vendredi 8 mars 2019

LA CHATAIGNE DE GERMAIN LAFITTE


Lundi 4 mars 2019


J'entame maintenant un travail de plus longue haleine.
Je vais rapprocher mon métier de pépiniériste à la Jardinerie Lafitte de Bayonne, et la ferme Agorreta. Unir ces deux volets essentiels de ma vie.
La jardinerie Lafitte fêtera ce printemps ses trente années.
Plus loin dans le temps, les Pépinières Lafitte, ont près de 90 ans de métier.
Germain Lafitte, le fondateur de l'entreprise,  paysan de Mendionde, a initié sa carrière par la culture du châtaignier, en 1936. Son travail a essentiellement consisté à croiser les variétés de châtaigniers basques, avec les japonaises, pour améliorer la résistance de celles du cru, trop sensibles au chancre et à l'encre.
Les premières châtaignes japonaises arrivèrent au Pays Basque en 1909, importées par deux missionnaires basques.






Avec le texte  inscrit sur les caisses version intégrale japonaise. Je ne peux malheureusement pas le traduire !







J'ai dans l'idée d'adapter le livret de Germain Lafitte, édité en 1946.
Puis, d'en faire une traduction libre en Basque, notre langue natale et partagée.
L'adaptation française s'intitulera "La Châtaigne de Germain Lafitte".
La traduction fidèle mais non littérale sera : "Lekorneko gastaña".
Lekorne étant le nom basque de Mendionde.
















Après en avoir parlé avec la famille Lafitte contemporaine, je veux aussi retracer l'histoire d'un basque passionné, et visionnaire. Un homme travaillant pour l'avenir lointain, un homme œuvrant à la conservation d'une essence de son pays. Un homme attaché à sa culture, à sa terre, et à ses arbres. 
Un homme que j'aurais aimé connaître. 
Il nous a laissé ce livret, où il transmet une connaissance acquise sur des décennies d'un travail méticuleux et obstiné.
Il nous a laissé ses arbres, et la perpétuation d'une culture au plus près de la nature et de ses aléas.

Je ne pouvais qu'être interpellée par une telle trajectoire. 
Je suis certaine qu'elle en intéressera d'autres. Je suis fière de participer, même modestement,  à la continuation de son œuvre.

Je retranscris ici mes écrits du printemps 2017.

Mon projet pour Agorreta est celui-là.

Faire de la vieille ferme un endroit où la vie redevient saine et simple.

Partager le fruit des connaissances, des observations, d'une histoire et d'un passé riche et long.



Comme on partage des graines et des plants, des recettes et des bonnes adresses.



Ce projet, je l'imagine partagé.

Avec la commune d'Hendaye, déjà, nous avons uni nos forces pour réaliser ce chantier d'aplanissement, de nivellement, de ces terres accidentées.

Nous pourrions continuer dans cette belle voie.



Agorreta dans le temps, c'était pentu, saccadé.

Cette "abrupteté",  cette rudesse originelle, mon frérot l'aîné travaille à l'aplanir, à la rendre plus douce.

Ce sera plus facile de travailler sur des terres larges et ouvertes.



Agorreta, à l'origine, c'était aussi des bois, de grands arbres serrés les uns contre les autres pour se protéger, ensemble et chacun.

Mes grands-parents et parents ont tout défriché, à la main, pour cultiver. A ce moment là, ils en avaient besoin.

Aujourd'hui, il est temps de rendre au paysage ses essences.



J'ai dans l'idée de retrouver ces grands arbres, de reboiser.

Je suis là dans le cœur de mon métier : planter des arbres.

Je vois bien ici des châtaigniers, des noyers, des cerisiers et des pruniers. Quelques néfliers, ces "mispira" presque perdus, mais pas tout à fait. Je vois bien des frênes, des chênes, que je ne pourrais qu'imaginer séculaires. D'autres viendront marcher sous leur ombrage, et cette seule idée m'encourage.

Je vois aussi dans le creux d'Arkatzetako zokua, le trou des acacias, un étang, entouré d'acacias, justement. Un large banc en demi-rond où venir reposer ses fatigues, en regardant la nage lente des carpes dolentes.



Je vois des petits potagers partagés, où les uns et les autres se retrouvent dans le calme, reviennent à la terre comme on reprend racine.

Là aussi, je suis dans mon cœur de métier. Qui mieux que ceux d'Agorreta connaissent la terre d'Agorreta ? Qui mieux que ceux-là sauront où planter quoi ? Laisser à la terre remuée le temps de se fonder. Revenir à ces endroits où telle plante pousse au mieux et éviter de forcer la nature.



Je vois des gens perdus dans le béton revenir à eux, retrouver les odeurs chaudes d'une petite étable traditionnelle, caresser comme je le fais le flanc d'une vache placide et apaisante.



Voyez, je vois ces choses, et cette vision m'emplit de bien-être.

Ce bien-être à partager. Comme on partage généreusement une connaissance, la mettant en lumière.

Pas une connaissance donnée en pâtée en libre-service. Ca, Internet s'en charge bien mieux que moi !

Non, une connaissance distillée avec parcimonie et justesse, livrée comme on sort une paire de draps brodés d'une vieille armoire, pour en faire caresser le fil.

Le profane autorisé à entrer à l'ombre du temple, avec respect.



Les connaissances jalousement gardées ne servent à personne : ni à ceux qu'elles ne visiteront jamais, et surtout pas à ceux qui les couvent inutilement comme ma poule glousse couve les œufs clairets.



J'ai observé, longtemps. J'ai appris, un peu.

Je veux maintenant essaimer ce que j'ai retenu de bon, comme je donne des graines anciennes pour qu'elles aillent largement pousser ailleurs.

Ces graines capables de redonner du plant qui lui-même donnera de la graine.

Bien loin des sophistications hybridées des semences productives, certes, mais stériles.



L'homme s'est un peu perdu, emballé.



Il est grand temps de revenir à l'équilibre et à l'harmonie.

Mon modeste projet n'est qu'un tout petit caillou dans l'édifice à bâtir.

Il est à ma portée, je crois.

Je l'espère.

Je vous le livre lui aussi en partage, pour mieux le porter, ensemble.

C'était il y a deux ans, et j'ignorais alors l'existence du livret de GermainLafitte.
J'ignorais aussi qu'à ma façon, je mettrai mes pas dans les siens.

Comme quoi, il y a bien dans nos vies une trajectoire cohérente dont nous égarons parfois la vision, sans en perdre jamais tout à fait  le sens.


Mercredi 6 mars 2019 10h24

Je suis étonnée des coïncidences qui émaillent nos vies.
Le rapprochement de mes "visions" avec l'œuvre de Germain Lafitte résulte d'une trame bien antérieure, d'une congruence d'éléments disparates.
Germain Lafitte était un paysan, travailleur, courageux et ambitieux. Sa vision de l'adaptation nécessaire d'une agriculture pourtant alors florissante est remarquable de justesse et de finesse.
Germain Lafitte était un paysan traditionnel du Pays basque profond. Il élevait quelques bêtes, et perpétuait le travail de la terre de ses ancêtres.
D'où lui est venue cette passion pour la châtaigne ?







Sans doute, son histoire familiale, les circonstances de la vie, le rapprochaient d'une nature omniprésente. Il avait appris depuis sa plus tendre enfance, à travailler et aimer la terre, et les arbres.
Pourtant, à son époque, les préoccupations environnementales, la préservation des essences locales en voie de disparition, n'étaient pas au goût du jour. Il aurait très bien pu faire une carrière professionnelle florissante dans les domaines plus répandus de l'agriculture d'alors.
A la lecture de son livre, où il transmet  très sobrement une science acquise durant de nombreuses années d'observation et de travail méticuleux, j'imagine la difficulté d'alors à susciter un véritable intérêt pour la disparition du châtaignier basque, et les alternatives permettant d'y pallier.
Il faut lire entre les lignes, pour percevoir l'homme derrière son œuvre.
Cette sobriété, cette mise en retrait de Germain Lafitte derrière son travail, parlent déjà d'une culture basque profondément ancrée : ne pas se montrer, ne pas s'exposer. 
Il a su aller au delà de cette réserve, transmettant un savoir que d'autres auraient pu jalousement garder.
La science paysanne est une véritable richesse. Beaucoup de cette science s'est perdue, faute d'avoir été transmise, et recueillie.







Germain avait le goût de la pédagogie. Son livre en témoigne, où il livre, précisément, schémas à l'appui, son savoir-faire. Ce livre montre aussi la subtilité d'un homme laissant par écrit les traces de son travail, pour d'autres, pour plus tard, quand ses contemporains n'y adhéraient que mollement. Il a eu tout de même des soutiens de qualité, et les remercie d'ailleurs en avant-propos de ses écrits.
Il avait le respect de la parole, la loyauté de ne pas s'approprier tout le mérite et le succès.
Il avait le respect de la science. Il en savait le pouvoir.
Il a tenu à permettre l'acquisition de cette science à ses enfants. Deux de ses filles, Marie-Andrée et Emilie, ont bénéficié de hautes études agronomiques. Encore une fois, à l'époque, ce n'était sûrement pas chose courante, pour des filles de paysan.

Germain Lafitte a été un précurseur. Il a ouvert une voie, difficile, avec ténacité et ardeur.
Mon intérêt pour la vie de cet homme n'ira pas au delà de ce qu'il a voulu montrer de lui-même. A part son travail, peu de choses, malheureusement. Il est pourtant de ces personnalités marquantes d'une période, dont le passage contribue à une évolution notable. 
Combien peuvent en dire autant ? Combien s'épanchent et se déversent, sans avoir rien de bien intéressant à livrer ? Je me sens piteusement être de ceux là… Ca ne m'empêche pas de continuer ! Au moins, au milieu de mes babillages, Germain Lafitte trouvera une toute petite partie de l'auditoire qu'il mérite largement.

Les préoccupations de Germain Lafitte, d'il y a bientôt cent ans, nous reviennent aujourd'hui en échos saisissants.
L'actualité biologique et environnementale nous rattrape. Elle nous oblige à reconsidérer notre manière d'appréhender l'agriculture, plus largement, l'industrie, plus philosophiquement, nore manière de vivre.





Je m'en faisais la réflexion il y a peu , dans ce petit texte :

L'amorce d'une évolution rendue nécessaire et urgente par le marasme actuel de la plupart des métiers agricoles prend son essor dans la recherche d'alternatives aux cultures traditionnelles et à l'élevage intensif.
Notre environnement change. La question de l'écologie et du développement durable est au centre des préoccupations politiques.
Dans cette perspective, la réhabilitation du châtaigniers, sa revalorisation en produits performants et rentables, prend toute sa place.
Au delà de la préservation d'une biodiversité trop menacée sur les dernières décennies, la possibilité d'orienter l'agriculture vers les productions innovantes et plus respectueuses de l'environnement, mettent ce genre d'initiatives au cœur des priorités.
La culture de la châtaigne permet de produire, au bout de quelques années seulement, de la farine sans gluten, notamment, et autres produits tout aussi intéressants.
Elle permet aussi de produire du bois de qualité, en direction des industries de la menuiserie et de la papeterie, par exemple.
Elle redessine en plus nos paysages par la réintroduction dans nos panoramas de magnifiques forêts de feuillus.

Parallèlement au problème agricole et environnemental, il se présente un fléau botanique dans la culture des pins en Espagne. Propagée depuis le Portugal, une virose atteint les pins à destination des industries du bois et du papier.
Les instances industrielles et environnementales du Pays Basque Sud, alarmées à juste titre, réfléchissent à une solution de repli. La virose ne peut pas se combattre, et la disparition des pins est inéluctable. Il faut reboiser, avec une autre espèce d'arbres, à développement suffisamment rapide, et dont les qualités de bois se prêtent à cette transformation industrielle.
Les spécialistes environnementaux déplorent les massifications de boisement artificiel, en une seule espèce, propices aux propagations des maladies et des ravageurs, rendant trop vulnérables nos forêts de culture en direction d'une industrie fragilisée d'autant.
Il est question de replanter d'autres essences. Après une première ébauche sur l'eucalyptus, on s'oriente maintenant sur une culture du châtaignier.
Le châtaignier est un arbre endémique du Pays Basque. La vieille espèce de souche locale reste trop fragile. Elle est atteinte de chancre, d'encre, et de cynips. Pour la rendre plus résistante à ces maladies et insectes, des variétés asiatiques, bien moins sensibles, ont été importées depuis 1909. Germain Lafitte, le fondateur des Pépinières Lafitte, a embrayé, développant la culture du châtaignier chinois,  (oui, je sais, c'est du châtaignier japonais, mais je trouve "châtaignier chinois" plus chantant, non ?), bref, en porte-greffe de l'essence locale, en 1936.
Le procédé a fait ses preuves. Un mouvement s'amorce, en collaboration avec les communes d'Hélette, Louhossoa, Macaye et Mendionde, en partenariat avec Beñat Itoiz : Le Collectif de la Chataigne, à Bidarray.
Le soutien et la participation d'autres communes, plus importantes, et l'extension géographique à la côte de cette culture du châtaignier donnerait un élan nouveau à cette amorce.
L'idée est de relancer cette culture du châtaignier, et, plus largement, d'autres espèces endémiques, noyers, cognassiers, sur des parcelles de moyenne surface. On réfléchit aussi à la conservation de semences légumières et florales du Pays Basque.
C'est sur ce projet que travaille depuis 1996 Euskal Herriko Hazien Sarea.
Les pépinières Lafitte, historiquement et idéologiquement, seraient évidemment des partenaires privilégiés, pour la mise en culture des plants greffés.
Il y a besoin de terrains de qualité, d'une superficie modérée, avec une possibilité d'arrosage. En effet, l'année du greffage, les sujets sont très vulnérables à la sécheresse. Il faut pouvoir arroser.

Ce serait un projet ambitieux, d'envergure suffisante mais non démesurée, s'inscrivant parfaitement dans la prise de conscience écologique contemporaine.
Ce serait un projet à anticiper et prévoir dès maintenant, pour une mise en œuvre optimale et une meilleure réussite.
Il pourrait y avoir un partenariat efficace et complet, avec les différents protagonistes.

L'enjeu est essentiel pour la conservation de la biodiversité locale et celle de l'économie de notre région. Il l'est pour notre histoire, et notre avenir, proche et lointain.






A ma petite échelle, j'ai la possibilité de perpétuer le travail initié par Germain Lafitte.
Je compte bien m'y employer.

Maintenant, je vais m'effacer derrière Germain Lafitte, et lui redonner sa parole.
La suite ne sera pas une traduction littérale de son livre. Certains passages très techniques me demeurent obscurs. Pour les puristes, je les transcrirai tels quels.
Pour le reste, j'essaierai de deviner l'homme derrière la plume. Mon interprétation en sera hasardeuse, peut-être. Elle s'appuiera autant que possible sur les éléments recueillis auprès de ceux qui l'ont connu Elle s'appuiera aussi sur l'intuition et la transcendance d'une culture transmise de générations en générations paysannes. 

Son livre pourrait être réédité. La décision ne m'appartient pas.
Je conserve précieusement l'un des quelques exemplaires encore en circulation. 
En espérant que le germe en soit fertile !









Mercredi 6 mars 17H

J'ai imaginé à ma façon romanesque Germain Lafitte venu greffer des châtaigniers sauvages sur les terres d'Agorreta. Ca aurait pu être : d'importants travaux de remise en culture de nos forêts se son faits dans les années 40-50. A l'époque de la pleine expansion de l'entreprise Lafitte. 
Sur ces terrains de Dongochenia, où mon oncle Nikolas a voulu laisser sa trace en y semant des pignes de pin des Landes. Ici, malmenés par les vents violents au souffle sourd d'une rage mauvaise, les silhouettes de ces pins sont restées trapues et courtaudes. Près de 80 ans plus tard, ces pins au destin tourmenté s'évasent généreusement, loin des flèches culminantes à des 50 mètres de hauteur de leur souche landaise.







Quelques dizaines de mètres plus loin, les pins issus des mêmes pignes s'allongent en fûts longs et droits. Là, le vent les ploie moins, et ils se hissent audacieusement vers le ciel, telles des colonnes d'Agamemnon, de part et d'autres d'un sentier qui va vers la mer.




J'ai mené mes investigations dolentes en me promenant dans ces sous-bois là. La stature d'immenses châtaigniers en futaies, sabrés à un mètre de leur base, puis, repartis en pousses, m'a intriguée. C'est là que j'ai imaginé la main de Germain.











Plus plausiblement, ces silhouettes "nabodes" sont la conséquence de ce que Jean-Michel de la jardinerie m'a appelé la "taille têtard". Je ne connaissais pas ce terme. Je connais le procédé, encore utilisé, quoique rarement. On coupe un arbre en laissant la souche vive avec une section de tronc de un ou deux mètres. On peut utiliser le bois en chauffe, en menuiserie, ou pour la fabrication de piquets et de manches. Une manière de quincaillerie sur pied, et en sève.
Cette manière de traiter les arbres me paraît bien  barbare. Plus ou moins dans la lignée de ces fœtus engendrés pour servir de "magasins" d'organes. Les justifications existent, et la méthode est efficace. J'en conviens. Je ne peux étouffer le sentiment pour autant.
Prosaïquement, on prélève plusieurs fois sur la même bête sa pitance. 
Le plus souvent, l'arbre sacrifié ne meurt pas. Il repart en pousses, d'autant plus vivaces d'avoir senti la fin si proche, dirait-on. Toujours avec l'esprit romanesque.
Mon oncle, et, plus largement, ma famille, sont des gens attachés au profit à tirer, du travail, de la terre, et, dans la foulée, sans doute, des arbres !






Les châtaigniers sabrés il y a près de 80 ans pourraient tout à fait avoir été leur œuvre. C'est d'ailleurs ce que mon père m'a confirmé.
La souche originelle, au vu de sa circonférence, devait en avoir le triple. Cela nous ramène à  trois siècles en arrière. Ces châtaigniers, protégés dans les futaies ventées de nos terres littorales, seraient les survivants de la souche basque, décimée par le chancre et l'encre.
Là, c'est tout à fait plausible. Bien plus que mon histoire de greffe..

Tout de même, contre toute vraisemblance, je persiste à penser qu'un Germain Lafitte aurait pu, tout comme moi, se promener dans cette forêt. Y avoir repéré ces beaux châtaigniers. Avoir senti leur souffrance. Et saisi l'occasion pour les greffer, et faire d'un massacre la renaissance d'un arbre plus résistant encore.
En cherchant, je n'ai pas trouvé trace du bourrelet de greffage. Germain aurait été bien adroit, ou la nature longue bien magnanime, pour absorber la cicatrice et la rendre ainsi invisible.
J'en tiens pour ma théorie. La réalité est plurielle et mes digressions plus chatoyantes.

La vue de chênes centenaires taillés de la même manière a à peine bousculé mes croyances rêveuses.

















Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Dieu sait que je suis bien placée pour le savoir !

Ces Phoenix immenses au beau milieu de nos chênes du pays parlent d'exotisme et de fantaisie, aussi. Ils existent de toute leur masse et de toute leur énergie végétale. Ils s'y sont fait leur place, acceptés par leur rareté même.




Les idées sont ainsi : les plus incongrues peuvent s'y faire une place, encore..
Les miennes viennent d'une souche de paysans taiseux et sobres. La même souche que celle de Germain Lafitte. Pourtant, leurs arborescences où je me perds parfois moi-même sont bien étrangères à l'économie de paroles et de pensées de notre peuple. 
Nos "bertxulari", ces conteurs-improvisateurs-chanteurs ne sont pas en reste d'imaginaire. Ils sont aussi la tradition basque.  Ils sont l'exutoire chanté d'une souche profonde. 
Bon sang ne saurait mentir. Mes chants à moi sont dans la mélodie de mes phrases. Et mon imaginaire, partout, et même là où ne le voudrait pas !

Je pense à la difficulté pour Germain Lafitte de faire admettre cette introduction de châtaigniers japonais au Pays basque.
Les basques ne sont pas trop réputés pour leur ouverture sur le monde… J'en suis une, je peux me permettre de le dire !
Notre esprit aventurier, pourtant, a donné son plein, du temps où nos pêcheurs partaient pour des mois à la pêche à la baleine, sur les lointaines mers de haute Atlantique.
Il a encore essaimé nos bergers en Amérique.
Sans doute, poussés par la nécessité de faire leurs vies ailleurs, les cadets de nos familles traditionnelles ont-ils été obligés de s'expatrier. Notre culture paysanne ancienne laissait à l'aîné la prérogative de rester dans la ferme familiale, lésant les suivants de leur juste part. Tout le monde prenait sa charge de travail et contribuait à la vie de la ferme, un seul en profitait, à l'âge adulte. 
Ceux qui ne finissaient pas curés ou bonne-sœurs étaient bons pour partir, s'exiler, bergers, ouvriers, ou femmes de service. 
Les complaintes de ces émigrés d'alors, chantant leur nostalgie du pays, sont poignantes.
C'était ainsi, en ce temps-là, Dieu merci révolu pour les fratries nombreuses !
Il n'est peut-être pas surprenant dans ces conditions que les "indigènes" restés au pays, cultivent inconsciemment une part atavique de culpabilité, comme les survivants d'une catastrophe injuste peuvent l'éprouver vis-à-vis des morts, quand eux-même auraient pu perdre la vie.
Et que cette part de culpabilité, de honte rentrée, les mène à s'enfermer davantage en excluant l'"étranger", le "dehors". 
Là, nous avançons sur un terrain miné, et ce n'est pas mon propos. 
Le tourisme florissant de notre région permettra sûrement aux Basques de s'ouvrir. les brassements cosmopolites, les nouvelles technologies de communication, contribueront forcément aussi à cette ouverture. Que je pense souhaitable, pour ma part.
On peut, je le crois,  conserver ses caractères, ses particularités, et rester disponible aux autres, à la richesse croisée qu'ils peuvent apporter.
Les châtaigniers japonais introduits au début du siècle précédent ont sûrement eu du mal à forcer cette barrière.
Germain Lafitte a du imposer toute sa force de travail, son opiniâtreté à défendre ses convictions, pour réussir cette "immigration" botanique.

Pour autant, la massification de ces entrées de plantes exotiques montre aujourd'hui ces limites. 
Notre phoenix, éparpillé ici et là, se fait une place. S'il devient trop présent, si sa silhouette envahit nos paysages, cette "invasion" se fera au détriment des espèces locales. 
Je travaille en jardinerie, je sais de quoi je parle.
Nos jardins et nos terrasses modernes se peuplent d'espèces exotiques, méditerranéennes. Le réchauffement du climat, de l'ordre de deux trois degrés par siècle, (pour ce que j'en sais !)n'explique pas le phénomène ! Nous sommes loin au Pays basque des déserts arides, tout de même !
L'appauvrissement de la diversité botanique se profile. Si nous n'y prenons pas garde.

Les plantes "importées", hors de l'équilibre botanique de leur région d'origine, deviennent vulnérables à des viroses ou à des insectes. Ils importent la maladie ou les ravageurs, sans importer les conditions climatiques, botaniques ou zoologiques pour lutter contre.
L'exemple du cynips sur le châtaignier, justement, est typique. Au japon ou en chine, le prédateur naturel de ce ravageur régule un écosystème équilibré.
Au Pays Basque, ce prédateur n'existe pas. Il faudrait l'importer, lui aussi, à grand frais.
On ne prélève pas une espèce végétale, animale, (ou même une population humaine ?), de son lieu originel, sans la mettre en difficulté lors de sa transplantation ailleurs, si l'on a pas pris la précaution d'assurer les meilleures conditions de cette transplantation.
Là aussi, je suis en terrain miné, hors de ma compétence, du moins…

La légitimité de l'introduction nécessaire au renforcement de la résistance à l'encre et au chancre de nos châtaigniers, sinon voués à disparaître, ne se discute pas.
Le trop grand développement de ces hybridations fragilise l'espèce.
Il y a un juste équilibre à trouver, si l'on ne veut pas se lancer dans la course éperdue à la lutte biologique contre de nouvelles viroses ou prédateurs.
Ce qui aurait pu sauver une espèce, la perd.
Pour exemple bien parlant, le frelon asiatique décimant nos colonies d'abeilles.
La nature ne se dompte pas comme une marchandise manufacturée. L'homme y a sa place, mais il n'en a pas la souveraineté incontestée.

Mon projet est à toute petite échelle. Je ne compte pas peupler des hectares de châtaigniers hybrides. Je veux juste les mettre en culture, mélangés à d'autre espèces endémiques, ou pas.
J'espère ainsi travailler efficacement au maintien d'une espèce croisée des qualités basques et asiatiques. Sauver ce qui peut-l'être sans bouleverser, au risque de détruire davantage encore.
Comme disait l'autre : sinon soigner, du moins ne pas nuire.







La culture basque perdurera, malgré les difficultés. Elle s'enrichira d'autres cultures, justement intégrées. 
Ses essences subsistent.
Nos châtaigniers résistent, et notre aide, même la plus modeste, galvanisera cette résistance.

Si je ne devais laisser que cette seule trace, ce serait déjà une jolie empreinte.

Ma descendance ne sera pas de chair et de sang. Elle sera de sève et de mots.





 Vendredi 8 mars 2019 10h24


Je demande dans un premier temps la plus grande mansuétude pour la qualité de mes numérisations.
Mon propos est de ne pas laisser tomber dans l'oubli l'ouvrage d'un homme de grande qualité. L'homme, et l'ouvrage, dans sa technicité et son contenu pédagogique.
Il aurait sûrement mérité davantage de soin et de savoir-faire. 
J'ai plaisir à faire ce travail de restauration et de conservation. Ce n'est pas pour moi une tâche pénible. Je ne veux pas que ça le devienne ! 
Je confie en images à Gueguel, mon conservatoire, les pages du livre de Germain Lafitte. Je le fais imparfaitement, n'étant pas très calée dans ces techniques. Peut-être trouverai-je le soutien de quelques informaticiens plus avisés. Sinon, au moins, même imparfaite, la restitution d'un livret oublié sera-t-elle possible.





























Ce premier chapitre évoque un homme tenace et passionné. Il s'est astreint à des études sûrement ardues et roboratives. Sans doute a-t-il été controversé par des scientifiques peu enclins à prendre au sérieux les études botaniques d'un profane. Pour revendiquer la légitimité de son travail, il a du étudier, longuement. L'utilisation des termes techniques est sa manière de fierté. Il a appris, et se met au niveau de ces scientifiques 'hors-sol". Il les défie sur leur propre terrain.
La combativité basque n'est pas une légende !

Il se montre aussi reconnaissant envers ceux qui l'ont soutenu. Ceux qui l'ont précédé dans sa recherche de réhabilitation du châtaignier basque, menacé par des maladies foudroyantes et ravageuses.
Ces pères missionnaires, voyageurs, ne se sont pas cantonnés à répandre la bonne parole religieuse. Ils ont aussi contribué à la première "mondialisation" positive. Ils sont allés chercher loin un savoir et une expérience, des plants et des opportunités d'améliorer leur richesse natale.
J'imagine combien ces premières caisses de châtaignes en provenance des pays asiatiques ont du soulever la curiosité, l'enthousiasme… et la méfiance, aussi !
Germain Lafitte a su embrayer. Il a su flairer l'occasion de sauver ces châtaigniers en péril.

Attaché à la richesse botanique du Pays basque, il a ardemment défendu ses théories.
J'imagine combien a fallu de ténacité et de capacité de résistance, pour ne pas se décourager par les premiers échecs, inévitables, et par le scepticisme atavique ambiant . 
J'imagine aussi l'exaltation des premières réussites, la ferveur partagée de ces pionniers botaniques.
A leur manière, fédérés par l'objectif de sauver les châtaigniers basques, ils ont été des aventuriers, courageux et visionnaires.

La suite de la carrière professionnelle de Germain Lafitte, l'expansion de son entreprise, et son activité contemporaine, confortent cette image d'un homme de la terre, à l'esprit ouvert et élevé.
Sa ténacité a fondé la matière d'accomplir ses projets, ambitieux, et utopiques, pour l'époque.
La suite lui a largement donné raison. 
La suite a montré la prévalence d'une expérience au plus près du sujet, sur les théorisations savantes et  académiques.
La suite a réhabilité le travail de la terre, au plus près de la nature et de ses règles, le travail paysan.
Germain Lafitte est une des rares figures de notre monde paysan, justement, à avoir osé conquérir le savoir scientifique, avec respect, ambition, et audace.
Pour les réconcilier, peut-être, un jour, et faire de cette réconciliation la base d'un travail plus pragmatique et efficace.




Lundi  11 mars 2019 10H

Je continue sur le deuxième chapitre du livre de Germain Lafitte :
















Là, l'homme donne une idée de la minutie de son travail.
Il a fallu du temps pour répertorier toutes ces variétés.
Il a fallu tu temps pour en vérifier les caractères, vérifier leur stabilité sur trois générations.
Imaginez le nombre de plants germés, surveillés, observés, pendant plusieurs années, jusqu'à la fructification.
Imaginez les joies à conforter cette permanence des caractères, sur au moins une vingtaine d'années, puisque les châtaigniers japonais les plus rapides,  commencent à produire au bout de cinq ou six ans.
Voyez la précision des observations.
Notez le goût de notre langue basque, pour donner des noms d'ici à ces variétés.
Remarquez aussi les rectifications sur les appellations, approximatives sinon, des variétés importées.
Je ne pense pas que Germain Lafitte ait reçu la langue nippone avec son premier lait.
Il a du s'astreindre à des recherches pointues. Sans doute les pères missionnaires prédécesseurs de son œuvre l'y ont-ils aidé.
Tout de même, il fallait une sacré dose de persévérance et de ténacité, pour ne pas se laisser rebuter pas toutes ces difficultés ajoutées les unes aux autres.

On devine là encore l'homme passionné par son travail, l'homme décidé à mener à bien une entreprise ambitieuse, l'homme obstiné et patient, le paysan habitué à se soumettre aux caprices de la nature, aux échecs, aux déceptions après des années d'un travail assidu, gardant toujours en visée la réussite, au bout.

Je dois avouer ne pas avoir retenu les caractères de toutes les variétés savamment observées et cultivées par Germain Lafitte.
Je vais me contenter de cueillir cet automne les châtaignes des différents arbres de notre "montagne", ces terrains de Dongochenia. Je sais déjà la diversité de ces fruits. Je pourrais les rapprocher des photos et des notes de ce livre, et en reconnaître forcément quelques unes.
Me fondant sur ce travail d'observation et de culture, je pourrai alors avancer à mon tour, dans mon projet.

Les terrains de la "montagne" (50 mètres au dessus du niveau de la mer), me tendent une aire d'investigation agréable.



Au grand soleil, face à la mer, couvée par le long flanc du Jaïzkibel tout proche, je vais repérer les châtaigniers que je connais déjà. J'ai récolté maintes fois leurs fruits, et en connais la disposition dans les bogues, la forme et la couleur.
Je ferai les rapprochements avec les travaux de Germain lafitte, pour déterminer au mieux les variétés : indigènes, hybrides, ou japonaises. Sans doute, en majorité, hybrides, le pollen étant volatile, et les fécondations croisées virulentes.
Mes châtaigniers nabots du fond de vallon, même si leur souche originelle est antérieure à l'importation des châtaignes japonaises, peuvent avoir été pollinisés par l'essence asiatique.
J'examinerai les bois, bien visibles dans leur parure hivernale, je scruterai les feuilles, les fleurs, les bogues et les châtaignes.
Mon travail ne sera pas aussi minutieux que celui de Germain Lafitte. Je n'ai pas comme lui le feu ardent, mais j'ai un peu de patience encore, et le sens aiguisé de l'observation. Ca m'aidera, bien suffisamment pour contribuer au repeuplement de nos châtaigniers.

















Je ferai mes recherches vagues et pourtant attentives au grand air, dans mes paysages bucoliques, mes paysages aimés. 
Des châtaigniers, autour d'Agorreta, il y en a. Des vieux, tortueux et noueux, accrochés à la terre comme ces grands pins bousculés par le vent fort.
Des lisses, des crénelés, des ocellés et des striés. Tous différents et riches d'une histoire à raconter.
Ces jeunes pousses fusant de vitalité en pied de troncs aux branches sèches, ces plants vigoureux nés de sujets en déclin, ces spécimens fiers et droits, en pleine force, dressés dans les broussailles, tout cela parle d'une possible renaissance, d'un élan nouveau à accompagner.
Les épidémies, dans les arbres comme chez l'homme, ces attaques parfois foudroyantes qui déciment nos plus belles forêts, régulent un écosystème fragile. 
La nature reprend ses droits, la vie ne lâche pas.

Nos violettes presque disparues de nos talus il y a peu reviennent égayer notre sortie d'hiver.



Tous ces signes encouragent l'espoir et l'enthousiasme.
Je n'aurai pas la ténacité d'un germain Lafitte. Je n'en ai pas l'étoffe. 
J'ai la mienne, différente. 
Chacun joue sa partition, à sa manière.
Le tout est de ne pas jouer faux…

Notre Germain Lafitte, plongé jusqu'à s'y perdre dans ses recherches, brûlé par le feu ardent de la passion, aveuglé par une obstination paysanne, et tiré en avant par ses réussites, devait être un homme ombrageux et exigeant. Je l'imagine ainsi.
J'espère recueillir des témoignages de gens l'ayant connu. De gens ayant travaillé avec lui.

Non, ce Germain Lafitte, pour ce que j'en perçois, ne devait pas être drôle tous les jours…





Mercredi 13 mars 2019 10h



Dans les chapitres suivant, l'homme donne le plein de sa technique culturale.
Il n'y a rien à rajouter à ce savoir-faire ancestral. Juste s'incliner.























































Germain Lafitte retrouve ici son cœur de métier. Il ne cherche plus à égaler les érudits qui peut-être n'ont pas accordé suffisamment d'intérêt à ses recherches agronomiques.
Je pense que c'est ce mépris qui a conduit ce paysan à inciter ses filles à poursuivre des études dont le manque lui a coûté.
Après avoir, dans les chapitres précédents, montré qu'il était capable lui aussi d'apprendre, et de régurgiter une science froide et académique, un peu rébarbative pour les profanes, il faut bien le dire, il revient à son essentiel, le travail de la terre et sa culture.
Dans ce domaine, dans "son" domaine, il est sûr de lui. Il fait preuve d'un grand esprit de pédagogie, se mettant à la portée de ceux que son enseignement intéresse, érudits ou non.
Il sait bien que ce ne sont pas  majoritairement les scientifiques en blouses blanches qui vont mettre des bottes aux pieds et prendre le manche de la bêche !
Il s'adresse davantage à ses pairs, à ses frères paysans, ouvriers de la terre et de la nature. 
Son langage redevient simple et pratique. Au plus près de son travail.

Je remarque aussi son sens paysan du profit, de la rentabilité. La culture de la châtaigne est une culture productive et économiquement plus intéressante que l'élevage ou les céréales.
On pourrait dire qu'il anticipait déjà le déclin de ces secteurs traditionnels de l'agriculture. La transition était prévue en douceur. La plantation d'arbres déjà grands, en demi-tiges, permettrait de faire cohabiter le repeuplement en châtaigniers et l'élevage des moutons, alors principale source de revenus pour les paysans autour de Mendionde.
Germain Lafitte voyait loin. Il restait pratique et sons sens de l'économie  florissante n'était jamais loin. 
Les tournants qu'il a su prendre par la suite, le développement de l'entreprise, où il a eu sa part, même si maintenant ses descendants ont bien-sûr pris le relais, hors de son ombre, démontrent cette justesse de vue, cette capacité à prévoir l'avenir à moyen et long terme, et à anticiper les décisions à prendre pour faire prospérer ses intérêts, et évoluer ses idéaux.

Germain Lafitte est un paysan, je le redis. c'est un homme attaché intimement à la terre, aux arbres, à la conservation des traditions et des espèces endémiques.
Il a su ouvrir l'horizon à d'autres cultures, à d'autres espèces de châtaigniers, quand à son époque ce n'étaient sûrement pas les préoccupations et les courants de pensée du moment.

Je reconnais en cet homme le subtil équilibre entre les élans presque utopiques, et le pragmatisme solide et efficace.

La construction de son livre est étonnante. Il monte au front dans un premier temps, contre ce pouvoir de la science élitiste où il a du maintes fois essuyer des affronts.
Ensuite, comme pour se ressourcer, il "reprend le manche". Du moins, il reprend plus sereinement le contrôle de la situation, retrouvant son terrain favori.
Pour finir, et les derniers chapitres le montreront, il livre ses secrets. Avec minutie et sens de la pédagogie, là encore.
Il les livre en manière de présents précieux.
Lui a mis des années et des années à acquérir ce savoir. Il a du attendre, observer, travailler, sans relâche et sans se décourager. 
Ce savoir acquis de longue lutte, à force de peine et sueur, il le partage.
Il le fait en fin d'ouvrage, pour bien en faire sentir l'importance.
L'ordre des chapitres ne serait pas le même, s'il avait voulu respecter la chronologie des opérations.
On ne récolte ni ne conserve pas les châtaignes avant d' en avoir semé et greffé les plants.
On n'en observe pas les caractéristiques avant de les avoir obtenues, bien après toutes ces opérations.
Ce désordre apparent est en fait la trame tout à fait cohérente d'une réflexion pleine de bon sens, si on comprend ce parcours comme je le comprends.
La fierté d'avoir conquis une science difficile, la sagesse de revenir à ses fondements, la bonté de partager ce savoir, et la retenue de le livrer comme on transmet quelque chose de fondamental, qui se mérite et se respecte.

Je me trompe peut-être. Mon interprétation est sans doute romanesque. 
Je pense que Germain Lafitte l'était aussi, à sa manière, romanesque,en couvant cette sensibilité sous des dehors plus abrupts. J'ai connu le même type d'homme, à Agorreta : mon grand-père maternel !
Ceux qui ont connu Germain lafitte me le confirmeront, ou pas !


Vendredi 15 mars 2019 11H

Nous en arrivons aux derniers chapitres de l'ouvrage de Germain Lafitte.
Comme je le relevais plus haut, ils auraient pu être les premiers, dans la logique culturale.
On sème, on repique, on greffe; on attend la production en suivant ses cultures. On récolte, on observe, on conserve.
Notre Germain, en bon paysan de souche, a livré son savoir par petites bribes. Comme s'il avait hésité à aller jusqu'au bout de la transmission. Ou alors comme s'il avait douté de sa capacité à écrire un ouvrage entier, et avait voulu avant tout répertorier le fruit de son travail, au cas où il n'aurait pas eu l'opportunité d'en délivrer le déroulement complet.
Sa ténacité et son opiniâtreté lui ont donné cette patience de s'astreindre à l'écriture, et de faire de son travail érudit une œuvre finie.
Germain Lafitte, humblement, présente ce livret comme un travail à faire évoluer, une étape dans les découvertes sur les châtaigniers. Il espère lever des vocations. Le travail entrepris n'est pas à l'aulne d'une vie d'homme. Il est long, lent, au rythme d'une nature qui ne se bouscule pas. Au mouvement d'une nature toujours évolutive, où rien n'est figé, même si notre échelle de temps humaine ne nous en laisse pas voir l'élan.
Il livre ses "secrets de fabrication" les plus précieux. Ceux qui assurent la meilleure réussite, comme pour les astuces de cuisine. 
Il a du réfléchir un moment, avant de dévoiler ainsi le fruit de tant d'années de travail, sans doute souvent controversé.
Pourtant, le bénéfice d'une science transmise lui est apparu supérieur à cette tentation de ne pas donner à voir, et à savoir. Il a bien compris qu'il ne se servirait peut-être pas de ce qu'il avait si longuement appris, dans l'autre monde ! Que sa science, s'il ne la transmettait pas dans le détail, serait perdue avec lui, et ensevelie dans cette terre où les châtaigniers mal conduits péricliteraient.
Dans notre tradition basque, beaucoup s'est ainsi perdu, faute d'avoir été donné à temps, ou bien recueilli. C'est bien dommage...
Pour illustrer cet état d'esprit bien préjudiciable à l'évolution de notre savoir-faire, à la réutilisation de l'expérience des anciens, une petite anecdote :
Dans le temps, une équipe de quelques femmes allaient de ferme en ferme, au moment des "cochonnailles". Elles étaient les détentrices toute puissantes des recettes culinaires jalousement gardées. Elles ne voulaient pas partager ce savoir-faire, sachant qu'alors, elles en  perdraient la prérogative, comme on perd un pouvoir exclusif. Elles travaillaient dans le secret, entre elles, et leurs tours de main tombaient dans les bouillons de leurs dernières bassines.
C'était peut-être l'occasion pour les suivants d'improviser, d'innover, de transcender, pourquoi pas ? Encore que, je le crois, on puisse se montrer novateur en se servant des connaissances anciennes.
Ce réflexe paysan, ce réflexe de gens qui ont connu des situations difficiles, le temps de guerre, le temps du manque, où posséder est une chance de survie, où posséder doit rester secret, pour ne pas attiser les convoitises et risquer la perte, Germain Lafitte, à cette époque, devait sûrement n être imprégné.
Son livret en est d'autant plus méritant. Il a du sublimer une nature profonde conditionnée sur plusieurs générations. Il a vécu la seconde guerre mondiale, et aussi "l'autre guerre", comme il la nomme, la première. Cette histoire personnelle moulue dans la Grande Histoire ne peut qu'y être soumise. Il doit falloir une bonne dose de capacité de résistance et une vision longue et juste, pour s'affranchir de telles pesanteurs.
Heureusement pour nous, Germain Lafitte les a eues, cette résistance et cette force d'outrepasser les limites de son temps, de ses contemporains, et de son sang paysan.
Voici la fin de son livret, avec, curieusement, la "table des matières" en dernier, quand le "sommaire" présente un plan, au début. Ce "table des "matières" fleure bon son institutrice. Sûrement les restes des années scolaires, ou alors, l'aide d'une enseignante. 
Voici aussi la partie rajoutée 25 ans après la première mouture.
Voici les mots d'un homme conforté par le temps dans son travail.
Voici les réflexions d'un homme, étrangement d'actualité, cinquante ans plus tard.
Le temps de l'évolution des mentalités est long, lui aussi, bien long et lent…








































Je n'aurai sûrement pas la patience d'attendre 25 ans pour reprendre ce récit.
Je pense le faire évoluer moi aussi au fil du temps et des évènements. Retracer mes observations au fil des saisons, restituer mes images et mes comparaisons, livrer mes remarques et mes conclusions.
Mon travail sera celui de la terrienne que je suis. Mon érudition est bien pauvre, et son acquisition me paraît ardue. Trop pour moi, mieux séduite par les intuitions, l'imaginaire, et une manière de poésie inspirée par mes éléments. 
Je resterai pourtant au plus près de la terre et des plantes. Je connais et j'aime ce travail là. Je pense pouvoir apporter une contribution efficace, même modeste, à la préservation de nos châtaigniers et autres espèces d'arbres locales.
Les arbres m'ont souvent protégée et apaisée.
La terre m'a nourrie et elle me ressource toujours.
Mes rêveries, mes mots désordonnés et fantaisistes, me donnent le plaisir tout simple et la joie plus profonde.
J'ai appris moi aussi l'humilité de regarder la nature dans sa force et sa magie.
Mon tempérament, ma lignée, m'ont transmis l'obstination de ne pas m'y décourager.

Si je le peux, j'enrichirai mon ouvrage, en y ajoutant les souvenirs des contemporains de Germain Lafitte, les souvenirs de ses descendants. Je le ferai au fur et à mesure de mes cueillettes, sans presse.
Mon livret sera collectif, ainsi, et l'élan de tous s'y inscrira.
Il sera évolutif, à l'image de ce dont il parle.

En attendant, mes divagations me distraient et, je l'espère, en distrairont d'autres.


Lundi 18 mars 2019 10H15

J'entame la collecte des souvenirs glanés ici ou là.

José-Angel Olaizola.
Aujourd'hui à Zugarramurdi, cet homme de 81 printemps a travaillé pour Germain Lafitte dans les années 55 à 57.
Originaire d'Urdax, il se souvient bien de cet homme, patron juste et intransigeant. 
Germain Lafitte, aux dires de José-Angel, était un homme de parole. et de confiance partagée. Il récompensait ses employés en leur prêtant le fourgon de l'entreprise, les dimanches, pour aller voir les parties de pelote alentours.
Les ouvriers étaient nourris, logés si nécessaire, et épaulés dans leurs démarches personnelles.
Pour exemple, Germain Lafitte avait promis à José-Angel, au moment de son embauche, de lui obtenir les papiers pour sa naturalisation française. Et il l'a fait.
Madame Germain Lafitte était institutrice. On la retrouve ici,  cette patte d'enseignante, devinée en ombre chinoise, avec la "table des matières". Elle participait activement, dans l'ombre de son époux, (qui devait être de grande portée !), à la marche de l'entreprise alors en plein essor. Elle assurait l'administratif et la comptabilité. Elle a sûrement du aider son mari dans l'élaboration de son livre, lui apportant l'appui de son instruction. Sans doute était-elle trop effacée pour paraître à ses côtés sur la couverture, ou plutôt la troisième page (!) de l'ouvrage.
Chacun était à son poste, dans l'affaire, et tous bien occupés.
Il y avait une cuisinière, pour assurer l'intendance, sans doute lourde, de la préparation des paniers repas pour les travailleurs de plein champ. 
Il y avait aussi Mailuix Etchepare, dite Loulou, pour la garde des enfants Lafitte. A plus de 90 ans "Loulou", toujours à Mendionde,  régalait, jusqu'à il y a encore peu, ses anciens "petits", devenus grands, en leur préparant régulièrement des repas fastueux, heureuse de la réussite de cette grande fratrie réunie autour d'elle.
Son dévouement, sa dévotion, pourrait-on dire, à Germain Lafitte, s'est maintenue indéfectible tout au long de leur vie commune, et même au delà !

Une anecdote amusante fait encore rire José-Angel :
Il y avait à l'époque une cohorte d'ouvriers portugais. Ils étaient détenus en prison, et Germain Lafitte, en une manière avant-gardiste d'insertion sociale, les employait. (Son côté économe l'incitait-il aussi à utiliser une main d'œuvre "low cost" ?)
Ces ouvriers portugais, habitués aux rudes conditions de la détention, urinaient dans leurs paumes pour se laver les mains, avant de manger !
Les autres travailleurs, dégoûtés par ses manières rustres, avaient demandé à la cuisinière de séparer leurs paniers de ceux destinés aux portugais. Déjà, la ségrégation…
Là, le souvenir de José-Angel est un peu confus. L'une des 3 dames à la tête de l'entreprise, l'épouse, la cuisinière ou la nounou, aurait vertement réagi, à cette déplorable manie des prisonniers portugais, par un "Les salauds !" tonitruant et convaincu. Dont José-Angel garde encore le souvenir vif en tête !

José-Angel est ensuite revenu à ses premières amours dans la boulangerie.
Il garde un très bon souvenir de son ancien patron, et de ses jeunes années eu grand air  !

A tel point qu'il a encouragé son fils à travailler pour l'entreprise, bien des années plus tard.
Chez les Lafitte comme chez leurs employés, on a le sens aigu de la dynastie !

A ce propos, puisque la jardinerie va fêter ses 30 printemps, je n'ai pas pu, comme souvent à ces occasions, m'empêcher de compulser notre album photos.
J'ai retrouvé cette image d'il y a cinq ans, avec le texte (on ne se refait pas) de l'époque :


Décembre 2014

Bonnes fêtes de fin d’année à vous tous !




En ces dernières semaines de l’année, l’ambiance est à la fête.

Toute la pluie tombée sur notre potager rend la terre impraticable. La mauvaise herbe tapisse sournoisement les plates-bandes. Les températures encore douces ne la réfrènent pas assez. L’effet visuel est un peu décourageant. Mais il ne faut pas céder à la tentation. Biner une terre détrempée est une catastrophe. Les mottes s’agglomèrent en tas collants et endommagent les collets des plantules fragiles si on les remue.

Jardiner, c’est savoir attendre. Attendre le bon moment, les maturations et la bonne saison. Inutile de trépigner l’outil à la main, prêt à planter la bêche dans la boue. Ce serait désastreux et totalement improductif.

A la limite, si vraiment le désir de faire vous tenaille, ou si vous ne supportez plus de voir l’adventice envahir inexorablement, vous pouvez tirer l’herbette à la main. Délicatement, en restant le plus possible en bordure pour ne pas piétiner. En effet, si vous tassez la terre par votre poids (même modeste…) vous allez bloquer encore davantage la circulation de l’air dans les premiers centimètres du sol. Et compromettre l’équilibre de la vie bactérienne garante de la réussite de vos cultures.
Soyez patients, le temps viendra. Une bonne période de froid asséchera tout ça en quelques jours, et vous pourrez alors reprendre efficacement l’outil et sarcler soigneusement.

En attendant, profitez donc de cette période particulière pour vous réunir entre amis, prendre du bon temps et savourer votre intérieur douillet et confortable.
Ici à la Jardinerie, nous en sommes aux derniers sapins.
L’année se termine. La première année de notre potager au naturel.


Toute l’équipe se joint à moi pour vous remercier de votre fidélité et de votre attention à notre activité.

Durant ces vingt-cinq dernières années, nous avons traversé ensemble l’évolution des métiers de la jardinerie.
Nous mettons tout en œuvre pour mériter et continuer de garder votre confiance et votre estime.
Cette longévité est une assurance et une garantie pour vous et pour nous. Nous n’avons pas d’autre souhait que de continuer sur la même voie, encore et pour longtemps.
C’est l’occasion pour moi de vous présenter l’ensemble de notre équipe. Peut-être ne nous connaissez-vous pas tous.
Voici dans ce cliché l’équipe au complet, réunie le jour de notre inventaire, à la fin du mois de juin.
L'équipe au complet pour les 25 ans de la jardinerie!
Pour vous aider à mieux nous retrouver, je vous détaille un peu nos différents domaines d’action :
Dirigeant la manœuvre trois têtes pensantes :
- Nathalie, à l’administratif et aux finances. Elle tient les cordons de la bourse, et, en bonne fille des environs de Garazi (Saint-jean-Pied de Port), elle les tient ferme (certains diront même… fermés !)

- Jean-Michel, notre directeur. Un homme plein de bon sens, courageux et dynamique. S’il était un demi-poil plus patient, ce serait l’homme parfait. Il dirige depuis son bureau, comme de juste, mais, quand l’activité se fait pressante, vous le croisez aussi dans les rayons, avec nous tous.

- Philippe. Lui, vous ne pouvez pas le manquer. Il est toujours présent pour vous. Le client, c’est sa passion, son credo. Il met tout en œuvre pour vous servir au mieux, et nombreux sont les clients (et clientes !) qui le réclament à corps et à cris. Ca nous rend un peu jaloux, forcément, mais bon, que voulez vous, nous respectons vos préférences…
A tous les postes de gestion et autres administratifs :
- Michèle, présente depuis pratiquement les débuts de la jardinerie. Et toujours souriante et discrète, jamais un mot plus haut que l’autre, depuis toutes ces années. Vous l’avez souvent au téléphone « jardinerie Lafitte, bonjour », et parfois à l’accueil, certaines fins de semaine. Elle si calme et sereine. Et pourtant passionaria indéfectible de l’Aviron Bayonnais. Elle suit les performances de son club avec assiduité et tous les lundis matins, nous lisons sur son visage les réussites ou les échecs de l’équipe locale.
- Sophie, blonde aux yeux bleus et au rire facile, un teint de porcelaine. Méthodique et précise, elle suit tous les flux d’un œil aigu. Maman depuis peu d’un petit Lucas.
Ensuite, aux différents secteurs de la Jardinerie :

Dans l’ordre géographique :
 Pour l’animalerie :
-      Maïté. Dans les premières arrivées elle aussi, elle a connu les tout débuts. Elle dirige l’animalerie, de main de maître.
-      Cyndie, la jolie blonde aux grands yeux noisettes, toujours partante pour toutes les bricoles à faire. La clôture du bassin, la peinture…
-      Ludovic. Un grand gaillard au sourire doux et tranquille.
-      Fabien. De l’énergie, de la puissance, un passionné de tradition sportive. J’ai découvert grâce à lui les séquences d’entraînement sportif. Alternance course rapide, puis endurance, tours de terrain, contacts. Tout un monde du ballon ovale que j’ignorais. Le garçon s’enflamme dès qu’il en parle. Et on se laisserait facilement prendre au jeu…
Le marché aux fleurs :
-      Avec Philippe, Agnès, toujours au travail, et très sobre dans tous ses commentaires. Notre « Ama » à tous. Celle qui conseille (toujours judicieusement), celle qui apaise, celle qui rassure. Une référence et un gage de sérieux et de solidité. Elle n’a pas besoin de se mettre en avant. Elle est notre centre à tous.
-      En renfort et formation, Anthony. Il se partage aussi avec l’animalerie. Un garçon en recherche. Il aime les sciences, toutes sortes de sciences. Explore de nouveaux domaines, des cultures lointaines. Nous a dernièrement fait découvrir diverses postures de Taï-Chi-Chuan (ou Dieu seul sait comment cela peut bien s’écrire et se dire). Avec Agnès, la séance nous a fait plus de bien par les rires qu’elle a déclenché que par les étirements proprement dits…
La serre :
-      Elodie, notre flammèche rouquine, que je rebaptise Pimprenelle. Un vrai petit feu d’artifices, vive et pétillante. Mais alors, réactive comme il n’est pas permis ! Sa jeunesse et son charme le lui permettent. Il sera bien temps pour elle plus tard de s’assagir…
-      Jean-Marc, notre Mac Gyver local,   es-spécialiste bonsaïs et plantes tropicales. Dieu sait que les 25 années de la Jardinerie, et de l’équipement !, lui donnent l’occasion de donner la pleine mesure de son talent. C’est notre maître logistique et maintenance tout terrain. Longue vie à lui !
La boutique :
-      Martine, l’une des fondatrices avec Michèle, Maïté et Jean-Michel. En ce début d’année 2015, son rayon va doubler de surface. En grande créatrice d’ambiance, elle va pouvoir s’en donner à cœur joie. Voyez comme elle en sourit déjà !
Le magasin :
-      Elorri, plantureuse beauté de l’intérieur. Un beau visage, ouvert sur le monde et confiant en l’avenir. Elle vous parle, et sa voix est un baume apaisant. Essayez, vous verrez.
-      Cédric, notre incontournable et notre pilier. Il est partout, avec son regard tragique de Christ en croix. Et pourtant, le garçon aime rire et s’amuser. Vous le rencontrerez quelque part ici ou là, forcément, je vous l’ai dit, il est partout, l’homme multi-cartes et multi-fonctions.
A la pépinière :
-Votre serviteur, Marie-Louise. Depuis le temps, vous savez déjà beaucoup de moi. Je ne vous en rajouterai pas davantage.
-      Ramon, notre ténébreux au grand sourire. Son petit accent vous le fera reconnaître facilement. Encore que comme Philippe, il ait déjà sa petite cour de fidèles, et vous le connaissez bien déjà.
-      Benoît, ce grand garçon aux immenses yeux verts. Un passionné du végétal. Incollable sur toutes les nouveautés et une véritable encyclopédie horticole. Dès qu’une question technique se pose à vous, n’hésitez pas, venez le consulter. Si par extraordinaire il n’a pas la réponse, il la cherchera !
Et pour finir, en caisse :
-      Charlotte, petite et condensée, l’énergie d’une pile survoltée. Elle tient difficilement en place tant l’immobilité lui est pesante. Un vrai petit feu-follet…
-      Laurence, la sage et douce Laurence. Toujours appliquée et concentrée dans sa tâche. Son beau sourire vous fera oublier la note.
Et voilà, je vous ai présenté l’ensemble de notre équipe.
Et avec l’ensemble de notre équipe, je vous souhaite à tous de passer de joyeuses et mémorables fêtes de fin d’année.
Nous nous retrouverons en janvier pour une nouvelle chronique du potager. Portez-vous bien et à bientôt !



Nous retrouvons cinq années après une bonne partie des mêmes. La jardinerie Lafitte, l'un des satellites de l'originelle entreprise, est un endroit où il fait bon vivre, et travailler. Nous sommes plusieurs à nous en être rendus compte !
Certains sont partis vers d'autres horizons, évidemment. Bonne route à eux, et bienvenus aux nouveaux arrivants.
Les trente années de la jardinerie donneront sans doute l'occasion d'une nouvelle photo de famille, réactualisée.
Et l'occasion, comme à chaque fois que l'on regarde des photos à quelques années de distance, de voir ce que le temps fait, tout de même…


Vendredi 19 avril 2019 17h50

Une promenade dans les bois, des châtaigniers,  mes châtaigniers à suivre, 












des fougères en crosses déroulées, des fleurettes, myosotis pâles et lithodoras au bleu profond, 












Mes fougères millénaires, les tourillons des bugles dardés entre les fraises des bois.  





des œnothères dans les creux humides,


le lotier des sols pauvres,








Les graminées aux épis lourds, déjà,











La timide véronique rasante et les grappes opulentes des acacias en fleurs,





Des arbres, des herbes, des fleurs, mon monde et ma joie.



Mercredi 22 mai 2019 17h
Vendredi 24 mai 2019 15h40

Ma promenade dans le soleil, avec mes chiens, à faire le tour de mes six châtaigniers témoins.
J'ai découvert une nouvelle piste de promenade. Plus dans les recoins, dans les sous-bois, les parages sauvages. Des endroits un peu  à l'écart, tout près pourtant, avec un petit air d'aventure et de découverte.
Quelques mètres à peine, et je me sens toute dépaysée, comme Alice au Pays des merveilles franchissant la porte magique.

Les essentiels, le chemin creux le long du petit bois, le chemin aux noisettes, l'horizon de Mère-Rhune en isocèle, restent incontournables. C'est autour de ces piliers, mes fondements, que j'erre et vagabonde, en terrain connu mais pas encore exploré.

Mes six châtaigniers de référence, très commodément, jalonnent ce nouveau parcours.
Au tout début, chez l' "anglais" maintenant espagnol, le bois rafraîchi montre les beaux fûts de quelques arbres vénérables. Une tentative avortée de replantation de la haie en abélias et troènes fait profiter le chaland de cette ambiance forestière, où la lumière filtrée par les frondaisons dans la canopée exubérante en ce moment cueille doucement les bois gris et blonds.






Mes deux premiers châtaigniers sont là, penchés au dessus de la clôture branlante.
Leur tronc oblique supporte les grosses branches tendues, en un effort de reins sûrement pénible.
Le premier n'est pas encore en fleurs, quand le second s'ourle déjà partout de longues grappes pâles.
Les feuilles sont aussi différentes, avec de larges lobes ovalisés vers la pointe en œuf renversé pour le premier, et des sections plus étroites et parallèles chez l'autre, terminant en pointes longues.
Deux marqueurs d'un génotype différencié, garant pour moi de la biodiversité du monde de la châtaigne.
Je tiens là deux membres cousins de la même famille, avec leurs particularités bien tranchées. Un sujet d'étude de qualité !







Bullou profite de mes explorations, pour se rafraîchir les coussinets dans un bain de boue improvisé.





Ce hêtre majestueux perdu jusque là pour le promeneur au milieu d'un fatras broussailleux,
nous dit le temps long, les épreuves de ses troncs divisés, et la gloire de sa ramure généreuse évasée vers la lumière. Il redistribue toute cette sagesse avec grandeur et bienveillance, en patriarche bienfaisant.






Mère-Rhune placide m'accueille au bout du chemin ombré, bleue dans le ciel  pâle. 













Avec Lola,  nous passons sous les branches basses et étalées de deux autres sujets d'étude, en bordure au bout du bois.  Une ambiance fantasmagorique et un peu mystérieuse, où l'on se sent en sécurité, protégés dans une antre sans danger. La caverne des premiers hommes, où se mettre à l'abri et se préserver.
Ici aussi, deux châtaigniers aux feuilles différentes, et à la floraison décalée. Leurs branches basses se présentent obligeamment à l'examen. Il n'est que de se pencher et de regarder de près !








Mon cinquième châtaignier est à peine plus loin, sur le côté gauche du chemin.
Il m'a semblé l'automne dernier, que quelqu'un avait débroussaillé son pied. Il est apparu ainsi, tout droit et fier, de son long fût sombre.
Celui-ci serait de type japonais plus marqué, dans une silhouette élevée.
Ou alors, sa jeunesse au milieu d'une végétation haute l'a-t-elle tiré vers la lumière en un mouvement vertical ?
Entre type et environnement, difficile de démêler les influences croisées.
Floraison et feuilles le rapprochent des deux autres, à la même allure, mais au port différent.
Affaires de circonstances, peut-être, alors…





En avançant toujours vers l'est, sur le chemin baigné de soleil, j'oblique à gauche.
Bullou adore cette fuite là; le chemin trop à découvert lui semble moins tentant.

Nous traversons un autre porche ombragé, et débouchons dans la fougeraie pentue.
Le chemin en bas m'est bien familier : j'y venais chercher les vaches au pacage dans "le champ du pylône", "Zikiñeta". Pourquoi Zikiñeta, de la racine Zikiña, sale ? Peut-être en mémoire d'une ancienne décharge, comme derrière Agorreta ? 
Je ne sais pas, j'imagine. Les ancêtres devaient être fantaisie, d'accord, mais leurs appellations devaient sûrement s'accrocher à quelque restant de raison…





Ici aussi, l'observation se fait très à l'aise. Les branches se couchent sous la main, mêlées aux frondes maintenant déployées des fougères longues.
Celui-ci exhibe des dents obliques sur le bord des feuilles, plus aplaties me semble-t-il que les autres. Un quatrième type ?



Je continuerai mes observations minutieuses, regarderai comment évoluent les inflorescences, noterai le moment de la formation des bogues, leurs formes, leurs implantations, et suivrai tout le développement, jusqu'à la fructification, et la récolte.
La forme et la couleur des châtaignes, leur saveur et leur odeur, complèteront mes planches d'étude.
Et guideront ma future culture.
Tout le long de cet été à venir, tout le long de l'automne et des saisons prochaines, je suivrai mes châtaignes.
Une idée comme une autre, un projet joli et inoffensif. Un projet peut-être bien utile au contraire, à mon enthousiasme, déjà, du moins !



Lundi 10 juin 2019 17h15

Ma tournée châtaigne, ma promenade entre les fougères bientôt plus hautes que moi, avec les chiens enchantés de toutes ces odeurs en pistes à suivre :



 Dès le début de mon parcours d'observation, les feuilles sombres et muettes du premier châtaignier soulignent les inflorescences en grappes claires du deuxième. Ces deux là s'entremêlent, et il a fallu ce stade de floraison pour que je les dissocie. Tout proches, et si différents, pourtant.









Juste un peu après, avec sa branche coudée, le deuxième sujet de mes fines observations, penché sur le chemin. Pour celui-ci, pas l'ombre du début de la moindre "grapillette" de fleurs. Il est dans l'expectative, attend, une température plus douce, peut-être. Le fait est, aujourd'hui encore, le vent de noroît s'insinue désagréablement entre le soleil et la peau. Mes citrouilles sous terre doivent elles aussi rester dans l'expectative, en attente, pour germer.







J'avance encore, oblique à droite, sous la voûte large de mon troisième arbre.
Ici, la fleur s'étire en pustules géométriquement annelées, comme un collier de perles oblongues.






La conformation ras du sol de la couronne végétale facilite l'observation et la prise d'images précises. Sous la lumière diaphane tamisée par les frondaisons, l'ambiance sous-bois protectrice et silencieuse apaise et détend.






Mon quatrième châtaignier, juste en dessous, ne parle pas. Les feuilles vernissées n'abritent pour le moment aucune fleur.





Les chiens furètent autour de moi, attentifs et un peu impatients de reprendre la promenade.



Sur notre droite, en contrebas, se joue l'itinéraire inéluctable du monde végétal, proche cousin de notre monde : un vénérable chêne, large, haut, lourd de ses bois anciens, périclite. 
Beaucoup de ses branches noires sont sèches. Les quelques feuilles rachitiques s'agglutinent en amas blanchis d'oïdium. Le lierre rampe et les ronces grimpent dans cette ossature immense encore, mais sur son déclin.
A son côté, à son ombre jusque là, un jeune châtaignier s'élance. Il sent la lumière enfin accessible au travers de la ramure mitée. Il se projette et fuse, dardant son énergie comme une lance plantée dans le flanc de l'immense ancêtre mourant. 
Le drame se joue en silence, il s'étire dans un temps long pour nos yeux d'homme. Il se joue, pourtant.






Ce décalage dans la perception du temps,  quand le nôtre est si court, cette tragédie en silence, quand nous ne savons pas souffrir sans hurler notre douleur, ne m'empêchent pas de ressentir ce spectacle comme le drame qu'il est. 
Drame pour ce chêne centenaire qui s'étiole, poussé vers la décomposition et sa fin, drame juste et inscrit dans la perpétuité naturelle, où les vieux arbres s'effondrent, libérant l'espace et le chemin vers la lumière, pour laisser place aux jeunes plants vigoureux et impatients.
Ce chêne vénérable, cet arbre à la ramure immense et souveraine dans ce coin de bois, a fait son temps. L'incendie  d'il y a presque cinquante ans dans ces parages a du abréger ce temps, il ne paraît pas si vieux.
Les forêts sont vivantes et les arbres s'en partagent la partition.
Le monde végétal est vivant, et nous pouvons accéder à cette émotion de vie, si nous nous projetons dans son échelle temporelle.

Pour moi, la barrière n'existe pas entre notre monde humain, le règne animal et le végétal. Même le minéral me paraît "compréhensible" à nos perceptions d'hommes.
Je dois trop transposer,  peut-être…
M'imaginer à m'en perdre, sûrement.

Je me souviens bien combien j'étais bouleversée par la mort d'une vulgaire cane de basse-cour, ravalant mes larmes pour ne pas entendre les remarques méprisantes de ma mère, qui ne voyait dans la cane que le repas du dimanche. 
Je me rappelle combien l'agonie d'un grillon enlisé dans le mélange de farine et de vin que nous lui proposions comme pitance, quand nous l'enfermions dans un bocal, pour le faire "chanter" à en mourir, me serrait les entrailles. Je l'avais pourtant traqué dans son trou, ce grillon, fait monter le long de la tige d'herbe introduite dans la galerie étroite, pour l'en débusquer, et déposé moi-même sur le fond de verre. Le bourreaux doivent fonctionner ainsi, détachant leur sensibilité d'une partie de leurs actes. Ils sont sûrement capables eux-aussi de s'émouvoir aux larmes à la vue d'une fourmi amputée, quand ils tranchent des gorges sans se poser de questions. 
Là encore, une histoire de sas trop perméable, où l'on passe d'un côté à l'autre d'une barrière invisible, en se diluant au passage.
Quelle curieuse chose que la nature humaine, tout de même !

Dans le même registre, même si le rapprochement semble aléatoire, mais je n'en suis vraiment pas à un aléatoire près,  j'ai toujours été ahurie par la violence diffusée en pleine journée, dans ces documentaires animaliers, où la gracile antilope court de toutes ses forces devant la lionne lancée derrière elle. 
L'antilope bondit et étire ses sauts, autant qu'elle le peut. Le fauve s'aplatit dans sa course et la talonne. L'antilope se fatigue, les yeux exorbités, terrorisée et rendue, déjà.
La lionne la rattrape, elle plante ses griffes sur la croupe striée d'écume. L'antilope en un dernier sursaut se dégage, encore, le sang perle, elle court. La lionne enragée par cette fuite et ce sang accélère elle aussi. Elle bondit, lourde de son poids de fauve et de sa colère. Elle écrase sous elle l'antilope. 
La bête cornée se débat, tente de se libérer, n'y parvient pas. La lionne plante maintenant ses crocs dans le flanc palpitant. Elle remonte à la gorge d'où le sang chaud gicle en salves d'une vie à défendre. La lutte soulève la poussière dans un désordre brutal et sanguinaire. L'antilope se débat toujours, autant qu'elle le peut. La lourde lionne sur elle arrache déjà des lambeaux de chair chaude, elle éventre et fouaille, fourrage dans la pelure soyeuse maintenant salie.
Longtemps l'antilope lutte. Et longtemps, la lionne déchire.
Enfin, l'antilope laisse tomber sa tête au bout de sa gorge ployée et offerte.
La lionne se couche, et mange, cette viande encore palpitante.

Ma mère adorait regarder ces documentaires. Elle suivait les images d'une attention gourmande. Moi, je ne les supportais pas, et je ne la supportais pas, elle d'y prendre du plaisir.
Ces documentaires sont très prisés je suppose, puisqu'ils continuent d'être diffusés.
La brutalité et la violence seraient-elles mieux supportables, quand on parle de jungle sauvage ?
L'ailleurs et l'autrement nous carapaçonnent-ils dans notre capacité à ressentir ? Ou le décalage nous exonère-t-il ?
Je dois avoir un caparaçon trop perméable….
La molécule pare. Elle rend étanche ce sas où la terreur et les horreurs restent dehors.
Intellectuellement, je fais mes rapprochements d'avant, mais mon petit monde ne s'en bouleverse plus. 
Je vis "à côté" de moi. De ce moi trop lucide ou sensitif pour ignorer la vanité de nos illusions "préservatoires".
Et c'est bien plus confortable ainsi.

Me revoilà perdue dans mes forêts intérieures ! Je n'essaie plus de me suivre, je me tiens juste à vue, de loin, et laisse errer mes pensées. Ces errements me plaisent et je m'y trouve bien.

Je me raccroche aux branches basses, rattrape la lumière diffusée au travers de la canopée, et reviens vers la bonne rive.
Les bosses aplaties des Trois Couronnes me ramènent à la douceur de vivre.






Je continue ma tournée d'observation.










Ce châtaignier-ci, résolument typé japonais, conforte les premières comparaisons. Les hybrides asiatiques fleurissent les premiers, par dessus les feuilles étroites.









Mon petit dernier, en bas de la fougeraie donnant sur la mer, allonge de fines panicules délicatement ciliées.
Les groupuscules s'emboîtent en séquences régulières, arrondies, très différentes des géométries à plusieurs facettes des premiers.

Toute cette diversité dans un si petit périmètre laisse imaginer le foisonnement des combinaisons possibles entre les différentes variétés de châtaigniers.
Je me cantonnerai à ces six là, pour ne pas me perdre davantage que je ne le fais déjà !

Mes chiens, eux, ne se perdent pas. Ils dressent les oreilles dans cette ambiance "djeunguel' fantasmagorique. Le chemin se perd, lui, dans la végétation exubérante, affolée par les séquences humides, fraîches, puis, subitement, chaudes.
Quand je n'y passe pas de trois jours, les lianes des ronces s'entremêlent à partir des deux côtés, et les frondes souples des fougères ployées recouvrent la piste ténue.









Les minuscules étoiles de la légère stellaire piquètent les tiges raides des graminées épaisses.



Je rentre à la ferme, avec l'impression d'avoir parcouru des mondes…



Dimanche 23 juin 2019  21H

Aux coups de vent chaud, les fleurs châtaignières ont chu.





Mes six sujets dans l'ordre, tous châtaignes et pas un pareil.


15 juillet 2019

Pour poursuivre mon voyage au long cours à la recherche de la châtaigne perdue,
je vais prospecter de ma nouvelle manière, moins hachée, mieux suivie.
Ailleurs, tout en restant pas trop loin d'ici.




lundi 23 septembre 2019


septembre




Lundi 23 septembre 2019 9h

Je suis en villégiature à Rivière.
Ces séjours me plaisent bien. Les forêts d'ici s'enluminent des feuillus penchés sur les barthes et l'Adour alenti.

Pas trop de châtaigniers par ici.
Ceux d'Agorreta dorment dans leur lit douillet.

Une première envolée d'hirondelles a vidé l'étable des pépiements du petit matin.
Les dernières virevoltent, pressées de régler leurs affaires, avant le départ.

Nous aussi, nous finissons de régler nos affaires, enfin...

Je reprends ici mes prospections châtaignières. Elles marquent la saison, et ponctuent dans ce temps au  fil long un moment privilégié.


Mercredi 11 septembre 15h30

L'automne s'annonce résolument.
Les journées cristallines aux aubes étirées en langueurs ocre rosées s'embrument du voile de la saison des couleurs douces, de la lumière moins vive, du soleil plus bas.
Ma saison favorite, sans doute celle la mieux imprégnée de cette nostalgie dolente que je sais maintenant être ma nature profonde, constellée de flamboiements incendiaires des couleurs des feuilles prêtes à tomber, avec panache.






Mes châtaigniers avancent : les bogues épanouies commencent à tomber. Les capsules hirsutes posées sur les flaques, de vert tendre, virent au marron sale.
Ces petits navires sont les pionniers de l'aventure prochaine des autres bogues, accrochées encore.






Le grand hêtre du petit bois trône en maître de sa forêt. Son tronc lisse et fort darde dru une énergie venue de loin, et, si rien ne vient faire un accroc à ce parcours lent, partie pour bien plus longtemps encore.










Je mène mes investigations toujours dans le même ordre. Dans les sous bois doucement ombrés, le vieux chêne résiste aux assauts du jeune châtaignier bien décidé à crever sa suprématie. Ces deux-là lutteront un moment encore, l'un décidé à percer, et l'autre à s'accrocher de toute la puissance de ses racines profondément enfouies en terre. Je ne verrai peut-être jamais lequel des deux l'emportera, tant est long le temps de ces grands arbres.







Plus loin sur mon chemin, le cinquième châtaignier, dans la pleine vigueur de sa deuxième décennie, commence, lui, à s'imposer dans son périmètre. Bientôt, son ombre portée étouffera toute velléité végétale sous sa frondaison. Il admettra quelques herbacées courtes et discrètes, guère davantage. 



Le triangle bleu de la Rhune pointe le mitan de mon horizon. Ronde et placide, elle me dit le temps qui passe, et les ardeurs qui s'émoussent, comme son pic aplati.








Les bois flotté dans la mare immobile en fond de combe, Lola et les deux autres, eux aussi, avancent en âge. Leurs fougues s'aplanissent et leur course ralentit. Ils restent mes chiens enjoués et fidèles. Mes petits compagnons lutins encore, et bien folâtres parfois !






Le dernier châtaignier de la lignée s'étoile de ses bogues claires bien partagées sur sa ramure ronde.
Mes six sujets ne "boguent" pas pareil. Loin de là. Il y a alternance flagrante entre les quatre premiers. Un arbre couvert de bogues aux côtés de son voisin, à peine parsemé de rares boules timides. Une histoire de fructification sur un cycle de deux années, peut-être, comme sur les fruitiers ? Une affaire de pollinisateurs presque stériles ? Il me faudra plusieurs années encore pour établir des rapprochements fiables. Mon entreprise sera longue, et je la mènerai avec patience.



Dimanche 15 septembre 2019 17h50


Juste avant l'orage, alors que le tonnerre roule ses grondements sourds, nous avons été avec Olivier ramasser les châtaignes tombées.
Germain Lafitte préconisait le "boguage", c'est-à-dire la cueillette sur l'arbre, au moyen de longues perches.
Le vent du sud des jours derniers à "bogué" pour nous. Les fruits mâturés sont tombés.
Mon étude étant gouvernée  par la recherche du plaisir, j'ai profité de cette aide pour me faciliter grandement la tâche.










Mes six châtaigniers témoins m'ont livré leurs fruits nacrés. Leurs fruits lisses et doux à toucher. Leurs fruits plats ou bombés, aux irisations claires ou plus foncées. Striés, veinés, miellés ou de sombre ébène.
Une récolte attendue par le paysan patient et fervent d'un espoir fragile. 
Le suspense de la bogue entrouverte, fermement maintenue dans l'étau des pieds, les bras ouverts pour garder l'équilibre, et les fruits vulnérables et humides, découverts dans leur gangue protectrice. La joie et le plaisir sensuel de prendre en main ces fruits pleins, brillants d'une lumière étonnante dans cet antre bien gardé.
L'ambiance feutrée et bienveillante du sous-bois, la lumière filtrée par les frondaisons de plus en plus minces des feuilles bientôt désincarnées.
Une après-midi de dimanche douce et paisible.
Une promenade en forêt, entre les fûts longs des arbres centenaires.

Au retour, débouchant sur le chemin où le soleil bas étire son ombre plus légère, nous nous laissons cueillir à notre tour par la surprise de revenir là, comme d'un monde lointain.

J'ai dans ma chronique en basque repris ce moment savoureux en lui-même, et savoureux de cette langue aux sonorités abruptes comme la bogue fermée, et chaleureuse comme la châtaigne mûrie :

Gehienek, errestasuna autatuz, lurrerat erortzen direnean biltzen ditugu gaztainak.
Urriaren igande arratsalde eder batian, eguzki beroak argitzen dituenian ostarteak, laino zuri luze batzuek zeruan etzanta, hor dituzue gaztain biltzailiak oihan bazterretan, saski ttiki bat besoan.
Gaztain azpian morkotxak lurrean, erdi idekian, gaztain buztan illetxuak ageriz.
Hor bi zangoko erripototzen artean tinkatu, kasu emanez ez pintxoak axiki egitia, eta morkokxa ideki, arrautz bateri koska kentzen zaion bezala.

Beititzia aski, eskuetan dituzue gaztain ederrak, dirdirizan, lehun lehunak. Gauza goxua eta pollita izaten da gaztain bat esku zolian biribiltzia, haren mar argiak eguzkitan jostazitzia.
Morkotx batzuetan bi ale, bertze batzuetan hiru, erdikoa leporatua bi baztereko lodien artian.
Saskirat bota, ttak ttak ttak, eta bertze morkotx bateri urbil urbilian lotu.
Fite betetzen da saskia, piso onekoa besuan puntan.
Arratsaldea goiz illuntzen da, zeruan iguzki erortziak xutan jartzen dituelarik lañu luzeak. Freskura apaltzen da oihan azpietan. Saskia ongi kalatu saietsian, eta tira bidexkari, azkeneko berotasunez gozatzea. Gaztain osto zabalak eta luzeak, orituak, ematen dute urrezkoak. Bidexkan aldian adar edur beltzakoak eskaintzen dituzte nahi duenari gozatu.
Igande eder bat, goxoa, pausagarria eta denbora txaretako buruan atxikitzeko modokoa.

Etxerat sartu, gaztainak zabaldu, eskuetan oraindikan bero beroak, eta eguzkiaren dirdiriza azalean marazkatua.





Lundi 18 septembre 17h

J'ai semé mes châtaignes. J'en ai scientifiquement répertorié les variétés. Je les nommerai au gré de mes inspirations.
Selon les prescriptions de Germain Lafitte, j'ai initié ce semis d'automne, dans un terreau léger.
Pour me garantir d'un possible insuccès, j'ai aussi prévu un hivernage en caissette, dans du sable bien sec.

Revenant à mes premières amours, j'ai mené mes prospections à la "montagne". Là bas, les moignons des arbres sciés et ensuite repartis, vieux de plusieurs centaines d'années, promettent des variétés plus originelles, protégées des pollinisations croisées dans les combes abritées.
J'ai traversé sous les lianes amazoniennes des ronciers sages et des fougères plantureuses, ordonnancés par les plans horizontaux des noisetiers suspendus au dessus, en demi monde entre la végétation basse et la haute canopée.
Le soleil filtre au travers, touchant de son doigt lumineux, ici ou là, une feuille morte, un caillou, une herbe gracile.
Les chiens furètent, émoustillés de ces odeurs nouvelles, de ces pistes inédites.
Je marche dans le silence, foulant le tapis craquant des feuilles déjà mortes. Je ramasse mes châtaignes, entre les bogues déjà ouvertes et vidées.







Là aussi, dans ce milieu pourtant protégé, les hybridations ont mélangé les essences, brassé les variétés, en une diversité bien marquée.
Je vais inclure ceux-là avec ceux d'Agorreta, leur faire une place aux côtés des miens.





Il me faut attendre maintenant.









Lundi 25 novembre 2019 19h43


Je suis à la ferme. J'aurais pu être à Rivière. Une énième petite alerte paternelle m'a retenue ici.
Sans suite, cette fois encore, jusqu'à la prochaine.
Je me demande qui de nous deux lâchera la rampe en premier, au final !
J'ai souvent, à disposition, les signes bien tangibles de la réalité de chair et de sang de cet homme.
En dehors de ces organiques essentiels, je pourrais facilement penser sa nature minérale, tant il paraît fait de pierre dure, ou de bois flotté. Imputrescible.


Quand je vois le grand chêne moribond tenir la dragée haute au jeune châtaignier coulé dans son flanc, je m'imagine bien les certitudes premières du second vacillant devant le ramage toujours imposant du premier.
Le vieux chêne paraissait bien mal en point, ce printemps : beaucoup de bois morts, l'écorce vermoulue sous les chancres et les champignons gris-verts.
En le longeant tout à l'heure, j'ai noté, dans les silhouettes maintenant dénudées, la distorsion dans le jeune fût vigoureux du châtaignier. Il s'écarte de l'axe du vieux mastodonte, perçant plus à gauche de son élan initial, là où la ramure du chêne est la plus abîmée. 
Il a du intégrer la résistance du vénérable dans son plan de carrière, et choisir de prendre plus sagement la tangente.
Je ferai un reportage image, une prochaine fois.

Je cueillerai au sol les larges feuilles dentelées de mes six châtaigniers, pour en faire comparaison dans un herbier improvisé.
Le châtaignier se rengorge d'un or profond, mat, à la résonnance puissante, en cette saison.
Ses feuilles longues restent longtemps accrochées aux branches. Pour certaines variétés tardives, elles sont même marcescentes, restant là tout l'hiver, vidées de substance et de couleur, rendues cartonneuses, jusqu'au moment où le jeune bourgeon les boute à terre. 
Dans ces paysages roux de novembre, le châtaignier se remarque, doré de petits coups de pinceaux follets, en éclats lumineux et pimpants.

Auprès de mon cinquième sujet, un vergne s'est affaissé dans le désordre de ses ramilles bleutées. Il s'écrase sur le chemin, cul par dessus tête.
Plus bas, juste avant le sixième châtaignier de la fougeraie, c'est un acacia long et malingre, malade, vermoulu, qui a tiré sa révérence.
Le vent de ce dernier samedi a brisé ces deux là.



Mercredi 27 Novembre 2019 9h








Les roux dorés relevés du soleil levant, capturent la belle lumière.


Vendredi 29 Novembre 2019 17h


Je reviens de ma tournée châtaigniers.
J'ai ramassé les feuilles craquantes, amoncelées en tapis épais.




























Rien ne ressemble plus à une feuille de châtaignier qu'une autre feuille de châtaignier.
Pourtant, à y regarder de près, l'ovale se resserre ici plus bas que là. La nervure est plus creusée suivant le sujet. Les stries sont plus obliques et moins parallèles. La denture sur les côtés s'aplatit plus ou moins, les petites pointes dardent avec une énergie conquérante, ou alors s'incurvent en s'épargnant.
La taille n'est pas significative. J'ai ramassé indifféremment des feuilles au pied de mes châtaigniers, sans chercher à les calibrer.
Les couleurs par contre balaient toute la gamme des roux, légers, mats, plats, puis profonds, chaleureux, cuivrés brillants.

La feuille de châtaignier est une matière végétale solide et charnue.
Elle remplit vite la main, et épaissit facilement le sous-bois.
Au pied des châtaigniers, le tapis profond étouffe la germination des adventices. Une châtaigneraie reste propre. La broussaille ne la colonise pas. La ronce s'y fatigue et laisse place à quelques bulbilles champêtres, crocus, scilles et jonquilles sauvages.
La frondaison généreuse opacifie suffisamment son aplomb pour le garder vierge de toute invasion herbacée ou ligneuse.

L'automne coule d'or les larges spathes palmées.
L'hiver tolère le soleil sous les bois foncés.

Les ramures bientôt dénudées me montreront leurs écorces.
La saison avance.
J'observe et recueille.



Dimanche 5 janvier 8h


Côté cour, mes semis de châtaignes sommeillent dans la brume silencieuse;
Un tout petit nous est né, autour de la mi-décembre.
Je l'ai remarqué, alors qu'avec Olivier nous essayions de rattacher le jasmin effondré par la tempête du 13.
Berra, venu en renfort d'occasion, a failli me l'écraser, jetant dessus le petit sachet de graines de citrouilles qu'il m'avait réservées.
Il était si petit, mon petit châtaignier, que je ne l'avais moi-même remarqué qu'alors.
Maintenant, il devient gaillard. Un quart de feuille lui manque de ce regrettable accident. Il s'en remettra. Plus facilement peut-être que de cette levée à contre-saison. Il aurait du attendre le printemps, ce petit plant. L'ai-je trop peu recouvert ? Etait-il trop impatient ?
La saison prochaine nous en fera sentence.




Lundi 10 février 2020 17h


Je reviens de promenade, dans l'après-midi embrumée.



Le petit bois est tout gris, rien ne semble s'y animer.











Partout pourtant, de petits signaux annoncent la reprise de vie.
Les saules chatonnent. Les duchesses ouvrent leurs corolles délicatement piquetées. Le chèvrefeuille chantourne les bois secs en pousses tendres enveloppantes. Les violettes parfumées essaiment les bordures. Les scilles campanulées se hissent et s'épanouissent.






Le chêne vénérable paraît sec de tous ses bois morts. Je l'avais trouvé en mauvaise posture, déjà, à cette période, l'année dernière. Il avait pourtant trouvé la ressource de refeuiller.
Bien assez pour rabattre son caquet à ce fougueux châtaignier élancé à son pied.
Maintenant, fatigué peut-être par cette course trop rapide, le châtaignier se laisse enrouler par une liane de chèvrefeuille opportuniste. C'est la guerre pour la lumière, dans ces parages. Une lutte silencieuse et longue, où chacun se bat, et résiste, autant qu'il le peut. Je suis le combat.









Un aulne glutineux est à terre, au pied du grand poteau éléctrique. Son bois terni s'éclaire encore de multiples grains blancs.
J'ai son petit frère à la ferme, encore dormant. 
Ces aulnes font bon ménage avec les châtaigniers. Ces deux-là doivent entretenir sous terre une synergie efficace. Le système racinaire de l'un complétant celui de l'autre, par ces échanges sous-terrains dont nous ne percevons rien, quand ils gouvernent le monde végétal.
Je m'en souviendrai quand j'implanterai ma châtaigneraie.





Les noisetiers suspendent leurs inflorescences rugueuses.







En bordure du chemin, là où pacagent les moutons de Joseph-Louis, deux personnages fantasmagoriques se partagent la scène.
Une souche évidée en cavernes vertigineuses avance sa gueule de monstre défiguré. Le bois mort s'incurve en volutes et spirales noueuses, où l'imagination se perd, à la recherche de la lumière, et la trouve en surprise soulagée, nichée dans un creux tourné vers le ciel.
Tout près, cette autre souche verdie de mousse aux tentacules agrippées en terre entre les feuilles craquantes semble vivre encore, et s'accrocher.








Un peu plus haut, un vergne fendu des dernières tempêtes, à la plaie ocre béante, jette toutes ses forces dans la multitude de ses chatons soyeux.
Il fleurit sa détresse, espérant rameuter les forces vives à son secours.
Toujours cette vie à conquérir, à tout prix et à toutes forces.




Plus haut encore,  je m'assois, et les chiens viennent se reposer autour de moi.

Je regarde ce paysage découvert dernièrement. Ce panorama entre mère-Rhune isocèle, et le long flanc du Jaizkibel. Ces monts ronds aux vallons longs des 3 couronnes, perdues aujourd'hui dans la brume en bans mouvants.

Je l'aime aussi comme ça, ce paysage, dans les gris joufflus et tranquilles.
Je l'aime aussi dans le soleil éclatant, où la lumière cueille le relief et le cisèle. Ce sera pour une prochaine fois.
Je l'aime en toutes saisons et par tous les temps.










Je m'en retourne, apaisée et contente, les chiens autour de moi trottinant leur joie.

Sur le flanc de la grande prairie, un petit agneau vient de naître. Il flageole sur ses jambes molles. Sa mère le lèche et le redresse vers son pis gonflé de lait.
A peine au dessus, un autre tout petit agneau, confortablement couché,  le regarde, un peu dédaigneux pour cette faiblesse, oublieux de la sienne, il y a sans doute deux jours à peine.




Mon bébé châtaignier continue de pousser, dédaigneux, lui, des cycles saisonniers.
Son impudence le perdra-t-il ?
Le printemps prochain nous le dira.

Le soir tombe.
Je rentre à la ferme.
Riche de mes redécouvertes toujours surprenantes pour moi, naïve et vite émerveillée.
J'attends la suite, et je m'apprête à l’accueillir.





Samedi 28 mars 2020  16h

La deuxième semaine de confinement touche à sa fin.

A Agorreta, nous avons pris la décision de ne pas donner plus de place qu'elle n'en prend déjà à la pandémie. Le terrain des conversations glisse trop vite vers le coronavirus, et les crispations qui vont avec.

Confinés, soit, puisqu'il le faut, étouffés dans cette torpeur mauvaise, non !

Nous allons nous plier aux décisions de nos gouvernants, admettre qu'ils font de leur mieux, et que ce n'est pas facile par les temps qui courent.
Tout le monde se pose beaucoup de questions, sur l'après, le comment. Les préoccupations matérielles, économiques, s'invitent vite dans le débat. Avant l'après, restons pour le moment sur le maintenant.

Là encore, à Agorreta, nous essayons de tenir tout ça à distance, autant que nous le pouvons.
Nous avons cette chance immense de bénéficier des meilleures conditions.
Le confinement est plus facile, à la campagne.
Les préoccupations matérielles plus légères, quand on sait pouvoir tenir, évidemment.

Pour aérer le neurone, et lever la chape de plomb, rien de tel que mes châtaignes.

Les châtaigniers basques ont souffert des effets de ces ravages en masse : l'encre, le chancre, les ont disséminés, au début du siècle dernier.
Plus près de nous, le cynips les a aussi bien inquiétés.
Je suis assez coutumière des analogies oiseuses. Je maintiens pourtant la théorie d'un apprentissage bénéfique à retirer de l'observation de la nature. Les système d'auto-régulation, les équilibres retrouvés après les viroses et autres avanies botaniques, aident à comprendre.
Nous allons lutter contre le virus. Nous avons de bonnes chances, je l'espère, de le vaincre.
Les châtaigniers ont essayé de s'adapter et de résister aux maladies. Ils y sont arrivés, et l'homme, par l'introduction de variétés japonaises résistantes, a contribué à leur résilience.
L'homme, maintenant, en ces temps où les pandémies irradieront de façon fulgurante au travers des cinq continents, disséminés par des flux de plus en plus larges et rapides, trouvera sans doute la meilleure manière d'y résister.
Faisons-nous confiance : notre capacité d'adaptation n'a pas dit son dernier mot. Sans doute.

Je reviens ainsi à mes châtaigniers, comme à une source profonde et fondatrice.
Leur temps long, leur capacité de résistance aux éléments contraires, ouvrent une voie optimiste, et saine.
Je m'y avance, en confiance.

Le mauvais temps est annoncé pour les jours à venir.

Mes châtaignes ont bien commencé à bouger, dans mon banc de culture improvisé.













Le tout premier, surgi de terre en fin d'année dernière, continue sa pousse, gentiment. 
Il ne paraît pas préoccupé, lui, et ouvre l'une après l'autre ses feuilles oblongues et crantées.
D'autres sont venus derrière.
J'en ai pour le moment huit sortis, dont certains, tout récemment.
Une minuscule lance rouge darde son espérance, et nourrit la mienne.

Ces semis d'automne semblent réussis.
C'est le moment d'entamer la deuxième tranche de l'opération.

Pour le semis de printemps, j'applique à la lettre les directives de Germain Lafitte.
J'ai choisi un endroit bien exposé, abrité des vents froids, et préservé de l'humidité.
Un travail du sol en profondeur amènera de l'air dans la première couche, et favorisera une reprise de la vie bactérienne après l'hivernage.
L'axe nord-sud exposera les plants à l'est, optimalement.
Une bonne tranchée de drainage juste au dessus, dans le sens de la pente, évitera les excès d'eau.



La mise en oeuvre, quand la terre est correctement préparée, est toute simple :
un trou d'une dizaine de centimètres en profondeur, un lit de semis de terre légère bien émiettée.
Je pose là dessus ma châtaigne, germe vers le haut. J'imagine bien que, dans la nature, elle est tout à fait capable de trouver toute seule le chemin vers la lumière, même quand sa chute l'a bousculée cul par dessus tête.
Puisque j'interviens, autant le faire pour amener un mieux !

J'ai balisé mes trous de plantation. Paillé autour, de foin alourdi de quelques bouses fraîches.
Éparpillé à l'aplomb une poignée de sable de roche.
Mes châtaignes sont parées au mieux.




Sur la vingtaine de fruits que j'avais mis en caissette à l'automne, quelques uns se sont vidés, mangés par le ver pondu dans la fleur, ou séché.
Mes dix plants ne lèveront pas.


Il en lèvera sûrement quelques uns, assez pour maintenir mon enthousiasme. 
Je repiquerai l'automne prochain ou le suivant les scions, suivant leur développement.

Les planches de culture de Sare et de Mendionde ont elles aussi démarré.
J'aurai suffisamment de matériel végétal pour préparer les hybridations.

Le temps botanique est long, bien plus long que ce à quoi nos impatiences aspirent.
C'est pourtant cette amplitude qui la rend pérenne. Prenons-en de la graine.




Dimanche 18 avril 2020 18H


Je reviens de ma tournée châtaigne.
Il pleut. Je n'ai croisé personne. J'ai emmené les chiens avec moi. J'ai déambulé d'un châtaignier à l'autre, en prenant mon temps. Je voulais repérer les stades des feuillaisons des différents sujets. 
Les japonais sont toujours en avance, quand les endémiques tardent à sorti d'hivernage.

Comme de juste, j'ai commencé ma tournée par mes plants, semés en automne dernier.
Le petit premier, surgi hors de terre dès décembre, montre maintenant des signes de fatigue.
Parti trop fort, trop vite, il a du tout donner, à contretemps, et se retrouver épuisé, maintenant.
Il se fait grapiller les dernières feuilles, les plus tendres, par quelque loche aventurée jusque là.
J'essaie de le maintenir sauf. On verra comment il s'en sort.


Ajouter une légende




Le semis de printemps ne parle pas encore
J'ai continué sur le chemin longeant le petit bois, avec les 4 premiers châtaigniers.
Pas trop de décalage entre ceux là;.
Leurs silhouettes inversées dans les flaques d'eau boueuse frémissaient d'une onde paresseuse.











L'atmosphère sous bois, la végétation exubérante des lianes de chèvrefeuilles entremêlées aux ronces vivaces et aux lierres sinueux, l'odeur humide du végétal emperlé de bruine, cette lumière de caverne, me ramenaient à une cavité où j'aurais été protégée, abritée du mouvement frénétique et des bruits assourdissants d'un monde en marche forcée.

J'étais bien, sous mon ciré, dans le silence et  la paix.







Le grand chêne laisse venir à lui le jeune châtaignier impétueux. Le jouvenceau impatient darde ses larges feuilles anisées, aux petites dents pointues de carnassier.
Ce printemps encore, les vieux bois noirs de l'un et l'élan végétal du second feraient parier sur une jeunesse décidée à percer.
Cette année encore, peut-être, le temps montrera le contraire.
Je suivrai.

Les chiens furètent. Bullou reste inquiète, poltronne

L'aubépine fleurit. Des nuées de fleurs légères illuminent les talus et les orées de bois.






Mes deux derniers châtaigniers marquent la différence : l'un est de type résolument japonais, avec son long fût droit, son bois noir et sa ramure en ombrelle. Ses feuilles sont déjà largement déployées.
Le dernier, lui, un Sativa du pays, débourre maintenant. La pluie des jours passées l'a accéléré, mais le décalage est bien là.




Plus bas dans la sente,  au pied d'un chêne déployé haut dans le bas fond protégé, les talus se piquètent d'une multitude de corolles délicates, parsemées entre les frondes des fougères tendres.

Je rentre à la ferme.
Mon petit monde est en ordre


Lundi 1er juin 2020

Je suis très déçue par mes semis de châtaignes de ce printemps. Pas de levée, pas la queue d'une !
Autant mes cultures d'automne ont été encourageantes, autant, là, c'est une désolation.
Je me demande si le sable récupéré à la jardinerie, pour y enfouir en hivernage mes châtaignes à semer au printemps, était suffisamment neutre. Une petite acidité de minéral de carrière aurait pu inhiber toute velléité de germination différée. C'est le risque, avec ces matériaux de récupération : on s'en tire certes à l'économie, mais les recyclages ne sont pas toujours efficients, quand ils ne sont pas carrément ravageurs de performance.
Quoi qu'il en soit, ma rangée de plants de plein champ restera muette, dirait-on.
J'ai bien déterré dans mes conteneurs alignés dans la cour, un fruit sur le point de lever, avec sa radicelle fluette étirée sous elle, et un germe assez gaillard sur le dessus. Celui-ci serait venu.
Là, manipulé, dérangé dans son parcours de perpétuation, il risque le dessèchement, le pauvret.
Je l'ai réinstallé à côté, auprès d'un cousin protecteur.
Dans les quatre conteneurs vides, j'ai repiqué deux plants de piments, et deux bouquets de lobélias colorés. Pour la joliesse, et les futures omelettes estivales.










Dix germinations sur quatorze semis, ça reste honorable.
A Sare et à Mendionde, les mises en œuvre ont été bien plus ambitieuses. Une centaine de plants tout prêts sont mis à disposition. Un dixième fera parfaitement mon affaire.
Des sujets de deux ans, tels que celui que j'avais replanté ici, feront une première ligne de choix.
Les petits miens viendront s'intercaler.






J'espère hybrider ainsi des espèces locales différentes. 
Je ne suis pas sûre d'avoir le temps de sélectionner les meilleurs croisements.
Je suis sûre d'avoir l'envie de commencer. D'autres continueront, si le cœur leur en dit. Ou alors, ils laisseront un petit bois un peu sauvage, où la nature reprendra ses droits, parsemant d'une ou autre espèce performante, ma future petite forêt de châtaigniers ordinaires.
Ou alors, les hauts d'Agorreta deviendront toute autre chose.
Mon projet peut aboutir, ma vision prendre sève et bois.
Il peut avorter, aussi.
Tout ne se réussit pas. 
Tels mes semis de printemps, mes essais peuvent rester lettres mortes.
Je ne m'en décourage pas, bien au contraire. 
Là aussi, comme pour mon oranger, l'adversité renforcera une résilience toujours en dormance







Vendredi 19 juin 2020 6h30








L'aube presque idéale d'un prémisse d'été. Enfin !

Quelques nuages encore sardoniques ne décrochent pas. Le  beau temps est annoncé : le foin sera coupé d'ici ce soir !



Dans la cour, mes châtaigniers en culture ont nouvelle allure.

J'ai mis en forme mes plants : choisi une tige maîtresse, coupé les autres, sectionné les gourmands à la base des feuilles.
Tuteuré cette tige élue, pour la diriger droit vers le ciel.
Dans la nature, ce tri sélectif se fait tout seul, se fait plus tard, ou ne se fait pas.
Au gré des aléa naturels, de la concurrence, du sort ami ou contraire, la plantule se développe, s'érige, ou se fourche. Quand elle vit, survit, ne meurt pas.
Mes choix ne sont que les miens.
En sous-bois ou au plein champ, mes châtaigniers en devenir n'auraient pas eu le même avenir.
C'est la raison d'être de mon intrusion. 

Mes sélections, de châtaignes, au départ, de plants, ensuite, de tiges et de bourgeons, maintenant, s'avéreront judicieuses ou pas, les années passant.
Choisir, c'est renoncer. Choisir, c'est s'immiscer, s'insérer entre des possibles écartés.
Les insertions, c'est comme les greffes, ça ne prend pas toujours, ou alors, la réussite en est bien moyenne.
Je cours ce risque de faire moins bien, de faire  carrément mal, peut-être.
Je saisis cette chance d'améliorer, de faire mieux.
L'enjeu n'est pas crucial : dix petites châtaignes mignonnes jetées en sort entre mes mains bienveillantes.
Il peut-être majeur, si ces dix châtaigniers deviennent un jour lointain de beaux arbres à la ramure large, à la frondaison drue et aux racines profondément ancrées loin dans notre terre d'Agorreta. 
Je ne les verrai pas. D'autres le feront pour moi. Ca suffira à ma satisfaction modeste et pleine.



Nos arbres parlent d'un temps long.
Ils parlent de la force des racines profondes et de l'élévation de leurs branches haut levées vers le ciel.
Ils parlent d'une vie perpétuelle au travers des cycles infinis.
Je les regarde, et ils me rassurent et me confortent.





Ce magnifique chêne du pays a bien été un tout petit plant vulnérable issu d'un tout petit gland mignon.
Il y a plusieurs centaines d'années.
Durant les toutes premières, il a du plus d'une fois risquer d'être coupé, piétiné, dévoré.
Plus tard encore, on a pu le trouver ombrageux, mal placé. 
Ses bois ont du susciter la convoitise.
Plus d'une fois, il a sûrement manqué d'être rabattu, abattu, coupé, scié en planches.
Sur tant de siècles, il a essuyé des tempêtes, des orages, la foudre et les vents hurlants.
Les prédateurs et les maladies ont du venir rôder dans ses racines et dans sa sève vive.

Pourtant, il est là.

Il est là d'avoir été ce tout petit gland tombé à terre, ce tout petit gland minuscule et entêté, décidé à pousser sous lui une minuscule radicelle pâle et ténue.
Il est là d'avoir été une frêle plantule invisible dans l'herbe et la broussaille.
Il est là d'avoir été épargné, protégé peut-être, par une ou autre bonne âme, ou par un hasard heureux.

Il est là, d'avoir démarré, un jour lointain.
Il est là, d'avoir tenu, tout ce temps.
A voir sa charpente solide et généreuse, ses branches maîtresses parfaitement équilibrées et largement évasées, sa frondaison dense et saine, ses racines tumultueuses qui soulèvent la terre autour de lui, s'enfoncent sûrement sur des dizaines de mètres en dessous, il pourra l'être pour des centaines d'années encore.
Si une ou autre mauvaise âme, ou le sort contraire, n'en décident pas autrement.

Aujourd'hui, il est là, il est majestueux, impressionnant et émouvant pour ceux à qui les arbres parlent.
Pour moi.

Il est là, pourvoyeur de beaux glands charnus.
De l'un deux naîtra son successeur, peut-être, pour d'autres millénaires.

A moins que Kutzutzu la kintoa ne les dévore tous...












En voilà quatre autres de pleinement satisfaites : mes génisses rassasiées et tranquilles.








Dimanche 21 juin 7h





Les perturbations menacent de nouveau mon troupeau : Buru-haundi est en chaleur.
Trois semaines ont passé. Ses hormones ont fait leur cycle.
Les jours qui viennent, mes génisses vont se humer, se chevaucher, se tracasser l'une l'autre.
Graziosita se tient à l'écart, sagement. 
Katto Pelato, aussi lourde maintenant que sa grosse aînée, se contente de la rabrouer quand elle la sent trop importune.
Neska Motz s'en tient enfin à une ligne de conduite plus sage : elle esquive, et se garde de se fatiguer en affrontement.

Mes génisses au pré s'organisent en troupeau de femelles. Leurs cycles se calquent sur une même semaine.
Cette synchronisation de femelles viendrait d'une recherche d'efficacité procréative.
Un mâle peut ainsi ensemencer plusieurs femelles en peu de temps, au gré de ses pérégrinations de troupeaux en troupeaux.
On a mis longtemps sur le compte de l'activité de chasse vivrière, cette absence des mâles auprès de leurs femelles.
Que dire de la lionne allant chasser pour nourrir ses petits, quand son grand mâle paresseux se prélasse à l'ombre d'un baobab ?

On a admis qu'un seul mâle suffit pour plusieurs femelles.
Et que sa contribution s'arrête à la saillie.
Seuls les humains policés s'offusquent et s'échinent à tordre cette conception dans un souci d'égalité et de fraternité. La liberté, même eux n'y croient plus, les pauvrets !
Ils s'y fatiguent et finissent par se résigner

Constitutionnellement, dans la plupart des espèces, animales et végétales, le volet procréation est instillé inéquitablement entre les deux genres. (quand il y en a deux !)
La mise en présence, la fécondation, la pollinisation ou autre premier volet de la procréation, sont brefs. 
C'est ensuite que vient le temps plus lent de la germination, du mûrissement, de la maturation, enfin.
Commencer serait facile.
Tenir jusqu'au bout, une toute autre histoire...
Le top départ serait mâle. La longue course derrière, femelle.
Seule la mort ne connaît pas de genre.

Je ne sais pas si c'est une vision biaisée : j'ai comme l'impression que la femelle, animale ou végétale, se cogne la plus grosse partie du travail.
Institutionnellement, ça ne paraît pas équitable,  non?
Et pourtant...

Je suis mal placée pour en parler, souche stérile que je suis !
Ca ne m'empêche pas de donner mon avis, non mais...

Notre règne animal est majoritairement régi par ces deux genres inégaux en droits.
Chez la plante, la partition est plus subtile, généralement.
Pour ce que j'en sais.
C'est pour ça que je m'y penche volontiers.

Mes génisses sont donc en chaleur sur une même période.
Ca nous fait une semaine de troubles.
Pour deux semaines de paix.
La moyenne est encore favorable.




16 h








Le foin coupé vendredi sèche au grand soleil.
La grande parcelles aux rebonds ronds ondule sous la pirouette agile.


En nous promenant dans le sous-bois proche avec Olivier, nous remarquons cette curiosité botanique.







Une liane de ronce est phagocytée par ce que nous prenons au départ pour une clématite sauvage.
A y regarder de plus près, la feuille de ce parasite vorace est plus dure, plus vernissée.
La bougresse accroche un filament autour de la ronce, s'y chantourne en volutes serrées, puis, nourrie de la sève de son hôte malgré lui, étire une première feuille isocèle et tendre, puis, une autre.
Elle tire à elle la sève volubile de la ronce vivace, aspire cette vitalité en plein essor, et se la restitue, en feuilles luisantes au vert éclatant.

Je me souviens avoir vu les haies de ronciers, un peu plus haut, submergées de cette plante dont je ne connais pas le nom. Je n'avais pas remarqué le mode procréatif de cette nouvelle liane.
Difficile de s'y retrouver là dedans entre genres, espèces, fonctionnements équitables et autres billevesées.
De la force de vie à l'état pur, de l'élan sauvage et sans foi ni loi.
Ainsi va la nature, qui, de nos tentatives raisonnées et de nos sensibleries déplacées, se fait des manteaux !



Le sous-bois frais, ombré en plateaux par les noisetiers et les fougères voluptueuses, nous accueille dans son silence protecteur.
Nous cheminons lentement, respectueux de cette douve de verdure.
Plusieurs merisiers aux longs fûts étroits se sont couchés dans le fossé embroussaillé. Les tempêtes hivernales sont passées ici aussi. La végétation colonise ces bois morts. Quelques branches sont reparties, poussant de leur essence originelle des feuilles rescapées. 

Nous remontons.
Les foins vont bon train.





























Réapprovisionnements en plein vol, comme aux longs cours.

Ce cours si long des arbres vénérables.


Mercredi 23 décembre 2020 




Le jour s'était levé rose brouillé, ce matin.
Annonciateur de la pluie compagne de ma promenade.
 
Ma campagne châtaignes d'Agorreta devra jongler avec ces aléas là.
Pour planter mes scions de Mendionde, j'avais prévu de nettoyer la prairie.
Les génisses ont pacagé jusqu'à la fin Novembre. L'herbe n'est pas haute. Tout de même, nous serons mieux à travailler une aire bien propre.

Antton, notre expert gyrobroyeur, s'est mis à l'œuvre dès hier. En bon paysan, il tient compte du temps, et saisit les créneaux favorables quand ils se présentent.
Après les petites pluies, aujourd'hui et demain, il doit faire beau. Froid, et beau. Une conjonction idéale pour la plantation hivernale. La terre est malléable d'avoir pris l'eau, suffisamment ressuyée pour ne pas motter en boue.
En hiver, ce genre d'éclaircies n'est pas si fréquent.







Après son passage, mon champ d'action est parfaitement dégagé.






 Zaldi et deux jeunes génisses voisines sont venus aux nouvelles.
Puis, se sont désintéressés.
Je leur raconterai, au fur et à mesure.


Je pensais dessiner facilement des rangs obliques, installant mes plants en losanges, pour un plus bel effet. Ca paraît tout simple. Ca l'est peut-être.
Et bien moi, j'ai erré un moment, visant ici l'est et l'ouest. Pour finir par piqueter au jugé, un damier approximatif.



Olivier samedi m'arrangera ça.

Il plantera mes châtaigniers. Mes frères l'aideront.
Eux aussi "congrueront" autour de ce joli projet commun.




Samedi 26 décembre 14h30

Je suis à la jardinerie.
Olivier est passé récupérer les plants de châtaigniers.
Direction Agorreta et ma prairie :





Antton attend là bas de pied ferme.
Il s'investit dans ce projet de plantation : les générations futures lui rendront hommage, quand le bosquet d'Agorreta s'arrondira sur ce flanc.

Je lui rend grâce, moi, d'ores et déjà, de son aide et de son soutien.






Karrarro est là, lui aussi.
Face à la ferme où il a travaillé si longtemps.
Cet Atxoenia maintenant jaune et remplie d'autres gens.










En maîtres d'œuvre, Olivier et les chiens.
Mon homme plante, tuteure et assure les meilleures conditions de reprise.
Lola surveille la bonne marche.
Mes chiens sont de retour ici après deux mois de villégiature dans les Landes. 
Ils réinvestissent leur espace. Leurs aboiements résonnent à nouveau dans la cour. Je ne suis pas sûre qu'ils aient beaucoup manqué aux locaux...


Mercredi 30 décembre 2020  10h






2020 se termine.
Ce bel arc-en-ciel m'incite à formuler des vœux pour 2021.

Je souhaite belle et longue vie à mes châtaigniers fraîchement plantés.

Je vais à la prochaine période favorable intercaler ceux d'ici.
Mêlés aux Ipharras, Usta, et Zazpikoa de Germain Lafitte, les Emengoak, Lurberrikoak et Mendikoak d'Agorreta croiseront leurs essences et leurs génétiques végétales.
Les débouchés de la châtaigne sont en plein développement et les productions se diversifient, autour de Baïgorry, principalement, et du Collectif de la châtaigne de Beñat Itoitz.
Il n'y a pas encore, à ma connaissance, d'études en aval, sur la sélection variétale, en relation avec ces différentes productions.
Je n'aurai évidemment pas le temps d'aboutir une grille de spécificités. J'ai celui de commencer le travail, et de donner une chance au prochain de le parfaire.
Mes châtaigniers ne produiront pas avant une demie douzaine d'années, en quantité suffisante pour évaluer la qualité de leurs fruits.
Les hybridations proposées ne donneront peut-être rien de bon. Ou alors, si j'ai beaucoup de chance, elles seront l'amélioration de chaque espèce croisée, en un fruit unique et prometteur.
Mes essais sont modestes, et mon champ opératoire restreint. N'empêche. Le sort peut se montrer magnanime ici comme ailleurs.

Je souhaite longue et belle vie aux repreneurs de ma vieille ferme.
Je reste dans les parages. Bienveillante et attentive à la bonne marche de cet autre si joli projet.

Je souhaite longue et belle vie à tous ceux que j'aime. Et il y en a beaucoup.
Et à tous ceux que j'aime moins, aussi, allez. 




Samedi 20 février 2021  7h40







La période est fantastique d'aubes diaprées roses, bleues et or.
Chaque matin est un tableau nouveau. Un régal.

Dimanche 21 février 2021  9h30









Tels les druides anciens de la Gaule romaine, nous avons ce matin récolté le gui.
Mon homme juché sur le destrier de fortune a œuvré dans les hauteurs, encore une fois.
Il aime bien, ces temps-ci, l'air en altitude.





Mes châtaigniers bourgeonnent. Après la longue saison de pluies, la douceur avant le beau temps a affolé la nature. Tout bondit et s'élance, fouetté d'une énergie vitale irrépressible.

J'ai installé mon aulne auprès de mes protégés. Aulnes et châtaigniers sont compagnons. Dans les forêts naturelles, une couronne de jeunes arbrisseaux tachetés darde à l'aplomb des houppiers de châtaigniers. Sous terre se joue une association de mycéliums complémentaires. Mon aulne gardiennera la châtaigneraie, essaimera entre les arbres. Tout ce petit monde devrait cohabiter en une synergie réussie.

A l'automne prochain, je planterai le seconde tranche de plants. Mes miens et ceux de Sare auront alors trois ans. Ils seront suffisamment mâtures pour affronter la transplantation.

Ce projet suivra les rythmes naturels, de ces rythmes qu'on ne bouscule pas, impatient ou pas.

Ce rythme imposé apaise le mien. Et cette tempérance me fait du bien.



Dimanche 4 avril 2021  8h


Pâques chrétiennes.

Le soleil se lève au juste mitan d'une vraie pinède, cette fois. Comme quoi, cette histoire de pinède, à quelques semaines près, on y est.






La période est belle. Il manquerait une belle averse, pour rincer la poussière sur la végétation.

Une belle averse, aussi, pour abreuver mes plants de châtaigniers en début de feuillaison. Les jeunes pousses tendres se sont froissées à la grosse chaleur du milieu de semaine. Les racines sont encore en surface, elles ne plongent pas suffisamment pour pomper l'eau juste dessous.

Puisque la pluie annoncée pour Pâques ne viendra pas, je décide une intervention arrosage de printemps. Germain Lafitte le préconisait, je suis.

Nous allons quérir une cuve, l'emplir, descendre tout ça dans le champ. Un petit demi-quintal d'eau par plant assurera le débourrement des bourgeons en souffrance.


Vendredi 16 avril 2021 19h15


Mes quatre châtaigniers tardifs s'en voient : les bourgeons ont grillé aux grosses chaleurs d'il y a trois semaines, presque gelé quelques jours à peine après. S'ils n'ont pas tout donné au premier démarrage, ils repartiront. Sinon, je les remplacerai.

Je deviens fataliste, résignée aux aléas d'une nature souveraine.




Jeudi 22 avril 2021  20h








D'Ouest en Est, mon horizon s'enlumine au soleil du couchant.
Les champs longs pelés du ray-grass récolté pâlissent entre les verts tendres ou profonds. 
La nature appelle l'eau, et le ciel ne la pleure pas.
Les masses d'air bougent. Les températures remontent. 
S'il pleut, comme annoncé, lundi, tout va bondir.
C'est mon espoir, pour mes châtaigniers, arrêtés entre je vis-je meurs, pour les quatre Usta. Les plus tardifs. Ipharra et Zazpikoak sont bien feuillés. C'est dommage, je risque de perdre une sélection. Ainsi va la vie du pépiniériste...



Dimanche 31 octobre 2021 8h30






Ma petite troupe s'apprête gentiment à la journée.





Pour nous, le chantier du jour sera de plantation.
Avec Olivier, nous allons remplacer les quatre châtaigniers séchés, par quatre essences d'ici.
Nous avons aussi prévu de compléter, en introduisant dans ce banc de culture, les plants issus de Sare.
Les hybridations parleront.









TtonytaPetra, curieuses, se sont approchées, d'un peu trop près. Il nous a fallu les chasser.






Olivier m'avait  rapatrié des noix de la Charente, issus d'une de ses branches familières. 
Puisque ces petites noix ont prospéré en plants gaillards, nous les avons eux aussi repiqué là.
Sous l'œil avisé de Bullou.






On connait le châtaignier en futaie, autrement qu'en isolé.
Moi, je le pratique en cépée. L'idée en étant une base de tronc triplée, large et forte, pour une frondaison opulente. Si ces trois là veulent bien coopérer...
Mon aulne, durement mignoté par les chevrettes, vivait encore. Nous l'avons lieux protégé, pour le réintégrer utilement à la châtaigneraie. Il repartira suffisamment, je l'espère, pour essaimer.





La matinée s'avançant, le ciel s'est soufflé en nuages agités.

Nous avons fini à temps. Nos plantations seront vite arrosées.

Deux heures plus tard, en effet, un gros coup de vent a déplumé les carolins, jonchant la prairie et la cour de médaillons mouillés. La pluie est tombée, gentiment, tassant la terre autour des collets, sans raviner.

Mon bosquet est complet. Le printemps prochain, je surveillerai les reprises.

Mon projet prend pied et racines. Je lui ai donné forme. A lui maintenant de prendre corps. 

Ma châtaigneraie est bien modeste. Suffisante pourtant à donner naissance à une essence de châtaigne nouvelle.

Je suis de plus en plus persuadée que nous ne créons rien. Nous croyons avoir des idées, quand nous n'en sommes que les réceptacles. Les transmetteurs. Au mieux, les catalyseurs, si notre intervention met en présence des éléments propres à entrer en synergie, pour donner quelque chose de supérieur, de meilleur, à ce qu'aurait été la seule addition de ces éléments séparés.

Mes châtaigniers présentés comme des fiancés timorés ne produiront au pire rien de mieux que ce qu'ils auraient produit entre eux. Ils ne se "gâcheront" pas l'un l'autre. 

Le seul risque est que par ma main naisse quelque chose. Ne serait-ce qu'un joli bosquet de feuillus, rendu à cette terre où la main des miens l'avait défriché.

Puisque tout n'est que recommencements.




Mercredi 26 janvier 2022 18h30

Les derniers roses strient le ciel juste au dessus du flanc sombre du Jaïzkibel.
Il fait toujours aussi beau. Les journées sont parfaites, claires, vives, toniques.
J'ai cet après-midi vérifié mes châtaigniers, dans le détail. Les bourgeons renflent. La renaissance sourd de la terre, prête à exulter, irrépressiblement. Je tâte ces bois vert-dorés. Je sens sous l'écorce encore fine le mouvement de la sève, repartie à l'assaut.
Mes arbres forcissent. Je desserre les liens, là où ils commencent à les comprimer.
TtonytaPetra s'intéressent vivement à mon activité. Elles me suivent, reniflent les tubes que j'ai descendus. Oui, parce-que si mes arbres forcissent, TtonytaPetra, elles, grandissent. 
Pour ce printemps, en tirant un peu du col, elles arriveront à grapiller les bourgeons tendres, sur les branches les plus basses. Mes plants étaient formés en tige, sur une hauteur d'un petit mètre quatre-vingt. Leur tronc enroulé dans les fourreaux de protection, les ramures déployées au dessus, étaient hors de danger. Jusque là...
Aujourd'hui, j'ai repris leurs silhouettes, pour les hausser sur des tiges plus longues. J'ai eu un petit pincement à couper net des couronnes joliment agencées. Ma taille a méchamment défiguré mes châtaigniers, ne leur laissant qu'une branche plus ou moins droite, allongée pathétiquement vers le ciel pur. Comme en prière.
Là encore, comme pour mon tas de fumier, j'imagine le résultat final. Puisqu'il faut en passer par cette étape douloureuse pour y arriver, je ne barguigne pas. 
J'ai emmailloté la branche rescapée dans le troisième tube. La nouvelle couronne pourra démarrer de là, à plus de trois mètres. Pour le coup, à moins que TtonytaPetra ne soient croisées de girafes, ça devrait suffire à la préserver.
Quand j'ai eu redressé le plant, en le liant serré contre le tuteur, l'ensemble avait déjà meilleure allure.



Pour les plus jeunes sujets, ceux plantés l'automne dernier à la place de ceux qui n'avaient pas repris la saison précédente, je me suis contentée d'allonger un second tube au dessus du premier. Le scion poussera là dedans, et se laissera guider, jusqu'à tant que je lui laisserai la liberté, plus haut, bien plus haut.

Mon bosquet en devenir m'occupe bien agréablement. TtonytaPetra se sont montrées très attentives à mes travaux. Un peu trop, peut-être : j'espère ne pas voir dans les jours prochains mes plants renversés par leurs jeux brutaux. 
Cela signerait alors pour elles un nouvel étrécissement de leur pacage, puisqu'alors, je clôturerais aussi devant les châtaigniers.
Décidemment, si elles ont goûté le sel de l'aventure, des augures plus strictes les menacent.
Pour le moment, elles ne s'intéressent pas aux châtaigniers : elles ont mieux à faire !




Il en va ainsi de l'éducation, où il faut savoir poser des limites claires et bien comprises, là où le naturel incite la jeunesse à les repousser chaque fois un peu plus...


Vendredi 11 février 2022  18h10


Le frais est revenu.

J'ai travaillé l'après-midi à ma châtaigneraie. Comme il fallait s'y attendre, TtonytaPetra, frustrées de ne plus trop pouvoir jouer les aventurières, se sont rabattues là dessus. Heureusement, elles ont attaqué deux des trois noyers. Ceux là, je les avais implanté là à défaut de savoir où les mettre ailleurs. S'il faut sacrifier deux trois sujets aux caprices des génisses, autant que ce soient ceux-là.

L'une des deux victimes avait déjà essuyé les assauts des velles, et des chèvres, à l'automne, dès sa plantation. Je l'ai examinée de près, mise à nue : la tige en était sèche, et elle ne serait de toute façon pas repartie. Pour la seconde, j'ai reconstitué la protection. Si ces deux noyers rescapés reprennent au printemps, je leur adjoindrai l'automne prochain un troisième, encore en pot ici, pour le moment. S'il n'en ressort qu'un, ce sera celui là seul. Si les deux sèchent, je mettrai à leur place trois aulnes en cépée. Celui que j'avais planté fin 2020 avait été lui aussi brouté par les chèvres, et sa reprise bien difficile.

L'autre cépée de châtaigniers, un peu plus bas, paraît aussi borgne. Je ferai comme avec les noyers, puisque j'ai là aussi du plant de réserve.

Avant d'en arriver à clôturer le bosquet, pour le sauvegarder de mes diablesses TtonytaPetra, j'ai pris une première mesure intermédiaire : j'ai entouré chacun de mes arbres en devenir de fil barbelé. Les génisses devraient s'y piquer le museau, et renoncer à mignoter plus avant. C'est une parade aléatoire. Si elles sont vraiment décidées à jouer avec mes châtaigniers, quelques égratignures sur le mufle ne les empêcheront pas longtemps de les bousculer du front.

Je prends quand-même ce risque. Si je ferme l'enclos autour des arbres, TtonytaPetra auront moins de pâture. En plus, il nous faudra suivre l'entretien de cet espace, quand les velles le font très bien sans nous. 

Je vais suivre tout ça de près. Entre ces quelques châtaigniers et ces deux petites vaches, j'ai l'assurance d'un divertissement sain pour les vingt prochaines années. Ensuite, s'il m'est donné de les vivre, je pourrai admirer avec relâchement le fruit de mes soins vigilants et assidus.

Ces deux seules perspectives nourrissent mon bien-être.



Vendredi 27 mai 2022   17h


Je remonte du champ où j'ai épampré les châtaigniers.
Nous l'avions fait au début de printemps. Sur mes tailles de reformation, des bourgeons s'étaient allongés en tiges, compressées dans le tube, froissées dans le cylindre exigu. D'autres encore étaient nées d'yeux en dormance, plus bas sur le tronc. J'y suis revenue aujourd'hui. Les repousses têtues se faufilaient encore ici et là. J'ai enlevé tout ça, pour ne laisser que la couronne de tête. J'ai repris quelques colliers de serrage, remonté les spirales de barbelés. TtonytaPetra grandissent, et la dissuasion doit suivre leur croissance.





Mon tout premier châtaignier planté il y a maintenant une demi-douzaine d'années, sur le haut du pré,  a eu beaucoup de mal à s'installer. La terre est dure, à cet endroit. Cette année seulement, il a vraiment démarré, déployant plus largement ses branches.






Le bosquet en bas est en devenir. Il reste maigrelet, mais les plants de 2020 se haussent du col gaillardement. Ils ont pour la plupart réinvesti une verticale honorable, après ma taille de remontée. Ceux de 2021, de ma production locale, sont encore dans les tubes, à la recherche de la lumière.
Ma châtaigneraie suit son cours, modeste, mais tenace.






Il faudra beaucoup d'années encore, avant que TtonytaPetra se reposent à l'ombre de mes arbres. Elles m'accompagnent, d'un châtaignier à l'autre, s'intéressent, puis, se couchent.

Ttony s'encorne joliment, de deux appendices bien équilibrés, généreusement ouverts, dans un angle harmonieux. Pour Petra, elle me fait un peu souci : je me demande si elle ne prend pas une tournure entre zébu et buffle. Ses cornes, de longueur égale, au moins, s'aplatissent et descendent. Ca lui allonge la tête, et lui donne un air piteux de qui est pris en faute. 
Mes deux bêtes vivent paisibles, libres de rentrer et de sortir à leur guise. Leurs humeurs sont généralement placides, égales. Evidemment, la semaine prochaine, leurs hormones me les rendront plus follettes...





Plus haut en remontant vers la ferme, les arbres que j'ai plantés il y a presque 40 ans s'élargissent.
Leurs frondaisons portent loin leurs ombres, faisant aux jours chauds un endroit frais pour les bêtes. La prospérité de ceux-là m'encourage. 

Dans quarante années d'ici, je ne serai sans doute plus de ce monde. J'aurais laissé derrière moi ces quelques arbres, et ces quelques mots, s'ils me survivent.

D'ici là, je les suivrai, et je reviendrai épisodiquement ici, pour faire le rapport de leur avancement, et du mien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire