dimanche 30 août 2015

AGORRETA : FIN DES HOSTILITES




Bonjour à tous !

Cette fin de semaine marque la fin du mois par une chaleur ma foi rude...

Je ne sais pas pour vous, mais, moi, passé les 33 degrés à l'ombre, je trouve le poids solaire sur ma nuque un peu oppressant. Ce tyran accentue une pression désagréable et vous tombe sur les épaules comme une mauvaise nouvelle.

Bah ! ce sont les dernières ruades d'un été bien marqué, cette année.
Quand le froid et la grisaille nous attristeront le tempérament, nous ne nous sentirons pas bien mieux, allez !





La brume du matin nous semble bien amicale, quand nous savons qu'elle nous préserve un peu de fraîcheur.

Les bancs se disloquent, persistant en fin de vallon, déposant dans les combes une humidité de fin de  nuit.









La baie s'étire sous cette lumière poisseuse et voilée.

Le grand soleil ne plaque pas encore sa force sur les paysages.
Il se profile en ombre allongée.

Un grand félin sur le point de sortir de sa tanière.
Peu de jours nous le rendent ennemi, ce soleil.
Les derniers en sont, quand on cherche à fuir son poids, en organisant des journées au mitan en intérieur.




Avez-vous remarqué la progression sournoise de ce liseron rampant ?

Ses fleurs blanches en modestes corolles s'illuminent un peu partout.
D'année en année, la liane gagne, et on la voit maintenant dans les champs de regain, là où avant elle ne poussait pas.
Une conquérante des temps nouveaux ? Une envahisseuse silencieuse trahie par ses fleurs éclatantes ?
Encore une que l'orgueil perdra, à s'exhiber trop sans penser qu'ainsi elle s'expose.
C'en est presque un plaisir de saisir une tige souple et de sentir venir à soi toute une trame derrière.

Remarquez, à la voir proliférer, ça ne doit pas en amuser tant que ça...


Le temps passe et la flore locale évolue. Nous avons connu la presque disparition des coquelicots de bords de fossé. Avec la mode des jachères fleuries, les hautes corolles rouges sang ont réapparu.
Une variété de liane sauvage, aux jeunes pousses rappelant le goût des asperges vertes, paraît-il,  investissait nos ronciers, il y a quelques années.
On ne la voit plus. Sans doute les printemps plus humides lui ont-ils déplu, je ne sais pas.

Tout change et bouge, à bas-bruit ou grand fracas.

Notre mode de vie à Agorreta a lui aussi changé, je vous le disais.


Le temps n'est plus où nous vivions à trois générations dans la même cuisine. Où les enfants dès leur plus jeune âge se voyaient confier des tâches domestiques.

Notre modèle économique simple et efficace d'alors a fait long feu...

Nous ne pourrions pas l'utiliser maintenant, évidemment. 
Je vous parlais de ce temps où le mérite et la récompense s'enchaînaient dans une limpidité rassurante.
Le travail, la peine, amenait une juste rétribution, une aisance, un confort de vie.

Agorreta était une structure agricole parmi beaucoup d'autres. 

Mes parents et grands-parents étaient travailleurs et courageux.
Ils ont évidemment connu l'adversité et les mauvais coups du sort. Je vous les racontais au début de ce "bloc".

Mais ils ont aussi connu la gratification de voir leurs conditions de vie améliorées, la satisfaction de ne plus connaître la faim et la peur du manque. 

Même si ces ombres planaient toujours dans la tête de ma mère. 

Lors d'un nettoyage périodique, ça nous prend de temps en temps, même ici, oui, nous avons retrouvé dans une immense armoire du grenier, fermée à clef, une réserve de sucre et d'huile considérable.
De quoi tenir un siège pendant un bon moment.

Je ne sais pas de quand dataient ces denrées. Les bouteilles d'huile avaient fini par se fendiller, et le liquide visqueux avait gentiment suinté sur les paquets de sucre entreposés juste dessous.
Cette jolie mélasse traversait le plancher, et coulait le long du mur de pierres de l'étable en dessous, en traînées sombres et grassement irisées.

Un peu comme des larmes de miel, de l'or fondu venu d'en haut. 

Je crois bien d'ailleurs que c'est la recherche de la source de ce phénomène mystérieux et intrigant, qui nous lança dans cette grande opération de nettoyage, si peu fréquente à Agorreta...

La source étant localisée derrière un amoncellement hétéroclite de meubles et objets divers et variés, tous d'une utilité toute relative, puisqu'ils s'empoussiéraient là depuis bon nombre d'années, nous extirpâmes, et jetâmes dans la foulée, quelques remorques de vieilleries.
Certaines nous tiraient un ou autre commentaire nostalgique, reliques exhumées d'un passé presque oublié, déjà.

Rien de bon, dans tout ça, et à part une douzaine de torchons brodés et une cuvette de toilette en porcelaine, séduisante aux yeux de ma belle-sœur, nous ne trouvâmes pas grand chose à conserver.
La fameuse armoire en larmes grasses fût basculée avec sa provision surprenante et gâchée.

Ce signe de l'état d'esprit de l'époque était bien révélateur, d'une peur à peine muselée, mais toujours prête à grogner encore.

A Agorreta, nous n'étions pas riches. Pas pauvres non plus.
Nous vendions le lait de nos vaches, des légumes, des œufs, quelques volailles.

A la belle saison, nous hébergions des "estivants", en locations meublées. La ferme se peuplait. La cour s'animait de jeux d'enfants. Des gens, pour nous exotiques, investissaient notre espace isolé. 
Le monde nous arrivait, et nous regardions vivre ces "estivants", avec curiosité.
La ferme paraissait vivre un temps un peu décalé, toujours un peu en retrait d'une modernité dont on se méfiait.

Nos revenus étaient ainsi diversifiés, mais ça n'était pas non plus la grosse affaire, ne rêvons pas.
Notre train de vie était modeste. Nous vivions de peu, utilisant tout jusqu'à l’extrême usure, ne gaspillant rien, faisant profit de chaque chose.

J'ai gardé cette vigilance, cette hygiène de comportement. Pas de gaspillage, pas d'achats sans besoin. Je m'en porte très bien, même s'il en est pour dire que ne sais pas vivre... les médisants !


Je n'ai jamais adhéré à notre société de consommation excessive et volage. 
Je vis modestement, de façon dépouillée, et j'en suis fort aise.

Ma mère était un peu trop marquée sans doute par ce temps où la misère pointait le bout de son nez. L'exil, à son adolescence, lui avait inscrit dans la moelle une précarité dont le sentiment ne la libérait jamais tout à fait.
Pour se rassurer, pour éloigner cette ombre collée à ses pas, elle avait besoin d'engranger, des denrées, des vêtements, de l'argent.
Elle avait la bosse du commerce, comme on dit, et adorait négocier des affaires, petites ou grandes.
Elle avait le goût de la vente, et il fallait la voir, au marché, vanter la fraîcheur de nos légumes, la qualité de nos œufs ou le "bon poids" de notre vieille balance romaine à plateau, jamais réglée mais toujours en activité...

Les autres paysannes des fermes voisines n'étaient pas en reste, et la concurrence était rude, pour attirer le chaland vers son étal.
Il y avait là Bittorin, d'Antxoborlo, et ses légumes parfaits. Des tomates idéalement lisses, des betteraves cuites parfaitement rondes, des haricots verts fins et craquants.
Maritxu, venue de Biriatou, alignait foison de cageots colorés. Son offre était de loin la plus abondante et la plus complète, en toute saison. Son potager, en bord de Bidassoa, produisait en masse et variété.
Maritxu était une longue femme, mince et sèche, les lèvres pincées, le regard dédoublé derrière de grosses lunettes. Ses mains calleuses et fortes, un peu épaisses au bout de ses avant-bras noueux comme des sarments de vigne, attestaient de longues heures de travail.

Elle était de loin la marchande la mieux achalandée de nos halles hendayaises.
Mais bon, en ce temps là, il y avait de la place pour tout le monde, et chacune rentrait chez soi, ravie de cette matinée en société.
Ces femmes sortaient peu de chez elles, et ces deux matinées aux halles pendant la saison estivale, ramenées à une seule en hiver, étaient pour elles l'occasion de se rencontrer, de rencontrer leurs clientèles respectives. 
Leur principale sortie, avec les courses au supermarché, où ma mère s'attardait volontiers aux coins des rayons, avec une ou autre connaissance.

La vie sociale était réduite. Le travail à la ferme prenant. 
La mécanisation moderne a permis de se libérer de la nécessité d'une main-d’œuvre irremplaçable alors. 
Tout le monde était sollicité, dans la famille, chacun à sa mesure.
Les gros travaux se faisaient en mutualisation avec les voisins. Ca offrait là encore des occasions de rassemblement, dans une ambiance joviale d'entraide.

Notre clientèle laitière était majoritairement issue du monde rural. 
Je me souviens des frères Pochelu, de la sombre Garayo au haut de son escalier craquant, de l'inoubliable cuisinière Jésusa. Ma mère faisait volontiers une halte chez elle, au risque de nous mettre en retard pour l'école, où la tournée nous menait en fin. Au temps des vacances évidemment, nous étions enchantés de nous régaler du riz-au-lait encore tiède qu'elle nous préparait.

Toutes ces figures et tant d'autres encore, témoins maintenant éteints de ce passé.

Je vous le disais, la réglementation administrative nous a rattrapés, et notre petit fond de commerce si sympathique a été "illégalisé".


Nous avons duré, un moment, en arguant de l'arrêt imminent de notre activité.
Mes parents vieillissaient. "On ne peut pas leur enlever ces quelques vaches, et ce petit train d'activité", expliquai-je. "Ils y sont tellement attachés, ils en mourraient"...
De fait, l'activité s'amenuisait naturellement. Tout le monde avait un travail salarié à l'extérieur. 
Nous perdurions par tradition, nous laissant porter par le courant faiblissant.
Nous avons été les derniers livreurs de lait hendayais. A Urrugne, il y a encore une ou deux fermes qui commercialisent le lait aux particuliers, je crois.
En berlingots, pasteurisés, comme le chlore en dosette, quelle horreur !

L'administration envoyait ses sbires. Des hommes, rendus à la ferme Agorreta, ahuris de se retrouver dans un monde qu'ils croyaient enterré depuis longtemps.
Ils n'en revenaient pas. Et une certaine nostalgie leur étirait les lèvres en un sourire presque attendri.
Ils se sont montrés compréhensifs et compatissants, longtemps.

Tout de même, à force d'annoncer que nous allions arrêter, sans le faire, nous avons fini par les lasser.
Notre volume d'activité, ridicule et anecdotique, ne justifiait évidemment pas leur courroux. Nous ne mettions pas à mal les circuits officialisés.
Mais cet entêtement, cette obstination, commençaient à les agacer. Ils percevaient derrière nos justifications de presque mourants, une ténacité qui montrait trop le bout de son nez.

Le dernier émissaire, contraint et forcé par une hiérarchie froide et imperméable d'être calfeutrée dans un bureau moquetté, bien loin de l'étable tiède et odorante d'Agorreta, a du forcer son tempérament et se montrer intransigeant.

Je me souviens parfaitement de cette après-midi d'hiver.
Je faisais la soupe, dans la cuisine où ronronnait le grand poêle.
Ma mère était dans la chambre, déjà bien invalidée, à siester. Mon père était parti faire un tour de "TTiki-Haundi", vous savez, notre tracteur années soixante.

Une automobile blanche se gara dans la cour. Un homme lesté d'une mallette en sortit.
Les hommes à mallettes, à Agorreta, on s'en méfie, je vous l'ai dit déjà. Ils sont souvent précurseurs d'ennuis et de tracas.
Nous ne sommes pas des délinquants, nous n'avons pas de raison spéciale de nous méfier. Mais bon, c'est un réflexe atavique, nous considérons l'extérieur comme un monde inconnu, et potentiellement hostile. 

 Du temps où ma grand-mère Manuella était en vie, elle se présentait en vigie à la demi-porte de l'étable, et  barrait la route à ce type de visiteurs représentants l'état ou autre organisme assimilé à l'autorité, en annonçant péremptoirement :

      - Moi, ye ne parrle pa le frantzez !

Bras croisés et sourcils froncés, elle n'en démordait pas, et le visiteur s'en allait le plus souvent, la queue basse, sa mallette sous le bras.
Evidemment, tôt ou tard, se présentait un courrier, un officiel mieux accompagné, enfin, une quelconque manifestation de la première source qu'un tel premier accueil n'avait malheureusement pas suffi à décourager.

Manuella est morte et enterrée. Et j'ai appris que différer la chose avec l'administration n'avance à rien.

Urbaine, je me suis donc avancée, pour éviter à l'homme de se faire mordre les mollets par les chiens.
Je l'ai fait entrer, asseoir, et lui ai fort civilement offert un café.

Tout en l'écoutant, j'ai continué à émincer les poireaux sur la planchette en bois, tac, tac, tac.

L'homme était bien agréable, ma foi. Charmé comme la plupart de ses prédécesseurs par notre ambiance authentique et rétro.
Il avait visité l'étable, félicité de la bonne santé apparente des bêtes, évoqué son enfance, ces décors d'alors, exactement pareils à celui-ci, d'aujourd'hui.

Il se sentait bien, me regardait préparer ma soupe, le sourire un peu triste aux lèvres.

Cependant, il était en mission, et ne l'oubliait pas.
Extirpant de sa maudite mallette une liasse de documents, dont des courriers que je reconnaissais pour les avoir moi-même adressés, il me commenta :

   - Ca fait onze ans, que vous nous dites que vous êtes sur le point d'arrêter. Vous en êtes où, aujourd'hui ? Les vaches qui sont là, elles produisent bien du lait, vous en faites quoi ? Et ces quatre veaux ? Dites-moi...

Il était ennuyé de me tourmenter, mais il était là pour ça.

Mon petit tac tac tac s'interrompit. Celui-ci, doux et gentil, annonçait la fin d'une période.
Il s'appuyait sur un historique argumenté impossible à minimiser. Pas de fuite possible, de pirouette envisageable.

Au passage, me présentant obligeamment les documents les uns près des autres sur la table, presque jusque sous la lame de mon couteau levé, il m'indiqua un ou autre paragraphe, où il était question d'amendes, de plusieurs milliers d'euros, pour qui voudrait s'entêter à exercer une activité hors des chemins de la stricte légalité.

Bien, bien, bien...

Le temps des jeux avait cessé, donc.

   - J'ai arrêté, cette année. Nous ne vendons plus rien. Nous sommes plus de vingt, à vivre ici. Le lait, nous le buvons. Et les veaux, nous les mangeons. Je vais enlever les trois vaches du fond, j'attends juste de les tarir.

Ces dispositions, je les décidai en même temps que je les énonçai. 
D'une certaine manière, j'étais soulagée de cette décision imposée. Elle m'évitait d'avoir à capituler, de moi-même. Les choses se dessinaient en ce sens, de toutes façons.
Cet envoyé de l'administration ne faisait que poser un terme sur une trajectoire prévisible, et consentie.

J'arrêterai, donc.

Ma mère se manifesta depuis la chambre, entendant ce son de voix étranger.
Mon visiteur prit congé. Il me parla de son âne qu'il voulait placer. Il se séparait de sa compagne et devait déménager. Il cherchait un endroit, à la campagne, où il pourrait se refaire, avec son âne, auquel il était très attaché, à priori.

Il comprenait ma façon de vivre. Il l'enviait.
Il posa très doucement sa main sur mon bras, et me glissa une carte avec son numéro de téléphone personnel, au cas où j'aurais une solution, pour son âne...


Je refermai la porte derrière lui. Je levai ma mère, la rassurai. Non, non, il n'y avait rien, c'était juste une histoire de papiers. Pour nous, rien ne changeait.

Revenue dans la cuisine, je jetai la carte dans le feu, et terminai ma soupe.

Dans les semaines suivantes, j'avertis les dernières clientes que je livrai, de la cessation de ma tournée de lait.
Elles s'en désolèrent. Et comprirent que ce temps là avait passé.

Ainsi finit le semblant d'activité de la ferme Agorreta.

Nos vaches sont maintenant nos animaux de compagnie, comme nos chiens.
Et, ma foi, si je garde un bon souvenir de ce temps là, où nous parcourions les rues d'Hendaye au petit matin, je sais bien que ce temps là, s'il fût,  ne pourrait plus être.

Ainsi vont les choses, les mondes et les temps. Ils s'inscrivent, tracent leur ligne et se perdent.
Nous les maintenons vifs par notre mémoire imparfaite, et avançons, puisqu'on ne peut pas s'arrêter là, aussi bien qu'on y soit.

A une autre fois, suiveurs de ces nouvelles d'Agorreta.
Une fois prochaine, quand ce soleil ardent se sera apaisé d'avoir tant irradié.





vendredi 28 août 2015

RETOURS EN ARRIÈRE...




Bonjour à tous les suiveurs de ce "bloc",  et bienvenu au visiteur égaré ici par hasard.

Cette dernière semaine d'Août s'écrase sous la chaleur, allégée tout de même d'une taquine et bienheureuse petite brise d'est.
Aux premières heures de l'après-midi, il fait bon rester dans l'ombre de la vieille ferme, les chiens affalés sur le carreau frais.

J'en reviens à ma réticence à vouloir ces jours-ci me refaire le film de ces années passées, ces années de mon enfance et de ma jeunesse.

L'évocation de mon histoire familiale, l"exhumation" de ces vieux  objets, témoins émouvants de mon passé, resurgis de leur gangue poussiéreuse, m'ont amusée. Parler de ces gens et de ces choses m'a plu.

Pourtant, je n'ai pas envie immédiatement de replonger dans ce quotidien plus récent, et pourtant déjà assez lointain, où mon petit personnage apparaît dans l'histoire.
Évoquer mes parents, mes grands-parents, vous montrer la vieille étable et la marmite d'époque, c'est parler de ce passé-là, bien-sûr, mais sans parler de moi, de cette petite enfant d'alors.

Ces retours en arrière nous mettent le doigt sur le temps écoulé, toute cette durée déroulée derrière nous déjà.
Et tout ce temps passé, se déduit mathématiquement de notre temps à vivre, n'est-ce pas ?

Notre temps de vie est compté. Si l'on croit à une destinée, il le serait dès le départ. Si l'on est adepte du pur hasard, il le sera à son terme.
L'une ou l'autre proposition ne change pas grand chose à l'affaire, sauf à nous soumettre à un tracé dessiné, ou à nous exonérer de toute responsabilité dans ce cheminement.

Nous savons qu'un jour, proche ou lointain, notre temps aura passé.
Cette réalité pure et dure ne s'admet pas tous les matins de la même manière. Une mauvaise nuit, une digestion difficile ou une petite blessure d'amour-propre, fragilise notre faculté à continuer de vivre en connaissant cet éphémère passage entre deux gouffres d'inconnu.

Notre ignorance nous plonge parfois dans un effroi terrible. Les croyances habillent mal les doutes, la foi est difficile à maintenir.
La difficulté à se colleter à cette vérité est grande, et notre fatalisme fragile.

Tout de même, les plages d'insouciance s'étalent sous nos pieds comme du sable tiède à fouler, et la vie semble douce, certains jours.

Nous arrivons à prendre la distance avec notre sort et sa misère.

Nous le savons tous, un jour, nous ne serons plus. Cela est.
Mais aujourd'hui, nous sommes là. Et jusque là, nous avons été.

La possession de ce passé et de ce présent nous console de l'incertitude de l'avenir.
Nous nous accrochons à notre histoire, nous nous y fondons, nous la revendiquons.

Notre ambition est souvent de marquer ce passage, de graver cette trace dans la marche de ce temps qui nous échappe, inexorablement.
Nous faisons des enfants, nous bâtissons des maisons, j'écris des mots.
Nous cherchons à perdurer, à laisser pour le futur quelque chose de nous, pour quand nous n'y serons plus.
A l'échelle du temps universel, nos tentatives sont évidemment pathétiques, pour la plupart. Beaucoup sombrent dans l'oubli de tous, quand si  peu restent dans le souvenir commun. 

Ma modeste existence ne changera sûrement pas la face du monde. Elle s'y inscrira sans creuser de sillon, comme un simple galet roulé dans l'eau vive.

Je suis comme la plupart d'entre vous, sans doute : je cherche à me justifier, de mes actes, et, plus largement, de ma vie.

Pourquoi cette aspiration à trouver un but, une raison, à son existence ? Une explication à cette vie donnée ?
Y dénicher une signification ? Se découvrir un droit à vivre pour nier le néant et l'absurde, insoutenables ?
Ou alors se masquer la culpabilité d'être vivants quand tant ne naissent même pas ?  Quand trop meurent trop tôt ? 
S'autoriser à vivre à la place d'autres ? Et ne pas s'en sentir coupables...
Ne pas s'en vouloir de ne pas faire mieux de cette immense chance à nous offerte, de cette opportunité d'être en vie ? De vivre si peu, si plat, si petit...

Tout cela est confus, et, pourtant, je le sens, tout cela s'agite au fond de chacun de nous. 

Nous sommes là, jetés sur une scène,  sans avoir rien demandé, ni choisi.
A nous demander pourquoi, jusqu'à quand, et comment.

A refuser l'absurdité de cette incontestable réalité : un jour, tout s'arrête, sans raison, et, tout comme nous sommes là, ce jour là, tout simplement, nous n'y serons pas.

Il n'y a pas plus de raison de vivre qu'il n'y a de raison de mourir, dirait-on.
Comme il n'y a pas davantage de mérite.

Nous naissons d'une pulsion. 
Nous devrions mourir d'un abandon.

Vieillir, c'est renoncer, à sa jeunesse, à des idéaux inatteignables. Se préparer à vivre moins vivant, à mourir sans trop de regret.

A quoi bon chercher à comprendre et à durer, à travers un souvenir imparfait ?

Si nous sommes fruits de hasard, ou acteurs aveugles d'une construction que nous ne saisissons pas, nous ne maîtrisons pas notre temps.
Et devrions nous consacrer à le rendre agréable. Au lieu de  chercher à le prolonger au travers d'autres aussi vulnérables que nous.

Voyez, aujourd'hui  encore, l'eau fluide de ce temps passé ne me semble pas devoir être retenue.
D'autres moments encore viendront, où j'y trouverai avec plaisir des reflets chatoyants.

Ne m'en veuillez pas, je n'ai aucune discipline. 
Je suis mortelle, je le sais. 
Mais au moins, vivante, j'ai cette liberté de laisser aller mes pensées. Ou, plus exactement, de ne pas chercher à résister à leur flux aléatoire et sans logique.

Ce "bloc" est une dérive, un parcours sans but ni raison autre que de tracer ces instants comme ils viennent à moi.

Je veux ce parcours léger et gai. Il l'est parfois. Et quand il devient plus grave, j'essaie de ne pas chercher à éviter cette juste ombre.
Elle fait partie de nos vies, et ne se peut pas éviter.

A bientôt les amis, à d'autres étincelles de lumière et de joie. Puisque toujours, à un moment ou un autre, elles arrivent jusqu'à moi, encore.




mercredi 26 août 2015

LE VENT DU SUD REND-IL FOU ?



Bonjour à tous !






En ce mercredi, le vent du sud a soufflé toute la nuit.
Au petit matin, des bouffées chaudes et lestes secouaient les parages.
Ce vent du sud automnal, oui, j'insiste sur mon automne dès le quinze Août passé,  ébouriffe les têtes et échauffe les esprits, dit-on.

A petites doses, je l'aime bien, moi, ce garnement remuant.






Il assèche, purifie et assainit.
Après la bonne pluie de la nuit de samedi, il réchauffe la croûte de terre et donne du tonus de pousse aux plantules de navet tout juste levées.

A petites doses. 
On se lasse vite de cette vigueur entêtante.

La baie scintille, les couleurs lissées se démarquent au mieux.



L'actualité paysanne de la semaine tourne autour des regains, coupés, en séchage, à rentrer bien vite avec ce grand vent.
Les brins d'herbe courts et légers deviennent craquants et s'émiettent en poussière, quand la chaleur vive et brutale les saisit ainsi.

Sans nous rendre fous, n'exagérons pas !, ce vent du sud nous tracasse un peu, tout de même...




Laissant le travail de fanaison aux machines, j'en suis, moi, à sarcler mon navet.

Les rangs se dessinent, irréguliers des semis décalés, mais bien garnis cette fois-ci.

L'herbe a profité du délai de levée de la seconde volée pour s'installer furtivement, en voleuse :









Regardez-moi ce tapis fourni d'adventices en pleine santé !

Ah ça, elles ne sont pas les dernières à profiter des bonnes conditions de chaleur et d'humidité, les bougresses !

Il faut intervenir vite et très régulièrement pour ne pas se laisser déborder.







J'y suis, je veille, et je vaque assidûment.

Je libère mes petites fourragères des envahisseuses indélicates.

Elles auraient vite fait de se retrouver noyées et perdues dans la masse, sinon.

Un petit travail longuet, mais pas désagréable, si on le maintient dans des proportions raisonnables.


La principale occupation de mes jours de repos, ces temps-ci.

Le reste de mes modestes cultures ne demande plus mon attention. L'herbe a envahi, là aussi, bien-sûr, mais elle n'est pas dérangeante. La pousse est faite, la maturation supporte l'ombre d'une végétation sauvage :






La betterave se hausse sur une tête ma foi honorable, après un départ difficile, souvenez-vous...

Le feuillage ne va pas tarder à sécher, pour nourrir ce pied.
La récolte se fait avant les gelées, autour de la Toussaint.
Le semis ayant tardé, j'attendrai le plus longtemps possible, pour récolter des betteraves bien mûries.





Mes citrouilles, par pollinisation croisée des différentes variétés, se sont hybridées.

J'ai cette année des fruits de formes et de couleurs inédites.

Mon orange cabossée, a perdu sa forme ovale.
Cette courge jaune d'or, je n'en avais pas de cette couleur.
Cette autre, ocre-rosée, est bien plus grosse que celle qui a donné la semence dont elle est née.






Cette longue a conservé sa nature première. J'avais les mêmes l'année dernière.











Cette petite famille paraît de cousines.
Des côtes bien tranchées, un joli volume, du poids, une pointe bien marquée.

A mesure du dessèchement des feuilles, camouflées encore par les hautes herbes folles, mes citrouilles mûrissent doucement.

Ce sera un beau spectacle en fond d'étable, tous ces beaux fruits accolés, toutes ces couleurs et ces formes mélangées.

Si rien ne vient perturber la bonne marche des choses...





Le maître d'Agorreta se tient sur son banc, à l'ombre et à l'abri du grand vent.
Lola le suit de près, vite incommodée par la chaleur, avec son petit manteau sombre en toutes saisons.

Le vent du sud, l'un et l'autre, ils n'aiment pas.

Déjà, les volées semblent avoir tourné. Les feuilles légères des peupliers"carolins" indiquent des souffles venus de l'est, maintenant.

La journée sera chaude, sans doute, mais moins désagréable.

Nous la passerons, celle-ci aussi, au mieux...

Je vous retrouve bientôt pour la chronique-sépia évoquée la dernière fois.
Ce retour en arrière me paraît moins attrayant, là. Le passé n'est plus, et, s'il faut en garder en tête les enseignements bénéfiques, il ne doit pas entraver l'avancée.
Voyager léger, c'est encore la meilleure façon de ne pas se laisser engluer dans des souvenirs teintés d'une nostalgie stérile.

Mais bah ! quelques anecdotes amusantes n'ont jamais alourdi la pensée. Et d'être revisité en amitié, le passé peut encore nous distraire, allez...

Je la ferai donc, cette chronique des années passées. Je n'aime pas promettre et ne pas tenir. 
J'attends juste le moment où ces histoires me reviendront gaiement.

A bientôt, et ne laissez pas ce grand vent agiter de faux tourments.



vendredi 21 août 2015

AGORRETA : LA PHASE EXPANSIONNISTE





Suiveurs des Nouvelles d'Agorreta, bonjour !


Les jours se suivent et se ressemblent en cette période "esti-automnale" :









Cieux limpides, légers et vivifiants.
















Horizons ciselés et transparents, avec le long et diaphane voile brumeux sur Fontarrabie, annonciateur de journée chaude.












Ce temps d'automne, je persiste dans mon décalage calendaire. Nous avons instauré des dates arbitraires pour cadencer les saisons. L'été perdurerait jusqu'à fin septembre.
Je trouve, moi, que l'été se termine au moment où les nuits fraîchissent, où les petits matins se font cristallins et la lumière moins pressante.
Ce changement d'atmosphère intervient dès la mi-Août. Il correspond à la période des maturations culturales, au temps moins nerveux, plus alangui, où les dés sont jetés, où il n'est que d'attendre la suite des événements, en abandonnant les rennes aux éléments.
Le printemps, vif et trépignant, demande un investissement, une implication de l'homme dans la saison. Il faut alors lancer les semailles, travailler activement la renaissance de la nature.
Un renouveau, une fougue, une énergie de jeunesse.
Une lumière directe, crue, forte et exigeante.

Maintenant, c'est tout différent. Il y a du lâcher-prise dans l'air, et, ma foi, ça fait du bien aux tempéraments comme le mien.

J'ai été jeune, à un moment, moi aussi. Pourtant, jamais je ne me suis sentie en osmose avec cette saison printanière trop fébrile.
J'étais déjà vieille, sans doute, en esprit, mûre avant l'heure. Maturée sans avoir manifesté de prémices...

Ce temps de ma vie, mon âge, et cette saison avancée correspondent parfaitement à mes états d'âme du moment.
Je sens ici et maintenant cette fameuse congruence précieuse et recherchée.

Revenons à nos moutons... 

Je vous annonçais ma vision de ce temps d'Agorreta, où nous vivions de la ferme, de cette activité agricole dont les fondements vacillent si périlleusement ces temps-ci.

Petit retour arrière d'une bonne quarantaine d'année :





Ca faisait longtemps que je ne vous l'avais pas resservie, celle-là, n'est-ce pas ?
La revoici la revoilà !


A Agorreta, le jeune couple Legorburu cohabite avec les parents Olaciregui.
Une petite famille s'établit.

L'activité vivrière en ce temps-là, c'est la vente du lait :




Ma mère, Carmen Olaciregui à l'époque, s'acquitte de la tournée journalière dans les rues hendayaises.

L'âne bâté de bidons de lait parcourt les quartiers au pas, paisiblement.

En ce temps-là, près d'une trentaine de fermes se partageaient le seul marché de la cité.

Il faut dire que la production par maison était très modeste. Les vaches alors n'étaient pas des usines à lait, non. Elles produisaient, gentiment, mais sans excès pour leur santé.
On ne leur distribuait pas d'aliment condensé en granulés. On ne recherchait pas la performance par des croisements génétiques sophistiqués.
Non, en ce temps-là, la vache faisait sa vie de vache, modestement. Elle produisait du lait, modérément. 
Le renouvellement du cheptel était, lui aussi, beaucoup plus lent.
Une vache, on la gardait douze, quinze ans. 
Evidemment, dans ces conditions, il ne fallait pas s'attendre à des moyennes de quarante litres de lait par bête. Non, non, non, non, non.
Au mieux, en pleine force de l'âge, une vache remplissait dans la journée son petit bidon de douze litres de lait. Son temps de lactation était fluctuant, aléatoire, et surtout, drastiquement réduit par rapport à celui d'aujourd'hui.




Celle-ci aussi, je l'aime bien, vous le savez : mon père et mon grand-père maternel aidant une vache à vêler.

La vache d'Agorreta, comme toutes celles des environs, était tarie quatre mois avant son vêlage.
C'est-à-dire que son cycle de production laitière couvrait à peine la moitié de l'année, en tenant compte d'une fécondité là aussi parfois capricieuse.

Je vous le dis, les courbes de fertilité et de production contemporaines en auraient laissés plus d'un rêveur, du temps d'alors...

L'évolution en ce domaine aussi a été spectaculaire, et, je le pense, outrancière.
A quoi sert de modifier l'ordre naturel des vaches à lait, si c'est pour finir par jeter des millions de litres de ce lait obtenu à grands coups de modifications génétiques ?

Nonobstant, nous avions tout de même la fierté de bien mener notre ouvrage, et parfois, la faiblesse de nous laisser aller au péché d'orgueil :





Pensez-vous qu'elle ait quelque-chose à envier à nos vaches modernes, cette magnifique "Moro" d'il y a quarante ans ?

Oui, "Moro", c'est la vache, en bas à droite.
Je n'ai pas pris la peine d'isoler cette photo, vous connaissez ma fainéantise et ma maladresse en ce domaine.

Mais bon, c'est parlant, non ?
La nature, quand on la laisse faire, est capable de surpasser toutes nos tentatives pour l'égaler.
Il faut juste apprendre à ne pas lui en demander plus qu'elle ne peut. Ne pas se montrer exigeant et infatué.

Là, c'est la nature humaine, qu'il faudrait "bénéfiquement" modifier...


Ainsi donc, les fermes hendayaises pratiquaient la vente du lait, en direct, au porte à porte.
Les clients posaient devant leur seuil une bouteille ou un récipient vide, et nous le remplissions, ou la remplacions par une pleine.

Certains laissaient quelques pièces de monnaie tous les jours, d'autres payaient au mois.
Une économie simple, directe, et sans complication administrative.

La mise en oeuvre et le matériel utilisé était là aussi spartiate. Pas d'investissement exorbitant au départ.
A Agorreta, nous fûmes des précurseurs : nous nous équipâmes d'une machine à traire automatique !
Une "Alfa-Laval", s'il vous plaît ! Pendant longtemps, le petit panneau publicitaire est resté fixé sur la porte de notre étable. Une signalisation triangulaire, noire sur fond jaune, indiquant : ici, machine à traire ALFA-LAVAL... Ça en jetait, je vous prie de le croire !

La machine en question a fait son temps. Un long temps, très très long :





La plupart des pièces maîtresses ont du être remplacées, par des neuves... Comment ça, vous ne voyez rien de bien neuf ici ? Evidemment, du temps a encore passé, depuis. Mais, telle quelle, cette petite installation fonctionne encore, en cas de besoin. Et oui...

Remarquez, avec Galzerdi et Rubita dans les parages, ces temps-ci, il n'y a pas grand chose à traire :





Elles se chargent très bien de ce travail, et n'en laissent pas une goutte.

Inutile d'espérer du lait après leur passage au pis !










Pour clore le chapitre matériel nécessité, je vous montre l' ingénierie prévue :





A droite, le bidon récepteur de la machine à traire, avec son "pulsateur" battant comme un cœur vaillant : tac-tac-tac-tac.
La pompe à vide de la machine à traire crée une aspiration aux quatre mamelles. Le lait collecté est recueilli par des tuyaux de caoutchouc transparents dans le bidon.
Etape suivante, le bidon plein, 20 litres,  est vidé, avant de passer à la vache suivante. 
Quand il ne faut pas plusieurs vaches pour le remplir, nous sommes à Agorreta, pas dans les fermes-usines allemandes !

A l'apogée de notre activité laitière à Agorreta, l'élevage n'a jamais compté plus d'une douzaine de têtes de vaches. Avec en pleine production, par périodes, la moitié d'entre elles, comme je vous l'expliquais plus haut. Pas de quoi faire déborder les marmites...

Histoire d'assurer un semblant d'hygiène, le lait est filtré, dans ce ventru couloir à lait. Des grilles métalliques aux perforations décroissantes, intercalées de filtres en papier buvard, (ou en tissu plus ou moins recyclé quand on a oublié de réapprovisionner les dits-filtres en papier buvard), assurent la rétention des débris divers et variés présents dans le lait récolté : fétus de foin ou de fougère, et autres saletés accrochées aux mamelles sommairement rincées, et aspirées en même temps que le lait.
L'opération de filtrage se déroule sous la maigre ampoule électrique de l'étable. Dans le mouvement tourbillonnant du lait crémeux entraîné dans le fond de la passoire, quelques mouchettes et papillons se débattent, Dieu merci interceptés eux aussi au passage.
En fin de traite, on présente le filtre en papier buvard imprégné de lait aux chiens. Ils adorent ! Pas de déchets, ainsi, et aucune perte. 
La dernière étape consiste à verser le lait encore chaud dans des bouteilles, elles aussi de récupération, au moyen de ce coquet petit broc.
Ça, c'était le travail des enfants, chacun son tour. Là encore, autour des bouteilles en remplissage plus ou moins précis, les chiens lapent les petites rivières de lait blanc sinuant sur le sol inégal.

Un temps, voulant garder un semblant de professionnalisme, nous utilisions des bouteilles en verre dédiées à l'usage, avec des capsules en aluminium, marquées au jour de traite.







J'adorais manier cette "encapsuleuse".
Je l'ai conservée.
Par un système de pression à ressort, elle ourlait les capsules autour du goulot en verre.
Son petit chant gai et rythmé me plaisait.

Assez vite, déplorant l'augmentation des prix des bouteilles et des capsules, nous avons opté pour des mesures d'économie. Nous nous sommes tournés vers le recyclage des bouteilles de jus de fruit, eaux minérales et autres.
Des précurseurs, je vous le disais, à Agorreta, des précurseurs aussi dans ce domaine de la réduction du volume des déchets.
Ces bouteilles, il y en avait plein les poubelles, aux petits matins, sur les trottoirs. Il suffisait de les ramasser...




Étions-nous trop en avance sur l'époque ?  Ou trop en retard ?

Je ne saurais dire...
Toujours est-il que ce système faisait ses preuves.
Nous vivions de cette activité.
Nous avions diversifié en vendant aussi des légumes, de la volaille, des œufs.
Là, il faut que je vous raconte ces Halles d'Hendaye, une autre fois, promis..

Nous pratiquions également le tourisme vert, avec estivants à la belle saison à tous les coins de la ferme !
Là encore, un autre récit à vous faire.

Toujours est-il que nous vivions, sans manquer de rien, de notre métier de paysans.
Tout le monde travaillait, participait, selon ses capacités.

Nous étions mis à contribution, chacun avec un poste déterminé. 
Les enfants, nous nous occupions de la petite basse-cour, de la mise en bouteille du lait, du maraîchage sous les ordres tyranniques de ma mère.
Chaque matin, nous faisions la "tournée du lait".

Toujours dans la marche vers la saine modernité, ma mère avait depuis longtemps abandonné son âne locomoteur, pour se mettre au volant d'une voiture "commerciale".
Nous nous entassions sur le siège du passager,  et, à chaque arrêt, bondissions plus ou moins lestement selon les gabarits et les tempéraments, pour nous emparer d'une bouteille de lait à l'arrière et la déposer au pied des portes de notre clientèle attitrée.

A un moment, nous étions quatre, pressés les uns sur les autres, imaginez :




Ça c'était l'équipe d'avant moi.
Quand je suis devenue opérationnelle, à quatre ans, lors de mon entrée à l'école primaire, mon frère aîné s'est vu déchargé de mission.

Au fur et à mesure de leur entrée dans la vie active, les autres se sont désolidarisés.

J'ai fini avec ma mère, puis seule, quand la maladie l'a rattrapée.
Pour lors, je vous l'ai dit, l'activité agricole d'Agorreta était devenue tout à fait secondaire, voire juste symbolique et traditionnelle.

Vous le comprenez, les coûts étaient maintenus raisonnables, avec une telle main d'oeuvre, et un équipement aussi sommaire.

La balance des comptes s'en trouvait bien. Nous nous en trouvions bien. Les clients s'en trouvaient bien aussi.

Seulement, les hautes sphères administratives, elles, n'aimaient pas notre système.
Elles prônaient une filière laitière maîtrisée, avec collecte groupée par des ramasseurs certifiés convenables. Des conditions telles qu'il fallait investir en masse et s'endetter pour pouvoir continuer à travailler.

Vous avez vu mon étable :







Du bois mité, des pierres lissées d'avoir été tant frottées par des mufles chauds, de la poussière, partout.
Une installation vétuste.
Pas de barrière galvanisée, d'inox glacé ni d'équipement sophistiqué, ici.




Vous avez vu le matériel :









Ça se passe de tout commentaire...








Evidemment, j'admets pousser volontairement les comparaisons à leur extrême.
On peut, sans grand effort, espérer trouver mieux.

Mais, ces salles de traite modernes, ces installations carrelées, ces vaches conditionnées et dénaturalisées, n'est-ce pas extrême, aussi ?

N'y aurait-il pas, là comme partout, toujours, une juste mesure, un équilibre à trouver ?

L'avenir, sans être un retour dupliqué sur le passé, ne doit-il pas revenir à des essentiels intemporels ?

Je vous l'ai dit, je ne sais pas. Mais, je me demande... Et je crois qu'il faut bien commencer par là, par ce doute, quand la réalité tend à nous prouver que nous sommes dans l'erreur.

Les diligentés de chambre d'Agriculture m'ont ouvert les yeux, bien malgré eux. Ce fût une scène un peu surréaliste. Tiens, pour une fois prochaine...

Je me laisse emporter un peu loin, avec tout ça.
Ces évocations du passé me tiennent. C'est sûrement le signe de mon avancée en âge. Vous savez, ce moment où vous vous roulez avec complaisance dans les vieux souvenirs.

Je vous raconterai le détail de l'organisation de notre "tournée du lait".
Je vous raconterai  les Halles de Hendaye, à la grande époque des paysannes marchandes locales.
Je vous raconterai aussi nos étés à Agorreta, quand les estivants investissaient notre espace désert en hiver.
Je vous raconterai mon inspecteur romantique de la Direction des Services Vétérinaires.

Je vous raconterai, tant que j'aurai plaisir à le faire. Et vous me lirez, si vous partagez un peu de ce plaisir avec moi.

En prévision de tous ces moments encore, je vous laisse pour aujourd'hui. Le soleil cogne un peu, au mitan de journée, mais les heures chaudes se font moins longues, maintenant.

A bientôt, si vous supportez encore mes histoires...

mercredi 19 août 2015

ADIEU VEAUX, VACHES ET COCHONS !



Bonjour !

Matinée fraîche et radieuse, idéalement automnale, déjà :




Bel astre s'élance maintenant résolument à droite du bosquet de résineux, sur le coup des 7 heures bien sonnées...


















Mère-Rhune, en l'attendant, s'ourle de floculations nuageuses, étirées en langueurs dolentes.

















Le maître d'Agorreta suit les rais de soleil pour s'y réchauffer ses vieux os.









La journée avance calmement, sans surprises, et pourtant toujours accueillie avec reconnaissance.


Je surveille la pousse de mon navet seconde couvée :







Huit jours après le semis, il est bien sorti.

Je vais traquer l'altise dévoreuse.
Elle aurait vite fait d'anéantir ces délicates et fragiles espérances.












Les rescapés du premier semis de fin juillet sont, eux, tirés d'affaire, de ce côté là.

La chenille noire, joliment dénommée en basque "katamina", et pour le coup, véritablement "calamiteuse", sera la prochaine ennemie, à surveiller attentivement.





Une fois encore, ma culture sera chaotique, entre différentes variétés mélangées, et plants à stades végétatifs décalés.

A Agorreta, nous mettons en pratique le principe de : s'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, il faut par contre beaucoup persévérer pour avoir une chance de réussir.
Et, ma foi, bon an-mal an, nous ne nous en tirons pas si mal...


Il y a aujourd'hui paraît-il une manifestation du côté de la Barre, à Anglet.
Des éleveurs vont y mener leurs bêtes, pour sensibiliser les populations à leurs difficultés du moment. D'après ce que j'en ai compris.

Je ne sais pas combien il reste d'éleveurs sur la côte. 
En continuité avec mon article précédent, je reviens à cette évolution du monde agricole, à cette mutation de mon milieu originel, en somme.

Notre voisin, Antxo de Goyara, dont je vous parlais la dernière fois, s'enflammerait vite à vous analyser les tenants et aboutissants de la chose.
Lui, adepte de l'autarcie maximale, se méfiant de tout et de tous, vous dirait et vous redirait : les paysans, ils se font avoir par les grands groupes !
Dans ce "grands groupes", évoqué comme une nébuleuse puissante et dangereuse, il englobe les coopératives, les industriels de l'agro-alimentaire, le gouvernement, en gros, toutes les entités plus ou moins dirigeantes en relation avec le monde agricole.
S'il avait vécu au temps des Jacqueries, notre Antxo serait tel la Sabine en tête des hordes des serfs affamés et poussés à la révolte par la misère.

Antxo est maintenant un vieil homme. A Goyara, on ne vit plus de la ferme. 
A Agorreta non plus, d'ailleurs. Nous conservons quelques bêtes et les cultures nécessaires à les nourrir. Par plaisir et goût de ce domaine d'activité.

En leur temps, pourtant, Antxo, mes parents et grands-parents, et beaucoup d'autres encore, vivaient de leur travail de paysans.
Sans étaler une réussite économique ou sociale retentissante, ils vivaient, honorablement, et élevaient de belles familles, tout aussi honorablement.

Je vous conterai à l'occasion notre système économique et social, à la ferme Agorreta. Je l'ai rapidement évoqué au début de ce "bloc". J'y reviendrai, en détaillant particulièrement notre mode de vie familial dans les années 70-80. L'ère expansive d'Agorreta...

Pour en revenir à aujourd'hui, et à ce malaise actuel dans le monde agricole, sans être spécialement compétente en la matière, je me sens tout de même à ma modeste échelle concernée par le phénomène.
Je ne suis pas aussi radicale qu'Antxo. 
J'admets les avantages d'une vie en société, et les contraintes inhérentes. Je profite avec gratitude des premiers, et j'admets les secondes,  en protestant mollement quand la pression d'une solidarité mal équilibrée me paraît trop lourde.

Je sais qu'on ne vit pas en société civilisée, sans tenir compte des autres, autant que nous en avons, par moments, besoin.

Tout de même, je partage la méfiance de notre Antxo local, envers les structures économiques tentaculaires. Ces trames gigantesques, ces connections infinies et invisibles, me paraissent malsaines, à trop grande échelle. 
L'esprit d'entraide coopérative est une belle et grande chose. Mais son application est indiscutablement biaisée. Les intérêts économiques et politiques mêlés, ont pris le pouvoir, à tous les niveaux.
Les différents acteurs ont perdu leur indépendance relative. La mutualisation noble est devenue asservissement à peine déguisé.

Les paysans, producteurs, éleveurs, ont perdu la main. Ils se retrouvent pieds et poings liés. Acculés dans le sas étroit où les conduisent les contrats de partenariat, ils n'ont pas d'autre issue que de se plier à des exigences et des conditions imposées.
Ils ont perdu toute liberté de décision, toute marge de manœuvre.

Ces contrats de partenariat, ils les ont bien acceptés, me direz-vous. Ils se sont engagés. On ne les a pas forcés.
Non, on ne les a pas forcés, le couteau sur la gorge, c'est vrai. Mais, on les a fortement... incités.
Insidieusement, on les a dirigés, amenés, attirés.
Séduits par des primes, alléchés par des subventions, rassurés par des contrats d'achats programmés de leur production, des conditions avantageuses d'approvisionnements de leurs fournitures, les paysans se sont laissés engluer.

De partenariat équilibré où chacun en synergie amène son travail et son savoir-faire, l'affaire est devenue relation malsaine de bienfaiteur omnipotent à assisté castré.
Les pouvoirs ont été monopolisés à la tête, les décisions cristallisées en un noyau fermé.

Vous me direz, si elles sont judicieuses et pertinentes, ces décisions, pourquoi pas ? Autant vaut centraliser pour une meilleure efficacité et éviter les dispersions en la matière...
Sans être critique au delà du raisonnable, permettez-moi de douter. Et de me demander, avec beaucoup d'autres, quels genres de cheminements tortueux aboutissent souvent à la promulgation de règlements et directives aussi déroutants...
Il n'est que de contempler les résultats : des choses bien décidées mènent-elles ainsi à de pareilles impasses ?
On peut au moins se poser la question, non ?

Les paysans ont-ils manqué de vigilance et de discernement ?  Se sont-ils laissés avoir par un chant de sirènes malignes ?

J'ai connu la grande époque de la PAC distribuée largement, des primes à l'abattage, à l'élevage, à la jachère.

Agorreta ne vivait déjà plus en ce temps là de son activité agricole. Nous avons eu cette chance de ne pas  avoir eu ce tournant dangereux à prendre.
Jamais, une quelconque aide ou subvention n'est rentrée à Agorreta.

Pour autant, nous recevions les formulaires de demandes à remplir. Des visites régulières des services sanitaires vétérinaires, en relation avec la chambre d'Agriculture départementale, nous avertissaient de l'obligation de se plier à des réglementations et des normes difficiles à comprendre... et à suivre, tant elles changeaient rapidement !
Le matériel d'élevage devait être en résine, une année, puis, deux années plus tard, il fallait tout renouveler pour passer à l'inox !
Imaginez, nous qui utilisions les mêmes bidons de lait depuis quarante ans...

Les braves gens diligentés par ces services omnipotents évoquaient les amendes, pénalités et autres sanctions encourues, à continuer de travailler ainsi dans l'illégalité clandestine.
Il y avait de quoi réfléchir... et la solution, pour qui voulait persister dans l'agriculture, c'était de se plier aux diktats venus d'en haut. Et de rentrer dans ce costume dont on nous tendait les manches avec insistance.

Il y avait bien une volonté politique d'intervenir dans le sens de la disparition des petites fermes indépendantes.
Je vous l'ai dit, nous vivions, à Agorreta, de notre travail, et sans rien demander à personne.
Mais nous étions difficiles à contrôler. Notre activité, diverse et variée, n'entrait pas dans les créneaux programmés.
Il nous fallait rentrer dans le rang, ou disparaître.

Le moment a voulu que nous nous détournions de cette machinerie lourde et froide.
Et je m'en félicite tous les jours.

Plus largement, l'état "providence", montre maintenant ses limites. 
Par le biais d'une protection, d'une assistance proposée avec insistance, les gouvernements se sont garantis une possibilité d’ingérence et de décision étouffante.
On n'est plus libre, quand on est assisté, alimenté au biberon, dépendant d'une chaîne dont on est devenu le dernier maillon.
La faillite sociale, économique, industrielle, montre partout le bout de son nez.

En Grèce, un plan de la dernière chance, des capitaux injectés encore et encore pour éviter l'ouverture de la faille, quitte à en accentuer la profondeur, porterait ses fruits, nous dit-on.
Effet de communication ou réalité ? Je ne sais pas, et je vous avoue que ma principale préoccupation n'est pas là. Alors que nous devrions tous, peut-être, davantage nous sentir concernés par ces décisions là, justement.

Nous préférons vivre benêts, et insouciants, sans doute.
Une lâcheté de plus...

Les crises en dormance doivent bouillonner au jour, la tension exacerbée doit faire éclater une exaspération légitime, pour faire évoluer les choses.
Nous avons tous besoin d'un peu d'air, d'un espace de liberté.
La juste solidarité nécessaire et admise ne se comprend plus dans les manifestations quotidiennes.

Je n'ai évidemment pas la solution !

Sinon, je me serais dans l'instant, fendue d'un coup de fil à Stéphane, ou à François.
Quel homme, d'ailleurs, ce Stéphane le Fol ! Quel nom amusant pour une fonction aussi sérieuse !
Je l'ai croisé une fois à l'occasion d'un Lurrama à Bayonne. Il venait intervenir à cette manifestation rurale locale.
Une véritable armoire à glaces, une carrure de déménageur, une silhouette massive et impressionnante de hockeyeur nord canadien.
Avec posé là-dessus, de façon un peu incongrue, une petite tête étroite...
Le front bas, l'embrasure inter-oculaire très courte, un regard aigu de rat pris au piège.
Une tête, un visage, qui ne vont pas avec ce grand corps.
Une "auteure" canadienne justement, Louise Bourbeau, émet là dessus des théories avancées.
Si on l'en croit, cette disparité, cette disharmonie, serait pleine de sens, et d'un sens pas tellement rassurant pour la bonne tenue des affaires gérées par la personnalité profonde révélée par un physique aussi spectaculairement parlant.
Je laisse chacun libre de ses interprétations, et j'imagine qu'en ce domaine comme ailleurs, un brin de modération s'impose.
Aussi, je ne me permettrai pas de juger Mr Le Fol sur son seul physique. Pour le reste, lui, ses prédécesseurs, et ses successeurs, je le crains bien, ne feront malheureusement pas de miracles.

Et François Hollande, lui, pour le coup, est l'inverse de Le Fol, physiquement. Une tête d'un bon volume, une grosse tête, quoi, sur un petit corps. La disproportion est moindre, mais tout de même, non ?
Enfin, ces remarques n'offrent aucun intérêt, de toutes façons.
Et ce n'est sûrement pas elles qui feront avancer quoi que ce soit, honte à moi !


Dans le temps, nous avons réussi à séparer les pouvoirs de l'église et de l'état.
Angéliquement, nous voulons croire à une justice indépendante, à un régime social équilibré.

J'ai bien peur que tant que la politique sera si imbriquée dans les affaires économiques, les décisions de nos gouvernements quels qu'ils soient demeurent bien partisanes.

Me voilà bien docte et ennuyeuse,  en ce mercredi !
Ca me prend, comme ça, des fois, n'en tenez-pas cas.

Je suis la première à rire de moi, quand je me relis.
Que voulez-vous, je suis humaine, comme vous, et j'aime à me donner l'illusion d'être clairvoyante, de temps à autres.

Allez, la prochaine fois, je vous fait la décortication de notre schéma politico-économique d'Agorreta dans sa grande époque.

A bientôt !