heures.
Vous pouvez aussi préparer un plat allant au four en versant la préparation dans la "crépinette" du cochon. 
La "crépinette", c'est mon terme. Techniquement, je crois que c'est le diaphragme, enfin, l’espèce de toile blanche tramée en dentelle qui sépare le cœur et les poumons, des viscères digestives.
A la cuisson, c'est cette "crépinette" qui donne ces nervures blanches sur la croûte brune de pâté cuit. N'est-ce pas joli ?

Vous voyez, vous avez attendu un peu, mais là, en plus de mes secrets de cuisine, vous avez un petit cour de biologie animale pour le même temps d'attente. N'est-ce pas formidable ?

Allez, passons à la suite, sans perdre de temps...



2/ LA HURE OU PÂTÉ DE TÊTE


Prenez une tête de cochon. Prenez aussi un cœur,  deux pieds, ou quatre.
Si vous aimez l'aspect gélatineux de la hure, rajoutez de la couenne, à raison d'un demi-kilo.

Faites bouillir tout ça dans un bouillon bien aromatisé et épicé. Bouquet garni abondant, aromates riches (thym, laurier, romarin). Goûtez pour vous rendre compte. Le bouillon doit être parfumé et bien épicé. Les viandes à cuire absorbent bien les goûts et vous les rendront au centuple...

La tête mettra plus longtemps à cuire que le reste. Il faut qu'une fourchette s'enfonce sans mal dans la joue du cochon (pensez qu'il est mort, ça vous aidera à lui planter votre fourchette sans crisper votre légitime sensibilité). Réalisez le test aussi sur le langue et le cœur. (Toujours d'accord, hein, là, il est mort).

Pendant le temps de cette cuisson, une bonne heure ou plus suivant la taille de la tête, vous pouvez faire une pause-thé avec vos amies. Éloignez-vous de la marmite, sinon, vous serez toutes plus parfumées que vos viandes à pâtés...

Hachez les viandes cuites. Attention de bien désosser la tête. Le hachoir n'aime pas qu'on lui donne un bout d'os ou une dent à manger !
Rajoutez un demi-kilo de chair à saucisses crue.
Incorporez quatre œufs,  deux gousses d'ail et assaisonnez comme ci-dessus. (Je vous avais prévenus, il fallait garder en tête, ou noter...)

La préparation ne doit pas être trop sèche. Là, c'est une question d'évaluation. Pour vous aider, ça doit tenir dans une cuillère bombée bien droite, mais glisser dès que vous la penchez. Technique ça, non ? Enfin, quand vous l'aurez fait une fois, pour la suite, vous saurez !

Si le mélange parait aride, il faut l'arroser de bouillon, jusqu'à obtention d'une texture un peu coulante. (Mais pas trop !)  Moelleuse, mais pas visqueuse. Comme une jolie poignée d'amour, si ça peut vous aider.

Là, toujours pareil, on remplit les terrines et on les met à stériliser deux bonnes heures.

Vous voilà avec une jolie tripotée de petits pots de pâtés à servir en entrée.
Vous conserverez ces pots à l'abri de la lumière, dans un endroit tempéré. Ils se gardent sans problème une année, et même deux. Plus, je ne sais pas, je les ai toujours mangés avant !



3/  LE BOUDIN


C'est la partie la plus difficile. Mais très à portée de tous, ne vous inquiétez pas.

On met dans le boudin tout ce qu'on n'utilise pas ailleurs. C'est bien connu, dans le cochon, tout est bon.
Alors, tête, poumons, cœur,  morceaux gras, couennes, tout peut y passer, si vous n'en avez rien d'autre à faire.
Comme pour la hure, on fait cuire les viandes et viscères. Pareil pour la pause. 
Moi, je fais les deux préparations en même temps, dans le même bouillon. La difficulté, c'est de trier les morceaux pour les retirer au milieu d'une fumée aveuglante. Pour faciliter l'opération, je mets les morceaux destinés à la hure dans un filet plus facile à récupérer. Finaud, non ?

En plus des viandes, il faut, pour un boudin savoureux, prévoir des légumes.
De l'oignon frit, à raison de 3 kilos pour 15 kilos de viande, auquel on a rajouté 2 beaux blancs de poireaux, une petite poignée d'ail,  4 ou 5 carottes et un bouquet de persil.
Le tout doit avoir "compoté" gentiment dans un faitout à couvert. Goûtez pour vous assurer que les légumes sont justes fondants, surtout pas craquants.
Assaisonnez. Il faut que ce soit bien épicé, là encore, pour ne pas affadir les viandes.
Vous mélangez la viande cuite hachée à vos légumes "compotés."

Et là, attention, c'est la clef de l'opération !

Votre mélange viande légume doit être très chaud. Par contre,  au moment d'incorporer le sang, il ne faut surtout pas qu'il le soit trop. Moi, je laisse la bassine sur le feux pendant que je mélange viandes et légumes, je goûte pour ajuster l'assaisonnement. Pensez que le sang affadit la préparation. Elle doit être limite trop épicée, mais pas trop !
C'est là qu'intervient le talent de la cuisinière. Si tout était mathématique, n'importe qui y arriverait, ah !
Au moment, d'ajouter le sang, je coupe les feux. Je verse le sang, rapidement, et je fais remuer vivement par une assistante. Ou deux, si elles y sont.
Pour la quantité, c'est un peu au jugé. (Encore !)  En gros, le mélange doit noircir, être un peu de la même texture que la hure de tout à l'heure. Vous vous souvenez, la poignée d'amour ?
Pour vous donner une idée quand même, parce-que je ne saurais vous laisser embarrassés, prévoyez un litre et demi de sang pour vos quinze kilos de viande, à la louche.

Vous pouvez goûter le mélange prêt à être enfilé dans les boyaux. Le sang a cuit dans la préparation chaude. Ne craignez pas de tourner au vampire.
Si vous en avez le cœur soulevé, ça n'est pas grave, acceptez juste l'augure d'avoir des boudins trop fades, ou alors, trop épicés...

Quand vous avez rempli vos boyaux avec la pâte à boudin, chaude, ça se fait mieux, il vous reste à les faire cuire dans le bouillon réservé. (Vous l'aviez jeté, dommage... Bah, préparez-en un autre pour cette fois, à la prochaine, vous y penserez !)
Les boudins doivent frémir (pas bouillir!) pendant une demie-heure. Ils virent au gris, se soulèvent dans l'eau. Si vous les voyez gonfler au point d'éclater, percez-les avec une aiguille fine.
Là, pas trop de bavardages avec les copines en oubliant le chaudron. Il faut surveiller de près.
Ensuite, on retire les grappes de boudins et on les laisse sécher quelques heures.
C'est un petit coup de main aussi à prendre, la confection de la grappe de boudins. A la sortie de l'entonnoir où la pâte vient remplir le boyau, il faut former les parts et les regrouper pour en faire une belle "xorta" comme cela se dit en basque.
Mais bon, c'est une question de forme. L'important, c'est le goût !

Et voilà pour vos boudins !


Le reste, c'est de la gnognotte. 


4/ LES SAUCISSES


Là, rien de bien sorcier. Vous hachez de la viande, pas trop maigre, vous assaisonnez, et vous enfilez dans les boyaux. Vous divisez en parts pour faire les chapelets, vous laissez sécher quelques heures, et vous pouvez manger. Ou confire, ou congeler, comme vous le voulez.
Selon le goût, on peut rajouter à la viande un peu d'ail haché. Pas trop, pour ne pas compromettre la conservation. L'ail a aussi une vertu vermifuge non négligeable quand on consomme du porc. Voyez, après la biologie, la pharmacopée. Je vous avais dit que ça valait la peine d'attendre...


5/ LES CONFITS


Pour réaliser vos confits, le plus simple, c'est de mettre les morceaux au sel pendant deux jours.
Ensuite, vous les faites cuire dans de la graisse bien chaude pour qu'ils dorent un peu.
Puis, test de la fourchette. Là, il n'y a plus qu'à faire rentrer les morceaux frits dans les bocaux, rajouter un tiers de graisse fondue, et stériliser deux heures.

Chez moi, les stérilisations, c'est toujours deux heurs. Ne me demandez pas pourquoi. Ca marche très bien comme ça, c'est tout.

Et voilà, nous avons réalisé un petit échantillon de charcuterie maison.

Pas plus compliqué que ça !

Bon, là, je vous presse un peu sur la fin. Encore une fois, le temps m'a passé si vite avec vous !
Je dois descendre soigner les bêtes... et les gens !

Le temps ne se prête de toute façon vraiment pas à la promenade. Alors, pas de regrets !








Dieu, que tout ça est noir et froid. Mes pauvres arbres prient le ciel d'être plus clément. Mais il ne les entend pas. Le vent l'assourdit.


Allez mes amis, je vous laisse ici. J'étais si bien avec vous. J'ai du mal à vous quitter...
A très vite !


Tiens, je reviens à vous vite fait après mon coup de fil du soir à mon mari exilé dans ses Landes natales.
Il voudrait me faire préciser que tout le matériel nécessaire à la fabrication de mes charcuteries maison s'achète dans les magasins type coopératives agricoles, dans l'une desquelles, justement, il travaille.
Le bougre, un peu plus, et il me demandait de vous faire passer les prix promotionnels des hachoirs à viande, poussoirs à saucisses et autres bassines et terrines...
Je n'en ferai rien, évidemment ! Je suis une épouse conciliante, mais j'ai ma déontologie !
Allez, ce coup-ci, on se quitte. Bonne nuit à tous !

















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