mercredi 3 juin 2020

3 juin




Mercredi 3 juin 2020 18h30

La rentrée de mes belles se perturbe d'une lutte intestine : Buru haundi et Neska Motz sont en conflit ouvert :











Ces deux là se cherchent !
Elles se veulent, s'en veulent, se "fulent" et se feulent.
Rien ne va plus entre mes deux noiraudes.

L'affaire a commencé hier matin : Buru Haundi est en rut.
Je les entends depuis ma chambre entrer dans le fond d'étable, juste derrière le mur, à 6 heures pétantes. Elles sont réglées comme du papier à musique.
Je me lève, passe un short, et vais leur ouvrir le portail au fond.
Je note ma grosse Buru Haundi agitée, chamboulée par une poussée hormonale. Cette pulsion irraisonnée la rend déraisonnable. Elle, la si placide, devient belliqueuse. Elle cherche noise à ses consœurs, les molestant de ses assauts brutaux.
Le sang lui bouillonne et le tumulte la dépasse : c'est plus fort qu'elle, on ne peut pas lui en vouloir.

Ma Buru haundi est une bête épaisse et sans grande délicatesse. 
Néanmoins, son tempérament la porte davantage à s'intéresser à sa seule pitance qu'à toute autre considération plus élevée.
Il a fallu ce coup de fouet d'un rut exigeant, pour la faire sortir de ses ornières basiques.

Dans son aveuglement, elle s'en prend à tout le monde. 
Graziosita, tellement délicate, s'éclipse fluidement, en un pas chassé léger et gracieux. Chaque jour, elle porte mieux son nom.
Katto Pelato, imperturbable, ne bronche pas, dans sa grande sagesse. Elle laisse la grosse bêtasse chamboulée lui tourner autour, et se dégage sans mal, et sans presse.

Pour Neska Motz, c'est une toute autre affaire.
Elle a gardé du temps de sa protection par ma si regrettée Bigoudi, l'idée d'une prépondérance injustifiée par sa qualité de petite dernière, et pourtant légitimée par un tempérament résolument guerrier.
Toute petite et ramassée sur des volumes joliment arrondis, lustrée et brillante de son pelage tout propre des nuits passées dehors, elle rutile et ne s'en laisse pas compter.
Des quatre génisses, c'est la mieux cornée. Notre bon Berra en sait quelque chose, fouillé qu'il fût dans ses fondements, à l'occasion de nos tentatives avortées pour sauver Bigoudi.

J'avais donc, hier matin, noté cette agitation dans mon petit troupeau.

Buru Haundi, toute retournée qu'elle soit par ses humeurs sanguines, garde les sabots sur terre : quand j'ai ouvert la barrière, elle a laissé tomber ses ardeurs, pour s'approcher de sa ration de son et de luzerne déshydratée. Les élans passionnément amoureux, c'est bien joli, mais ça ne nourrit pas son monde !
Buru haundi, je l'ai dit, est avant tout une panse à remplir. Une grosse panse affamée, et toujours en demande.
Ses cuisses épaisses ne se sont pas arrondies de transes romantiques, mais bien de bonnes calories bien consistantes.
Il faut lui en donner assez, et l'appât de la nourriture abondante lui fait oublier tout le reste.

Hier, je travaillais à la jardinerie. Mes bêtes dûment nourries et soigneusement pansées, je m'en vais, sur le coup des 7h15, les laissant au repos dans l'étable tranquille.
Antton prend le relais ensuite, pour les relâcher dans le pré.

A la pépinière, la journée se passa ordinairement. Il faisait chaud, lourd. L'air était poisseux, la pression atmosphérique désagréable.
Mes fluides internes sont intimement connectés à mon environnement.
Quand l'air devient lourd et humide, orageux, mes vésicules auriculaires se compressent douloureusement. La pression osmotique s'alourdit contre les parois de mes cellules densifiées d'autant.

Je remarque à ces moments la complexité de ce système interne. 
Quand la pression se relâche, l'impression de compression sous mon crâne s'allège.

Je n'ai pas connu sur ces trente dernières années une période suffisamment sereine, pour savoir ce que deviennent mes échanges osmotiques en situation sans tension. 
Je garde espoir, encore, qui sait ?

Quand, à contrario, la pression augmente jusqu'à un seuil assez élevé, les fluides auriculaires se figent, bloqués dans leur mouvement, comme mes génisses trop entassées contre le portail.
Mon équilibre s'en trouve amélioré, et mes vertiges neutralisés.

C'est dans l'entre-deux que les choses se gâtent.
Ballotée par des courants contraires, la bulle de mercure qui sert de point d'équilibre s'affole, et m'envoie valdinguer.

Je ne suis plus sûre d'atteindre jamais ce plancher de tension où la bulle flotterait, tranquille, au bon niveau.
Je me demande alors si je n'aurais pas avantage à rechercher les situations plus tendues, pour obtenir le même effet de stabilisation de la bulle.
Elle se tiendrait en place, non pas en juste équilibre relâché, mais contenue, comme le taurillon durement pincé aux naseaux par la mouchette.
Mes références restent bovines, je le sais.

Pour en revenir à mes génisses, je me demandais, pendant ma journée salariée, ce que devenait cette andouille de Buru-Haundi, tracassée par ses chaleurs intimes, en plus de celle météorologique.
J'imaginais bien le désordre dans la prairie. La petite Neska Motz, plus preste et agile que la grosse aînée, mais moins lourde et moins puissante, devait avoir dure maille à partir !

Quand je rentre le soir, Antton a fait manger les bêtes, et, par ces journées chaudes, elles sont ressorties pour se rafraîchir dans la nuit.
Je jetai un œil sur la prairie. Les choses paraissaient calmées, et je ne m'inquiétais pas.

Ce matin, je déchantai : Buru haundi, en pleine crise d'adolescence, était encore décidée à ruiner la paix du troupeau. Son rut n'était pas terminé, et elle continuait de semer la zizanie.
La petite Neska Motz, sûrement assaillie toute la journée d'hier et une partie de la nuit, résistait.
Je la sentais pourtant fatiguée. Elle n'était pas soulevée, elle, par les emballements d'un sang surchauffé.

Après avoir distribué les rations, après avoir rassasié, dans la mesure du possible, ma démoniaque Buru Haundi enfiévrée, après avoir de mon mieux rasséréné la Neska-Motz dépitée, j'essayai de leur parler, à l'une et à l'autre :

- Les filles, leur dis-je calmement, ça ne peut plus durer ! Il faut vous gourmander, l'une ou l'autre, et, mieux, l'une ET l'autre ! 
Buru-Haundi, tu dois te calmer : tu n'as pas besoin d'imposer ta force. Tu es la plus grosse, on le sait.
Et toi, Neska Motz, renonce à tout régenter. Bigoudi est morte, à présent, et tu n'as plus son appui.
Rentre dans le rang, fais comme tes sœurs. Ignore Buru-Haundi et ses provocations. Elle se fatiguera toute seule.

Elles m'écoutèrent, d'une oreille.
Sitôt relâchées, elles recommencèrent leur cirque.
La méthode douce, la pédagogie patiente, n'avaient pas porté leurs fruits.

Elles attendaient de moi que je lève leurs conflits.
Bien, c'est ce que je fis : deux bons coups de bâtons, à chacune, et ouste ! hors de l'étable, l'une et l'autre !!
Qu'elles aillent s'encorner : elles sont équipées pour la bataille comme moi pour le couvent...

J'ai surveillé de loin ma prairie.
Mes deux survoltées se hument et se toisent. Elles se tournent encore autour.
Buru-haundi s'en tient à ses manœuvres de grosse bestiasse brute.
Neska-Motz feinte et esquive, revient agacer la grosse dès qu'elle le peut.

A la rentrée ce soir, toujours pas d'armistice entre ces deux là.
Je me demande si je ne vais pas les finir en quartiers de viande réfrigérés en chambre froide...
C'est tout ce qu'elles vont finir par gagner !

Et encore, si on les suspend à deux crochets trop voisins, elles trouveront encore le moyen de se chamailler !








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