mercredi 19 juin 2019

12 au 19 juin



Mercredi 12 juin 2019 17h


























Après les pluies des jours passés, ma promenade prend des allures de voyage mystérieux dans la mangrove tropicale. Des plans d'eau immobiles, du bois flotté, une végétation luxuriante et des lianes épiphytes suspendues aux branches.
Les derniers myosotis échappés de la porcelaine translucide de nos assiettes font discrètement contrepoint aux lumineuses renoncules, et nous ramènent à nos contrées familières.
Nous sommes fébriles : une éclaircie météorologique de plusieurs jours est annoncée. Les foins peuvent être fanés. 
Je le disais il y a quelques jours à peine, l'impatience nous titille désagréablement. Juin en est à son mitan, et la grange se vide. L'effroi d'un hiver de disette se profile déjà !
Allez, c'est décidé, on se lance. Disques brillants des faneuses dressés en imploration païenne vers le ciel, moteurs vrombissant à bon régime, on déplie la barre de coupe, on  ajuste l'inclinaison, et on fauche, basculant les gerbes humides et lourdes les unes sur les autres.



Samedi 15 juin 7h40


La nuit a été orageuse. des averses drues martelaient les tuiles au dessus de mon lit. Je les entendais, c'est dire !
Le foin coupé en andains renversés de la montagne ont essuyé le grain. Si le temps se lève cette après-midi, ça ira. De vigoureuses pirouettées en continu chasseront l'humidité. Le séchage pour le coup n'aura pas été trop brutal !
Si les averses persistent, n'y pensons pas, pour le moment.
Ainsi va la vie du paysan…
Le foin est coupé comme les dés sont jetés. Tout se joue en dehors de nous. Soumis, implorants, dents serrées, le paysan scrute le ciel, espère le soleil et la brise. Le nuage lourd et l'orage qui gronde lui tordent l'entraille et aiguisent son nerf. 

12h40

Grand soleil, brise modérée sous ciel pur. Ouf !


Dimanche 16 juin 18h15









Un dimanche splendide, lavé des craintes et des miasmes.
Hommes et machines sont à pied d'œuvre.
Les pirouettes fouettent, les andaineuses ramassent les bords.
Au soir, le foin embaume. Brins fins, d'un vert bleuté, souple sans être mou.
Demain lundi, une dernière pirouettée, peut-être, puis, mise en rang et "roundballage".
C'est le programme idéal d'une fanaison réussie.




Lundi 17 juin 7h00




Aïe !  Aïe, Aïe, Aïe…
Un couvercle sombre écrase le paysage, là où on attendrait le beau disque du soleil levant.
Une brume silencieuse et étouffante se pose sur tous nos espoirs.
S'il pleut maintenant, le fffoin est fffoutu !!
Juste coupé, une averse le dépoussière. Après deux jours de séchage, elle le pourrit. Les brins noircissent, mollissent, extrudent le rance et l'aigre. Une catastrophe.
J'invoque et j'implore, ardemment.



10 h




Aaaahhh !!!
Le disque solaire se profile derrière les lambeaux déchirés.
Le ciel s'éclaire et le soulagement allège la tension crispante.




11h



On s'y remet. La pirouette va vigoureusement chasser l'humidité déposée par la brume, infiltrer la chaleur solaire, et ébouriffer les brins offerts au vent léger.
15H




Le foin est à point. Soufflé, aéré, parfumé, craquant sans casser.
Comme en cuisine, il faut saisir le bon moment, ni trop ni trop peu.
Andainer au soleil haut, mettre en balle juste après, pour plier les brins gorgés de chaleur, sans les rompre. 
C'est un art, la fanaison, une conjonction délicate et subtile, improbable et complexe.
C'est le gage d'une année de bon fourrage.
C'est la marque d'un savoir-faire, d'un flair paysan.

C'est des hommes et une nature, tous et chacun à leur juste place.


17h30

Les foins seront rentrés.
Le paysan a mouillé sa chemise.
Les grosses balles en tournesol arrivent à bon port.































Mercredi 19 juin 2019 15H


 

La grange est remplie.
Une satiété cousine de la nôtre, quand l'avenir assuré aplatit les crins d'une échine vite levée d'inquiétude. 
Bigoudi et les Neskak auront du bon foin. Elles le goûteront à la rentrée du pré, ce soir. Nous les regarderons mâcher, les yeux fermés sur un contentement complet, et partagé.







Les champs pelés reverdiront des prochains regains.

La pluie peut revenir ourler la crête allongée du Jaïzkibel.
Le paysan est satisfait.

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