lundi 1 juin 2020

31 mai



Dimanche 31 mai 2020 9h50

La ferme se retire dans la pénombre de ses murs de pierres.
Le soleil commence à appuyer fort sur les nuques.
Des aubes pures nous viennent, annonciatrices de journées estivales.








A la jardinerie, je ne peux pas trop m'y soustraire. L'avantage en est ce teint doré parfaitement réhaussé par nos tenues fluorescentes. Quand elles sont neuves... 
Les miennes sont éculées : je porte encore la série d'il y a dix ans, avec la jolie coccinelle aux jambes croisées. Je suis très économe en matière vestimentaire. Je mets volontiers des vêtements antédiluviens, avec toujours ce plaisir de retrouver tous ces moments lointains et agréables où je les ai déjà portés. 
Pour les désagréables, compte tenu du nombre de fois où je porte le même vêtement, ils se fondent dans la masse, et s'y laissent oublier, sans doute. Ou alors, je n'ai pas la mémoire vestimentaire de ces occasions là. Si je pouvais n'en avoir plus la mémoire du tout, d'ailleurs, ce serait tout aussi bien !

Les génisses restent en fond d'étable, dans la partie stabulation libre. Je me félicite tous les jours de cette installation. Elles se rafraîchissent la nuit, se lustrent le poil à l'herbe humide.
Je découvre ainsi des reflets fauves sur les antérieurs de Neska Motz. Les grosses cuisses tachetées de Buru Haundi s'égayent d'une blancheur retrouvée. La Graziosita pommelée joue plus que jamais de son élégance. Pour Katto Pelato, elle reste dans sa robe comme dans ses humeurs : d'une constance sans faille. Puisse le ciel me partager un peu de cette stabilité...

Je vais dans les jours prochains les cueillir en images, pour garder la trace de ces quatre merveilles dans toute leur splendeur.

Je fais ma tournée fleurs et potager le matin, au jour levé.
Le jasmin commence à flétrir, embaumant plus que jamais de la fin prochaine de sa floraison déjà jaunie. Les pétales pointues des fleurs du bougainvillée percent au travers de cette décadence annoncée, sûres, elles, de leur longévité de fleurs dures.
Mon oranger durement effeuillé, par deux fois, par les tempêtes hivernales, repart. Je l'ai toiletté,  lui ai rafraîchi les racines, et dûment amendé. Il s'en sortira. Renforcé d'avoir surmonté toutes ses épreuves. Rien de tel pour mieux apprécier les bienfaits d'une saison plus clémente.

Dans le potager, je n'ai repiqué que deux douzaines de salades. Un petit semis assurera les relais, au fur et à mesure des cueillettes. Le carré aromatique vit sa vie, avec les fraisiers en pied. Quelques fleurettes pour mettre de la couleur, un joli filet bien tendu pour décourager les moineaux voraces, et le tour est joué !

Je suis très déçue par mes semis de châtaignes de ce printemps. Pas de levée, pas la queue d'une !
Autant mes cultures d'automne ont été encourageantes, autant, là, c'est une désolation.
Je me demande si le sable récupéré à la jardinerie, pour y enfouir en hivernage mes châtaignes à semer au printemps, était suffisamment neutre. Une petite acidité de minéral de carrière aurait pu inhiber toute velléité de germination différée. C'est le risque, avec ces matériaux de récupération : on s'en tire certes à l'économie, mais les recyclages ne sont pas toujours efficients, quand ils ne sont pas carrément ravageurs de performance.
Quoi qu'il en soit, ma rangée de plants de plein champ restera muette, dirait-on.
J'ai bien déterré dans mes conteneurs alignés dans la cour, un fruit sur le point de lever, avec sa radicelle fluette étirée sous elle, et un germe assez gaillard sur le dessus. Celui-ci serait venu.
Là, manipulé, dérangé dans son parcours de perpétuation, il risque le dessèchement, le pauvret.
Je l'ai réinstallé à côté, auprès d'un cousin protecteur.
Dans les quatre conteneurs vides, j'ai repiqué deux plants de piments, et deux bouquets de lobélias colorés. Pour la joliesse, et les futures omelettes estivales.










Dix germinations sur quatorze semis, ça reste honorable.
A Sare et à Mendionde, les mises en œuvre ont été bien plus ambitieuses. Une centaine de plants tout prêts sont mis à disposition. Un dixième fera parfaitement mon affaire.
Des sujets de deux ans, tels que celui que j'avais replanté ici, feront une première ligne de choix.
Les petits miens viendront s'intercaler.








J'espère hybrider ainsi des espèces locales différentes. 
Je ne suis pas sûre d'avoir le temps de sélectionner les meilleurs croisements.
Je suis sûre d'avoir l'envie de commencer. D'autres continueront, si le cœur leur en dit. Ou alors, ils laisseront un petit bois un peu sauvage, où la nature reprendra ses droits, parsemant d'une ou autre espèce performante, ma future petite forêt de châtaigniers ordinaires.
Ou alors, les hauts d'Agorreta deviendront toute autre chose.
Mon projet peut aboutir, ma vision prendre sève et bois.
Il peut avorter, aussi.
Tout ne se réussit pas. 
Tels mes semis de printemps, mes essais peuvent rester lettres mortes.
Je ne m'en décourage pas, bien au contraire. 
Là aussi, comme pour mon oranger, l'adversité renforcera une résilience toujours en dormance.

Tiens, je m'interrompt pour ce matin.
Une mienne nièce s'annonce pour un petit-déjeuner tardif. 
Je prends le temps maintenant pour ces petits intermèdes si agréables.
Une après-midi entière, mercredi dernier, à jardiner au grand soleil d'un balcon voisin, en s'émerveillant du confort d'une crème hydratante fantastique !
Une autre encore vendredi, d'un banc à l'autre de la cour, cherchant le frais avec Doudou, à parler de tout et de rien.
Parler chiffons et histoires de jeunes femmes fait grand bien, à qui a passé beaucoup de temps à tourner autour de la maladie et de la mort. 
Il sera bien temps le moment venu de se soumettre à ces incontournables.
Le sentiment du devoir accompli me laisse maintenant le loisir et la légèreté de m'octroyer ces respirations essentielles.


Lundi 2 juin 2020 8h40

Je reprends.
L'après-midi à la jardinerie hier fût bien agréable.
Nous terminons cette période avec un chiffre d'affaires à la hausse !
Les jardineries se seront fait des manteaux chauds de ce coronavirus ravageur pour tant de secteurs de l'économie.
Je garde l'espoir d'une persistance de cet engouement pour les arts de la maison et du jardin.
Nous verrons bien...

Les valeureux résistants de la période de confinement, mes collègues restés sur le pont pendant que je me retirai autour de mon père dans la ferme, sont au bout du rouleau.
On les sent épuisés, éreintés de cette activité frénétique.
Même nous, les "revenants penauds", sentons la fatigue de ces journées trépidantes.
Sans oser nous en plaindre, évidemment : nous nous ferions rabrouer, et à juste titre !

Notre Philippe, déjà vite sanguin, prend feu pour un oui pour un non.
J'ai cru jeudi matin le voir au bord de l'apoplexie.
Il arrive à la jardinerie à l'aube, un peu avant moi, bien avant les 8 heures.
Il aime à balayer le marché couvert, à petits coups rapides : ça le calme, nous explique-t-il.
Il a en effet besoin en début de journée d'expurger une tension visible à ses mâchoires contractées sous ses joues rougies d'une congestion d'humeur explosive.

Jeudi matin, j'arrive, comme tous les jours. J'ouvre grand le magasin du côté de la pépinière, pour faire entrer de l'air frais dans le bâtiment encore surchauffé de la veille.
Philippe, lui, se jette directement sur son balai, trop bouillonnant lui-même pour se sentir incommodé par la température étouffante à l'intérieur du magasin.
Connaissant son état d'esprit survolté de ce moment de la journée, je vaque au large, le saluant de loin.
Jeudi matin, depuis la galerie, je note la présence dans le marché couvert d'une jolie petite troupe de poules. Oui, à la jardinerie, nous vendons des poules. Là aussi, le confinement a amené un surcroît saisissant des ventes de ces volailles vivrières.
Philippe balaie, énergiquement, comme à son ordinaire, tête baissée sur une concentration appliquée. Il rassemble les débris végétaux de l'activité de la veille en petits tas, essaimés dans les allées entre les tablettes.
Les poules, caquetantes, mordorées et luisantes dans le soleil encore rasant, viennent, narquoises, éparpiller les dits tas, de petits coups de pattes latéraux, en dandinant du croupion. Elles picorent quelques graines ou autres feuillettes à leur convenance. Elles se disputent les meilleurs morceaux, se piquant l'une l'autre le bec, courroucées en cac-cac-cac plus aigus.
Le spectacle me paraît amusant.
Je me doute qu'il l'est bien moins pour le Philippe.
Je le vois balayer d'un coup furieux les petits groupes de volailles assemblées autour des tas qu'il vient de faire. La valetaille volette en caquetant de plus belle une protestation offusquée.
Mes oreilles sourdes me préservent des fulminations qui doivent mettre à la gorge de mon collègue un carmin bien plus vif que celui des crêtes de ces poules ravies de l'aubaine d'une sortie impromptue.

Je m'approche. Il me regarde à peine, pestant contre ces "saloperies de poules" qui "lui en foutent partout", ces "connes de l'animalerie incapables d'enfermer correctement leurs connes de poules". 
Oui, Philippe est facilement grossier, dans ces occurrences.

Il continue de marmonner. 
Je distribue un filet de graines de céréales, dans l'espoir de voir les volailles venir picorer mon cheminement, qui les mènerait droit dans leur enclos ouvert.
Le chat de la jardinerie a du venir les flairer d'un peu près. Le système de fermeture devait être un peu léger. Cette troupe de volaille s'avérer un peu plus vite paniquée.
Tous ces un peu ont fini par faire assez pour occasionner un résultat final suffisant à exacerber notre Philippe survolté.

Je fais mine de ne pas l'entendre me pester après : "c'est ça, maintenant, elle me fout des graines de partout !"
Ma surdité peut bien me servir, aussi, parfois, saperlipopette !

Jean-Michel et Franco arrivèrent en prompt renfort, et, à nous tous, nous vînmes à bout de la volaille égarée.

Philippe s'empourpra un peu moins, décréta qu'il avait "une terrasse à voir en extérieur", et s'en revint, une paire d'heures après, la crête aplatie d'un calme à peu près retrouvé.
Il est comme ça, notre Philippe : charmant, mais volcanique.

Ah, là, je vais encore laisser tomber l'écriture : Meriem s'annonce pour une longue pause.
Je vais juste sortir mes belles au pré, avant de nous préparer le thé.






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