vendredi 21 août 2015

AGORRETA : LA PHASE EXPANSIONNISTE





Suiveurs des Nouvelles d'Agorreta, bonjour !


Les jours se suivent et se ressemblent en cette période "esti-automnale" :









Cieux limpides, légers et vivifiants.
















Horizons ciselés et transparents, avec le long et diaphane voile brumeux sur Fontarrabie, annonciateur de journée chaude.












Ce temps d'automne, je persiste dans mon décalage calendaire. Nous avons instauré des dates arbitraires pour cadencer les saisons. L'été perdurerait jusqu'à fin septembre.
Je trouve, moi, que l'été se termine au moment où les nuits fraîchissent, où les petits matins se font cristallins et la lumière moins pressante.
Ce changement d'atmosphère intervient dès la mi-Août. Il correspond à la période des maturations culturales, au temps moins nerveux, plus alangui, où les dés sont jetés, où il n'est que d'attendre la suite des événements, en abandonnant les rennes aux éléments.
Le printemps, vif et trépignant, demande un investissement, une implication de l'homme dans la saison. Il faut alors lancer les semailles, travailler activement la renaissance de la nature.
Un renouveau, une fougue, une énergie de jeunesse.
Une lumière directe, crue, forte et exigeante.

Maintenant, c'est tout différent. Il y a du lâcher-prise dans l'air, et, ma foi, ça fait du bien aux tempéraments comme le mien.

J'ai été jeune, à un moment, moi aussi. Pourtant, jamais je ne me suis sentie en osmose avec cette saison printanière trop fébrile.
J'étais déjà vieille, sans doute, en esprit, mûre avant l'heure. Maturée sans avoir manifesté de prémices...

Ce temps de ma vie, mon âge, et cette saison avancée correspondent parfaitement à mes états d'âme du moment.
Je sens ici et maintenant cette fameuse congruence précieuse et recherchée.

Revenons à nos moutons... 

Je vous annonçais ma vision de ce temps d'Agorreta, où nous vivions de la ferme, de cette activité agricole dont les fondements vacillent si périlleusement ces temps-ci.

Petit retour arrière d'une bonne quarantaine d'année :





Ca faisait longtemps que je ne vous l'avais pas resservie, celle-là, n'est-ce pas ?
La revoici la revoilà !


A Agorreta, le jeune couple Legorburu cohabite avec les parents Olaciregui.
Une petite famille s'établit.

L'activité vivrière en ce temps-là, c'est la vente du lait :




Ma mère, Carmen Olaciregui à l'époque, s'acquitte de la tournée journalière dans les rues hendayaises.

L'âne bâté de bidons de lait parcourt les quartiers au pas, paisiblement.

En ce temps-là, près d'une trentaine de fermes se partageaient le seul marché de la cité.

Il faut dire que la production par maison était très modeste. Les vaches alors n'étaient pas des usines à lait, non. Elles produisaient, gentiment, mais sans excès pour leur santé.
On ne leur distribuait pas d'aliment condensé en granulés. On ne recherchait pas la performance par des croisements génétiques sophistiqués.
Non, en ce temps-là, la vache faisait sa vie de vache, modestement. Elle produisait du lait, modérément. 
Le renouvellement du cheptel était, lui aussi, beaucoup plus lent.
Une vache, on la gardait douze, quinze ans. 
Evidemment, dans ces conditions, il ne fallait pas s'attendre à des moyennes de quarante litres de lait par bête. Non, non, non, non, non.
Au mieux, en pleine force de l'âge, une vache remplissait dans la journée son petit bidon de douze litres de lait. Son temps de lactation était fluctuant, aléatoire, et surtout, drastiquement réduit par rapport à celui d'aujourd'hui.




Celle-ci aussi, je l'aime bien, vous le savez : mon père et mon grand-père maternel aidant une vache à vêler.

La vache d'Agorreta, comme toutes celles des environs, était tarie quatre mois avant son vêlage.
C'est-à-dire que son cycle de production laitière couvrait à peine la moitié de l'année, en tenant compte d'une fécondité là aussi parfois capricieuse.

Je vous le dis, les courbes de fertilité et de production contemporaines en auraient laissés plus d'un rêveur, du temps d'alors...

L'évolution en ce domaine aussi a été spectaculaire, et, je le pense, outrancière.
A quoi sert de modifier l'ordre naturel des vaches à lait, si c'est pour finir par jeter des millions de litres de ce lait obtenu à grands coups de modifications génétiques ?

Nonobstant, nous avions tout de même la fierté de bien mener notre ouvrage, et parfois, la faiblesse de nous laisser aller au péché d'orgueil :





Pensez-vous qu'elle ait quelque-chose à envier à nos vaches modernes, cette magnifique "Moro" d'il y a quarante ans ?

Oui, "Moro", c'est la vache, en bas à droite.
Je n'ai pas pris la peine d'isoler cette photo, vous connaissez ma fainéantise et ma maladresse en ce domaine.

Mais bon, c'est parlant, non ?
La nature, quand on la laisse faire, est capable de surpasser toutes nos tentatives pour l'égaler.
Il faut juste apprendre à ne pas lui en demander plus qu'elle ne peut. Ne pas se montrer exigeant et infatué.

Là, c'est la nature humaine, qu'il faudrait "bénéfiquement" modifier...


Ainsi donc, les fermes hendayaises pratiquaient la vente du lait, en direct, au porte à porte.
Les clients posaient devant leur seuil une bouteille ou un récipient vide, et nous le remplissions, ou la remplacions par une pleine.

Certains laissaient quelques pièces de monnaie tous les jours, d'autres payaient au mois.
Une économie simple, directe, et sans complication administrative.

La mise en oeuvre et le matériel utilisé était là aussi spartiate. Pas d'investissement exorbitant au départ.
A Agorreta, nous fûmes des précurseurs : nous nous équipâmes d'une machine à traire automatique !
Une "Alfa-Laval", s'il vous plaît ! Pendant longtemps, le petit panneau publicitaire est resté fixé sur la porte de notre étable. Une signalisation triangulaire, noire sur fond jaune, indiquant : ici, machine à traire ALFA-LAVAL... Ça en jetait, je vous prie de le croire !

La machine en question a fait son temps. Un long temps, très très long :





La plupart des pièces maîtresses ont du être remplacées, par des neuves... Comment ça, vous ne voyez rien de bien neuf ici ? Evidemment, du temps a encore passé, depuis. Mais, telle quelle, cette petite installation fonctionne encore, en cas de besoin. Et oui...

Remarquez, avec Galzerdi et Rubita dans les parages, ces temps-ci, il n'y a pas grand chose à traire :





Elles se chargent très bien de ce travail, et n'en laissent pas une goutte.

Inutile d'espérer du lait après leur passage au pis !










Pour clore le chapitre matériel nécessité, je vous montre l' ingénierie prévue :





A droite, le bidon récepteur de la machine à traire, avec son "pulsateur" battant comme un cœur vaillant : tac-tac-tac-tac.
La pompe à vide de la machine à traire crée une aspiration aux quatre mamelles. Le lait collecté est recueilli par des tuyaux de caoutchouc transparents dans le bidon.
Etape suivante, le bidon plein, 20 litres,  est vidé, avant de passer à la vache suivante. 
Quand il ne faut pas plusieurs vaches pour le remplir, nous sommes à Agorreta, pas dans les fermes-usines allemandes !

A l'apogée de notre activité laitière à Agorreta, l'élevage n'a jamais compté plus d'une douzaine de têtes de vaches. Avec en pleine production, par périodes, la moitié d'entre elles, comme je vous l'expliquais plus haut. Pas de quoi faire déborder les marmites...

Histoire d'assurer un semblant d'hygiène, le lait est filtré, dans ce ventru couloir à lait. Des grilles métalliques aux perforations décroissantes, intercalées de filtres en papier buvard, (ou en tissu plus ou moins recyclé quand on a oublié de réapprovisionner les dits-filtres en papier buvard), assurent la rétention des débris divers et variés présents dans le lait récolté : fétus de foin ou de fougère, et autres saletés accrochées aux mamelles sommairement rincées, et aspirées en même temps que le lait.
L'opération de filtrage se déroule sous la maigre ampoule électrique de l'étable. Dans le mouvement tourbillonnant du lait crémeux entraîné dans le fond de la passoire, quelques mouchettes et papillons se débattent, Dieu merci interceptés eux aussi au passage.
En fin de traite, on présente le filtre en papier buvard imprégné de lait aux chiens. Ils adorent ! Pas de déchets, ainsi, et aucune perte. 
La dernière étape consiste à verser le lait encore chaud dans des bouteilles, elles aussi de récupération, au moyen de ce coquet petit broc.
Ça, c'était le travail des enfants, chacun son tour. Là encore, autour des bouteilles en remplissage plus ou moins précis, les chiens lapent les petites rivières de lait blanc sinuant sur le sol inégal.

Un temps, voulant garder un semblant de professionnalisme, nous utilisions des bouteilles en verre dédiées à l'usage, avec des capsules en aluminium, marquées au jour de traite.







J'adorais manier cette "encapsuleuse".
Je l'ai conservée.
Par un système de pression à ressort, elle ourlait les capsules autour du goulot en verre.
Son petit chant gai et rythmé me plaisait.

Assez vite, déplorant l'augmentation des prix des bouteilles et des capsules, nous avons opté pour des mesures d'économie. Nous nous sommes tournés vers le recyclage des bouteilles de jus de fruit, eaux minérales et autres.
Des précurseurs, je vous le disais, à Agorreta, des précurseurs aussi dans ce domaine de la réduction du volume des déchets.
Ces bouteilles, il y en avait plein les poubelles, aux petits matins, sur les trottoirs. Il suffisait de les ramasser...




Étions-nous trop en avance sur l'époque ?  Ou trop en retard ?

Je ne saurais dire...
Toujours est-il que ce système faisait ses preuves.
Nous vivions de cette activité.
Nous avions diversifié en vendant aussi des légumes, de la volaille, des œufs.
Là, il faut que je vous raconte ces Halles d'Hendaye, une autre fois, promis..

Nous pratiquions également le tourisme vert, avec estivants à la belle saison à tous les coins de la ferme !
Là encore, un autre récit à vous faire.

Toujours est-il que nous vivions, sans manquer de rien, de notre métier de paysans.
Tout le monde travaillait, participait, selon ses capacités.

Nous étions mis à contribution, chacun avec un poste déterminé. 
Les enfants, nous nous occupions de la petite basse-cour, de la mise en bouteille du lait, du maraîchage sous les ordres tyranniques de ma mère.
Chaque matin, nous faisions la "tournée du lait".

Toujours dans la marche vers la saine modernité, ma mère avait depuis longtemps abandonné son âne locomoteur, pour se mettre au volant d'une voiture "commerciale".
Nous nous entassions sur le siège du passager,  et, à chaque arrêt, bondissions plus ou moins lestement selon les gabarits et les tempéraments, pour nous emparer d'une bouteille de lait à l'arrière et la déposer au pied des portes de notre clientèle attitrée.

A un moment, nous étions quatre, pressés les uns sur les autres, imaginez :




Ça c'était l'équipe d'avant moi.
Quand je suis devenue opérationnelle, à quatre ans, lors de mon entrée à l'école primaire, mon frère aîné s'est vu déchargé de mission.

Au fur et à mesure de leur entrée dans la vie active, les autres se sont désolidarisés.

J'ai fini avec ma mère, puis seule, quand la maladie l'a rattrapée.
Pour lors, je vous l'ai dit, l'activité agricole d'Agorreta était devenue tout à fait secondaire, voire juste symbolique et traditionnelle.

Vous le comprenez, les coûts étaient maintenus raisonnables, avec une telle main d'oeuvre, et un équipement aussi sommaire.

La balance des comptes s'en trouvait bien. Nous nous en trouvions bien. Les clients s'en trouvaient bien aussi.

Seulement, les hautes sphères administratives, elles, n'aimaient pas notre système.
Elles prônaient une filière laitière maîtrisée, avec collecte groupée par des ramasseurs certifiés convenables. Des conditions telles qu'il fallait investir en masse et s'endetter pour pouvoir continuer à travailler.

Vous avez vu mon étable :







Du bois mité, des pierres lissées d'avoir été tant frottées par des mufles chauds, de la poussière, partout.
Une installation vétuste.
Pas de barrière galvanisée, d'inox glacé ni d'équipement sophistiqué, ici.




Vous avez vu le matériel :









Ça se passe de tout commentaire...








Evidemment, j'admets pousser volontairement les comparaisons à leur extrême.
On peut, sans grand effort, espérer trouver mieux.

Mais, ces salles de traite modernes, ces installations carrelées, ces vaches conditionnées et dénaturalisées, n'est-ce pas extrême, aussi ?

N'y aurait-il pas, là comme partout, toujours, une juste mesure, un équilibre à trouver ?

L'avenir, sans être un retour dupliqué sur le passé, ne doit-il pas revenir à des essentiels intemporels ?

Je vous l'ai dit, je ne sais pas. Mais, je me demande... Et je crois qu'il faut bien commencer par là, par ce doute, quand la réalité tend à nous prouver que nous sommes dans l'erreur.

Les diligentés de chambre d'Agriculture m'ont ouvert les yeux, bien malgré eux. Ce fût une scène un peu surréaliste. Tiens, pour une fois prochaine...

Je me laisse emporter un peu loin, avec tout ça.
Ces évocations du passé me tiennent. C'est sûrement le signe de mon avancée en âge. Vous savez, ce moment où vous vous roulez avec complaisance dans les vieux souvenirs.

Je vous raconterai le détail de l'organisation de notre "tournée du lait".
Je vous raconterai  les Halles de Hendaye, à la grande époque des paysannes marchandes locales.
Je vous raconterai aussi nos étés à Agorreta, quand les estivants investissaient notre espace désert en hiver.
Je vous raconterai mon inspecteur romantique de la Direction des Services Vétérinaires.

Je vous raconterai, tant que j'aurai plaisir à le faire. Et vous me lirez, si vous partagez un peu de ce plaisir avec moi.

En prévision de tous ces moments encore, je vous laisse pour aujourd'hui. Le soleil cogne un peu, au mitan de journée, mais les heures chaudes se font moins longues, maintenant.

A bientôt, si vous supportez encore mes histoires...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire