vendredi 1 mars 2019

OK CORALL A AGORRETA FIN


Vendredi 1er mars 2019 17h27


Je vais clore ce chapitre, la semaine, et ma cinquante-troisième année.
Tourner la page, et ne plus y revenir. Comme si ça se faisait par une seule volonté…



La relation de quelques épisodes savoureux de ces partages à Agorreta en laissera peut-être une couleur plus chatoyante. Elle sera une manière d'en retenir le plus léger, le plus important, finalement, l'écume bondissante des jours et de nos vies.

L'enchaînement des évènements nous a conduit à la Grande Faille d'Agorreta, comme on dit le Grand Canyon du Colorado.





Une faille ouverte, un trou béant, bientôt rempli pourtant, mais devenu terre brûlée. Voilà pour le mélodramatique.

Une terre aimée, une terre à respecter et accompagner dans son devenir, plus sobrement.








Pour un semblant de méthode, je vais me contenter d'une simple chronologie.

2012 : réunion de famille avec en perspective notre "démembrement" à prévoir. 








Un festin à l'arrière-goût aigre, où Buddy exprime un appétit féroce.


Fin 2015 :
Après une triennale de repos, je remets sur le métier mon ouvrage.
Début des négociations :



De vieilles histoires remontent, des décennies après. Des ruminations mal digérées, des deux côtés de la faille.

Une première scène bien divertissante :

Mr P, ancien agent immobilier, ami de notre local Buddy, se présente pour faire une évaluation du "domaine d'Agorreta". Les facéties de notre système successoral imposent la volonté du premier "preneur" en place  aux autres. Ainsi soit-il. 
(Je me demande si, dans ce "grand débat national", si d'actualité, il ne faudrait pas prévoir un petit dépoussiérage de nos vieux fonctionnements des droits.) 


Extrait d'un journal tenu à l'époque, sur le vif :


Visite de Mr P, le vendredi 8 janvier de 15h30 à 18h30.
Mr P souhaite consulter les documents de donations et de vente.
Il s'intéresse particulièrement au côté juridique de ces actes. Tous peuvent être remis en cause, me dit-il pendant cinq années après le décès de mon père.
Son accoutrement, sa posture, rappellent étrangement ce célèbre avocat intervenant dans des affaires très médiatisées, dont j'ai oublié le nom. Plastron de coq, longs cheveux blancs.
Il maintient une attitude extrêmement polie, chaleureuse et attentionnée.
Il parle beaucoup, digresse, raconte volontiers ses exploits passés. Il semble affectionner les cours de tribunaux. Je le soupçonne de nourrir le vif regret de ne pas avoir embrassé une carrière d'avocat. Il se targue d'être consciencieux, intègre, et loyal envers ses amis.
Je m'étonne de son affection pour les procédures juridiques, où, je le vois, bien, il donne son plein d'énergie et de passion. Il doit défouler là des frustrations douloureuses, sans doute...
Je suis bien sûre que Mr P est le dernier conseiller que j'irais chercher, si j'avais l'idée de régler un différend de famille. Il tient d'ailleurs pour quantité négligeable, tous les médiateurs, conciliateurs, et autres mandataires successoraux.
Je ne partage pas son avis.
J'ai laissé parler Mr P, longtemps. Je l'ai écouté, attentivement. A plusieurs reprises, j'ai trouvé le temps bien long, et son discours, ennuyeux.
Par moments, j'ai ressenti pourtant une authentique chaleur humaine en cet homme, et une volonté sincère de bien faire.

Retour à aujourd'hui
Ce bon Mr P., passant son plastron breloqué et ses bottines à bouts relevés dans le vieux grenier d'Agorreta, récolta quelques toiles d'araignées bien épaisses. Il fit comme si de rien n'était, m'assurant de son goût pour les fermes. Très obligeamment, il m'aida même à relever une grosse balle de foin, sa petite cravate en lacet fin se balançant devant lui dans l'effort.
Il nous émût presque en évoquant son vieux père. Il allait tous les jours paraît-il l'aider à prendre son dîner.  Comme quoi, dans les affaires de famille, même lui, savait faire autre chose que d'enflammer les conflits.

Quelques jours plus tôt, une charmante confrère dudit Mr P., elle, en activité, bien plus jeune, se présentait pour la contre-expertise anticipée.
Elle salua aimablement tout le monde, d'un large sourire et d'une poignée de main franche.
Passant lentement de pièces en pièces, elle mesura, nota, ne commenta pas.
Arrivée à l'étable, elle, citadine, sophistiquée, ne se laissa pas démonter par l'ambiance.
Elle tiqua seulement quand je lui parlai d'évaluer aussi les vaches. Elle se voyait partie pour se renseigner sur le cours de la bête aux dernières foires d'Hélette ! Fine et rapide, elle comprit la plaisanterie. L'ambiance ne s'en relâcha pas trop pour autant, Buddy, lui, restant bien renfrogné :





Ce jour là naquit l'échange :

- Tu te rends compte du volume qu'il y a ici ? 
tapotant du plat de la main le mur de la ferme auquel Buddy était adossé, une jambe repliée, tel un flamand rose courtaud.

Et la répartie venue bien à propos :

- Dans ta tête aussi, il y a du volume, mais c'est vide !

Il y a comme ça quelques rares fois, où la réponse juste fuse instantanément. La plupart du temps, après coup, on est bien mieux inspiré, mais trop tard…


Vers la même époque, nous allions pratiquement hebdomadairement chez le notaire, à deux, à plusieurs, ou tout seuls.
Ce bon notaire des familles, éberlué d'entendre âprement discuter vaches, prés, terres et clôtures abandonnées. 

Dans les familles, ça camphrait ! on débattait, on se souvenait, on ranimait la ferveur des fatigués. Mon père, ne voulant pas être laissé hors d'un champ de bataille où ses ardeurs le ravivaient, nous informait, déjà couché, depuis son lit :

- Non, ch'étaient pas des cayottes, ch'étaient des poiyaux !

Des poireaux, donc, et non des carottes, que nous pourrions, à l'occasion, planter sur un bout de terre donnée en "avance d'hoirie". A prononcer avance d'o-a-rie. Chaque syllabe bien détachée.
Le chuintement venant du dentier absent, plongé pour la nuit dans une eau désinfectante et rafraîchissante, sur le bord du lavabo tout proche.
C'était l'effervescence de la bataille !

Des mots doux fusaient dans tous les sens :
Txorua, imbécile, (dans la façon de penser) ! Ergela ! (imbécile aussi mais plus dans le comportement), Zakilla, abruti ! Ustela, pourri ! Ezin asia, glouton, aski alua, tout à fait...con, je ne saurais dire autrement. 
Et j'en passe mais ai gardé les meilleures. 
La langue basque a ainsi des subtilités étrangères à la française. Je pense les relever plus souvent ici, en traductions non littérales, un peu ennuyeuses, mais plus adaptées au sens. Personnalisées, quoi.

Dans la foulée de tous ces entretiens, visites et tutti quanti, une réunion des familles, fin janvier 2016 :


Buddy nous explique ses calculs laborieux.  Plusieurs pages d'un grand carnet noircies soigneusement. Quand je m'étonne du temps qu'il a du passer à les faire, ses calculs, il me répond que noon, nooon, il a fait ça comme ça..., entre deux. Ah, bon.  

Il ne lève les yeux de son grand carnet que pour s'assurer de notre attention :

- Vous me suivez ? 

Plusieurs fois, s'il vous plaît, comme pour un enfant qui a du mal à soutenir le rythme de la marche, et qu'on ne veut pas laisser en arrière.

Il lève son index qui longeait avec application sa ligne de chiffres, pour nous donner son diapason.
Nous sommes noyés dans ses calculs. Tout le monde acquiesce pourtant. Je finis par croire que je suis à la ramasse, arrivant difficilement à comprendre ce qu'ils paraissent avoir saisi tout de suite.

Au bout d'une interminable litanie, encouragé par notre silence, Buddy nous fait ses propositions d'arrangement.
Evidemment, les nôtres ne l'agréent pas. Et les siennes nous courroucent.

Toujours, plus que d'argent, (encore que, mais, toujours pareil, ça, c'est moins drôle…) il est question de terre. Toujours cette bonne vieille terre, nourricière, l'or noir de nos horizons paysans.
On parle d'un lopin pour trois-quarts d'hectare. On donne les cours du mètre carré en hautes Landes, on évalue, estime et avance à la louche, à l'emporte pièces, et autant en emporte le vent !
Plus tard, les âpres négociations se poursuivant, une familière citadine nous voit tirés d'affaires en annonçant que Budy pour signer le partage se contenterait de quelques parcelles de terre. Elle semble penser que tout peut ainsi s'arranger pour le mieux dans le meilleur des mondes. 

Quoi??!! Nous enlever nos terres ? Jamais!!! 

L'idée nous révulse et fait flamber de plus belle notre indignation. Notre souche paysanne parle avant tout le reste.
Poussés à bout, nous nous abaissons aux chantages les plus vils. Une histoire compliquée d'arrangements (encore) avec des institutions, de ces arrangements dont on s'offusque, jusqu'à tant qu'on en devient les bénéficiaires. 
Laissons, là encore, intéressant, oui, mais toujours pas drôle.

Finalement, Buddy donne une parole solennelle. Et puis, … mais ceci n'est pas plus drôle. Laissons.

Le mercredi suivant ce fameux dimanche soir, les chiens se battent dans la cour de la ferme. Le grand chien de Buddy, et les trois d'ici. Ce n'est pas la première fois. Mon regretté Ballurdo, un fluet bâtard beige fidèle et peureux, resta un jour sur le carreau, étranglé à mort, à domicile, par ce même grand chien. 
Parmi les chiens aussi, à la ferme, il y a toujours eu des clans, des luttes intestines et des combats fratricides à mort. Ca doit tenir à l'endroit, ou alors, c'est pareil ailleurs ?
Ce grand chien vieilli, de dominant incontesté, passait au rang amoindri de vieillard fatigué.
L'ère de sa suprématie était terminée. Comme quoi, tout a une fin, ici bas.
Miss Buddy s'en prît à mon vieux père :

- Gardez vos chiens chez vous !

Elle hurlait en tirant à elle le pauvre vieux chien dont le cœur s'emballait.
Je proposai mes services pour l'aider, et me fit proprement remballer.

D'où mon dicton basque :

"Bi zakur joka ari direlarik, ez heien erdian sartu makil autxi batekin"

Traduction :
Quand deux chiens se battent, il vaut mieux ne pas s'interposer avec un bâton cassé.


Le vieux chien fatigué ne mourût pas ce jour là.
Mon vieux père n'arrive toujours pas à "garder ses chiens chez lui".

Les chiens d'Agorreta sont comme ses gens : indisciplinés et imprévisibles…

Je termine ici la mini-saga rurale.
Elle n'en mérite pas davantage mais demandait autant. 

Je crois en la vertu d'une mémoire fluide et imparfaite; je crois au bienfait d'une histoire racontée en en oubliant les lourdeurs. Pour s'en délivrer et ne pas s'y faire mal. Amen.

Les cristallisations en concrétions douloureuses trop tranchantes font mal.

Mon père vous le dira. Il sait de quoi il parle.
Pour lui, tout va bien, merci.





Maintenant, je vais entamer ma préparation d'Agorreta 2122. Rien que ça !





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