mercredi 10 juin 2015

ET IL NE MOURUT PAS !



Bonjour à tous !





Une petite pluie de nuit, pas assez, mais il faudra bien s'en contenter !
Les nuées en promettent d'autres, peut-être...

Tiens, entre le moment de mon petit reportage photos et ce début d'après-midi, de bonnes et franches averses ravalent le soleil passé en visiteur.

Mon poste d'écriture de saison estival va être remisé en intérieur :
























 Zaldi va quitter son observatoire.

Elle aime bien, cette jument, se mettre la tête entre les deux grands pylônes électriques.

Tournée vers l'est, elle monte la garde, la croupe à la baie.

Comme si elle était dans la lucarne d'un grand box à ciel ouvert, enchâssée dans la presque majesté de ces colonnes imposantes.

Ou alors, y trouve-t-elle la sécurité d’œillères géantes ? Peut-être, va savoir...

Moi, ce matin, je vaquais dans le jardin.













Ca bougeotte, gentiment, à la faveur de ces chaleurs dernières.
Les quelques rosées nocturnes et la faible pluie de cette nuit ne suffisent pas en apport d'eau pour faire bondir tout ça...

J'ai épandu de l'engrais, en espérant une décharge des nuées amoncelées.

Et j'ai été exaucée, loué soit le Très-Haut !!






Je vous montre ici le plant de courge géante, issu de mon phénomène de l'année passée, lui-même germé du prototype de citrouille géante exposé à la jardinerie en 2013... Vous suivez ?

Relisez les chapitres précédents, ou, plus simplement,  admirez cette citrouille dans mon étable l'hiver dernier :








Mon orgueil et ma fierté !

Je ne sais pas si la fille tiendra les promesses de la mère.

J'attends de voir, et de vous montrer.

Le plant est parti fort, c'est sûr, mais nous ne sommes pas encore rendus, n'est-ce pas ?





Ces citrouilles "fourragères", si elles arrivent, feront le bonheur de mes vaches en hiver.

J'ai ici dans mon grenier, un fruit de courge cultivé l'été dernier.

Cette courgette a une durée de conservation étonnante. Je la garde pour voir combien de temps elle va rester en l'état.
Elle ne montre pour le moment aucun signe de décomposition ou de flétrissure.
Elle est constante en poids et en texture.


Aurait-elle trouvé le moyen d'arrêter le temps ? 
S'est-elle momifiée en sa maturité ?
C'est intrigant, et je l'observe chaque jour.

Un autre phénomène étonnant, c'est celui-ci dont je relatais les aventures dernièrement :




Mon père, lui aussi défiant les lois ordinaires de la vieillesse et de la maladie.

Au soleil sur son banc, avec Raoul, son kinésithérapeute attitré.

Une séance de massages, et des bavardages. Ils commentent ensemble les dernières parties de pelote de fin de semaine, les travaux agricoles et autres actualités dont ils ont la passion commune.

- Ez ziak gauz haundik egiten, baino on egiten ziak !

Il ne me fait pas grand chose, mais ça me fait du bien...
Bon, très bien !

Pour compléter mon article précédent, je dois revisiter l'état d'esprit dans lequel j'étais au moment où je pensais accompagner cet homme, mon père, dans ses derniers jours... il y a bientôt trois années de cela !

Ma mère est morte en déclinant régulièrement au long de longues années de maladie. 
Sa fin s'est inscrite sans surprise au bout d'un parcours inexorable.

Quand mon père à son tour a connu les tourments de la vieillesse, quand ces tourments sont devenus âpres et tenaces, je me suis mis en tête qu'il entamait à son tour la dernière danse.
Je n'ai pas eu cette idée sur ma seule perception des choses et de son état. Les médecins consultés, et, au gré des débâcles de ce vieil organisme, ils étaient nombreux et variés, en styles et spécialités, ne me donnaient pas d'autres perspectives, bien au contraire.

Une nuit d'hiver, particulièrement, l'un deux me représenta la fin comme imminente. Il m'appela autour des minuits, m'enjoignant de mettre mon père dans l'ambulance qu'il m'envoyait immédiatement.
Je ne sais quel résultat de quelle analyse était calamiteux, un taux de potassium, je crois, et il fallait intervenir au plus vite.
L'homme n'avait relevé cette alerte que très tardivement, et sa voix trahissait une urgence que son service n'avait pas détecté dans l'après-midi, quand nous y étions.
Bref, il fallait faire vite.

Nous étions au soir d'une journée très éprouvante, étirée chaotiquement à l'issue d'une nuit blanche de veille constante, de souffrances sans répit. Les jours précédents n'avaient pas été  beaucoup plus fastes.
Pour la première fois depuis une bonne semaine, mon père dormait paisiblement, sans gémir. Son souffle était régulier, et son visage presque reposé.
J'envisageais moi même très égoïstement, de pouvoir dormir, enfin.

Cet appel faisait voler en éclat la paix de la vieille ferme paisible, comme elle ne l'avait pas été depuis trop longtemps.
L'homme parlait à mon oreille, et je regardais l'ombre de la lampe de chevet allumée près du lit où mon père dormait.
Les chiens roulés en boule sur le tapis relevaient la tête, ne bougeaient pas pour autant.

Je décidai de laisser cette voix, ces paroles, cette alarme, hors de cette paix retrouvée.
Je refusai l'ambulance, expliquai à mon interlocuteur que mon père dormait paisiblement, comme je ne l'avais pas vu dormir depuis des semaines.

- Il risque une attaque cardiaque. Vous ne vous rendez pas compte !

Si, si, je me rendais compte. Tous ces derniers mois, je m'étais rendue compte, et avais cru plus d'une fois l'heure du trépas arrivée pour mon père.
Je l'avais vu se tordre sous la douleur, se débattre contre des hallucinations atroces, comme un ver coupé en deux se contorsionne en effroi.

J'avais difficilement supporté le discours de médecins me disant que c'étaient des effets des antalgiques puissants, qu'il fallait en passer par là, en essayer d'autres encore.
Mon père était perdu entre douleur et désarroi. Il ne demandait qu'une chose, que tout cela cesse. Il voulait trouver le repos, la paix. Et mourir devait lui semblait léger en comparaison de souffrir comme une bête crucifiée.

Par la suite, quand il racontait sa maladie et cette période, il disait n'avoir jamais perdu courage. Comme je le racontais la dernière fois, le jour où, en réanimation, ce fameux jour où on me demanda s'il "savait lacer ses souliers", je lui dis la gravité de son état, il parût ne pas y croire.
Pourtant, il me demanda à plusieurs reprises, quand la douleur le laissait effaré :

- Hola segitu behar ote diet ?

Devrai-je continuer comme ça ?

Et, quand cette chienne lui laissait un répit, quand pour quelques heures il avait moins mal, il pouvait souffler un peu, et s'étonnait presque :

- Boh ! hola baldin bada, gozo, gozo, ez dun gaizki...

Boh, si c'est comme ça, tout tranquille, ça n'est pas mal...

Et il parlait de la mort, sans oser la nommer, j'en suis sûre.

Alors oui, cette nuit là, j'étais prête à cesser le combat, prête à décider d'arrêter là. Pour mon père, pour l'avoir trop vu souffrir et ne pas vouloir interrompre ce repos enfin gagné comme une rive lointaine. Au prix de sa mort peut-être.
Parce-que j'étais alors persuadée que c'était la meilleure chose pour lui.

Après une conversation intense avec ce médecin, nous décidâmes d'un terme moyen, comme on négocie une affaire commerciale. On me ferait passer des comprimés de ce fameux potassium, oui, c'était bien ça, dont il manquait périlleusement, et je les lui ferais avaler.

Ainsi fût fait. Même si j'attendis qu'il se réveille pour lui faire prendre les fameux comprimés, tant son sommeil me paraissait plus précieux et vital que tous les potassiums de la terre à ce moment là.

Cet épisode-ci était antérieur de quelques mois à celui de la réanimation et des lacets de souliers.

Plus tôt encore,  quand mon père fut hospitalisé pour la première fois,  j'entrepris quelques travaux à la ferme. Il s'agissait d'aménager une chambre de malade confortable, dans la vieille bâtisse vétuste et malcommode.
Je sortais de plusieurs années de soins prodigués à ma mère, dans une installation prévue pour une malade comme le serait le sommet de la Rhune pour y étaler  l'aéroport de Fontarrabie.

Mes parents étaient, et mon père l'est toujours, très attachés à la sauvegarde de la ferme, en l'état. Ils n'aimaient pas les changements, et se trouvaient très bien de leur logement, aussi délabré soit-il.
Je me souviens bien des négociations avec ma mère pour le changement du poêle à bois. 
Elle était frileuse pourtant, et son immobilité forcée la rendait vulnérable au froid et à l'humidité.
Notre vieux poêle rendait l'âme, bien trop petit pour la surface à chauffer, avec ses  plaques de fonte ébréchées.
Elle fit de la résistance autant qu'elle le put ! 
Le jour où le chauffagiste intronisa l'imposant appareil dans la cuisine, elle bouda du matin au soir. Le fait est, celui-ci était peut-être un peu surdimensionné... Comme le dit le professionnel quand je m'étonnais du montant élevé de la facture, c'est sûr, tu payes, mais au moins tu es tranquille... C'est sûr...
Un bâti massif et sombre, une ouverture impressionnante. On voyait tout de suite qu'il ne faudrait pas lui en promettre, à celui-là !
Il chauffait, en effet, bien plus que son prédécesseur minuscule. Toutes les boiseries de la ferme s'en trouvèrent saisies, recrachant les mites par toutes leurs pores, et se fendant de long en large sur le coup de cette chaleur inusitée jusqu'alors.
Mais bon, à raison de quelques remorques de bois par hiver, nous avons maintenant bien chaud dans toute la ferme.

Pour en revenir à mon père, les travaux envisagés furent menés vite et bien, par une équipe fort sympathique et motivée à souhait. Nous partagions les repas, histoire de ne pas perdre de temps, mes frères donnaient la main. Tout ce petit monde travaillait tous les jours du matin à tard le soir, dimanches compris.

- Bah ! disaient une ou autre mauvaise langue, tous ces frais pour rien ! Il n'en profitera sûrement pas !

Mon père dépérissait, loin d'Agorreta. Il voulait rentrer, pour mourir "à la maison". 
Le temps pressait, croyait-on alors, et, en à peine plus d'un mois, l'essentiel fut bouclé.
Un ou autre pan de mur tomba sans qu'on l'ait prévu, il fallut rattraper ça en catastrophe.
La ferme est une vieille femme, je vous l'ai dit déjà. Elle n'aime pas qu'on la bouscule et manifeste son mécontentement, en boudant, elle aussi

Nous parâmes au plus pressé, comme souvent ici. Et laissâmes le reste pour plus tard, sans grand souci de perfectionnement.
Réintégrer mon père dans ses murs me paraissait plus urgent qu'assurer une cohérence décorative à son habitat.
Il serait bien installé, dans sa chambre aménagée, et la cuisine disloquée entre un pan de mur refait (par force !) et le reste d'origine, ne le gênerait pas.

C'était bizarre, cette impression de lutter contre le temps. Cette course entre la survie d'un vieil homme très malade, et l'aménagement à terminer pour lui permettre de rentrer mourir chez lui, d'après nous.
Nous ne pouvions décemment pas l'accueillir, en plein hiver, dans un amoncellement de gravats et de plâtre, n'est-ce pas ?

Nous œuvrâmes tous tant et si bien, faisant fi des remarques acerbes, que mon père revint à la ferme, accueilli  comme un fils prodigue que l'on espérait plus.

Et aujourd'hui, près de trois ans plus tard, il y est toujours.  Il s'est spectaculairement rétabli. Il profite de chaque jour de sa vie, sans douleur, avec intérêt, et gratitude.

J'essaie d'apprendre de lui cette "considération" de la vie, dans le sens de la reconnaissance de son importance, aussi ordinaire et banale soit-elle. 
Je crois être en capacité, après ces épreuves traversées à ses côtés, de me montrer moi aussi pleine de gratitude envers le sort. De mettre dans chaque instant l'estime d'un temps offert, qui aurait pu ne pas être.
Mon père sait bien qu'il est vieux. 
Et nous savons tous que nous mourrons, un jour.

En attendant, cet homme a su trouver la force et le détachement suffisants pour se laisser oublier par toutes les douleurs et les souffrances qui avaient enfoncé leurs griffes dans sa chair.
Il s'est fait humble, mais pas soumis. Il regarde en face sa vie, ne joue pas à l'effronté en narguant la mort, et la drape pudiquement en sort. 

Il sait le plaisir de vivre et ne le boude pas. 

Comme pour ma courgette du grenier, le temps de la souffrance s'est arrêté, pour lui aussi.
Et nous vivons ensemble, ce répit, en marge de la marche ordinaire.


A bientôt, amis suiveurs de ce "bloc".
J'ai été un peu longue. La pluie drue m'a retenue ici. Là, je revois le soleil. Je sors.

A une prochaine fois, et portez-vous bien !





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