vendredi 5 juin 2015

BIGOUDI LA TROP GOURMANDE




En cette radieuse journée de début juin, bonjour et bienvenus à Agorreta !






Ce matin, voyant cette barrière de nuages soufflés au dessus du soleil levant, je me suis dit : tiens, ça risque d'être joli, ça, d'ici un moment.

J'ai surveillé, et, quand le moment attendu est arrivé, clac ! je me suis régalée du regard, et je vous ai saisi ça.
Quelle merveille, n'est-ce pas ?
Ca se passe de tout commentaire.

Quoi, ce sale câble au milieu ?!  Vous vivez sans électricité, vous ? Ah...
La beauté est une grande chose, et ne doit pas s'offusquer d'être barrée, non ?






Quelques minutes après, c'était beau encore, mais autrement, moins grandiose, il me semble.

Il fallait y être, quoi, et j'y étais.

J'en ai profité. Avec gratitude.










La principale activité de ce matin,  dans le coin, a consisté à rentrer les balles de foin conditionnées hier.
Hier, il faisait chaud, idéalement chaud pour faire sécher correctement l'herbe fanée depuis lundi.
Presque trop chaud, même : les tiges d'herbe trop chaudes, rendues craquantes, se cassaient facilement, rendant le "roundballage" moins aisé. 
Pas facile de tomber sur le bon moment, là encore, entre le bien sec et le trop ! ou le pas assez, vous savez, jeudi dernier...



Remarquez, entre l'atmosphère de la semaine dernière, et la touffeur d'hier, il y a un sacré changement !

Cette météo, alors, quelle enfant, boudeuse un jour, et rayonnante le lendemain. Enfin!

L'incidence de cette météo est évidemment importante, sur la qualité et la conservation du foin, d'abord, sur son appétence, ensuite, et sur sa digestibilité, enfin.


Sans entrer dans une technique que d'ailleurs je ne connais pas, le foin trop vert fermente et devient un nid à bactéries impropre à toute consommation. Le foin trop sec tombe en poussière, le grain reste sur le champ, les brindilles brisées bloquent la bonne marche de la rumination.

Vous le savez, l'appareil digestif d'une vache, c'est une véritable usine à gaz. Je vous passe les différents organes en lien avec l'estomac, panse, pansette, caillette et autres... En fait, ceux-là sont les seuls que j'ai gardés en tête.
Le bol alimentaire tourne et vire là dedans en une transformation laborieuse et délicate. Tout un cheminement dans l'ombre pour une assimilation optimale des unités fourragères, sans dommages collatéraux sur l'organisme.
Et oui, ça paraît rustique, comme ça, une vache. Et bien, ça ne l'est pas !

D'où le poids de la prise de décision de "rentrer" le foin... Et les tergiversations qui vont avec !
Bah ! chaque session amène ses interrogations, et ses doutes, nous n'y couperons pas.
Sortons de ce pas et réjouissons-nous sans plus de tracas.


Regardez-moi tous ces petits tournesols disséminés là.
Au soleil couchant, la promesse d'un hiver bien pourvu.
La satisfaction atavique et primaire de ne pas connaître le manque de fourrage pour le bétail à nourrir.





Comme quand vous remplissez vos placards de conserves. Un contentement, un soulagement diffus, même à notre époque où les supermarchés regorgent de nourriture toute l'année.
Parce-que de là où nous venons, la vie n'a pas toujours été celle-ci, et que nous en gardons un souvenir ancré dans la moelle. 
Ces réflexes ne se justifient plus, et pourtant, leur persistance nous ramène hors de notre temps.
Loin en arrière, là où nos racines prennent leurs forces.






Une autre affaire d'instinct primitif se noue chez Cousinou.

Cette vache tournée vers l'étable quand toutes les autres paissent en paix, meugle tragiquement depuis deux jours.
Postée près de la barrière du champ, elle appelle, jusqu'à s'en enrouer.
Sans doute son petit qu'on a du lui enlever.


Cousinou ne laisse pas ses veaux aller au champ avec les mères. Il les garde enfermés, et ne les libère que pour les faire téter, deux fois par jour.
A cette condition, les veaux sont mieux commercialisables. Leur viande est tendre et blanche, quand les miens, plus musculeux d'avoir couru dehors, sont de moindre valeur marchande.
Les bouchers préfèrent même acheter des veaux élevés dans le noir ! Leur viande serait d'une qualité incomparable, et mieux prisée par une clientèle difficile.
Quelle horreur ! Les gens sont-ils à ce point éloignés de notre saine nature, pour être ainsi dévoyés dans leurs préférences ?
On préfère le lait pasteurisé, stérilisé, au lait cru, la viande de bêtes élevées "hors-sol" et dans le noir. 
Ca alors... quelle chose inquiétante, tout de même !

A Agorreta, nous faisons fi de ces réalités économiques distordues, et maintenons à nos bêtes une vie normale et naturelle.

Pour en revenir à cette vache et à son tourment poignant, elle ne connaissait de son petit que cette sensation brève au moment de le nourrir. 
Peut-être ne se plaint-elle que du fait de ne pas être vidée de son lait ? pourrait-on penser.
Ces vaches blondes ne sont pas de grandes laitières, mais elles sentent quand même le poids dans leur pis au moment où on les prive de leur petit.
Pourtant, même si on trait cette vache en souffrance, même si on la soulage de ce lait lourd, elle continue son émouvante lamentation.
C'est donc bien son petit qu'elle réclame, et pas seulement un bien-être.

Cet instinct maternel chez la bête, venu celui-ci aussi de loin, et au delà de la bêtise des hommes qui prétend le nier.

Pour en revenir à Agorreta, une autre vache déconfite depuis hier, c'est ma Bigoudi.
Souvenez-vous, elle avait fort prisé le foin lourd et vert rentré la semaine dernière :




Elle s'en régalait, ça faisait plaisir à voir !

Je lui en ai distribué aussi dans son râtelier, vidé au fur et à mesure.

Trop, j'aurais du la rationner, et prendre pour elle une mesure raisonnable qu'elle ignorait.

Ma Bigoudi a été trop gourmande.
Son alambic digestif n'a pas pu suivre la cadence.


A hier matin, elle manifestait tous les signes de la "fourbure". 
Elle était engourdie, inconfortable sur ses appuis, boitait même sérieusement de l'antérieur avant droit. Aucune lésion sur le sabot n'expliquait cette gêne.
C'est la fourbure caractérisée. Trop de nourriture mal digérée, des toxines engorgées dans le foie, toutes les articulations douloureuses et les coups de pied enflés juste au dessus de l'attache des sabots.

Je connais bien le phénomène pour l'avoir malheureusement connu jusqu'à son issue fatale avec ma Louloutte, la mère nourricière de Pintta Mona. Sa fourbure chronique couplée à un accident de pâture la condamna à terre. Elle rampait sans pouvoir se relever. 

C'est un spectacle difficile à soutenir, une grosse et brave bête ainsi clouée au sol, avec ses deux petits autour d'elle. Elle essayait de les nourrir, les léchant quand ils étaient à sa portée, écartant sa patte pour leur présenter son pis, écrasé au sol comme un gros sac vide.
Nous la retournions à plusieurs pour ne pas qu'elle s’abîme trop. Une désolation.

A ce moment là, c'était il y a un peu plus de deux ans maintenant, mon père était très sérieusement mal en point.
Il suivait l'évolution  de cette vache avec une attention constante. D'après moi, il transposait sur elle son propre état de santé, et voulait à tout prix la voir se relever, comme si sa vie à lui en dépendait.
Je fis de mon mieux, mais mon mieux ne suffît pas. Je dus faire euthanasier ma Louloutte.

A mon père qui me demandait comment allait la vache, je n'osai pas dire la vérité. Il était ce jour là hospitalisé en réanimation à Bayonne.

- Oh, répondis-je évasivement, elle est dehors...

- Elle est mieux, alors !

- Oui, elle est mieux...

Je ne mentais pas : elle était mieux, que se traînant misérablement par terre, et elle était dehors. 
Les quatre pattes en l'air, sous une bâche, en attendant la venue du camion de l'équarrisseur !

Ma belle Louloutte, je l'aurais pleurée, si mon père ne mobilisait pas à ce moment là la totalité de mes capacités affectives. Ainsi sommes-nous, sans doute, à crédit émotionnel limité...

Ce serait un épisode  à mieux  raconter, celui-là aussi, et je le ferai, bientôt, peut-être.


Les deux petits veaux orphelins avaient à peine plus d'un mois. Je dus prendre le relais au biberon, pendant les trois mois suivants.
Pintta-Mona se montra conciliante, acceptant de boire au seau sans faire trop de manières. Son frère de lait, aujourd’hui mangé, paix à son âme, fut plus récalcitrant.
Il refusa d'abord ce lait de substitution. 
Acculé par la faim, il se décida à accepter la tétine flottante censée lui rappeler la mamelle maternelle.
Seulement, s'il ne me sentait pas à ses côtés, il relevait la tête, et pffou !, envoyait valser ladite tétine dans la litière. 
Vite, vite,  je devais retrouver le petit cône de caoutchouc perdu dans la fougère, pour le lui refaire prendre en bouche. Si je n'étais pas assez rapide, il s'énervait sur le seau, et le renversait en plongeant la tête dedans.
C'était sportif, ces repas, deux fois par jour ! Les bêtes grandissaient, devenaient lourdes et fortes, et me bousculaient à qui mieux-mieux.

J'eus de la peine au moment de conduire ce petit mâle vers sa fin. J'avais un peu été sa mère...

Tout ceci pour expliquer que je suis très attentive à ces fourbures, pour en avoir fait une expérience bien triste.
Quand j'ai remarqué les raideurs de Bigoudi, hier matin, mon sang n'a fait qu'un tour !

Je devais aller travailler à la jardinerie. La journée était annoncée chaude.
J'hésitai à laisser Bigoudi dans la vieille étable. Mais il y avait sa petite Galzerdi, et sa demie-sœur, Rubita. Ces deux là ne supportent plus d'être séparées.
Pollita sans sa fille Rubita, ça ne peut pas aller non plus !



Toute la sainte famille dedans, avec les autres dehors, mes vaches se seraient toutes agitées.
Je décidai de mettre tout ce petit monde au champ, en espérant que ma trop gourmande Bigoudi aurait au moins la sagesse de rester près de la ferme, à l'ombre, à proximité de l'abreuvoir.
Saurait-elle se montrer raisonnable ? Ou bien irait-elle boitiller au fond du champ, et, fatiguée par la grosse chaleur, invalidée par ses fourbures douloureuses, se dessécherait-elle au soleil, privée d'eau, Galzerdi meuglant sa détresse auprès d'elle ?

Quel triste tableau me hanta tout au long de la journée...
Je tâchai de me raisonner, et le transfert de quelques palettes de terreau à positionner en rayon, par cette chaleur ma foi assez pesante, me fut suffisante distraction pour m'ôter ces images calamiteuses de la tête.

Au soir, je retrouvai ma Bigoudi pas trop mal en point, couchée près du point d'eau, avec les petites près d'elle, bien tranquilles.
J'installai toute la clique dans l'étable fraîche.






La ration de Bigoudi fût revue à la baisse, histoire de drainer ce pauvre foie débordé. Une petite cuillère d'aspirine par là dessus, et, à ce matin, Bigoudi avançait plus fluidement, un peu chaotique encore cependant.

Mon père observa cette amélioration avec satisfaction, et, tous les deux, sans en dire un mot, nous eûmes la même pensée pour notre brave et belle Louloutte, perdue en sacrifice aux Dieux.

Tout allait mieux, alléluia !





La baie radieuse scintillait, éclatante et limpide.

Et moi, ce cours des choses me réconciliait avec le destin.

Tout n'est pas mauvais, en ce bas monde, allez !









Celle-ci encore en offrande pour vous et remerciement pour ce sort qui sait sourire aussi, souvent.






La prochaine fois, si une actualité brûlante ne m'en détourne pas, je vous raconte le questionnaire protocolaire du service de réanimation de Bayonne...

Une véritable fable, plus imaginative et fantastique qu'aucune de celles que je n'oserais inventer !

A bientôt...

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