mercredi 16 août 2017

INAZIO



Bonjour !


Voici l'homme, mon grand-père maternel.
Le regard un peu désabusé, les lèvres pincées.
Il se tient droit, sans arrogance mais avec fierté.

Son visage est bien réparti, je trouve : le front haut et le menton ferme se répondent bien. Rien ne fuit ni ne se dérobe.
Le nez, bien droit sans être trop avancé, sépare agréablement de son pied des yeux suffisamment écartés, pas trop.

Je vous avais présenté aux débuts de ce "bloc" un portrait de profil, où j'assimilais mon grand-père à Hitler...Si vous en êtes curieux,  ce doit être autour de la fin d'année 2014.
Tenez, je vais être bonne avec vous, je vais vous la retrouver, cette photo :



L'analogie était frappante, d'après moi, et mon souvenir de cet homme sur sa fin venait s'y couler comme dans un moule tendu opportunément.
Aujourd'hui, je suis moins sûre de la justesse de ce parallèle. J'y trouve même un excès dérangeant. Mais bon, je disais comme ça, alors...

Oui, mon grand-père a laissé le souvenir d'un homme autoritaire, souvent colérique, sans patience. "Erria" disons-nous souvent, "brûlé". Brûlé d'une aigreur acide dont il reste des traces parmi nous, ses descendants.
On retient aussi de lui le travailleur acharné, l'homme aimant le travail de ses mains paysannes, les longues heures où le corps s'engourdit à la tâche répétée, et où sûrement l'esprit s'oublie au rythme du geste scandé.

Je relevais la cruauté de ce vieux monsieur écorchant vif les hérissons pour en manger la chair.
La brutalité de ce mari tuant à coups de bâtons les chats que sa femme aimait caresser.
La fureur de ce grand-père insupporté par le chahut de ses petits-enfants, au point de leur lancer des objets à la tête.
La méchanceté de ses rebuffades quand ma mère se penchait sur son pied pour refaire le pansement de son orteil gangrené.

J'ai gardé aussi, et peut-être maintenant surtout, le souvenir de ses retours du potager, où il allait chercher au fond de la poche de son pantalon de travail une petite figurine déterrée lors de son sarclage du jour, pour me l'offrir.

Agorreta a été longtemps une décharge. Le remblai de maintenant est la continuation de cette vocation à recueillir l'hétéroclite inutile d'ailleurs, pour en faire quelque chose ici.
Du fait, sur les hauts de la ferme, en travaillant la terre, on a longtemps remis au jour de vieux ustensiles borgnes, des casseroles bosselées amputées de leurs queues, des morceaux de faïence aux motifs tronqués, des billes irisées, des figurines maculées.
J'ai très longtemps gardé un petit cheval en plastique jaune, à la queue en panache, la tête ramenée sur le poitrail, un antérieur relevé sur un trot orgueilleux.
Il était entier, et a habité mes courses éperdues, autour de la ferme, un bâton planté en oblique entre les cuisses, quand je me sentais chevaucher mon petit cheval fougueux, sans me rendre compte de l'indécence de ma posture... L'innocence des enfants les préserve de nos turpitudes d'adultes, et notre gêne leur est étrangère, Dieu merci !
J'ai gardé aussi de ces récoltes là le goût des verroteries colorées, des mosaïques disparates où de petits bouts de rien s'assemblent en un plus grand... n'importe quoi !

Je n'ai connu mon grand-père que dans les cinq premières années de ma vie.
L'âge devait l'avoir amolli, avant que la maladie ne l'affaiblisse.
Il était encore tonitruant, et sa voix grinçante nasillait douloureusement à nos oreilles.
Je me souviens de ses menaces contre ma grand-mère, quand il voulait lui planter un couteau, hurlant sa rage et sa hargne.
Mon Dieu quelles scènes terribles, ces deux vieux, l'une presque impotente, et l'autre rendu fou par la douleur, sans doute,  se hurlant leurs défis.
Mon père barricadait pour les nuits ma grand-mère dans ce vieil appartement où j'écris maintenant.
Il menaçait de la tuer, et rien ne le détournait de cette idée.
Pas étonnant que je me sente bien ici, puisque cet endroit représentait dans mon enfance un refuge sûr...

Je veux maintenant essayer de comprendre le parcours de cet homme dont je n'ai connu que la fin.
Comprendre à partir de ces quelques dates recueillies comment la vie d'un jeune paysan d'Oyarzun a déroulé son fil dans les méandres de ces temps là.
Comprendre l'homme, essayer de me mettre à sa place, dans son temps.

Ma tentative sera bien sûr tâtonnante et aléatoire.
Je vais imaginer, une réalité lointaine, en assemblant des fragments disparates, des bouts de vie et d'histoires.

Je ferai cette tentative pour chacun des personnages de cette famille, la mienne.

Puisque mon intérêt et le hasard m'ont mis ces éléments épars en main, j'en ferai mon tableau à ma manière.

J'ai cette envie de regarder, de recueillir, de réunir et de voir ce que ça dit.
Une lubie d'un moment, comme il m'en vient souvent !

Je vous laisse ici, j'ai mangé mon temps d'écriture d'aujourd'hui.
Je n'ai plus cette urgence des débuts.
Ce que j'aurais mis au jour, il y sera. Le reste, ceux que ça intéresse pourront toujours le dépoussiérer à leur tour...

A une autre fois !















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