dimanche 22 novembre 2015

PREMIER ANNIVERSAIRE



Bonjour à tous les lèves-tôt de la planète !


Je suis un peu perplexe...

J'ai été réveillée sur le coup des quatre heures, tout à l'heure, par un bruit venu d'en bas.

Je reste attentive, dans mon rôle de veilleuse de nuit à Agorreta.
Mon sommeil est de bonne qualité. Mon ouïe de mauvaise.

Pourtant, mon repos garde la faculté de sélectionner les éléments susceptibles de le troubler.
Je n'entends pas souvent la trappe de la chatière par où les chiens sortent parfois la nuit, juste en dessous de mon lit.
Par contre, un mouvement inhabituel dans l'étable, une vache détachée par accident qui flâne paisiblement, sans faire grand tapage, deux étages en dessous, me tire facilement des bras de Morphée.
Un son venu de la chambre de mon père, toujours deux étages plus bas, et de l'autre côté d'un mur épais de grosses pierres, m'est vite perceptible.

La conscience est chose délicate et raffinée, qui ne s'abandonne jamais tout à fait.

Nous avons eu cette année des habitants surnuméraires dans la ferme. Ils logeaient provisoirement dans ce vieil appartement que je rénove maintenant. Juste au dessus de la chambre de mon père.
Tout le temps de cette cohabitation, ce brave homme s'est montré bien discret, la nuit. A part une  fois, où il n'a pas pu faire autrement que d'appeler à l'aide, jamais son "tunk-tunk-tunk" n'a résonné dans la ferme endormie.
Son sommeil n'est pourtant pas devenu de plomb sur cette période. Il a continué de vivre sa petite vie de nuit, sa vie de vieil homme réveillé souvent, quand les plus jeunes dorment profondément. Les petits matins dans la chambre désordonnée en témoignaient...

Certes, mon père va bien mieux qu'il ne s'est porté par le passé. Il ne demande plus une veille constante. 
L'angoisse est tout de même tapie, là, et le rattrape parfois, quand justement sa conscience assoupie ne la tient plus à distance.
Cette conscience rameutée en panique, suffisamment opérationnelle dans l'instant pour lui commander de ne pas se manifester bruyamment, par respect pour les occupants endormis de la ferme.
Ces occupants étaient là en manière d'invités, à traiter avec bienveillance et circonspection.

Moi, je fais partie des murs. Et mon père a moins de scrupules à troubler mon repos, sans doute. Ou alors, plus civilement, il met beaucoup d'espoir dans les performances d'isolant acoustique du mur de pierres entre nous deux...
La dernière possibilité, ma foi toute aussi plausible, est que ma propre conscience, déchargée de la totale responsabilité de veiller sur mon vieux père, puisque d'autres pouvaient prendre le relais en cas de défaillance de ma part, a lâché prise, tout simplement, tant qu'elle s'autorisait à le faire.

Je ne sais pas. Et ça ne me tracasse pas plus que ça.

Cette fin de nuit, mon alerte était inutile. Je me demande même si ce n'est pas mon imagination qui me joue des tours, me représentant des appels inexistants.
Je suis descendue, j'ai ouvert la porte de la chambre de mon père doucement. Il dormait, calmement,  éclairé avec bienveillance par la veilleuse allumée. Un tableau on ne peut plus apaisé.
Je suis remontée. 
Je m'étais couchée tôt, hier soir, et je ne me sens pas fatiguée. Un bon thé, deux trois mots-fléchés pour remettre la cervelle en route, et me revoici à mon clavier.

J'ai entamé la rédaction de ce "bloc", il y a un an.




Commencé un peu par hasard, avec l'assistance technique de mon patron et néanmoins ami Jean-Michel, je me suis prise au jeu. 
Nous avons partagé tout un quotidien à la ferme. Une vie simple et sans grand relief. Pourtant emplie d'émotions, d'élans, d'interrogations et de rires.
Mes histoires ne méritent peut-être pas grand intérêt, vu de l'extérieur. Pour moi, elles sont mon essentiel.
Je n'ai aucun scrupule à "occuper" de la place ainsi. Aucune pudeur à dévoiler une intimité. De la place, il y en a pour beaucoup plus encore. Et mon intimité reflète l'humanité de tous.

Je prédisais un changement, une inflexion, dans mon parcours, autour de cette année de "bloc".
Je ne suis pas Mme Soleil ! 
J'avais longtemps en tête la disparition de mon père, annoncée depuis plusieurs années comme imminente à maintes reprises. Et, depuis, démentie en un pied-de-nez savoureux dudit "mourant"... en plutôt bonne forme pour le moment !





Nous étions là en fin d'année dernière, ou au tout début de celle-ci.
L'homme est toujours aussi souriant, content de regarder nos vaches, et bien décidé à mettre son grain de sel dans toutes les décisions en orbite d'Agorreta.

Notre dernière visite, toute récente, à notre angélique et si sympathique docteur de famille ne donne aucune raison de penser mon père comme un vieil homme malade, près de sa fin.

Nous sommes tous mortels. Nous le savons. Et vulnérables de cette mortalité.
Notre idée de l'avenir achoppe sur ce terme. Par force. Nous nous y résignons mal, et apprivoisons notre angoisse en élaborant des projets d'avenir. Grandioses ou modestes, ces projets nous tirent en avant, et apportent la lumière dont nous nous passons mal.

Je n'ai pas eu d'enfant. Je n'ai pas cette matérialisation charnelle de ma continuité après ma mort.
J'ai cinquante ans.
Toutes les femmes de mon âge savent de quoi je parle. D'ailleurs, ces pudeurs ridicules à évoquer des choses toutes naturelles et fondamentales ne doivent pas museler l'expression d'un ressenti bouleversant.
Cette phase de fin de fertilité marque une étape importante dans la vie d'une femme. Evidemment, elle implique le vieillissement, la perte de séduction, et tous les plaisirs à l'avenant.
Je ne suis pas de celles qui refusent d'admettre ces incontournables. Je n'essaie pas de maquiller mon âge, mon état. La nature féminine est ainsi faite. Il ne sert à rien d'aller contre. Sauf à cultiver une perte d'énergie et une fatigue inutiles.
J'ai surmonté en cette fin d'année les écueils inhérents à cette ménopause déstabilisante.

Allons bon ! me direz-vous. Voilà maintenant que tu nous étales tes hormones sous le nez !
Et alors ? Elles ne vous travaillent pas, vous, vos hormones ? Quel que soit votre âge et votre sexe, vous croyez les tenir sagement enfermées, peut-être ? En parler vous semble indécent ?

Et bien pas à moi ! Bien au contraire, j'en tiens pour la libération par la parole de ces sensations profondes et essentielles. 
Nous sommes tous constitués de chair et de sang. Nous connaissons tous les fonctionnements naturels de notre corps. Nous y sommes soumis, et en devenons vulnérables.
Tous, nous naissons d'un ventre sanguinolent, nous nous nourrissons, nous déféquons, nous urinons, nous dormons. Et nous mourrons.
Tous, nous avons envie d'être aimés, d'aimer, d'être reconnus et appréciés.
Nous avons besoin de ce corps et de ces mécanismes. Nous avons besoin de ces émotions et de leurs élans.
Je préfère les considérer, les prendre en compte sainement et sans fausse pudeur. Ignorer ou taire est d'après moi dévastateur.
Toutes ces justifications reflètent bien-sûr un restant d'éducation, où on ne parle pas à découvert de ces choses là... 
Allez, allez, les amis, libérons-nous des on et non-dits ! Parlons, de tout et de rien, sans entraves ni limites !
Enfin bon, sans emballement non plus, n'est-ce pas ?

J'ai cette tendance à ignorer le sens de la mesure. Ça fait partie de mon charme. Et c'est ma faiblesse, quand mes élans m'épuisent et me vident, quand je suis déçue d'être arrêtée quand je me voyais avancer si fougueusement.
Je me suis faite à ce tempérament. Les autres s'y font moins facilement, malheureusement...

Mes petits projets d'aménagement du vieil appartement, d'autres changements envisagés dans ce cercle d'Agorreta, me représentent un avenir souriant.
La jeune génération s'inclue dans mes perspectives. Cette jeunesse et sa fraîcheur aèrent agréablement la vétusté d'Agorreta, le vieillissement inexorable de ses résidents permanents.

Nous n'irons pas, ici comme ailleurs, contre la fatalité. Mais nous habillerons de jolies couleurs notre quotidien, comme mes murs...





Quoi, ils ne vous plaisent pas ?! Bah! ça n'est pas grave. Puisque c'est moi qui les aurais devant les yeux...







Tenez, pour finir en une beauté suffisante à faire l'unanimité, une vue des derniers ciels d'avant le mauvais temps :








Que l'avenir soit aussi limpide que ces aubes transparentes :




J'espère juste avoir nourri suffisamment de sagesse pour savoir attendre le retour de ces lendemains purs, quand, inévitablement, l'horizon s'assombrira, parfois...











J'ai passé une agréable fin de nuit en votre compagnie.


Il est temps maintenant d'aller nourrir et soigner les vaches. Je les ai cantonnées à l'étable pour l'hiver. Finies, les sorties au champ...
Les deux petites, Rubita et Galzerdi ont un peu de mal à intégrer les nouveaux rythmes de tétées. Détachées matin et soir, elles se précipitent vers les pis de leurs mères, quand dehors, elles les avaient à disposition.

Une nouvelle étape dans leurs vies de jeunes vêles, pour elles aussi !




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