vendredi 17 juillet 2015

LA CONFRÉRIE DES MESNIERES




Me revoici pour vous raconter mes petits déboires d'oreilles.

J'ai essayé le terme "oriculaires", mais ça n'a pas l'air d'aller. Auriculaire, c'est en rapport avec le petit doigt, ce n'est pas ça du tout.
Il me semblait bien, pourtant, qu'on disait "oriculaire"...  Je me trompais, alors !

Qu'à cela ne tienne : je vous parle quelquefois de mes oreilles, et de leurs défaillances.
Vous connaissez peut-être, ce syndrome de Mesnières. Et, si vous ne le connaissez pas,  sachez que vous ne perdez rien, loin de là !

Ce Mesnières, pas Meunière, comme la sole, était docteur, en son temps.

Il s’intéressait en particulier aux affections de l'oreille, (faute de le dire mieux),  en lien avec l'acoustique et l'équilibre. Ca n'a l'air de rien, comme ça, une oreille humaine : un lobe sympathiquement charnu, un pavillon plus ou moins élégant, et, très vite, un labyrinthe assez alambiqué de vésicules, de canaux et de cristaux en suspension dans des liquides, se promenant là dedans.
Un mécanisme d'horlogerie fine et délicate.
Je me suis fait expliquer grossièrement tout ça, et je vous livre ce que j'en ai retenu, pour ma commodité, sans prétendre à l'expertise, vous me connaissez, maintenant.

Sous ce terme de Syndrome de Mesnières,  les spécialistes regroupent tout un tas de phénomènes plus ou moins parents. 
Et la plateforme commune de tous ces phénomènes on ne peut plus désagréables, rallie des sensations de vertiges, avec pertes d'équilibre allant jusqu'à la chute, des nausées, des tintements persistants dans l'oreille, indépendants de tout bruit extérieur, une impression de poids sur le côté, une compression gênante dans la tête.

Vous le voyez,  tout un ensemble de sensations dont on se passerait. Imaginez une gueule de bois carabinée, qui dure parfois plus de douze heures, sans que vous ayez touché à la moindre goutte d'alcool.
Evidemment, tous ces petits plaisirs surviennent de façon intempestive, et, si les premiers signes sont une alerte, on ne peut pas savoir  s'ils vont se résorber sans aller au delà, ou si le tourbillon est lancé vers la crise finale...

Cette affection ne se guérit pas. On traite au mieux les symptômes, mais pas toujours efficacement, je peux vous le certifier, à mon grand regret.
Depuis dimanche, ma joue droite pesait, mon oreille vrombissait sourdement, et quelques légers vertiges m'obligeaient à m'asseoir au plus vite, si je ne voulais pas me retrouver avec les deux genoux écorchés comme ces enfants turbulents, dont je n'ai depuis bien longtemps plus l'âge.

J'avais repris consciencieusement ma panoplie médicamenteuse censée pallier ce mécanisme d'oreille en bataille.
Rien à faire, ma tête entière s'embrumait, j'entendais de plus en plus mal, et me sentais évidemment de moins en moins bien !
Je vaquais cahin-caha,  tâchant de faire contre mauvaise fortune, bonne figure. Sans trop y arriver pourtant.

Mercredi soir, le pompon !

Mon quotidien allégé pour cause de semi-crise bouclé, je rentre ici, peu après 20 heures.

Et là, branle-bas de combat dans ma pauvre tête brouillassée : tout se met à tanguer,  le sol se dérobe sous mes pieds, comme disait feu mon oncle de Béhobie : à moi les murs, la terre m'abandonne !

Je me laisse tomber en m'accrochant au rebord de la baignoire.  Une nausée en vagues âcres me déverse la tête dans la cuvette des toilettes toutes proches, Dieu merci...
Accrochée à la faïence, je reste là, plus de trois heures, à vomir, cracher, tousser, baver, et larmoyer. Une pauvre misérable, recroquevillée, frissonnante et suante tour à tour.

Je ne peux pas bouger, quand je tente de me relever, le tournis s'emballe et me ramène à terre.
C'est une farandole démoniaque dans ma tête, une danse diabolique, où je m'essouffle à ne pas lâcher prise.
Entre deux nausées harassantes,  j'ai froid, puis très chaud. Je m'engourdis, assise inconfortablement enroulée autour du bloc dur.

Dans ma tête le tourbillon étourdissant emporte tout espoir de voir un apaisement possible. Je me verrais presque finir là, lamentable et pitoyable.

J'ai tout Wagner et ses cymbales dans le cerveau, avec les trompettes de Dvorák et les orgues de Staline,  les Walkyries et les Wisigoths déchaînés, les vagues fluent et refluent comme aux pires tempêtes d'équinoxe, la violence d'un volcan en éruption m'engloutit, les coulées de lave épaisse et incandescente me noient, c'est le Tsunami japonais entre mes pauvres oreilles, l'éruption de la bombe atomique à Iroshima, l'enfer sur terre.

Ce n'est pas ma première crise, mais ce n'est pas la plus légère non plus, nom d'un chien !

Sur les coups de minuit, je trouve la force de me traîner jusque dans mon lit, sans me déshabiller ni me laver. Je prends juste une cuvette et une serviette.
Enroulée sur mon malheur, je m'endors.
Pour me réveiller en sursaut, secouée de nouveau de nausées de plus en plus acides et douloureuses.
Recroquevillée au bord du lit, je hoquette comme une perdue, plus frissonnante et lamentable que jamais. J'ai froid, et pourtant, je ruisselle d'une sueur mauvaise. Moi qui me fait fort de ne pas exhaler d'humeurs corporelles, je me dégoûte de poisse et de misère.

Voyez, je ne vous tais rien. 
Pour ceux qui par malheur connaissent ce tourment, ils sauront compatir. Et pour les autres, qu'ils se réjouissent sainement d'en être épargnés par la grâce.

Tour ça finit par se calmer, au tout petit matin. Je retrouve assez d'intégrité pour pouvoir soigner les bêtes, aller voir mon père. Chancelante encore, je m'accroche à mon rôle, et parviens à donner suffisamment le change.
Ma journée de travail sera elle écourtée. Je ne suis pas du tout opérationnelle et je gêne plus que je n'aide.

La tempête dans ma tête s'est quand-même éloignée.
Je retrouve la sensation d'un monde immobile et rassurant autour de moi. Comme c'est agréable, d'être couchée dans son lit, les yeux au plafond, et de voir juste trembloter au vent cette petite toile d'araignée oubliée là.
Comme cet immobilisme répond bien à la quiétude de mes sens assagis après ce terrible déchaînement.
L'après-crise a ceci d'irremplaçable : elle vous fait toucher du doigt la chance de vivre une situation ordinaire.
Je m'endors, en paix, un vague murmure dans mon oreille décompressée.
En harmonie totale entre mes sensations intérieures, et la tranquillité de mon environnement familier.

Cette congruence retrouvée, cette cohérence entre mes perceptions et le monde, je les savoure, je vous l'assure, comme une denrée précieuse, à cette heure.

Hauts les cœurs à tous mes semblables de la confrérie des Mesnières. Nous connaissons la guerre, mais nous connaissons aussi la paix, dans les excès de l'une, et la gratitude de retrouver l'autre, ensuite.

Qu'il ne nous vienne pas plus grande raison de nous plaindre, et, s'il en venait, que nous conservions longtemps l'espoir de surmonter ces malheurs, comme nous surmontons nos crises mauvaises.

Amen, et paix sur la terre...à tous les Mesnières, et aux autres !




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