lundi 1 juillet 2019

01 juillet



Lundi 1er juillet 2019 10h


Une ambiance amazonienne sature l'air d'humidité.
La nature est extrêmement poussante. Les fougères déploient de larges frondes emperlées de gouttes d'eau retenues en bijoux ciselés posés sur les toiles d'araignées. J'en ai contemplées hier, toute émerveillée de cette joliesse si fragile.

Cette dernière fin de semaine a concentré plusieurs petits évènements. De ces toutes petites choses anodines, dont l'insignifiance apparente me paraît pourtant digne d'être reportée, et retenue.

Vendredi, Beñat m'alerta sur la présence d'un petit oisillon tombé d'un nid, dans son garage. Il l'avait vu la veille sous son tracteur, et retrouvé, le lendemain, plus ou moins au même endroit.
La veille, c'était ce jeudi bien chaud, où la canicule étouffant une bonne partie de la France, était venue nous lécher les orteils. Beñat avait poussé vers l'ombre le petit oisillon maladroit.
Le lendemain matin, il fût tout surpris de le revoir là, vivant encore, même s'il paraissait bien mal en point.
Lui même attentif à ces petites choses de la nature, et connaissant mon goût pour la cause animale, vertébrée et invertébrée, il me parla de l'oisillon en perdition.
Je me rendis illico sur le lieu de la tragédie. Là, en effet, une toute petite hirondelle, pas encore plumée, ébouriffée d'un duvet léger, cahotait péniblement entre les planches épaisses de la fosse, tout près du pneu cranté du tracteur.
Attendrie et émue, je me penchai. J'attrapai dans ma main le tout petit oisillon, titubant, et déjà un peu froid. Le pauvret, il était si affaibli qu'il ne se débattit même pas.
En le ramenant, je vis, juste à côté, une autre petite hirondelle, guère plus vaillante que la première. Je la recueillis celle-ci aussi dans le creux de ma main. Tous les deux, si petits, si légers, ils tenaient facilement dans cette petite niche plissée.
A peine plus loin, deux petits cadavres, couchés sur le flanc, gisaient. 
Quelle tragédie avait bien pu décimer cette famille ? Quelle dispute de ménage, ou alors, quel cruel rapace fondu sur la mère hirondelle cherchant pitance pour ses petits, avaient-ils provoqué ce désastre ? Je supputais, désolée, devant ce sort implacable qui frappe parfois l'innocence.
Brisant là mes philosophades inutiles, j'entrais en action. 

J'ai déjà remis de petites hirondelles tombées du nid dans leur habitat, prenant soin de ne rien déranger. J'ai bien observé la réaction des parents, au retour. Le plus souvent, ces petits ont survécu, et j'ai pu surveiller, le cœur tout réchauffé, leur croissance et leur envol.
Nous avions avec mon frère repéré deux nids habités, lovés sur la charpente.
Je déposai les deux petits oisillons serrés l'un contre l'autre dans le tiroir en bois d'un rangement proche.
Nous dépliâmes une échelle à trois pans, et je me hissai, pour évaluer l'âge des petites hirondelles nichées là, et réintroduire les miennes dans leur fratrie originelle.
Arrivée en haut, je constatai dans le nid de droite la présence agitée de quelques têtes nues, à l'allure de mini vautours. 
L'hirondelle, cette vive et leste grâce virevoltant dans nos ciels, est bien laide à ses commencements. Une grosse tête aux yeux fermés, protubérants, nantie d'un large bec en triangle aux lèvres orangées, est posée lourdement sur un tout petit corps, presque transparent sur des os ténus en pointes, dont on se demande si elles ne vont pas transpercer la si fine peau, rougeâtre, mal couverte d'un duvet mince rappelant le crâne d'un très vieil homme.
La petite nichée s'agitait en soubresauts désordonnés, dérangeant le fouillis de plumes légères agglomérées  autour d'elle en chaude couverture.
Ceux-là étaient plus jeunes encore que mes deux protégés. 
Dans le nid de droite, plus personne, à peine dans le fond quelques fientes sèches, derniers signes d'une vie, là. Plus de plumes chaudes, plus de mouvements, du vide.
Mes petits rescapés étaient sûrement les derniers survivants de ce petit monde anéanti.
Je décidai de descendre ce nid déserté, pour y installer les petites hirondelles. Elles se sentiraient peut-être mieux protégées dans leur demeure ? Précautionneusement, en veillant bien à ne pas défaire l'édifice de brins de foin, de fientes et de terre, je délogeai le nid, et redescendis.
Je récupérai les deux oisillons dans le fond du tiroir.
Revenue à l'étable, je cherchai quelques plumes pour reconstituer un semblant d'habitat naturel. N'en trouvant évidemment pas quand on en cherche, j'eus l'idée d'en arracher quelques unes, toutes chaudes, sous l'aile de l'une de mes vieilles poules. Puis, présageant le courroux de ces volailles vite acariâtres, je me défaussai vers quelques bulles de coton. Les hirondelles du cru gazouillaient en voletant sous les pannes du plancher du grenier. J'espérais que ces bruits familiers allaient repulper le moral de mes bébés hirondelles. C'est important, le moral, dans des circonstances aussi désespérées. L'environnement était optimalement reconstitué.  
Mes petits oisillons se lovèrent dans cette douceur. Ils avaient meilleure allure, ainsi installés.








Il fallait maintenant s'occuper des conditions de survie.
Je m'en fus quérir une cage chez mon autre frère, avec une boîte de pâtée pour chat.
Mon idée était de nourrir mes petits protégés avec une bouillie de cette pâtée mélangée à de l'œuf. S'ils acceptaient cette becquée improvisée, peut-être s'en sortiraient-ils ?
Je mis la manœuvre à exécution. Tout doucement, j'aspirai un peu du mélange. 
Je m'approchai. J'avais enlevé le haut grillagé de la cage : les petits oisillons si faibles ne risquaient pas de s'envoler, les malheureux mignonnets !
J'approchai la seringue. 
Autour de nous, d'autres tout petits réclamaient leurs pitances, sifflant en courtes séquences stridentes.
L'un des miens se mit à l'unisson, ouvrant large son bec orange. Vivement, je poussai le piston. Dosant mal mon effet, une giclée généreuse faillit étouffer l'oisillon. Après quelques hoquets, il avala sa goulée, retrouvant peu à peu et avec quelques difficultés la disponibilité de son circuit digestif. J'avais bien failli le tuer pour de bon, maladroite que je suis !
L'oisillon ne se montra pas rancunier, ou alors son instinct de survie lui fit-il dépasser ces petitesses. Il rouvrit largement son bec. Je pris garde cette fois-ci, dents serrées sur une concentration presque douloureuse. C'était mieux : la bouchée plus petite fût aisément et goulûment enfournée. La petite hirondelle avalait avec application, ramenant sa toute petite tête entre ses frêles épaules, pour arrondir au mieux sans doute la courbe de son minuscule tube digestif. 
Je me liquéfiais d'émotion. 
Cette si petite chose, ce tout petit oisillon, si près de mourir comme ses pauvres frères, s'accrochait à la vie de toutes ses petites forces. C'était à serrer les cœurs les plus endurcis, et à faire fondre le mien, si vite emballé.
Le second oisillon était amorphe, lui. Il ne manifestait aucun intérêt pour ce qui se passait à ses côtés. Je lui présentai au bout du bec ma seringue, il ne réagit pas.
Je distribuai quelques gorgées supplémentaires au premier, toujours aussi bon élève. Je considérais qu'il en avait assez pour être repu. Venant de là d'où il revenait, il ne fallait pas le gaver, non plus !
Je laissai là mes petits, remettant le couvercle grillagé. Il ne fallait pas que ma Bullou, si chasseresse d'oiseaux, me les emporte. Encore qu'il y ait un semblant de déontologie dans la tête de cette chienne. Elle attaque avec acharnement les oiseaux en vol, mais respecte la faiblesse et la vulnérabilité, flairant sans y toucher une volaille à terre.
Je préférais nonobstant prendre cette toute simple précaution. On ne sait jamais, si une pulsion soudaine ruinait les bonnes pratiques de mes chiens, ce serait tout de même dommage d'y sacrifier mon début de réussite.
J'étais très optimiste pour la petite hirondelle qui mangeait, désabusée quand aux chances de l'autre.
Je les laissai là, pour vaquer ailleurs.

Deux heures après le sauvetage, je revins nourrir les oisillons. Je m'attendais à trouver une seule survivante, l'autre ayant sûrement fini de mourir. Je lui aurais au moins assuré une fin en douceur, gentiment lovée dans le coton, accompagnée dans cette terrible épreuve par la chaleur de son petit congénère.
Ce  dernier petit, tout seul, risquait évidemment d'en prendre un coup, et de succomber à sa peine. Ou alors, galvanisé par sa condition de survivant, justement, s'accrocher plus fermement encore.
Je ne suis pas suffisamment calée en psychologie volaillère, je m'en remis au sort.

A ma surprise reconnaissante, je vis en revenant vers la cage, deux petites têtes dressées vers moi. Le second, reposé, avait repris flamme de vie !!
Je nourris de nouveau, tour à tour, cette fois-ci, sous le regard attendri de la tablée réunie pour midi.
Le revenu à lui n'ouvrait pas le bec à chaque tournée. Par contre, dès que je déposai une goutte du mélange gluant sur le bout de son bec, il l'aspirait aussitôt, et déglutissait avec application.
Là encore, j'évaluai au jugé la juste ration. Le premier petit était vorace, et il en aurait avalé plus encore. Je fus raisonnable pour lui, et interrompis la becquée.
Très vite, les deux petites hirondelles, après quelques mouvements pour s'installer confortablement dans le coton, mirent la tête sous l'aile, et, pour ce que j'en compris, s'endormirent, rassasiées.
Nous en avions presque les larmes aux yeux, grands benêts que nous sommes !

Nous fîmes des plans d'avenir. Mes frères nourriraient le lendemain nos protégés, toutes les trois heures, puisque moi, je serais à la jardinerie.
Les oisillons reprendraient des forces, et, le moment venu, nous les regarderions s'envoler.
C'était beau !!!!
Dans l'après-midi, je renouvelai la distribution de nourriture, deux fois.
Les oisillons étaient moins voraces. Ils restaient joliment serrés l'un contre l'autre, sifflant parfois quand une hirondelle passait près d'eux.
Ils sont repus, pensai-je. Contents de voir des familiers dans leurs parages. Tranquilles et heureux.
J'avais une petite crainte pour la nuit. Ne faudrait-il pas les nourrir toutes les trois heures, comme dans la journée ? N'auraient-ils pas froid ?
Ne ferions-nous pas mieux de tenter de les faire adopter par l'une de leurs tantes ?
Dubitative, en fin de soirée, je les laissais dans l'étable. J'avais enlevé le haut de la cage. Si par cas, une hirondelle en mal de maternité s'avisait de venir s'occuper d'eux, cet obstacle aurait empêché ce dénouement si favorable.
Pour éviter un éventuel retour de sauvagerie de ma Bullou, je déposai tout de même le petit nid maintenant habité dans une cagette aux rebords hauts.
Ce compromis me semblait tout à fait acceptable. Je montai me coucher, réglant le réveil sur une demi-heure d'avance, pour avoir le temps de donner une première becquée du matin à mes protégés. Les frères prendraient le relais.

Je m'endormis, confiante.
Dans la nuit, je me réveillai. Immédiatement, je pensai à mes hirondelles.
J'ai l'usage depuis ma mère, et avec mon père, de ces rondes de nuit dans la ferme.
Je descendis dans l'étable, allumai. Les bêtes au pré, il n'y avait que les hirondelles pour être surprises par la soudaine lumière.
Je m'approchai de la cagette. Aïe ! L'un des oisillons était sorti du nid. Il glissait maladroitement sur le fond de cage. L'autre était immobile, bien calé dans le coton. Je remis le fuyard dans son lit. Je retournai vers le mien, moins sûre déjà de les retrouver vivants tous les deux au petit matin. Je les avais bien recouverts, sentant leurs petits corps un peu refroidis.

Quelques heures après, l'un des deux oisillons était mort, renversé, et le second tout près.
Le temps de faire rentrer les vaches, de les nourrir et de les câliner, la seconde hirondelle avait rendu son dernier soupir…
Une grande tristesse m'amollit, ridicule sans doute, mais bon, on ne se refait pas...

J'avais pensé avoir deux becs ouverts à garnir, deux petits corps chauds réinvestis par la vie à confier. La flamme vive était bien revenue, pourtant, ramener l'étincelle et l'espoir, puis, avait tourné le dos, comme ça, sans plus de raison. Il n'y avait qu'à s'incliner, accepter cette tristesse et rabattre sur la joie ce pan gris d'une fatalité sans états d'âme.
Je disposai les frêles dépouilles dans une position plus confortable à l'œil, serrées l'une contre l'autre, petites têtes ballantes reposées sur le rebord. Je pris de nouveau précautionneusement le nid devenu cercueil.
Dans la bennette à fumier, j'étalai une couche de litière fraîche. Je déposai le nid avec les deux oisillons toujours serrés l'un contre l'autre, bien au milieu, bien visibles avec les boules blanches de coton autour des deux têtes inertes.
Ca me semblait plus doux comme ça, comme avec ce petit hérisson à qui j'avais rendu de la même façon un dernier hommage attristé, il y a quelque temps.

Mes deux oisillons rescapés ne l'ont été que pour quelques heures.
Le temps de lever en nous l'espoir, puis, vite après, la peine, emportés tous deux, depuis, par le vol léger des hirondelles. Retenus dans ces lignes, tout de même, pour y faire leur nid aux côtés de tous ces autres instants de rien, en apparence.

Dimanche matin, alors que le souvenir de mes hirondelles éteintes m'avait glissé des épaules, je vécus un autre genre de moment, bien différent, mais tout aussi digne d'être transcrit ici.

Je me suis attardée avec cette histoire d'oisillons.
Mon temps d'écriture s'achève. En bas, si je ne descends pas préparer le repas, un autre genre de gros oiseaux ouvrira une rangée de becs tout aussi voraces que celui de mes petites hirondelles ! Moins attendrissants, certes, encore que…

L'injustice n'est pas seulement dans la mort qui cueille brutalement une toute petite vie en devenir.
Non, l'injustice est aussi dans ce mouvement d'écriture, où une anecdote s'épanche voluptueusement sur une plage longue au sable fin, quand d'autres historiettes toute aussi méritantes sont bousculées dans un flot bouillonnant où les crêtes d'écume en colère laissent à peine entrapercevoir une saillie rocheuse violemment giflée, et emportent loin du regard le lit de galets ronds perdus à la vue là dessous.
L'injustice est partout, autant le savoir, et s'en faire une raison.

Un cousin de mon père, plus de 90 printemps, se présenta  à la ferme pour le saluer.
Cet homme porte encore beau, bien droit, les yeux pâles dans un visage lisse, à la peau imberbe, sous une masse bouclée de cheveux argentés. Le menton un peu lourd, le front haut, il se montre avenant, et curieux de tout.
A cette heure matinale, mon père a l'heur d'aller prendre un café "en ville", avec son fils.
Je proposai à notre visiteur de faire de même, ici,  en l'attendant.
Nous nous assîmes à la grande table, et devisâmes dans le matin calme.
Entre autres choses, le grand oncle me parla des menuiseries en aluminium, dont il envisageait d'équiper sa maison. 

- ça te dure vingt ans, m'assura-t-il, et sans bouger ! Et après, je pourrai les repeindre, pour autant de plus !
Il semblait enthousiasmé par la perspective de longévité de ce matériau, sans trouver du tout saugrenue l'idée de lui survivre, partant de son âge.
Amusée par cette belle confiance en son devenir, je proposai à notre homme de m'accompagner dans l'étable, pour sortir les vaches au pré.
Mes belles sont à cette époque de l'année plus en extérieur. Elles rentrent pour les rations du matin et du soir. Ensuite, elles apprécient de pouvoir se reposer une heure ou deux, dans le paillage frais, ruminant leur satiété, les yeux presque fermés.
Après ce temps digestif et méditatoire, elles se relèvent tranquillement, s'étirent de la pointe cornée à l'échine, en enroulant leurs queues poilues de part et d'autres de leurs flancs ronds.
C'est le signal qu'elles sont prêtes à retourner au champ.
Ce dimanche matin, escortée de notre visiteur, je dénouai les brins d'acier des attaches.
L'homme était là, debout au plein milieu de l'étable, campé dans ses knepettes. Il portait en dessous de ces sandales à lanières une paire de chaussettes hautes, pour galber le mollet qu'il a un peu mince.
Les génisses le flairaient en passant près de lui, sans le bousculer. Il les regardait, admirant leurs courbes généreuses, en les flattant gentiment.
Je contemplais ce spectacle incongru, cet homme de plus de 90 ans, bien droit entre de jeunes génisses de moins d'un an.
Mes Neskak sont tellement placides qu'elles ne s'émeuvent de rien. Un inconnu campé dans leur étable ne les perturbe pas, et ne provoque aucune mauvaise réaction en elles.
Té, me pensai-je, si tu étais venu là l'année passée, tu aurais du t'écarter bien vite, sous peine de finir encorné par la diablesse Beltza, ou alors piétiné par Rubita la rousse !
L'homme suivit les vaches jusque dehors, marchant ici ou là dans une bouse grasse, sans s'en émouvoir, où même s'en apercevoir, je pense.
Content de sa visite, même s'il avait manqué mon père.

- Je reviendrai, promit-il, j'ai tout le temps !

En effet, pour ce que j'en avais compris, il était persuadé d'en avoir encore beaucoup devant lui. Alors…

Par ce même dimanche matin, Olivier, "en ville" lui aussi, assista à une sérieuse dispute dans les rayons du supermarché local.
Il était question de racisme, entre deux belligérants d'origine espagnole. Olivier n'avait pas trop bien compris d'où avait fusé l'étincelle, juste assisté à son explosion bruyante.
Les deux protagonistes prenaient feu, et il fallu l'intervention musclée d'un vigile, pour les faire taire.
Quand Olivier à son retour me rapporta l'incident, me revint en mémoire cette autre altercation, dans le vieux marché d'Hendaye, où nous allions vendre nos légumes.

C'était il y a bien quarante ans.
Une de nos clientes, à qui nous livrions tous les lundi matins deux litres de lait, était là, faisant quelques emplettes.
Cette femme, alors déjà âgée, était affublée d'une paire de lunettes aux verres si épais, que ses pupilles se perdaient là dedans en deux pointes lointaines.
Elle était truculente et avait le verbe haut et facile.
Son torse puissant sur des jambes graciles en faisait une réplique assez fidèle de la Mammy Croquette des bandes dessinées de mon enfance. J'avais pour mission chaque lundi, après avoir vidé mes bouteilles dans une casserole au fond cabossé, d'ouvrir les bocaux  et autres boîtes alignés sur la table. La vieille femme n'avait plus la force de les ouvrir elle-même, et elle m'attendait, avec ses provisions pour la semaine.

Je ne sais pas là encore d'où démarra la dispute.
Toujours est-il que ma Mammy Croquette fulminait sous le grand hall où sa voix portait comme dans un théâtre vide. Elle s'en prenait à un homme étourdi de sa vindicte, et qui n'osait plus piper mot :

-je suis frantxex, moi, hurlait-elle en agitant devant elle un doigt boursouflé d'arthrose.
et si vous le xabé pas, appréndé-lo !!

Le malheureux resta coi. Et nous, nous riions sous cape, réfrénant cette hilarité qui aurait renflammé les poudres.

Il y a ainsi des personnages et des moments qui nous restent.
Des émotions et des situations qui se marquent dans nos mémoires.
Des petits galets ronds de rivière, là, chatoyant sous l'onde, qu'elle soit claire ou tempêtueuse.
On en retrouve la courbe lisse et les reflets changeants, on s'y attendrit et s'y réchauffe l'âme.

C'est pour les garder vivants que je les dépose dans ce nid-ci.
Espérant les retrouver plus tard...






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