lundi 13 juin 2016

IL NE FALLAIT PAS LE RATER !




Bonjour, suiveurs des nouvelles d'Agorreta !




Inutile de tenter de vous montrer Mère-Rhune ce matin. On ne voit rien de mieux que ces nuées fermées.
Il tombe une pluie légère et silencieuse. Idéale pour faire fondre l'engrais dispensé sur mes petites cultures démarrées.
De furieuses bouffées venteuses secouent rageusement l'ambiance. Pas vraiment un temps de belle saison !
Heureux celui qui par ces journées mouillées a son foin rentré !
Il ne fallait pas rater ce petit créneau de quelques jours de la semaine passée !

Pour les retardataires, l'herbe haute ne va pas tarder à ployer sur les tiges creusées. Les épis vont se vider. Le fourrage sera de bien moins bonne qualité. 
Ma foi, si je voulais plomber le moral du paysan au fourrage encore sur pied, je ne m'y prendrais pas autrement...
Ainsi va la vie du paysan : le moment venu, il ne faut pas le laisser passer !

Sans grand risque de se tromper, on peut élargir le champ d'action de cette sage maxime, n'est-ce-pas ?

Je vais tâcher aujourd'hui de verbaliser les menues turbulences des derniers jours, à Agorreta.
Je me suis sentie un peu bousculée. J'ai du décider en précipitation, des choses pour moi pénibles, toujours. Mais bon.

Vous l'aurez compris, nous parlons encore de mes vaches...
Du moins, à travers mes vaches, plus généralement, de ma préemption d'une réalité floutée par un élan émotif exacerbé pour moi en cette période.

Toute la gente féminine autour de la cinquantaine comprendra immédiatement de quoi il est question. Pour les plus jeunes, il sera toujours temps d'aviser le moment venu, qu'elles ne s'en inquiètent pas prématurément...
Pour nos homologues masculins, s'ils ignorent le phénomène, par procuration au moins, et bien, qu'ils connaissent longtemps la grâce de ne pas y être confrontés !

On parle souvent pour les hommes du démon de midi. Et on les tient pour coupables de se laisser ainsi gouverner par leurs hormones exigeantes.
Sans vouloir les dédouaner tout à fait de ce penchant regrettable, parfois, j'admets pour eux des circonstances atténuantes. En la personnalité déstabilisante de leurs partenaires, épouses ou compagnes, affligées de cet âge au même moment.
Rien de plus difficile à supporter qu'une femme de cinquante ans ! Pour les autres, et pour elle-même...
Que les féministes ne me tiennent pas grief de ce constat. Je n'engage que moi. Et toutes ces malheureuses qui m'ont partagé leur ressenti, malheureusement parent du mien.

La femme de cinquante ans se débat dans les tourments émotionnels de ses hormones en plein chamboulement. Elle y perd ses nerfs, son énergie et devient moins avenante, assurément.
On peut toujours tricher avec le temps et maquiller les circonstances artificiellement. On peut...
Mais, tôt ou tard, la réalité vous rattrape au tournant et vous jette à la face l'inanité de vos simagrées.
Alors... alors moi, j'essaie, tant bien que mal, de garder la tête hors de l'eau dans ce flot bouillonnant et contraire.
Je vous avoue ne pas toujours y arriver. Mais, je vous l'assure, j'essaie !

Les petits démons émotionnels lâchés à tous vents s'en donnent à cœur joie,  dans ce tumulte exaspéré. Voyez-les gambader, sautiller et rire, ces petits diables libérés et contents !
Difficile de les canaliser, de les garder sous le seuil de débordement. Ils grimacent et ricanent sardoniquement, s'encourageant les uns les autres à outrepasser les limites.
La raison appelée à la rescousse a fort à faire. Sa voix porte mal et se fatigue vite dans le brouhaha confus où elle se perd.

J'essaie, je dis bien j'essaie, de lui maintenir bonne place et presse raisonnable, à cette pauvre raison malmenée.
J'envisage les choses en tâchant de les tenir à distance. Je pose des postulats mathématiques en tentant de refroidir les braises rougeoyantes de mes affects turbulents.

Pour l'affaire de ces derniers jours, j'ai bien du mal, c'est vrai. Pourtant, il va bien falloir remettre les petits diables dans leurs boîtes, et refermer sur eux le couvercle.

Je vous explique le cas. Posément, avec froideur, presque, à dessein, comme par nécessité.

Il s'agit de Pollita et de son Xokorro de petit :




Là, ce n'est déjà pas gagné ! 
De les voir me serre les entrailles. Ce n'est pas du sadisme contre moi-même, un peu quand-même...

J'ai choisi de voir dans mon micro-élevage l'illustration de la vie. Je m'appuie sur mes vaches pour comprendre le sens des choses, sans perdre de vue les réalités, douces ou dures.
Xokorro est né mâle. Son destin ne pouvait pas le mener bien loin. Sans race, il ne pouvait prétendre qu'à quelques mois de vie saine et paisible à Agorreta. Pour la suite, je l'imaginais partir en "broutard", sur les larges plaines italiennes. Il serait devenu un rustique taurillon de deux ou trois ans, pour finir évidemment sur les étals de boucherie.
Une de ces réalités un peu rude, mais incontournable.

Sa mère, ma royale Pollita, elle, je pensais la garder, longtemps encore. Elle était parfaite et aurait pu donner naissance à de nombreux veaux, encore.
Je voyais cette configuration là, fluide et claire, jusqu'à tout dernièrement.

Il y a eu Avril, le vêlage mauvais de Fauvette, Petit-Breton rejeté. Ces deux là emmenés loin d'ici, en me laissant déçue et désemparée. Si ça vous intrigue, voyez plus haut, au début du mois d'avril.




Bigoudi et sa mignonne Agatte paraissaient pouvoir éclairer cette ombre.

Je le voulais.

Le fait est, la vue de ces deux-là est plaisante et positive à souhait.

Je me remettais de déceptions. Tout n'était pas mauvais, allez ! 






Je sentais cet équilibre précaire et facile à mettre à mal.
Bigoudi produit du lait en quantité. La jeune Agatte ne vide que la moitié de ce pis gonflé.
Tous les soirs, à la rentrée, je vide consciencieusement les mamelles de ma blanche tachetée.  Elle ne se montre pas très coopérative. C'est un exercice un peu acrobatique. Tout de même, en évitant quelques coups de sabots, j'arrive à aplatir ce pis productif.
J'attends avec impatience le moment où la petite aura suffisamment d'appétit pour m'épargner cet épisode quotidien. Nous n'y sommes pas encore...

A l'autre bout de l'étable, Pollita et Xokorro sont une paire parfaitement autonomes.  Je me contente de vérifier la souplesse des mamelles de la grande, et de flatter le petit en lui parcourant l'échine de mes doigts repliés. Un moment agréable.
J'en parle encore au présent !

Dimanche matin, Marcel, notre maquignon maison, (là, il faut remonter à Agorreta et la vache de Madonna, un peu loin dans le temps), survient.
Je lui avais parlé de Xokorro, à enlever d'après moi en fin d'été.
L'homme de métier me presse d'avancer mon projet. Le marché sera à ce moment saturé, mon petit mâle sans race restera sur le quai. Là, justement, il a des opportunités, et mon Xokorro trouverait à s'établir. Ah, bon...
J'ai noté déjà qu'à chaque fois que j'avais une bête à vendre, quelle qu'elle soit, le "marché" à ce moment là, m'était défavorable.
Par contre, si dans mes intentions il y avait à faire un achat, là, la bête convoitée devenait rareté, à payer au prix fort, bien-sûr !
Tactique professionnelle ? Réflexe de négociant matois ? J'en nourris le soupçon.
Toutefois, me représentant mon Xokorro devenu grandet, impossible à caser, je préférai ne pas prendre le risque de me le garder sur les bras.
Evidemment, en dernière extrémité, je pouvais toujours me résoudre à le faire tuer moi-même, et à le partager pour le faire manger.
Faisable, mais, dans mon état émotionnel aigu-ravagé, pénible à envisager.
Je vous le dis, ces temps-ci, tout ce qui jusque là ne me posait pas plus de problème que ça devient insoluble. Une vraie calamité !

D'un autre côté, mon élevage maintenant est purement de l'ordre du loisir. Je ne recherche ni performance économique, ni productivité, encore moins rentabilité. En gardant à l'esprit de couvrir les frais engagés, je ne veux pas pour autant m'asservir à des choses qui ne me plaisent pas.
Mener mon Xokorro jusque sous le couteau du boucher, si besoin, je le fais. Si je peux, je préfère l'éviter. Mes bêtes finissent abattues, je le sais. Mais hors de ma vue, généralement.

Pressée de décider, je pris dans l'instant l'option proposée. Xokorro partirait.
Mais alors, et Pollita ? Que faire de son lait ? Lui faire adopter un second petit, après mon expérience malheureuse avec Fauvette, ne me tentait pas. Et puis, ce petit, qu'en faire après ? Je ne suis pas dans l'optique d'agrandir mon cheptel, au contraire. 
La traire et la tarir progressivement, en plus de Bigoudi, je ne me le sentais pas beaucoup mieux.
Repartir sur une insémination et un futur vêlage, le tableau de Fauvette, encore une fois, me freinait.
Je vous le dis, ce printemps 2016 est pour moi un tournant. Les choses me paraissent difficiles et risquées, quand avant je les voyais naturelles et logiques.

Vaincue d'une fatigue subite, j'abdiquai. J'abandonnai ma Pollita à son sort.
Je confiai à Marcel le soin de lui retrouver un potentiel repreneur.
En sachant pertinemment que les chances d'en trouver un étaient bien minces.

L'affaire fut conclue rondement. La bétaillère chargea les deux bêtes à midi.
Un moment que je n'aime pas, là encore. 

Je me sens mal d'être devenue ce que je sens là. Et pourtant, je suis effectivement devenue cette femme là, vite découragée et facilement "renonçante". Rattrapée par des culpabilités qui relèvent la tête.
Quel dommage ! Moi si combative jusque là.

J'entretiens l'espoir de retrouver un peu d'allant, plus tard. Comme je m'aveugle, pour m'alléger, de la perspective d'une longue carrière ailleurs de mes bêtes sacrifiées.
Des bêtes, il s'en tue tous les jours, aussi braves et belles que les miennes.
Mais celles-ci, j'en suis responsable. Et, ces temps derniers, je me montre incapable de mener à bien ce que j'entreprends.
Je trahis mes propres serments, moi si attachée à la parole donnée.

Quelle sale époque !
Je n'admets pas sans mal ma faiblesse. Je n'en fais pas l'aveu sans difficulté.
Mes confidences pathétiques m'auraient insupportée, il y a peu. Là, je cherche en les déposant devant moi à me soulager de leur poids.

Aujourd'hui, je veux étaler les faits, en retirer les enseignements.
Je ne veux pas me mentir ou me cacher derrière de faux prétextes.

Je ne suis plus celle que j'étais. Et ne le redeviendrai sans doute jamais.
Des rémissions inespérées, à part celle de mon vieux père, je n'en connais pas.
Il est déçu de mes manquements. Et je m'en veux de lui causer cette peine. Parce-qu'il n'y a pas d'âge pour essayer de gagner l'admiration de ses parents, et pas d'âge pour être perméable à ce jugement là.
Je dois trouver ma voie hors de ces regards là, maintenant.

Je vous livre mes tourments et mes mots sonnent plat.
Ils ne rendent pas les reliefs épais et acérés de mes sentiments profonds.
A travers ces anecdotes insipides, je crois pourtant déceler une réalité importante.
Je ne lève pas encore les voiles sur ces mystères. Je ne les lèverai peut-être jamais.

Qui sait...





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