mardi 22 août 2017

MANUELLA CARRERA Y MANCUZO



Bonjour !



Voici notre Amatxi Manuella.
Avant d'être cette femme imposante qui regarde plus loin, elle a été une petite fille et une jeune femme.
Nous avons toujours un peu de mal à imaginer les gens autrement que ce qu'ils ont représenté pour nous.
Notre Amatxi d'Agorreta, je vous en ai parlé aux débuts de ce "bloc".
La femme placide, à l'autorité tranquille, qui nous préparait nos repas, nous faisait promener, un mouchoir blanc quadrillé de bleu noué aux quatre coins posé sur sa tête blanche, par les journées chaudes comme celle d'aujourd'hui.
Elle avait beaucoup de difficultés à marcher, raidie dès l'âge de cinquante ans paraît-il par une arthrose envahissante.
Sa gourmandise et son appétit pour le gras la rendaient lourde, et la pauvre femme ne se déplaçait qu'avec peine.
Il lui arrivait de chuter lourdement, et je me souviens de ses cris, quand, dans la cuisine, elle avait glissé, et se retrouvait par terre, une poêle ou une casserole encore à la main, étalée là dans ses jupes noires sans pouvoir se relever.
Ma mère n'avait pas assez de force pour le faire, l'Aïtatxi Iñazio encore moins, alors, c'était mon père, le gendre,  qui arrivait en héros, la soulevait en la prenant sous les bras par derrière, dans un élan ahanant.
Manuella remettait de l'ordre dans sa tenue, et continuait sa tâche là où elle l'avait laissée...

Ca, c'est l'Amatxi que j'ai connue, forte en gueule, tendre à sa manière, gloussant en silence sur un rire qui lui agitait le double menton, quand elle avait fait une mauvaise farce. Comme elle aimait à le faire !

Sa jeunesse, Manuella n'en parlait pas trop, du moins je ne m'en souviens pas.

J'ai découvert je vous l'ai dit dernièrement de vieux papiers, et ces vieux documents m'ont amenée à me représenter ces aïeux dans leur jeunesse.

Manuella Carrera est née en 1896, elle aussi du côté d'Oyartzun.
Elle a du partager l'enfance et l'adolescence des jeunes paysannes d'alors, vouées aux tâches domestiques et préposées à la basse-cour familiale.
J'ai été surprise tout de même d'apprendre que Manuella avait de l'instruction. Elle savait lire et écrire, et maniait même un espagnol littéraire.
Pour son époque et sa condition, c'était tout à fait exceptionnel.
Ses enfants étaient moins lettrés qu'elle ne l'était.
Peut-être les parents de Manuella, conscients de ses facultés et de son désir d'apprendre, avaient-ils en tête de lui donner les meilleures armes pour améliorer sa condition paysanne.
Je ne peux que supposer, mais le fait m'a paru intrigant.

La seconde chose qui m'a intriguée, dans ces vieux papiers retrouvés, ce sont ces actes de baptêmes de 1940, pour Manuella et Iñazio, et 1942, pour leur premier fils José-Marie, né en 1916, quatre années avant leur mariage.
C'étaient les années de guerre, évidemment, et les déportations massives menaçaient.
Je n'ai jamais entendu parler d'une ascendance juive. Les patronymes ne l'évoquent pas non plus. Cela reste possible, pourtant.
D'autres causes peuvent expliquer l'absence de baptême, aussi. Des convictions religieuses, politiques, idéologiques... Même si j'imagine difficilement mes aïeux férus d'idéologie, politique ou autre. Mais pourquoi pas ?
La tradition paysanne basque était majoritairement catholique, même si le clergé était aussi très controversé. Une tradition de convenance, peut-être, plus que de conviction...

Ces baptêmes à cette époque parlent du besoin de se mettre sous la protection de l'église, pour éviter d'être déporté, en Allemagne, au risque d'y mourir.
Ils me rappellent l'histoire de Françoise Giroud, dont j'ai parlé cet automne je crois ici.
Elle affirmait être catholique, quand, d'ascendance juive,  elle n'avait été baptisée que pendant la guerre, pour être mise à l'abri, justement.

Ces papiers m'inspirent une curiosité légitime, je pense.
Je ne vais pas rechercher plus avant. Mon père n'a pas d'éléments pour lever l'énigme.
Juste remarquer ces résonnances historiques dans mon histoire familiale, et laisser les mystères apporter leur touche romanesque...

Manuella se retrouve enceinte avant son mariage, là encore à une époque où l'on ne plaisantait pas avec la morale !
Iñazio est loin. Manuella est seule, et doit faire face.
Là encore, j'imagine ces années de doute, la difficulté d'une situation pareille, et la force de cette Manuella toute jeune mère.
Cette Manuella de bien avant la mienne.


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