mercredi 26 juin 2019

24 au 26 juin



Lundi 24 juin 2019 8h40




En ce calme lundi matin un peu voilé, je reçois un de ces artisans espagnols sympathiques en diable.
La vieille ferme demande ici et là quelques restaurations, en mesures préservatoires. Rien de trop brutal, juste quelques ravalements de surface. Le fond, tant qu'on n'y touche pas, et si on n'y regarde pas de trop près, fait très bien son affaire.

A ces occasions, je fais souvent appel à l'un ou l'autre de ces artisans. Chacun est un personnage et tous partagent un enthousiasme communicatif, et quelques traits plutôt déconcertants.

Il y a eu ce plaquiste avec sa casquette vissée sur la tête, et son "escayola" miracle. Ce plâtre magique, il l'utilisait partout et pour tout, enduisant à tours de bras, si satisfait du rendu, quand on pouvait imaginer que, depuis le nombre d'années où il l'utilisait, il aurait du en être moins surpris, et sa satisfaction, plus blasée. Et bien non, il gâchait toujours avec autant de plaisir, et contemplait, encore et encore émerveillé, son ouvrage.

Il y a eu ce menuisier à la voix stridente, bien trop stridente pour mes pauvres oreilles. Un grand tout fou, aux mouvements imprévisibles, laissant derrière son passage l'impression d'une tornade évitée de justesse.

Il y a eu aussi ce plombier vif et alerte, pour qui changer un des abreuvoirs incrustés depuis des décennies dans une des auges de l'étable  :"no me parece ninguna dificultad !", ne présentait aucune difficulté. "Es para Loulout ?" C'est pour Louloutte ? Louloutte, ma montbéliarde élevée collégialement par Antoinette et sa mère Haundi, ma Louloutte tragiquement restée à terre à la suite d'une trop grave fourbure en pleine lactation. Si c'était pour Louloutte, donc, mon plombier consentait à exporter son art dans la vieille étable, posant ses outils rutilants dans le paillage douteux. Pour une autre, peut-être, aurait-il refusé ? Je ne sais…

Dans la même veine, notre Alberto, une pile, incapable de tenir la même position plus d'une demi-seconde. Le téléphone vissé à l'oreille, allant et venant d'un pas désordonné, toujours en mouvement, et fervent adepte de son "espuma", lui. Cette mousse polyuréthane, il en aurait aspergé la terre entière. Es rrressspirannte, como el Gorrrtexxx ! clamait-il, le doigt levé et l'œil pétillant. Son "rrojo tejja" plastronne sur le vieux Barbot, tout rafraîchi de ce coloris.

Tous ces artisans totalement investis dans, et imprégnés de, leur métier, vous donnent envie, envie de faire des travaux, de les suivre en confiance. Ils vous représentent le résultat final, vous font espérer, et, la plupart du temps, d'ailleurs, tiennent leurs promesses.

Celui-ci arrive toujours en avance à nos rendez-vous. Espérez-en autant de n'importe lequel !
Rond, dense, compact comme une boule de pétanque, il allonge autant qu'il le peut ses courtes jambes, pour descendre de son scooter, aux formes aussi arrondies que les siennes.
Sa conformation en buffle gentil le rend immédiatement sympathique à l'abord. Une grosse tête de dogue, avec les yeux tombants et la lippe molle, posée directement sans cou sur des épaules musculeuses, un torse épais et lourd, des jambes brèves et fortes, tout le personnage parle de puissance ramassée.



Il marche les bras écartés du buste, pour en contenir les volumes.
Tête baissée, il fonce sur l'objectif, sans perdre de temps en trop de saluts et politesses.
Sa manière de prendre les mesures est surprenante. Il contemple l'embrasure d'une porte, s'éloignant un peu pour en saisir l'ensemble. Ses yeux montent et descendent plus amplement que sa tête, assez figée dans le même axe vertical. Il psalmodie en un murmure inaudible (pour moi !),  une litanie rapide de ses lèvres mobiles. Il calcule, sans doute, ou égrène un chapelet d'exhortations païennes ou religieuses, on ne saurait dire.
Je le regarde faire en silence, un peu amusée,  intimidée aussi par ce rituel semi liturgique.



Subitement, sans que rien ne laisse prévoir la fin de la séquence précédente, il attrape un double-mètre déroulant, et lance l'extrémité du ruban métallique en un ample jeté de bras.
L'axe mesuré peut-être plus ou moins droit, oblique le plus souvent. Pas de diagonale, non, un oblique léger, qui me laisse craindre une certaine approximation dans les mesures prises. Dubitative, je ne pipe mot, abandonnant mon destin aux mains du professionnel-prophète.
L'homme note ses chiffres dans un grand cahier à spirales. Une page par client, pour ce que j'en vois. Que vous commandiez une porte unique ou une série de douze, la place impartie est la même. Soit il restera beaucoup de blanc, et le report des chiffres sera étalé en complaisance, soit toute la page est noircie de croquis et de signes ramassés en un salmigondis indéchiffrable. Pour tout autre que lui.

Après les mesures chiffrées, vient le tour du dessin, pour reporter la forme des barres obliques des volets, ou alors les proportions des vitrages.
Là encore, l'homme est déconcertant. Il reprend ses psalmodies animées, tire un trait, rectifie un angle. Soudainement, toujours, il se retourne, et termine son croquis, dos à l'objectif, en jetant un œil derrière son épaule. L'amplitude du mouvement rotatoire est là aussi restreinte. La pupille compense, roulée tout au bord, libérant une large plage blanche du globe oculaire. Il doit comme moi confondre droite et gauche, et se sentir mieux à l'aise en se mettant dans le sens du courant !

Entre deux opérations, inopinément et sans préavis, notre artisan s'interrompt pour introduire une anecdote ou une information extra professionnelle. Il parle fort, il s'anime, vous plante droit son bon regard de gros chien. Aussi abruptement qu'il est venu vous cueillir sur votre rive d'observation respectueuse, il vous abandonne au milieu des flots, et vous laisse regagner la terre ferme en vous tournant derechef son large dos vallonné.

L'opération terminée, il reprend son grand cahier sous le bras, et s'en va, sans plus de cérémonies qu'à l'arrivée. 
Réinstallé sur son cycle, il démarre, et là, n'est pas avare de grands signes d'adieu, au péril de son équilibre.
Un sacré personnage, un de plus !

Mercredi 26 juin 2019 10h

A la ferme, il y a beaucoup de choses, ainsi. Incongrues, improbables.
Tout de même, en fil rouge, le plaisir simple d'aimer l'ouvrage, comme on aime la terre que l'on travaille,  le goût des vieilles choses à respecter, ces vieilles machines émouvantes d'histoire, fragiles et pourtant encore efficientes. Pour qui sait leur porter l'attention et les soins qu'elles méritent.

Mon vieux Karrarro de Mizel dans la vieille étable, 








le vieux Super 3 d'Antxo, l'homme au navet, 










le vieux tombereau de l'oncle du même Antxo, ce Jean-Pierre charpentier de bateau, aux jambes infinies sur un torse court, exactement l'inverse de mon artisan de lundi matin.










Ca nous ramène aux débuts du siècle dernier…
Ca nous donne à voir l'amour de l'ouvrage de cet artisan du bois, le goût d'emboiter avec justesse les pièces d'un simple tombereau à fumier.
La petite plaque apposée sur le timon signe l'œuvre.
Antxo d'Antxoenea a conservé soigneusement toutes ces reliques.
Il a pris soin de ses outils, de ses machines, de ses souvenirs.
Ils nous reviennent depuis tout ce temps, et nous émeuvent, nous, les paysans de souche attachés à ces valeurs là plus qu'à aucune autre.



mon vieux père content au milieu de ces vieilleries plus vieilles que lui, et là encore et toujours, aussi.






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