mercredi 24 juin 2020

24 juin






J'ai commencé ma journée par cette contemplation religieuse.







Ensuite, je me suis intéressée à mes vaches, prêtes à se coucher dans le pré, au ras de mes fenêtres.
L'onde de fièvre hormonale s'assagit.
Cette fois a été plus calme. La chaleur dans l'air rend peut-être mes bêtes plus dolentes aux leurs.
Elles passent les nuits dehors, s'y rafraîchissent.
Le petit matin les rapproche de l'étable, où elle viennent grapiller leurs rations gourmandes.
Par ces journées chaudes, elles restent ensuite au frais, dans la pénombre de la vieille étable.

Buru Haundi et Neska Motz se tournent le dos.
Elles jouent les indifférentes. Finiront peut-être par le devenir, à force.
C'est peut-être le mieux qu'elles aient à faire.





Tout ce petit monde se couche, tranquille.
Je vais à la jardinerie.
Antton les rentrera tout à l'heure.

Je l'entends déjà s'activer dans la grange.
La montagne a livré son content de foin : près de 150 bonnes grosses balles de foin sur 10 hectares, c'est honorable.
Ca fait une petite quinzaine de trajets montagne-Agorreta, chargements, déchargements. Ca demande un peu de temps !

 Avec les regains à venir, la fougère pour les paillages, notre vieux Barbot sera plein comme un œuf.






J'ai tardé hier soir à me coucher.
J'ai profité jusqu'au crépuscule de cette magnifique journée d'été.
Il a fait un peu chaud, mais des coulées d'air plus frais allégeaient le poids d'un soleil impérieux.
Toute l'après-midi, je me suis occupée de l'arrosage, dans la pépinière.
Les gerbes d'eau irisées retombaient en rideaux légers. C'était bien agréable...

Je suis arrivée au soir, pas trop fatiguée, évidemment !
Un crochet par le cimetière : le bégonia tubéreux et le dahlia m'épatent par leur tenue et leur opulence. Un moment de grande sérénité, assise sur la pierre chaude d'une tombe ombrée m'a suffisamment alanguie pour m'en faire tomber les épaules.

Une petite crispation s'y est logée depuis ce printemps. Depuis ces 6 derniers printemps, en fait.
Je n'y fais pas trop attention. Elle se rappelle à moi dans ces moments où elle me lâche. J'ai alors la sensation soulagée de son absence. Et la conscience plus inquiète de sa présence autour.

Mon maudit Ménière se tient à l'affût, toujours prêt à reprendre du poil de la bête.
Cette petite crispation est une bonne copine à lui.
Pour le moment, je le tiens en respect, pratiquant des inspirations larges, quand je sens l'animal se loger entre ma boîte crânienne et  son résident légitime, mon pauvre cerveau congestionné par cette pression insistante.
L'afflux de bon oxygène doit faire reculer la houle juste prête à me faire chavirer. La tension se relâche, le vertige s'éloigne, et l'horizon redevient stable. J'expire alors brusquement, en mentalisant ma cage thoracique vidée. Ca peut marcher, comme je peux basculer, d'une seconde à une autre. C'est l'affaire d'une microseconde, même, je dirais. Trrès, trrrès juste, tout ça !

Pour avoir un peu tout essayé, à un moment ou à un autre, je sais combien mes tactiques sont aléatoires.
Tant que celle du moment marche, je m'y accroche !

J'ai bon espoir maintenant de faire refluer tous ces désagréments.
Une lourde ombre planante s'est éloignée de mon horizon : je n'ai plus ce sentiment de menace, de tension, fichée comme une épée de Damoclès sur mon horizon.
Je suis arrivée à tenir mes serments.
J'ai le sentiment du devoir accompli.
Je me sens acquittée, plus en sursis.
Je ne suis plus potentiellement coupable, d'avoir failli.
Et là, j'expire, je souffle, je relâche.
Quand je raisonne.
L'émotif, lui, embraye, mais reste un peu en arrière, sait-on jamais.
La vieille mécanique, aux rouages déjà bien grippés de tout ce temps en tension, la joue : voyons voir à voir... Chat échaudé craint l'eau froide, et mes petits nerfs, mes vieux muscles encore tendus comme des arcs, restent en état d'alerte, d'alarme. Quitte à finir de s'y effilocher !

Il se passera du temps évidemment avant que mes mécanismes compliqués, ou butés, ou les deux à la fois, comprennent.
Du temps avant que la fatigue se retire comme une vague lente.
Du temps avant que la tension desserre ses griffes et me laisse aller, libre.

J'en ai , maintenant, du temps.

D'ailleurs, l'heure est venue de s'occuper du déjeuner.
Autant pour mon programme hors logistique, je prends des aises et du large, autant, là, pour les petites affaires intendantes, je me tiens à des horaires stricts.
L'heure des repas pris ici ne varie que dans une amplitude si resserrée qu'elle ne peut pas s'y déployer. Un battement de 10 minutes, ça nous fait déjà beaucoup ! Il faut une circonstance aggravée, une raison de force majeure, pour nous faire dévier d'une routine où nous sommes lovés comme de vieux chiens dans leurs niches de foin.
Nous sommes accrochés à ce rite, attentifs à nous le conserver.

Retour à mes casseroles.


15h15

Mes temps de sieste se calquent sur une bonne heure et demie.
Ca doit correspondre à deux cycles de bon sommeil. Pas étonnant alors que je puisse rallonger mes soirées !
Et les meubler de fantaisie.
Ce soir, par exemple, après la chaleur d'ailleurs très supportable de cette après-midi, je vais aller aménager le balcon de ma Lucie. Un coquet gazon synthétique, deux sobres bacs plantés de fargesias et de bougainvillées fleuries, pour la couleur, et ce petit espace tristounet deviendra un lieu de repos classieux.
L'ennui avec ces habitats collectifs, c'est l'exiguïté des lieux, et leur accès malcommode.
Nous en savons quelque chose, chez Lafitte, quand il nous faut débarrasser à coups de sacs poubelles des détritus, faire des allers-retours dans les ascenseurs (quand il y en a !), imbriqués entre un chariot plat croulant de terreaux, et deux ou trois plantes qui nous chatouillent les narines.
Dieu merci, mes jeunes collègues se chargent de tout ça, et je me contente de leur annoter les précisions sur le bon de livraison.

La grande Katrin s'annonce aussi pour tout à l'heure.
Elle est décidément un peu farfelue dans ses protocoles : les tubes de la dernière prise de sang ne sont pas homologués. Il faut recommencer l'opération. Bon.

Je peux maintenant intercaler quelques imprévus dans mes journées relâchées. 
Fini le temps où il fallait jongler entre heures de levers, de couchers de mon père, passage des infirmiers à ne pas manquer pour des transmissions du médecin, faire une place dans tout un réseau tramé dans le gris de la maladie.

Je me répète cette liberté nouvelle, pour me l'approprier, comme une nouvelle bête à apprivoiser.
On se connaît peu, elle et moi, depuis tout ce temps où je l'ai laissée à la porte.
Maintenant, elle passe mon seuil, à petits pas encore furtifs.
Elle me fait à penser à Tiago, allongeant le cou derrière la porte, pour voir si les chiens y sont.
Il se méfie. Ma mini-meute lui fait fête, maintenant, quand je suis là, pourtant.
Mais la situation paraît encore étrange, alors...

Alors, je laisse venir ce temps, je laisse aller celui d'avant.
Mes crispations se détendront, si rien ne vient me les chatouiller.
Je prends garde de me tenir loin de ces "zondes négatives".
Je prends le pari d'arriver à me faire mon chemin vers cette sérénité, toujours pointée, à portée, maintenant, peut-être ?
Je veux y croire.

Je sens déjà le mieux, quand, comme ces derniers soirs, je déambule dans les parages, sans me demander ce qui se passe à la ferme, pour mon père, pendant ce temps de liberté coupable.
Je n'ai plus besoin de me coucher tôt, pour profiter, dans l'urgence, sur les premières heures de la nuit, de ce temps de repos, avant que mon père ne se réveille et ait besoin de moi.

Je sais que j'ai toute la nuit pour dormir.
Je sais que je peux admirer le couchant, caresser les chiens longuement, regarder mes vaches paître dans le soir, arroser les fleurs, marcher le long du petit bois à cette heure déserté des trop nombreux promeneurs en journée.
Je sais que je peux faire du bruit dans la ferme sans déranger personne.
Me doucher à 22 heures.
Lire une heure encore.
Je sais que je vais m'endormir paisiblement, comme on glisse, en sachant être douillettement réceptionnée à l'autre bout de la nuit.
Je sais que mon temps de repos nécessaire ne sera pas haché, saccagé.

Je sais que ce temps de repos nécessaire m'est rendu.
Je sais que j'en ai besoin.
Je sais qu'il me faut lui faire sa place.

Je suis bien décidée à en profiter : faire ce qui me plaît, voir mes amis, m'occuper de mon grand mari, de mes 4 vaches, de mes 3 chiens, de tous ceux-là qui sont les vrais miens.

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